- PLAN DU SITE
- LA COMEDIE HUMAINE
- 07. Études philosophiques
- 96. Physiologie du mariage - 2
96. Études analytiques - Physiologie du mariage ou ; Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal. 2° PARTIE : Des moyens de défense à l’intérieur et à l’extérieur.
************************************
MÉDITATION X. TRAITÉ DE POLITIQUE MARITALE.
To be or not be…
L’être ou ne pas l’être, voilà toute la question.
Shakespeare, Hamlet.
Quand un homme arrive à la situation où le place la Première Partie de ce livre, nous supposons que l’idée de savoir sa femme possédée par un autre peut encore faire palpiter son cœur, et que sa passion se rallumera, soit par amour-propre ou par égoïsme, soit par intérêt, car s’il ne tenait plus à sa femme, ce serait l’avant-dernier des hommes, et il mériterait son sort.
Dans cette longue crise, il est bien difficile à un mari de ne pas commettre de fautes ; car, pour la plupart d’entre eux, l’art de gouverner une femme est encore moins connu que celui de la bien choisir. Cependant la politique maritale ne consiste guère que dans la constante application de trois principes qui doivent être l’âme de votre conduite. Le premier est de ne jamais croire à ce qu’une femme dit ; le second, de toujours chercher l’esprit de ses actions sans vous arrêter à la lettre ; et le troisième, de ne pas oublier qu’une femme n’est jamais si bavarde que quand elle se tait, et n’agit jamais avec plus d’énergie que lorsqu’elle est en repos.
Dès ce moment, vous êtes comme un cavalier qui, monté sur un cheval sournois, doit toujours le regarder entre les deux oreilles, sous peine d’être désarçonné.
Mais l’art est bien moins dans la connaissance des principes que dans la manière de les appliquer : les révéler à des ignorants, c’est laisser des rasoirs sous la main d’un singe. Aussi, le premier et le plus vital de vos devoirs est-il dans une dissimulation perpétuelle à laquelle manquent presque tous les maris. En s’apercevant d’un symptôme minotaurique un peu trop marqué chez leurs femmes, la plupart des hommes témoignent, tout d’abord, d’insultantes méfiances. Leurs caractères contractent une acrimonie qui perce ou dans leurs discours, ou dans leurs manières ; et la crainte est, dans leur âme, comme un bec de gaz sous un globe de verre, elle éclaire leur visage aussi puissamment qu’elle explique leur conduite.
Or, une femme qui a, sur vous, douze heures dans la journée pour réfléchir et vous observer, lit vos soupçons écrits sur votre front au moment même où ils se forment. Cette injure gratuite, elle ne la pardonnera jamais. Là, il n’existe plus de remède ; là, tout est dit : le lendemain même s’il y a lieu, elle se range parmi les femmes inconséquentes.
Vous devez donc, dans la situation respective des deux parties belligérantes, commencer par affecter envers votre femme cette confiance sans bornes que vous aviez naguère en elle. Si vous cherchez à l’entretenir dans l’erreur par de mielleuses paroles, vous êtes perdu, elle ne vous croira pas ; car elle a sa politique comme vous avez la vôtre. Or, il faut autant de finesse que de bonhomie dans vos actions, pour lui inculquer, à son propre insu, ce précieux sentiment de sécurité qui l’invite à remuer les oreilles, et vous permet de n’user qu’à propos de la bride ou de l’éperon.
Mais comment oser comparer un cheval, de toutes les créatures la plus candide, à un être que les spasmes de sa pensée et les affections de ses organes rendent par moments plus prudent que le Servite Fra-Paolo, le plus terrible Consulteur que les Dix aient eu à Venise ; plus dissimulé qu’un roi ; plus adroit que Louis XI ; plus profond que Machiavel ; sophistique autant que Hobbes ; fin comme Voltaire ; plus facile que la Fiancée de Mamolin, et qui, dans le monde entier, ne se défie que de vous ?
Aussi, à cette dissimulation, grâce à laquelle les ressorts de votre conduite doivent devenir aussi invisibles que ceux de l’univers, vous est-il nécessaire de joindre un empire absolu sur vous-même. L’imperturbabilité diplomatique si vantée de M. de Talleyrand sera la moindre de vos qualités ; son exquise politesse, la grâce de ses manières respireront dans tous vos discours. Le professeur vous défend ici très-expressément l’usage de la cravache si vous voulez parvenir à ménager votre gentille Andalouse.
LXI.
Qu’un homme batte sa maîtresse… c’est une blessure ; mais sa femme !… c’est un suicide.
Comment donc concevoir un gouvernement sans maréchaussée, une action sans force, un pouvoir désarmé ?… Voilà le problème que nous essaierons de résoudre dans nos Méditations futures. Mais il existe encore deux observations préliminaires à vous soumettre. Elles vont nous livrer deux autres théories qui entreront dans l’application de tous les moyens mécaniques desquels nous allons vous proposer l’emploi. Un exemple vivant rafraîchira ces arides et sèches dissertations : ne sera-ce pas quitter le livre pour opérer sur le terrain ?
L’an 1822, par une belle matinée du mois de janvier, je remontais les boulevards de Paris depuis les paisibles sphères du Marais jusqu’aux élégantes régions de la Chaussée-d’Antin, observant pour la première fois, non sans une joie philosophique, ces singulières dégradations de physionomie et ces variétés de toilette qui, depuis la rue du Pas-de-la-Mule jusqu’à la Madeleine, font de chaque portion du boulevard un monde particulier, et de toute cette zone parisienne un large échantillon de mœurs. N’ayant encore aucune idée des choses de la vie, et ne me doutant guère qu’un jour j’aurais l’outrecuidance de m’ériger en législateur du mariage, j’allais déjeuner chez un de mes amis de collége qui s’était de trop bonne heure, peut-être, affligé d’une femme et de deux enfants. Mon ancien professeur de mathématiques demeurant à peu de distance de la maison qu’habitait mon camarade, je m’étais promis de rendre une visite à ce digne mathématicien, avant de livrer mon estomac à toutes les friandises de l’amitié. Je pénétrai facilement jusqu’au cœur d’un cabinet, où tout était couvert d’une poussière attestant les honorables distractions du savant. Une surprise m’y était réservée. J’aperçus une jolie dame assise sur le bras d’un fauteuil comme si elle eût monté un cheval anglais, elle me fit cette petite grimace de convention réservée par les maîtresses de maison pour les personnes qu’elles ne connaissent pas, mais elle ne déguisa pas assez bien l’air boudeur qui, à mon arrivée, attristait sa figure, pour que je ne devinasse pas l’inopportunité de ma présence. Sans doute occupé d’une équation, mon maître n’avait pas encore levé la tête ; alors, j’agitai ma main droite vers la jeune dame, comme un poisson qui remue sa nageoire, et je me retirai sur la pointe des pieds en lui lançant un mystérieux sourire qui pouvait se traduire par : « Ce ne sera certes pas moi qui vous empêcherai de lui faire faire une infidélité à Uranie. » Elle laissa échapper un de ces gestes de tête dont la gracieuse vivacité ne peut se traduire. — « Eh ! mon bon ami, ne vous en allez pas ! s’écria le géomètre. C’est ma femme ! » Je saluai derechef !… Ô Coulon ! où étais-tu pour applaudir le seul de tes élèves qui comprît alors ton expression d’anacréontique appliquée à une révérence !… L’effet devait en être bien pénétrant, car madame la professeuse, comme disent les Allemands, rougit et se leva précipitamment pour s’en aller en me faisant un léger salut qui semblait dire : — adorable !… Son mari l’arrêta en lui disant : — « Reste, ma fille. C’est un de mes élèves. » La jeune femme avança la tête vers le savant, comme un oiseau qui, perché sur une branche, tend le cou pour avoir une graine. — « Cela n’est pas possible !… dit le mari en poussant un soupir ; et je vais te le prouver par À plus B. — Eh ! monsieur, laissons cela, je vous prie ! répondit-elle en clignant des yeux et me montrant. (Si ce n’eût été que de l’algèbre, mon maître aurait pu comprendre ce regard, mais c’était pour lui du chinois, et alors il continua.) — Ma fille, vois, je te fais juge ; nous avons dix mille francs de rente… » À ces mots, je me retirai vers la porte comme si j’eusse été pris de passion pour des lavis encadrés que je me mis à examiner. Ma discrétion fut récompensée par une éloquente œillade. Hélas ! elle ne savait pas que j’aurais pu jouer dans Fortunio le rôle de Fine-Oreille qui entend pousser les truffes. — « Les principes de l’économie générale, disait mon maître, veulent qu’on ne mette au prix du logement et aux gages des domestiques que deux dixièmes du revenu ; or, notre appartement et nos gens coûtent ensemble cent louis. Je te donne douze cents francs pour ta toilette. (Là il appuya sur chaque syllabe.) Ta cuisine, reprit-il, consomme quatre mille francs ; nos enfants exigent au moins vingt-cinq louis ; et je ne prends pour moi que huit cents francs. Le blanchissage, le bois, la lumière vont à mille francs environ ; partant, il ne reste, comme tu vois, que six cents francs qui n’ont jamais suffi aux dépenses imprévues. Pour acheter la croix de diamants, il faudrait prendre mille écus sur nos capitaux ; or, une fois cette voie ouverte, ma petite belle, il n’y aurait pas de raison pour ne pas quitter ce Paris, que tu aimes tant, nous ne tarderions pas à être obligés d’aller en province rétablir notre fortune compromise. Les enfants et la dépense croîtront assez ! Allons, sois sage. — Il le faut bien, dit-elle, mais vous serez le seul, dans Paris, qui n’aurez pas donné d’étrennes à votre femme ! » Et elle s’évada comme un écolier qui vient d’achever une pénitence. Mon maître hocha la tête en signe de joie. Quand il vit la porte fermée, il se frotta les mains ; nous causâmes de la guerre d’Espagne, et j’allai rue de Provence, ne songeant pas plus que je venais de recevoir la première partie d’une grande leçon conjugale que je ne pensais à la conquête de Constantinople par le général Diebitsch. J’arrivai chez mon amphitryon au moment où les deux époux se mettaient à table, après m’avoir attendu pendant la demi-heure voulue par la discipline œcuménique de la gastronomie. Ce fut, je crois, en ouvrant un pâté de foie gras que ma jolie hôtesse dit à son mari d’un air délibéré : — « Alexandre, si tu étais bien aimable, tu me donnerais cette paire de girandoles que nous avons vue chez Fossin. — Mariez-vous donc !… s’écria plaisamment mon camarade en tirant de son carnet trois billets de mille francs qu’il fit briller aux yeux pétillants de sa femme. Je ne résiste pas plus au plaisir de te les offrir, ajouta-t-il, que toi à celui de les accepter. C’est aujourd’hui l’anniversaire du jour où je t’ai vue pour la première fois : les diamants t’en feront peut-être souvenir !… — Méchant !… » dit-elle avec un ravissant sourire. Elle plongea deux doigts dans son corset ; et, en retirant un bouquet de violettes, elle le jeta par un dépit enfantin au nez de mon ami. Alexandre donna le prix des girandoles en s’écriant : — « J’avais bien vu les fleurs !… » Je n’oublierai jamais le geste vif et l’avide gaieté avec laquelle, semblable à un chat qui met sa patte mouchetée sur une souris, la petite femme se saisit des trois billets de banque, elle les roula en rougissant de plaisir, et les mit à la place des violettes qui naguère parfumaient son sein. Je ne pus m’empêcher de penser à mon maître de mathématiques. Je ne vis alors de différence entre son élève et lui que celle qui existe entre un homme économe et un prodigue, ne me doutant guère que celui des deux qui, en apparence, savait le mieux calculer, calculait le plus mal. Le déjeuner s’acheva donc très-gaiement. Installés bientôt dans un petit salon fraîchement décoré, assis devant un feu qui chatouillait doucement les fibres, les consolait du froid, et les faisait épanouir comme au printemps, je me crus obligé de tourner à ce couple amoureux une phrase de convive sur l’ameublement de ce petit oratoire. — « C’est dommage que tout cela coûte si cher !… dit mon ami ; mais il faut bien que le nid soit digne de l’oiseau ! Pourquoi, diable, vas-tu me complimenter sur des tentures qui ne sont pas payées ?… Tu me fais souvenir, pendant ma digestion, que je dois encore deux mille francs à un turc de tapissier. » À ces mots, la maîtresse de la maison inventoria des yeux ce joli boudoir ; et, de brillante, sa figure devint songeresse. Alexandre me prit par la main et m’entraîna dans l’embrasure d’une croisée. — « Aurais-tu par hasard un millier d’écus à me prêter ? dit-il à voix basse. Je n’ai que dix à douze mille livres de rente, et cette année… — Alexandre !… s’écria la chère créature en interrompant son mari, en accourant à nous et présentant les trois billets, Alexandre… je vois bien que c’est une folie… — De quoi te mêles-tu !… répondit-il, garde donc ton argent. — Mais, mon amour, je te ruine ! Je devrais savoir que tu m’aimes trop pour que je puisse me permettre de te confier tous mes désirs… — Garde, ma chérie, c’est de bonne prise ! Bah, je jouerai cet hiver, et je regagnerai cela !… — Jouer !… dit-elle, avec une expression de terreur. Alexandre, reprends tes billets ! Allons, monsieur, je le veux. — Non, non, répondit mon ami en repoussant une petite main blanche et délicate ; ne vas-tu pas jeudi au bal de madame de… ? » — Je songerai à ce que tu me demandes, dis-je à mon camarade ; et je m’esquivai en saluant sa femme, mais je vis bien d’après la scène qui se préparait que mes révérences anacréontiques ne produiraient pas là beaucoup d’effet. — Il faut qu’il soit fou, pensais-je en m’en allant, pour parler de mille écus à un étudiant en droit ! Cinq jours après, je me trouvais chez madame de…, dont les bals devenaient à la mode. Au milieu du plus brillant des quadrilles, j’aperçus la femme de mon ami et celle du mathématicien. Madame Alexandre avait une ravissante toilette, quelques fleurs et de blanches mousselines en faisaient tous les frais. Elle portait une petite croix à la Jeannette, attachée par un ruban de velours noir qui rehaussait la blancheur de sa peau parfumée, et de longues poires d’or effilées décoraient ses oreilles. Sur le cou de madame la professeuse scintillait une superbe croix de diamants. — Voilà qui est drôle !… dis-je à un personnage qui n’avait encore ni lu dans le grand livre du monde, ni déchiffré un seul cœur de femme. Ce personnage était moi-même. Si j’eus alors le désir de faire danser ces deux jolies femmes, ce fut uniquement parce que j’aperçus un secret de conversation qui enhardissait ma timidité. — « Eh ! bien, madame, vous avez eu votre croix ? dis-je à la première. — Mais je l’ai bien gagnée !… répondit-elle, avec un indéfinissable sourire. » — « Comment ! pas de girandoles ?… demandai-je à la femme de mon ami. — Ah ! dit-elle, j’en ai joui pendant tout un déjeuner !… Mais, vous voyez, j’ai fini par convertir Alexandre… — Il se sera facilement laissé séduire ? » Elle me regarda d’un air de triomphe.
C’est huit ans après que, tout à coup, cette scène, jusque-là muette pour moi, s’est comme levée dans mon souvenir ; et, à la lueur des bougies, au feu des aigrettes, j’en ai lu distinctement la moralité. Oui, la femme a horreur de la conviction ; quand on la persuade, elle subit une séduction et reste dans le rôle que la nature lui assigne. Pour elle, se laisser gagner, c’est accorder une faveur ; mais les raisonnements exacts l’irritent et la tuent ; pour la diriger, il faut donc savoir se servir de la puissance dont elle use si souvent : la sensibilité. C’est donc en sa femme, et non pas en lui-même, qu’un mari trouvera les éléments de son despotisme : comme pour le diamant, il faut l’opposer à elle-même. Savoir offrir les girandoles pour se les faire rendre, est un secret qui s’applique aux moindres détails de la vie.
Passons maintenant à la seconde observation.
Qui sait administrer un toman, sait en administrer cent mille, a dit un proverbe indien ; et moi, j’amplifie la sagesse asiatique, en disant : Qui peut gouverner une femme, peut gouverner une nation. Il existe, en effet, beaucoup d’analogie entre ces deux gouvernements. La politique des maris ne doit-elle pas être à peu près celle des rois ? ne les voyons-nous pas tâchant d’amuser le peuple pour lui dérober sa liberté ; lui jetant des comestibles à la tête pendant une journée, pour lui faire oublier la misère d’un an ; lui prêchant de ne pas voler, tandis qu’on le dépouille ; et lui disant : « Il me semble que si j’étais peuple, je serais vertueux ? »
C’est l’Angleterre qui va nous fournir le précédent que les maris doivent importer dans leurs ménages. Ceux qui ont des yeux ont dû voir que, du moment où la gouvernementabilité s’est perfectionnée en ce pays, les whigs n’ont obtenu que très-rarement le pouvoir. Un long ministère tory a toujours succédé à un éphémère cabinet libéral. Les orateurs du parti national ressemblent à des rats qui usent leurs dents à ronger un panneau pourri dont on bouche le trou au moment où ils sentent les noix et le lard serrés dans la royale armoire. La femme est le whig de votre gouvernement. Dans la situation où nous l’avons laissée, elle doit naturellement aspirer à la conquête de plus d’un privilége. Fermez les yeux sur ses brigues, permettez-lui de dissiper sa force à gravir la moitié des degrés de votre trône ; et quand elle pense toucher au sceptre, renversez-la, par terre, tout doucement et avec infiniment de grâce, en lui criant : Bravo ! et en lui permettant d’espérer un prochain triomphe. Les malices de ce système devront corroborer l’emploi de tous les moyens qu’il vous plaira de choisir dans notre arsenal pour dompter votre femme.
Tels sont les principes généraux que doit pratiquer un mari, s’il ne veut pas commettre des fautes dans son petit royaume.
Maintenant, malgré la minorité du concile de Mâcon (Montesquieu, qui avait peut-être deviné le régime constitutionnel, a dit, je ne sais où, que le bon sens dans les assemblées était toujours du côté de la minorité), nous distinguerons dans la femme une âme et un corps, et nous commencerons par examiner les moyens de se rendre maître de son moral. L’action de la pensée est, quoi qu’on en dise, plus noble que celle du corps, et nous donnerons le pas à la science sur la cuisine, à l’instruction sur l’hygiène.
MÉDITATION XI. DE L’INSTRUCTION EN MÉNAGE.
Instruire ou non les femmes, telle est la question. De toutes celles que nous avons agitées, elle est la seule qui offre deux extrémités sans avoir de milieu. La science et l’ignorance, voilà les deux termes irréconciliables de ce problème. Entre ces deux abîmes, il nous semble voir Louis XVIII calculant les félicités du treizième siècle, et les malheurs du dix-neuvième. Assis au centre de la bascule qu’il savait si bien faire pencher par son propre poids, il contemple à l’un des bouts la fanatique ignorance d’un frère-lai, l’apathie d’un serf, le fer étincelant des chevaux d’un banneret ; il croit entendre : France et Montjoie-Saint-Denis !… mais il se retourne, il sourit en voyant la morgue d’un manufacturier, capitaine de la garde nationale ; l’élégant coupé de l’agent de change ; la simplicité du costume d’un pair de France devenu journaliste, et mettant son fils à l’école Polytechnique ; puis les étoffes précieuses, les journaux, les machines à vapeur ; et il boit enfin son café dans une tasse de Sèvres au fond de laquelle brille encore un N couronné.
Arrière la civilisation ! arrière la pensée !… voilà votre cri. Vous devez avoir horreur de l’instruction chez les femmes, par cette raison, si bien sentie en Espagne, qu’il est plus facile de gouverner un peuple d’idiots qu’un peuple de savants. Une nation abrutie est heureuse : si elle n’a pas le sentiment de la liberté, elle n’en a ni les inquiétudes ni les orages ; elle vit comme vivent les polypiers ; comme eux, elle peut se scinder en deux ou trois fragments ; chaque fragment est toujours une nation complète et végétant, propre à être gouvernée par le premier aveugle armé du bâton pastoral. Qui produit cette merveille humaine ? L’ignorance : c’est par elle seule que se maintient le despotisme ; il lui faut des ténèbres et le silence. Or, le bonheur en ménage est, comme en politique, un bonheur négatif. L’affection des peuples pour le roi d’une monarchie absolue est peut-être moins contre nature que la fidélité de la femme envers son mari quand il n’existe plus d’amour entre eux : or, nous savons que chez vous l’amour pose en ce moment un pied sur l’appui de la fenêtre. Force vous est donc de mettre en pratique les rigueurs salutaires par lesquelles M. de Metternich prolonge son statu quo ; mais nous vous conseillerons de les appliquer avec plus de finesse et plus d’aménité encore ; car votre femme est plus rusée que tous les Allemands ensemble, et aussi voluptueuse que les Italiens.
Alors vous essaierez de reculer le plus long-temps possible le fatal moment où votre femme vous demandera un livre. Cela vous sera facile. Vous prononcerez d’abord avec dédain le nom de bas-bleu ; et, sur sa demande, vous lui expliquerez le ridicule qui s’attache, chez nos voisins, aux femmes pédantes.
Puis, vous lui répéterez souvent que les femmes les plus aimables et les plus spirituelles du monde se trouvent à Paris, où les femmes ne lisent jamais ;
Que les femmes sont comme les gens de qualité, qui, selon Mascarille, savent tout sans avoir jamais rien appris ;
Qu’une femme, soit en dansant, soit en jouant, et sans même avoir l’air d’écouter, doit savoir saisir dans les discours des hommes à talent les phrases toutes faites avec lesquelles les sots composent leur esprit à Paris ;
Que dans ce pays l’on se passe de main en main les jugements décisifs sur les hommes et sur les choses ; et que le petit ton tranchant avec lequel une femme critique un auteur, démolit un ouvrage, dédaigne un tableau, a plus de puissance qu’un arrêt de la cour ;
Que les femmes sont de beaux miroirs, qui reflètent naturellement les idées les plus brillantes ;
Que l’esprit naturel est tout, et que l’on est bien plus instruit de ce que l’on apprend dans le monde que de ce qu’on lit dans les livres ;
Qu’enfin la lecture finit par ternir les yeux, etc.
Laisser une femme libre de lire les livres que la nature de son esprit la porte à choisir !… Mais c’est introduire l’étincelle dans une sainte-barbe ; c’est pis que cela, c’est apprendre à votre femme à se passer de vous, à vivre dans un monde imaginaire, dans un paradis. Car que lisent les femmes ? Des ouvrages passionnés, les Confessions de Jean-Jacques, des romans, et toutes ces compositions qui agissent le plus puissamment sur leur sensibilité. Elles n’aiment ni la raison ni les fruits mûrs. Or, avez-vous jamais songé aux phénomènes produits par ces poétiques lectures ?
Les romans, et même tous les livres, peignent les sentiments et les choses avec des couleurs bien autrement brillantes que celles qui sont offertes par la nature ! Cette espèce de fascination provient moins du désir que chaque auteur a de se montrer parfait en affectant des idées délicates et recherchées, que d’un indéfinissable travail de notre intelligence. Il est dans la destinée de l’homme d’épurer tout ce qu’il emporte dans le trésor de sa pensée. Quelles figures, quels monuments ne sont pas embellis par le dessin ? L’âme du lecteur aide à cette conspiration contre le vrai, soit par le silence profond dont il jouit ou par le feu de la conception, soit par la pureté avec laquelle les images se réfléchissent dans son entendement. Qui n’a pas, en lisant les Confessions de Jean-Jacques, vu madame de Warens plus jolie qu’elle n’était ? On dirait que notre âme caresse des formes qu’elle aurait jadis entrevues sous de plus beaux cieux ; elle n’accepte les créations d’une autre âme que comme des ailes pour s’élancer dans l’espace ; le trait le plus délicat, elle le perfectionne encore en se le faisant propre ; et l’expression la plus poétique dans ses images y apporte des images encore plus pures. Lire, c’est créer peut-être à deux. Ces mystères de la transsubstantiation des idées sont-ils l’instinct d’une vocation plus haute que nos destinées présentes ? Est-ce la tradition d’une ancienne vie perdue ? Qu’était-elle donc si le reste nous offre tant de délices ?…
Aussi, en lisant des drames et des romans, la femme, créature encore plus susceptible que nous de s’exalter, doit-elle éprouver d’enivrantes extases. Elle se crée une existence idéale auprès de laquelle tout pâlit ; elle ne tarde pas à tenter de réaliser cette vie voluptueuse, à essayer d’en transporter la magie en elle. Involontairement, elle passe de l’esprit à la lettre, et de l’âme aux sens.
Et vous auriez la bonhomie de croire que les manières, les sentiments d’un homme comme vous, qui, la plupart du temps, s’habille, se déshabille, et…, etc., devant sa femme, lutteront avec avantage devant les sentiments de ces livres, et en présence de leurs amants factices à la toilette desquels cette belle lectrice ne voit ni trous ni taches ?… Pauvre sot ! trop tard, hélas ! pour son malheur et le vôtre, votre femme expérimenterait que les héros de la poésie sont aussi rares que les Apollons de la sculpture !…
Bien des maris se trouveront embarrassés pour empêcher leurs femmes de lire, il y en a même certains qui prétendront que la lecture a cet avantage qu’ils savent au moins ce que font les leurs quand elles lisent. D’abord, vous verrez dans la Méditation suivante combien la vie sédentaire rend une femme belliqueuse ; mais n’avez-vous donc jamais rencontré de ces êtres sans poésie, qui réussissent à pétrifier leurs pauvres compagnes, en réduisant la vie à tout ce qu’elle a de mécanique ? Étudiez ces grands hommes en leurs discours ! apprenez par cœur les admirables raisonnements par lesquels ils condamnent la poésie et les plaisirs de l’imagination.
Mais si après tous vos efforts votre femme persistait à vouloir lire…, mettez à l’instant même à sa disposition tous les livres possibles, depuis l’Abécédaire de son marmot jusqu’à René, livre plus dangereux pour vous entre ses mains que Thérèse philosophe. Vous pourriez la jeter dans un dégoût mortel de la lecture en lui donnant des livres ennuyeux ; la plonger dans un idiotisme complet, avec Marie Alacoque, la Brosse de pénitence, ou avec les chansons qui étaient de mode au temps de Louis XV ; mais plus tard vous trouverez dans ce livre les moyens de si bien consumer le temps de votre femme, que toute espèce de lecture lui sera interdite.
Et, d’abord, voyez les ressources immenses que vous a préparées l’éducation des femmes pour détourner la vôtre de son goût passager pour la science. Examinez avec quelle admirable stupidité les filles se sont prêtées aux résultats de l’enseignement qu’on leur a imposé en France ; nous les livrons à des bonnes, à des demoiselles de compagnie, à des gouvernantes qui ont vingt mensonges de coquetterie et de fausse pudeur à leur apprendre contre une idée noble et vraie à leur inculquer. Les filles sont élevées en esclaves et s’habituent à l’idée qu’elles sont au monde pour imiter leurs grand’mères, et faire couver des serins de Canarie, composer des herbiers, arroser de petits rosiers de Bengale, remplir de la tapisserie ou se monter des cols. Aussi, à dix ans, si une petite fille a eu plus de finesse qu’un garçon à vingt, est-elle timide, gauche. Elle aura peur d’une araignée, dira des riens, pensera aux chiffons, parlera modes, et n’aura le courage d’être ni mère, ni chaste épouse.
Voici quelle marche on a suivie : on leur a montré à colorier des roses, à broder des fichus de manière à gagner huit sous par jour. Elles auront appris l’histoire de France dans Le Ragois, la chronologie dans les Tables du citoyen Chantreau, et l’on aura laissé leur jeune imagination se déchaîner sur la géographie ; le tout, dans le but de ne rien présenter de dangereux à leur cœur ; mais en même temps leurs mères, leurs institutrices, répétaient d’une voix infatigable que toute la science d’une femme est dans la manière dont elle sait arranger cette feuille de figuier que prit notre mère Ève. Elles n’ont entendu pendant quinze ans, disait Diderot, rien autre chose que : — Ma fille, votre feuille de figuier va mal ; ma fille, votre feuille de figuier va bien ; ma fille, ne serait-elle pas mieux ainsi ?
Maintenez donc votre épouse dans cette belle et noble sphère de connaissances. Si par hasard votre femme voulait une bibliothèque, achetez-lui Florian, Malte-Brun, le Cabinet des Fées, les Mille et une Nuits, les Roses par Redouté, les Usages de la Chine, les Pigeons par madame Knip, le grand ouvrage sur l’Égypte, etc. Enfin, exécutez le spirituel avis de cette princesse qui, au récit d’une émeute occasionnée par la cherté du pain, disait : « Que ne mangent-ils de la brioche !… »
Peut-être votre femme vous reprochera-t-elle, un soir, d’être maussade et de ne pas parler ; peut-être vous dira-t-elle que vous êtes gentil, quand vous aurez fait un calembour ; mais ceci est un inconvénient très-léger de notre système : et, au surplus, que l’éducation des femmes soit en France la plus plaisante des absurdités et que votre obscurantisme marital vous mette une poupée entre les bras, que vous importe ? Comme vous n’avez pas assez de courage pour entreprendre une plus belle tâche, ne vaut-il pas mieux traîner votre femme dans une ornière conjugale bien sûre que de vous hasarder à lui faire gravir les hardis précipices de l’amour ? Elle aura beau être mère, vous ne tenez pas précisément à avoir des Gracchus pour enfants, mais à être réellement pater quem nuptiæ demonstrant : or, pour vous aider à y parvenir, nous devons faire de ce livre un arsenal où chacun, suivant le caractère de sa femme ou le sien, puisse choisir l’armure convenable pour combattre le terrible génie du mal, toujours près de s’éveiller dans l’âme d’une épouse ; et, tout bien considéré, comme les ignorants sont les plus cruels ennemis de l’instruction des femmes, cette Méditation sera un bréviaire pour la plupart des maris.
Une femme qui a reçu une éducation d’homme possède, à la vérité, les facultés les plus brillantes et les plus fertiles en bonheur pour elle et pour son mari ; mais cette femme est rare comme le bonheur même ; or, vous devez, si vous ne la possédez pas pour épouse, maintenir la vôtre, au nom de votre félicité commune, dans la région d’idées où elle est née, car il faut songer aussi qu’un moment d’orgueil chez elle peut vous perdre, en menant sur le trône un esclave qui sera d’abord tenté d’abuser du pouvoir.
Après tout, en suivant le système prescrit par cette Méditation, un homme supérieur en sera quitte pour mettre ses pensées en petite monnaie lorsqu’il voudra être compris de sa femme, si toutefois cet homme supérieur a fait la sottise d’épouser une de ces pauvres créatures, au lieu de se marier à une jeune fille de laquelle il aurait éprouvé long-temps l’âme et le cœur.
Par cette dernière observation matrimoniale, notre but n’est pas de prescrire à tous les hommes supérieurs de chercher des femmes supérieures, et nous ne voulons pas laisser chacun expliquer nos principes à la manière de madame de Staël, qui tenta grossièrement de s’unir à Napoléon. Ces deux êtres-là eussent été très-malheureux en ménage ; et Joséphine était une épouse bien autrement accomplie que cette virago du dix-neuvième siècle.
En effet, lorsque nous vantons ces filles introuvables, si heureusement élevées par le hasard, si bien conformées par la nature, et dont l’âme délicate supporte le rude contact de la grande âme de ce que nous appelons un homme, nous entendons parler de ces nobles et rares créatures dont Goëthe a donné un modèle dans la Claire du Comte d’Egmont : nous pensons à ces femmes qui ne recherchent d’autre gloire que celle de bien rendre leur rôle ; se pliant avec une étonnante souplesse aux plaisirs et aux volontés de ceux que la nature leur a donnés pour maîtres ; s’élevant tour à tour dans les immenses sphères de leur pensée, et s’abaissant à la simple tâche de les amuser comme des enfants ; comprenant et les bizarreries de ces âmes si fortement tourmentées, et les moindres paroles et les regards les plus vagues ; heureuses du silence, heureuses de la diffusion ; devinant enfin que les plaisirs, les idées et la morale d’un lord Byron ne doivent pas être ceux d’un bonnetier. Mais arrêtons-nous, cette peinture nous entraînerait trop loin de notre sujet : il s’agit de mariage et non pas d’amour.
MÉDITATION XII. HYGIÈNE DU MARIAGE.
Cette Méditation a pour but de soumettre à votre attention un nouveau mode de défense par lequel vous dompterez sous une prostration invincible la volonté de votre femme. Il s’agit de la réaction produite sur le moral par les vicissitudes physiques et par les savantes dégradations d’une diète habilement dirigée.
Cette grande et philosophique question de médecine conjugale sourira sans doute à tous ces goutteux, ces impotents, ces catarrheux, et à cette légion de vieillards de qui nous avons réveillé l’apathie à l’article des Prédestinés ; mais elle concernera principalement les maris assez audacieux pour entrer dans les voies d’un machiavélisme digne de ce grand roi de France qui tenta d’assurer le bonheur de la nation aux dépens de quelques têtes féodales. Ici, la question est la même. C’est toujours l’amputation ou l’affaiblissement de quelques membres pour le plus grand bonheur de la masse.
Croyez-vous sérieusement qu’un célibataire soumis au régime de l’herbe hanea, des concombres, du pourpier et des applications de sangsues aux oreilles, recommandé par Sterne, serait bien propre à battre en brèche l’honneur de votre femme ? Supposez un diplomate qui aurait eu le talent de fixer sur le crâne de Napoléon un cataplasme permanent de graine de lin, ou de lui faire administrer tous les matins un clystère au miel, croyez-vous que Napoléon, Napoléon-le-Grand, aurait conquis l’Italie ? Napoléon a-t-il été en proie ou non aux horribles souffrances d’une dysurie pendant la campagne de Russie ?… Voilà une de ces questions dont la solution a pesé sur le globe entier. N’est-il pas certain que des réfrigérants, des douches, des bains, etc., produisent de grands changements dans les affections plus ou moins aiguës du cerveau ? Au milieu des chaleurs du mois de juillet, lorsque chacun de vos pores filtre lentement et restitue à une dévorante atmosphère les limonades à la glace que vous avez bues d’un seul coup, vous êtes-vous jamais senti ce foyer de courage, cette vigueur de pensée, cette énergie complète qui vous rendaient l’existence légère et douce quelques mois auparavant ?
Non, non, le fer le mieux scellé dans la pierre la plus dure soulèvera et disjoindra toujours le monument le plus durable par suite de l’influence secrète qu’exercent les lentes et invisibles dégradations de chaud et de froid qui tourmentent l’atmosphère. En principe, reconnaissons donc que si les milieux atmosphériques influent sur l’homme, l’homme doit à plus forte raison influer à son tour sur l’imagination de ses semblables, par le plus ou le moins de vigueur et de puissance avec laquelle il projette sa volonté qui produit une véritable atmosphère autour de lui.
Là, est le principe du talent de l’acteur, celui de la poésie et du fanatisme, car l’une est l’éloquence des paroles comme l’autre l’éloquence des actions ; là enfin est le principe d’une science en ce moment au berceau.
Cette volonté, si puissante d’homme à homme, cette force nerveuse et fluide, éminemment mobile et transmissible, est elle-même soumise à l’état changeant de notre organisation, et bien des circonstances font varier ce fragile organisme. Là, s’arrêtera notre observation métaphysique, et là nous rentrerons dans l’analyse des circonstances qui élaborent la volonté de l’homme et la portent au plus haut degré de force ou d’affaissement.
Maintenant ne croyez pas que notre but soit de vous engager à mettre des cataplasmes sur l’honneur de votre femme, de la renfermer dans une étuve ou de la sceller comme une lettre ; non. Nous ne tenterons même pas de vous développer le système magnétique qui vous donnerait le pouvoir de faire triompher votre volonté dans l’âme de votre femme : il n’est pas un mari qui acceptât le bonheur d’un éternel amour au prix de cette tension perpétuelle des forces animales ; mais nous essaierons de développer un système hygiénique formidable, au moyen duquel vous pourrez éteindre le feu quand il aura pris à la cheminée.
Il existe, en effet, parmi les habitudes des petites-maîtresses de Paris et des départements (les petites-maîtresses forment une classe très-distinguée parmi les femmes honnêtes), assez de ressources pour atteindre à notre but, sans aller chercher dans l’arsenal de la thérapeutique les quatre semences froides, le nénuphar et mille inventions dignes des sorcières. Nous laisserons même à Elien son herbe hanéa et à Sterne son pourpier et ses concombres, qui annoncent des intentions antiphlogistiques par trop évidentes.
Vous laisserez votre femme s’étendre et demeurer des journées entières sur ces moelleuses bergères où l’on s’enfonce à mi-corps dans un véritable bain d’édredon ou de plumes.
Vous favoriserez, par tous les moyens qui ne blesseront pas votre conscience, cette propension des femmes à ne respirer que l’air parfumé d’une chambre rarement ouverte, et où le jour perce à grand’peine de voluptueuses, de diaphanes mousselines.
Vous obtiendrez des effets merveilleux de ce système, après avoir toutefois préalablement subi les éclats de son exaltation ; mais si vous êtes assez fort pour supporter cette tension momentanée de votre femme, vous verrez bientôt s’abolir sa vigueur factice. En général les femmes aiment à vivre vite, mais après leurs tempêtes de sensations, viennent des calmes rassurants pour le bonheur d’un mari.
Jean-Jacques, par l’organe enchanteur de Julie, ne prouvera-t-il pas à votre femme qu’elle aura une grâce infinie à ne pas déshonorer son estomac délicat et sa bouche divine, en faisant du chyle avec d’ignobles pièces de bœuf, et d’énormes éclanches de mouton ? Est-il rien au monde de plus pur que ces intéressants légumes, toujours frais et inodores, ces fruits colorés, ce café, ce chocolat parfumé, ces oranges, pommes d’or d’Atalante, les dattes de l’Arabie, les biscottes de Bruxelles, nourriture saine et gracieuse qui arrive à des résultats satisfaisants en même temps qu’elle donne à une femme je ne sais quelle originalité mystérieuse ? Elle arrive à une petite célébrité de coterie par son régime, comme par une toilette, par une belle action ou par un bon mot. Pythagore doit être sa passion, comme si Pythagore était un caniche ou un sapajou.
Ne commettez jamais l’imprudence de certains hommes qui, pour se donner un vernis d’esprit fort, combattent cette croyance féminine : que l’on conserve sa taille en mangeant peu. Les femmes à la diète n’engraissent pas, cela est clair et positif ; vous ne sortirez pas de là.
Vantez l’art avec lequel des femmes renommées par leur beauté ont su la conserver en se baignant, plusieurs fois par jour, dans du lait, ou des eaux composées de substances propres à rendre la peau plus douce, en débilitant le système nerveux.
Recommandez-lui surtout, au nom de sa santé si précieuse pour vous, de s’abstenir de lotions d’eau froide ; que toujours l’eau chaude ou tiède soit l’ingrédient fondamental de toute espèce d’ablution.
Broussais sera votre idole. À la moindre indisposition de votre femme, et sous le plus léger prétexte, pratiquez de fortes applications de sangsues ; ne craignez même pas de vous en appliquer vous-même quelques douzaines de temps à autre, pour faire prédominer chez vous le système de ce célèbre docteur. Votre état de mari vous oblige à toujours trouver votre femme trop rouge ; essayez même quelquefois de lui attirer le sang à la tête, pour avoir le droit d’introduire, dans certains moments, une escouade de sangsues au logis.
Votre femme boira de l’eau légèrement colorée d’un vin de Bourgogne agréable au goût, mais sans vertu tonique ; tout autre vin serait mauvais.
Ne souffrez jamais qu’elle prenne l’eau pure pour boisson, vous seriez perdu.
« Impétueux fluide ! au moment que tu presses contre les écluses du cerveau, vois comme elles cèdent à ta puissance ! La Curiosité paraît à la nage, faisant signe à ses compagnes de la suivre : elles plongent au milieu du courant. L’imagination s’assied en rêvant sur la rive. Elle suit le torrent des yeux, et change les brins de paille et de joncs en mâts de misaine et de beaupré. À peine la métamorphose est-elle faite, que le Désir, tenant d’une main sa robe retroussée jusqu’au genou, survient, les voit et s’en empare. Ô vous, buveurs d’eau ! est-ce donc par le secours de cette source enchanteresse, que vous avez tant de fois tourné et retourné le monde à votre gré ? Foulant aux pieds l’impuissant, écrasant son visage, et changeant même quelquefois la forme et l’aspect de la nature ? »
Si par ce système d’inaction, joint à notre système alimentaire, vous n’obteniez pas des résultats satisfaisants, jetez vous à corps perdu dans un autre système que nous allons développer.
L’homme a une somme donnée d’énergie. Tel homme ou telle femme est à tel autre, comme dix est à trente, comme un est a cinq, et il est un degré que chacun de nous ne dépasse pas. La quantité d’énergie ou de volonté, que chacun de nous possède, se déploie comme le son : elle est tantôt faible, tantôt forte ; elle se modifie selon les octaves qu’il lui est permis de parcourir. Cette force est unique, et bien qu’elle se résolve en désirs, en passions, en labeurs d’intelligence ou en travaux corporels, elle accourt là où l’homme l’appelle. Un boxeur la dépense en coups de poing, le boulanger à pétrir son pain, le poète dans une exaltation qui en absorbe et en demande une énorme quantité, le danseur la fait passer dans ses pieds ; enfin, chacun la distribue à sa fantaisie, et que je voie ce soir le Minotaure assis tranquillement sur mon lit, si vous ne savez pas comme moi où il s’en dépense le plus. Presque tous les hommes consument en des travaux nécessaires ou dans les angoisses de passions funestes, cette belle somme d’énergie et de volonté dont leur a fait présent la nature ; mais nos femmes honnêtes sont toutes en proie aux caprices et aux luttes de cette puissance qui ne sait où se prendre. Si chez votre femme, l’énergie n’a pas succombé sous le régime diététique, jetez-la dans un mouvement toujours croissant. Trouvez les moyens de faire passer la somme de force, par laquelle vous êtes gêné, dans une occupation qui la consomme entièrement. Sans attacher une femme à la manivelle d’une manufacture, il y a mille moyens de la lasser sous le fléau d’un travail constant.
Tout en vous abandonnant les moyens d’exécution, lesquels changent selon bien des circonstances, nous vous indiquerons la danse comme un des plus beaux gouffres où s’ensevelissent les amours. Cette matière ayant été assez bien traitée par un contemporain, nous le laisserons parler.
« Telle pauvre victime qu’admire un cercle enchanté paie bien cher ses succès. Quel fruit faut-il attendre d’efforts si peu proportionnés aux moyens d’un sexe délicat ? Les muscles, fatigués sans discrétion, consomment sans mesure. Les esprits, destinés à nourrir le feu des passions et le travail du cerveau, sont détournés de leur route. L’absence des désirs, le goût du repos, le choix exclusif d’aliments substantiels, tout indique une nature appauvrie, plus avide de réparer que de jouir. Aussi un indigène des coulisses me disait-il un jour : — « Qui a vécu avec des danseuses, a vécu de mouton ; car leur épuisement ne peut se passer de cette nourriture énergique. » Croyez-moi donc, l’amour qu’une danseuse inspire est bien trompeur : on rencontre avec dépit, sous un printemps factice, un sol froid et avare, et des sens incombustibles. Les médecins calabrois ordonnent la danse pour remède aux passions hystériques qui sont communes parmi les femmes de leur pays, et les Arabes usent à peu près de la même recette pour les nobles cavales dont le tempérament trop lascif empêche la fécondité. « Bête comme un danseur » est un proverbe connu au théâtre. Enfin, les meilleures têtes de l’Europe sont convaincues que toute danse porte en soi une qualité éminemment réfrigérante.
» En preuve à tout ceci, il est nécessaire d’ajouter d’autres observations. « La vie des pasteurs donna naissance aux amours déréglées. Les mœurs des tisserandes furent horriblement décriées dans la Grèce. Les Italiens ont consacré un proverbe à la lubricité des boiteuses. Les Espagnols, dont les veines reçurent par tant de mélanges l’incontinence africaine, déposent le secret de leurs désirs dans cette maxime qui leur est familière : Muger y gallina pierna quebrantada ; il est bon que la femme et la poule aient une jambe rompue. La profondeur des Orientaux dans l’art des voluptés se décèle tout entière par cette ordonnance du kalife Hakim, fondateur des Druses, qui défendit, sous peine de mort, de fabriquer dans ses états aucune chaussure de femme. Il semble que sur tout le globe les tempêtes du cœur attendent, pour éclater, le repos des jambes ! »
Quelle admirable manœuvre que de faire danser une femme et de ne la nourrir que de viandes blanches !…
Ne croyez pas que ces observations, aussi vraies que spirituellement rendues, contrarient notre système précédent ; par celui-ci comme par celui-là vous arriverez à produire chez une femme cette atonie tant désirée, gage de repos et de tranquillité. Par le dernier vous laissez une porte ouverte pour que l’ennemi s’enfuie ; par l’autre vous le tuez.
Là, il nous semble entendre des gens timorés et à vues étroites, s’élevant contre notre hygiène au nom de la morale et des sentiments.
La femme n’est-elle donc pas douée d’une âme ? N’a-t-elle pas comme nous des sensations ? De quel droit, au mépris de ses douleurs, de ses idées, de ses besoins, la travaille-t-on comme un vil métal duquel l’ouvrier fait un éteignoir ou un flambeau ? Serait-ce parce que ces pauvres créatures sont déjà faibles et malheureuses qu’un brutal s’arrogerait le pouvoir de les tourmenter exclusivement au profit de ses idées plus ou moins justes ? Et si par votre système débilitant ou échauffant qui allonge, ramollit, pétrit les fibres, vous causiez d’affreuses et cruelles maladies, si vous conduisiez au tombeau une femme qui vous est chère, si, si, etc.
Voici notre réponse :
Avez-vous jamais compté combien de formes diverses Arlequin et Pierrot donnent à leur petit chapeau blanc ? ils le tournent et retournent si bien, que successivement ils en font une toupie, un bateau, un verre à boire, une demi-lune, un berret, une corbeille, un poisson, un fouet, un poignard, un enfant, une tête d’homme, etc.
Image exacte du despotisme avec lequel vous devez manier et remanier votre femme.
La femme est une propriété que l’on acquiert par contrat, elle est mobilière, car la possession vaut titre ; enfin, la femme n’est, à proprement parler, qu’une annexe de l’homme ; or, tranchez, coupez, rognez, elle vous appartient à tous les titres. Ne vous inquiétez en rien de ses murmures, de ses cris, de ses douleurs ; la nature l’a faite à notre usage et pour tout porter : enfants, chagrins, coups et peines de l’homme.
Ne nous accusez pas de dureté. Dans tous les codes des nations soi-disant civilisées, l’homme a écrit les lois qui règlent le destin des femmes sous cette épigraphe sanglante : Væ victis ! Malheur aux faibles.
Enfin, songez à cette dernière observation, la plus prépondérante peut-être de toutes celles que nous avons faites jusqu’ici : si ce n’est pas vous, mari, qui brisez sous le fléau de votre volonté ce faible et charmant roseau ; ce sera, joug plus atroce encore, un célibataire capricieux et despote ; elle supportera deux fléaux au lieu d’un. Tout compensé, l’humanité vous engagera donc à suivre les principes de notre hygiène.
MÉDITATION XIII. DES MOYENS PERSONNELS.
Peut-être les Méditations précédentes auront-elles plutôt développé des systèmes généraux de conduite, qu’elles n’auront présenté les moyens de repousser la force par la force. Ce sont des pharmacopées et non pas des topiques. Or, voici maintenant les moyens personnels que la nature vous a mis entre les mains, pour vous défendre ; car la Providence n’a oublié personne : si elle a donné à la seppia (poisson de l’Adriatique) cette couleur noire qui lui sert à produire un nuage au sein duquel elle se dérobe à son ennemi, vous devez bien penser qu’elle n’a pas laissé un mari sans épée : or, le moment est venu de tirer la vôtre.
Vous avez dû exiger, en vous mariant, que votre femme nourrirait ses enfants : alors, jetez-la dans les embarras et les soins d’une grossesse ou d’une nourriture, vous reculerez ainsi le danger au moins d’un an ou deux. Une femme occupée à mettre au monde et à nourrir un marmot, n’a réellement pas le temps de songer à un amant ; outre qu’elle est, avant et après sa couche, hors d’état de se présenter dans le monde. En effet, comment la plus immodeste des femmes distinguées, dont il est question dans cet ouvrage, oserait-elle se montrer enceinte, et promener ce fruit caché, son accusateur public ? Ô lord Byron, toi qui ne voulais pas voir les femmes mangeant !…
Six mois après son accouchement, et quand l’enfant a bien tété, à peine une femme commence-t-elle à pouvoir jouir de sa fraîcheur et de sa liberté.
Si votre femme n’a pas nourri son premier enfant, vous avez trop d’esprit pour ne pas tirer parti de cette circonstance et lui faire désirer de nourrir celui qu’elle porte. Vous lui lisez l’Émile de Jean-Jacques, vous enflammez son imagination pour les devoirs des mères, vous exaltez son moral, etc. ; enfin, vous êtes un sot ou un homme d’esprit ; et, dans le premier cas, même [cas même,] en lisant cet ouvrage, vous seriez toujours minotaurisé ; dans le second, vous devez comprendre à demi-mot.
Ce premier moyen vous est virtuellement personnel. Il vous donnera bien du champ devant vous pour mettre à exécution les autres moyens.
Depuis qu’Alcibiade coupa les oreilles et la queue à son chien, pour rendre service à Périclès, qui avait sur les bras une espèce de guerre d’Espagne et des fournitures Ouvrard, dont s’occupaient alors les Athéniens, il n’existe pas de ministre qui n’ait cherché à couper les oreilles à quelque chien.
Enfin, en médecine, lorsqu’une inflammation se déclare sur un point capital de l’organisation, on opère une petite contre-révolution sur un autre point, par des moxas, des scarifications, des acupunctures, etc.
Un autre moyen consiste donc à poser à votre femme un moxa, ou à lui fourrer dans l’esprit quelque aiguille qui la pique fortement et fasse diversion en votre faveur.
Un homme de beaucoup d’esprit avait fait durer sa Lune de Miel environ quatre années ; la Lune décroissait et il commençait à apercevoir l’arc fatal. Sa femme était précisément dans l’état où nous avons représenté toute femme honnête à la fin de notre première partie : elle avait pris du goût pour un assez mauvais sujet, petit, laid ; mais enfin ce n’était pas son mari. Dans cette conjoncture, ce dernier s’avisa d’une coupe de queue de chien qui renouvela, pour plusieurs années, le bail fragile de son bonheur. Sa femme s’était conduite avec tant de finesse, qu’il eût été fort embarrassé de défendre sa porte à l’amant avec lequel elle s’était trouvé un rapport de parenté très éloignée. Le danger devenait de jour en jour plus imminent. Odeur de Minotaure se sentait à la ronde. Un soir, le mari resta plongé dans un chagrin, profond, visible, affreux. Sa femme en était déjà venue à lui montrer plus d’amitié qu’elle n’en ressentait même au temps de la Lune de Miel ; et dès lors, questions sur questions. De sa part, silence morne. Les questions redoublent, il échappe à monsieur des réticences, elles annonçaient un grand malheur ! Là, il avait appliqué un moxa japonnais qui brûlait comme un auto-da-fé de 1600. La femme employa d’abord mille manœuvres pour savoir si le chagrin de son mari était causé par cet amant en herbe : première intrigue pour laquelle elle déploya mille ruses. L’imagination trottait… de l’amant ? il n’en était plus question. Ne fallait-il pas, avant tout, découvrir le secret de son mari. Un soir, le mari, poussé par l’envie de confier ses peines à sa tendre amie, lui déclare que toute leur fortune est perdue. Il faut renoncer à l’équipage, à la loge aux Bouffes, aux bals, aux fêtes, à Paris ; peut-être en s’exilant dans une terre, pendant un an ou deux, pourront-ils tout recouvrer ! S’adressant à l’imagination de sa femme, à son cœur, il la plaignit de s’être attachée au sort d’un homme amoureux d’elle, il est vrai, mais sans fortune ; il s’arracha quelques cheveux, et force fut à sa femme de s’exalter au profil de l’honneur ; alors, dans le premier délire de cette fièvre conjugale, il la conduisit à sa terre. Là, nouvelles scarifications, sinapismes sur sinapismes, nouvelles queues de chien coupées : il fit bâtir une aile gothique au château ; madame retourna dix fois le parc pour avoir des eaux, des lacs, des mouvements de terrain, etc., enfin le mari, au milieu de cette besogne, n’oubliait pas la sienne : lectures curieuses, soins délicats, etc. Notez qu’il ne s’avisa jamais d’avouer à sa femme cette ruse, et si la fortune revint, ce fut précisément par suite de la construction des ailes et des sommes énormes dépensées à faire des rivières ; il lui prouva que le lac donnait une chute d’eau, sur laquelle vinrent des moulins, etc.
Voilà un moxa conjugal bien entendu, car ce mari n’oublia ni de faire des enfants, ni d’inviter des voisins ennuyeux, bêtes, ou âgés ; et, s’il venait l’hiver à Paris, il jetait sa femme dans un tel tourbillon de bals et de courses, qu’elle n’avait pas une minute à donner aux amants, fruits nécessaires d’une vie oisive.
Les voyages en Italie, en Suisse, en Grèce, les maladies subites qui exigent les eaux, et les eaux les plus éloignées sont d’assez bons moxas. Enfin, un homme d’esprit doit savoir en trouver mille pour un.
Continuons l’examen de nos moyens personnels.
Ici nous vous ferons observer que nous raisonnons d’après une hypothèse, sans laquelle vous laisseriez là le livre, à savoir : que votre Lune de Miel a duré un temps assez honnête, et que la demoiselle de qui vous avez fait votre femme était vierge ; au cas contraire, et d’après les mœurs françaises, votre femme ne vous aurait épousé que pour devenir inconséquente.
Au moment où commence, dans votre ménage, la lutte entre la vertu et l’inconséquence, toute la question réside dans un parallèle perpétuel et involontaire que votre femme établit entre vous et son amant.
Là, il existe encore pour vous un moyen de défense, entièrement personnel, rarement employé par les maris, mais que des hommes supérieurs ne craignent pas d’essayer. Il consiste à l’emporter sur l’amant, sans que votre femme puisse soupçonner votre dessein. Vous devez l’amener à se dire avec dépit, un soir, pendant qu’elle met ses papillottes : « Mais mon mari vaut mieux. »
Pour réussir, vous devez, ayant sur l’amant l’avantage immense de connaître le caractère de votre femme, et sachant comment on la blesse, vous devez, avec toute la finesse d’un diplomate, faire commettre des gaucheries à cet amant, en le rendant déplaisant par lui-même, sans qu’il s’en doute.
D’abord, selon l’usage, cet amant recherchera votre amitié, ou vous aurez des amis communs ; alors, soit par ces amis, soit par des insinuations adroitement perfides, vous le trompez sur des points essentiels ; et, avec un peu d’habileté, vous voyez votre femme éconduisant son amant, sans que ni elle ni lui ne puissent jamais en deviner la raison. Vous avez créé là, dans l’intérieur de votre ménage, une comédie en cinq actes, où vous jouez, à votre profit, les rôles si brillants de Figaro ou d’Almaviva ; et, pendant quelques mois, vous vous amusez d’autant plus, que votre amour-propre, votre vanité, votre intérêt, tout est vivement mis en jeu.
J’ai eu le bonheur de plaire dans ma jeunesse à un vieil émigré qui me donna ces derniers rudiments d’éducation que les jeunes gens reçoivent ordinairement des femmes. Cet ami, dont la mémoire me sera toujours chère, m’apprit, par son exemple, à mettre en œuvre ces stratagèmes diplomatiques qui demandent autant de finesse que de grâce.
Le comte de Nocé était revenu de Coblentz au moment où il y eut pour les nobles du péril à être en France. Jamais créature n’eut autant de courage et de bonté, autant de ruse et d’abandon. Agé d’une soixantaine d’années, il venait d’épouser une demoiselle de vingt-cinq ans, poussé à cet acte de folie par sa charité : il arrachait cette pauvre fille au despotisme d’une mère capricieuse. — Voulez-vous être ma veuve ?… avait dit à mademoiselle de Pontivy cet aimable vieillard ; mais son âme était trop aimante pour ne pas s’attacher à sa femme, plus qu’un homme sage ne doit le faire. Comme pendant sa jeunesse il avait été manégé par quelques-unes des femmes les plus spirituelles de la cour de Louis XV, il ne désespérait pas trop de préserver la comtesse de tout encombre… Quel homme ai-je jamais vu mettant mieux que lui en pratique tous les enseignements que j’essaie de donner aux maris ! Que de charmes ne savait-il pas répandre dans la vie par ses manières douces et sa conversation spirituelle. Sa femme ne sut qu’après sa mort et par moi qu’il avait la goutte. Ses lèvres distillaient l’aménité comme ses yeux respiraient l’amour. Il s’était prudemment retiré au sein d’une vallée, auprès d’un bois, et Dieu sait les promenades qu’il entreprenait avec sa femme !… Son heureuse étoile voulut que mademoiselle de Pontivy eût un cœur excellent, et possédât à un haut degré cette exquise délicatesse, cette pudeur de sensitive, qui embelliraient, je crois, la plus laide fille du monde. Tout à coup, un de ses neveux, joli militaire échappé aux désastres de Moscou, revint chez l’oncle, autant pour savoir jusqu’à quel point il avait à craindre des cousins, que dans l’espoir de guerroyer avec la tante. Ses cheveux noirs, ses moustaches, le babil avantageux de l’état-major, une certaine disinvoltura aussi élégante que légère, des yeux vifs, tout contrastait entre l’oncle et le neveu. J’arrivai précisément au moment où la jeune comtesse montrait le trictrac à son parent. Le proverbe dit que les femmes n’apprennent ce jeu que de leurs amants, et réciproquement. Or, pendant une partie, monsieur de Nocé avait surpris le matin même entre sa femme et le vicomte un de ces regards confusément empreints d’innocence, de peur et de désir. Le soir, il nous proposa une partie de chasse, qui fut acceptée. Jamais je ne le vis si dispos et si gai qu’il le parut le lendemain matin, malgré les sommations de sa goutte qui lui réservait une prochaine attaque. Le diable n’aurait pas su mieux que lui mettre la bagatelle sur le tapis. Il était ancien mousquetaire gris, et avait connu Sophie Arnoult. C’est tout dire. La conversation devint bientôt la plus gaillarde du monde entre nous trois ; Dieu m’en absolve ! — Je n’aurais jamais cru que mon oncle fût une si bonne lame ! me dit le neveu. Nous fîmes une halte, et quand nous fûmes tous trois assis sur la pelouse d’une des plus vertes clairières de la forêt, le comte nous avait amenés à discourir sur les femmes mieux que Brantôme et l’Aloysia. — « Vous êtes bien heureux sous ce gouvernement-ci, vous autres !… les femmes ont des mœurs !… (Pour apprécier l’exclamation du vieillard, il faudrait avoir écouté les horreurs que le capitaine avait racontées.) Et, reprit le comte, c’est un des biens que la révolution a produits. Ce système donne aux passions bien plus de charme et de mystère. Autrefois, les femmes étaient faciles ; eh ! bien, vous ne sauriez croire combien il fallait d’esprit et de verve pour réveiller ces tempéraments usés : nous étions toujours sur le qui vive. Mais aussi, un homme devenait célèbre par une gravelure bien dite ou par une heureuse insolence. Les femmes aiment cela, et ce sera toujours le plus sûr moyen de réussir auprès d’elles !… » Ces derniers mots furent dits avec un dépit concentré. Il s’arrêta et fit jouer le chien de son fusil comme pour déguiser une émotion profonde — « Ah ! bah ! dit-il, mon temps est passé ! Il faut avoir l’imagination jeune… et le corps aussi !… Ah ! pourquoi me suis-je marié ? Ce qu’il y a de plus perfide chez les filles élevées par les mères qui ont vécu à cette brillante époque de la galanterie, c’est qu’elles affichent un air de candeur, une pruderie… Il semble que le miel le plus doux offenserait leurs lèvres délicates, et ceux qui les connaissent savent qu’elles mangeraient des dragées de sel ! » Il se leva, haussa son fusil par un mouvement de rage ; et, le lançant sur la terre, il en enfonça presque la crosse dans le gazon humide. — « Il parait que la chère tante aime les fariboles !… » me dit tout bas l’officier. — « Ou les dénoûments qui ne traînent pas ! » ajoutai-je. Le neveu tira sa cravate, rajusta son col, et sauta comme une chèvre calabroise.
Nous rentrâmes sur les deux heures après midi. Le comte m’emmena chez lui jusqu’au dîner, sous prétexte de chercher quelques médailles desquelles il m’avait parlé pendant notre retour au logis. Le dîner fut sombre. La comtesse prodiguait à son neveu les rigueurs d’une politesse froide. Rentrés au salon, le comte dit à sa femme : — « Vous faites votre trictrac ?… nous allons vous laisser. » La jeune comtesse ne répondit pas. Elle regardait le feu et semblait n’avoir pas entendu. Le mari s’avança de quelques pas vers la porte en m’invitant par un geste de main à le suivre. Au bruit de sa marche, sa femme retourna vivement la tête. — « Pourquoi nous quitter ?… dit-elle ; vous avez bien demain tout le temps de montrer à monsieur des revers de médailles. » Le comte resta. Sans faire attention à la gêne imperceptible qui avait succédé à la grâce militaire de son neveu, le comte déploya pendant toute la soirée le charme inexprimable de sa conversation. Jamais je ne le vis si brillant ni si affectueux, Nous parlâmes beaucoup des femmes. Les plaisanteries de notre hôte furent marquées au coin de la plus exquise délicatesse. Il m’était impossible à moi-même de voir des cheveux blancs sur sa tête chenue ; car elle brillait de cette jeunesse de cœur et d’esprit qui efface les rides et fond la neige des hivers. Le lendemain le neveu partit. Même après la mort de monsieur de Nocé, et en cherchant à profiter de l’intimité de ces causeries familières où les femmes ne sont pas toujours sur leurs gardes, je n’ai jamais pu savoir quelle impertinence commit alors le vicomte envers sa tante. Cette insolence devait être bien grave, car depuis cette époque, madame de Nocé n’a pas voulu revoir son neveu et ne peut, même aujourd’hui, en entendre prononcer le nom sans laisser échapper un léger mouvement de sourcils. Je ne devinai pas tout de suite le but de la chasse du comte de Nocé ; mais plus tard je trouvai qu’il avait joué bien gros jeu.
Cependant, si vous venez à bout de remporter, comme monsieur de Nocé, une si grande victoire, n’oubliez pas de mettre singulièrement en pratique le système des moxas ; et ne vous imaginez pas que l’on puisse recommencer impunément de semblables tours de force. En prodiguant ainsi vos talents, vous finiriez par vous démonétiser dans l’esprit de votre femme ; car elle exigerait de vous en raison double de ce que vous lui donneriez, et il arriverait un moment où vous resteriez court. L’âme humaine est soumise, dans ses désirs, à une sorte de progression arithmétique dont le but et l’origine sont également inconnus. De même que le mangeur d’opium doit toujours doubler ses doses pour obtenir le même résultat, de même notre esprit, aussi impérieux qu’il est faible, veut que les sentiments, les idées et les choses aillent en croissant. De là est venue la nécessité de distribuer habilement l’intérêt dans une œuvre dramatique, comme de graduer les remèdes en médecine. Ainsi vous voyez que si vous abordez jamais l’emploi de ces moyens, vous devez subordonner votre conduite hardie à bien des circonstances, et la réussite dépendra toujours des ressorts que vous emploierez.
Enfin, avez-vous du crédit, des amis puissants ? occupez-vous un poste important ? Un dernier moyen coupera le mal dans sa racine. N’aurez-vous pas le pouvoir d’enlever à votre femme son amant par une promotion, par un changement de résidence, ou par une permutation, s’il est militaire ? Vous supprimez la correspondance, et nous en donnerons plus tard moyens ; or, sublatâ causâ, tollitur effectus, paroles latines qu’on peut traduire à volonté par : pas d’effet sans cause ; pas d’argent, pas de Suisses.
Néanmoins vous sentez que votre femme pourrait facilement choisir un autre amant ; mais, après ces moyens préliminaires, vous aurez toujours un moxa tout prêt, afin de gagner du temps et voir à vous tirer d’affaire par quelques nouvelles ruses.
Sachez combiner le système des moxas avec les déceptions mimiques de Carlin. L’immortel Carlin, de la comédie italienne, tenait toute une assemblée en suspens et en gaîté pendant des heures entières par ces seuls mots variés avec tout l’art de la pantomime et prononcés de mille inflexions de voix différentes. « Le roi dit à la reine. — La reine dit au roi. » Imitez Carlin. Trouvez le moyen de laisser toujours votre femme en échec, afin de n’être pas mat vous-même. Prenez vos grades auprès des ministres constitutionnels dans l’art de promettre. Habituez-vous à savoir montrer à propos le polichinelle qui fait courir un enfant après vous, sans qu’il puisse s’apercevoir du chemin parcouru. Nous sommes tous enfants, et les femmes sont assez disposées par leur curiosité à perdre leur temps à la poursuite d’un feu follet. Flamme brillante et trop tôt évanouie, l’imagination n’est-elle pas là pour vous secourir ?
Enfin, étudiez l’art heureux d’être et de ne pas être auprès d’elle, de saisir les moments où vous obtiendrez des succès dans son esprit, sans jamais l’assommer de vous, de votre supériorité, ni même de son bonheur. Si l’ignorance dans laquelle vous la retenez n’a pas tout à fait aboli son esprit, vous vous arrangerez si bien que vous vous désirerez encore quelque temps l’un et l’autre.
MÉDITATION XIV. DES APPARTEMENTS.
Les moyens et les systèmes qui précèdent sont en quelque sorte purement moraux. Ils participent à la noblesse de notre âme et n’ont rien de répugnant ; mais maintenant nous allons avoir recours aux précautions à la Bartholo. N’allez pas mollir. Il y a un courage marital, comme un courage civil et militaire, comme un courage de garde national.
Quel est le premier soin d’une petite fille après avoir acheté une perruche ? n’est-ce pas de l’enfermer dans une belle cage d’où elle ne puisse plus sortir sans sa permission ?
Cet enfant vous apprend ainsi votre devoir.
Tout ce qui tient à la disposition de votre maison et de ses appartements sera donc conçu dans la pensée de ne laisser à votre femme aucune ressource, au cas où elle aurait décrété de vous livrer au minotaure ; car la moitié des malheurs arrivent par les déplorables facilités que présentent les appartements.
Avant tout, songez à avoir pour concierge un homme seul et entièrement dévoué à votre personne. C’est un trésor facile à trouver : quel est l’homme qui n’a pas toujours, de par le monde, ou un père nourricier ou quelque vieux serviteur qui jadis l’a fait sauter sur ses genoux.
Une haine d’Atrée et de Thyeste devra s’élever par vos soins entre votre femme et ce Nestor, gardien de votre porte. Cette porte est l’Alpha et l’Oméga d’une intrigue. Toutes les intrigues en amour ne se réduisent-elles pas toujours à ceci : entrer, sortir ?
Votre maison ne vous servirait à rien si elle n’était pas entre cour et jardin, et construite de manière à n’être en contact avec nulle autre.
Vous supprimerez d’abord dans vos appartements de réception les moindres cavités. Un placard, ne contînt-il que six pots de confitures, doit être muré. Vous vous préparez à la guerre, et la première pensée d’un général est de couper les vivres à son ennemi. Aussi, toutes les parois seront-elles pleines, afin de présenter à l’œil des lignes faciles à parcourir, et qui permettent de reconnaître sur-le-champ le moindre objet étranger. Consultez les restes des monuments antiques, et vous verrez que la beauté des appartements grecs et romains venait principalement de la pureté des lignes, de la netteté des parois, de la rareté des meubles. Les Grecs auraient souri de pitié en apercevant dans un salon les hiatus de nos armoires.
Ce magnifique système de défense sera surtout mis en vigueur dans l’appartement de votre femme. Ne lui laissez jamais draper son lit de manière à ce qu’on puisse se promener autour dans un dédale de rideaux. Soyez impitoyable sur les communications. Mettez sa chambre au bout de vos appartements de réception. N’y souffrez d’issue que sur les salons, afin de voir, d’un seul regard, ceux qui vont et viennent chez elle.
Le Mariage de Figaro vous aura sans doute appris à placer la chambre de votre femme à une grande hauteur du sol. Tous les célibataires sont des Chérubins.
Votre fortune, donne sans doute, à votre femme le droit d’exiger un cabinet de toilette, une salle de bain et l’appartement d’une femme de chambre ; alors, pensez à Suzanne, et ne commettez jamais la faute de pratiquer ce petit appartement-là au-dessous de celui de madame ; mettez-le toujours au-dessus ; et ne craignez pas de déshonorer votre hôtel par de hideuses coupures dans les fenêtres.
Si le malheur veut que ce dangereux appartement communique avec celui de votre femme par un escalier dérobé, consultez long-temps votre architecte ; que son génie s’épuise à rendre à cet escalier sinistre, l’innocence de l’escalier primitif, l’échelle du meunier ; que cet escalier, nous vous en conjurons, n’ait aucune cavité perfide ; que ses marches anguleuses et raides ne présentent jamais cette voluptueuse courbure dont se trouvaient si bien Faublas et Justine en attendant que le marquis de B., fût sorti. Les architectes, aujourd’hui, font des escaliers préférables à des ottomanes. Rétablissez plutôt le vertueux colimaçon de nos ancêtres.
En ce qui concerne les cheminées de l’appartement de madame, vous aurez soin de placer dans les tuyaux une grille en fer à cinq pieds de hauteur au-dessus du manteau de la cheminée, dût-on la sceller de nouveau à chaque ramonage. Si votre femme trouvait cette précaution ridicule, alléguez les nombreux assassinats commis au moyen des cheminées. Presque toutes les femmes ont peur des voleurs.
Le lit est un de ces meubles décisifs dont la structure doit être longuement méditée. Là tout est d’un intérêt capital. Voici les résultats d’une longue expérience. Donnez à ce meuble une forme assez originale pour qu’on puisse toujours le regarder sans déplaisir au milieu des modes qui se succèdent avec rapidité en détruisant les créations précédentes du génie de nos décorateurs, car il est essentiel que votre femme ne puisse pas changer à volonté ce théâtre du plaisir conjugal. La base de ce meuble sera pleine, massive, et ne laissera aucun intervalle perfide entre elle et le parquet. Et souvenez-vous bien que la dona Julia de Byron avait caché don Juan sous son oreiller. Mais il serait ridicule de traiter légèrement un sujet si délicat.
LXII.
Le lit est tout le mariage.
Aussi ne tarderons-nous pas à nous occuper de cette admirable création du génie humain, invention que nous devons inscrire dans notre reconnaissance bien plus haut que les navires, que les armes à feu, que le briquet de Fumade, que les voitures et leurs roues, que les machines à vapeur, à simple ou double pression, à siphon ou à détente, plus haut même que les tonneaux et les bouteilles. D’abord, le lit tient de tout cela pour peu qu’on y réfléchisse ; mais si l’on vient à songer qu’il est notre second père et que la moitié la plus tranquille et la plus agitée de notre existence s’écoule sous sa couronne protectrice, les paroles manquent pour faire son éloge. (Voyez la Méditation XVII, intitulée : Théorie du lit.)
Lorsque la guerre, de laquelle nous parlerons dans notre Troisième Partie, éclatera entre vous et madame, vous aurez toujours d’ingénieux prétextes pour fouiller dans ses commodes et dans ses secrétaires ; car si votre femme s’avisait de vous dérober une statue, il est de votre intérêt de savoir où elle l’a cachée. Un gynécée construit d’après ce système vous permettra de re connaître d’un seul coup d’œil s’il contient deux livres de soie de plus qu’à l’ordinaire. Laissez-y pratiquer une seule armoire, vous êtes perdu ! Accoutumez surtout votre femme, pendant la Lune de Miel, à déployer une excessive recherche dans la tenue des appartements : que rien n’y traîne. Si vous ne l’habituez pas à un soin minutieux, si les mêmes objets ne se retrouvent pas éternellement aux mêmes places, elle vous introduirait un tel désordre, que vous ne pourriez plus voir s’il y a ou non les deux livres de soie de plus ou de moins.
Les rideaux de vos appartements seront toujours en étoffes très-diaphanes, et le soir vous contracterez l’habitude de vous promener de manière à ce que madame ne soit jamais surprise de vous voir aller jusqu’à la fenêtre par distraction. Enfin, pour finir l’article des croisées, faites-les construire dans votre hôtel de telle sorte que l’appui ne soit jamais assez large pour qu’on y puisse placer un sac de farine.
L’appartement de votre femme une fois arrangé d’après ces principes, existât-il dans votre hôtel des niches à loger tous les saints du Paradis, vous êtes en sûreté. Vous pourrez tous les soirs, de concert avec votre ami le concierge, balancer l’entrée par la sortie ; et, pour obtenir des résultats certains, rien ne vous empêcherait même de lui apprendre à tenir un livre de visites en partie double.
Si vous avez un jardin, ayez la passion des chiens. En laissant toujours sous vos fenêtres un de ces incorruptibles gardiens, vous tiendrez en respect le Minotaure, surtout si vous habituez votre ami quadrupède à ne rien prendre de substantiel que de la main de votre concierge, afin que des célibataires sans délicatesse ne puissent pas l’empoisonner.
Toutes ces précautions se prendront naturellement et de manière à n’éveiller aucun soupçon. Si des hommes ont été assez imprudents pour ne pas avoir établi, en se mariant, leur domicile conjugal d’après ces savants principes, ils devront au plus tôt vendre leur hôtel, en acheter un autre, ou prétexter des réparations et remettre la maison à neuf.
Vous bannirez impitoyablement de vos appartements les canapés, les ottomanes, les causeuses, les chaises longues, etc. D’abord, ces meubles ornent maintenant le ménage des épiciers, on les trouve partout, même chez les coiffeurs ; mais c’est essentiellement des meubles de perdition ; jamais je n’ai pu les voir sans frayeur, il m’a toujours semblé y apercevoir le diable avec ses cornes et son pied fourchu.
Après tout rien de si dangereux qu’une chaise, et il est bien malheureux qu’on ne puisse pas enfermer les femmes entre quatre murs !… Quel est le mari qui, en s’asseyant sur une chaise disjointe, n’est pas toujours porté à croire qu’elle a reçu l’instruction du Sopha de Crébillon fils ? Mais nous avons heureusement arrangé vos appartements d’après un système de prévision tel que rien ne peut y arriver de fatal, à moins que vous n’y consentiez par votre négligence.
Un défaut que vous contracterez (et ne vous en corrigez jamais) sera une espèce de curiosité distraite qui vous portera sans cesse à examiner toutes les boîtes, à mettre cen dessus dessous les nécessaires. Vous procéderez à cette visite domiciliaire avec originalité, gracieusement, et chaque fois vous obtiendrez votre pardon en excitant la gaieté de votre femme.
Vous manifesterez toujours aussi l’étonnement le plus profond à l’aspect de chaque meuble nouvellement mis dans cet appartement si bien rangé. Sur-le-champ vous vous en ferez expliquer l’utilité ; puis vous mettrez votre esprit à la torture pour deviner s’il n’a point un emploi tacite, s’il n’enferme pas de perfides cachettes.
Ce n’est pas tout. Vous avez trop d’esprit pour ne pas sentir que votre jolie perruche ne restera dans sa cage qu’autant que cette cage sera belle. Les moindres accessoires respireront donc l’élégance et le goût. L’ensemble offrira sans cesse un tableau simple et gracieux. Vous renouvellerez souvent les tentures et les mousselines. La fraîcheur du décor est trop essentielle pour économiser sur cet article. C’est le mouron matinal que les enfants mettent soigneusement dans la cage de leurs oiseaux, pour leur faire croire à la verdure des prairies. Un appartement de ce genre est alors l’ultima ratio des maris : une femme n’a rien à dire quand on lui a tout prodigué.
Les maris condamnés à habiter des appartements à loyer sont dans la plus horrible de toutes les situations.
Quelle influence heureuse ou fatale le portier ne peut-il pas exercer sur leur sort !
Leur maison ne sera-t-elle pas flanquée à droite et à gauche de deux autres maisons ? Il est vrai qu’en plaçant d’un seul côté l’appartement de leurs femmes, le danger diminuera de moitié ; mais ne sont-ils pas obligés d’apprendre par cœur et de méditer l’âge, l’état, la fortune, le caractère, les habitudes des locataires de la maison voisine et d’en connaître même les amis et les parents ?
Un mari sage ne se logera jamais à un rez-de-chaussée.
Tout homme peut appliquer à son appartement les précautions que nous avons conseillées au propriétaire d’un hôtel, et alors le locataire aura sur le propriétaire cet avantage, qu’un appartement occupant moins d’espace est beaucoup mieux surveillé.
MÉDITATION XV. DE LA DOUANE.
— Eh ! non, madame, non…
— Car, monsieur, il y aurait là quelque chose de si inconvenant…
— Croyez-vous donc, madame, que nous voulions prescrire de visiter, comme aux barrières, les personnes qui franchissent le seuil de vos appartements ou qui en sortent furtivement, afin de voir s’ils ne vous apportent pas quelque bijou de contrebande ? Eh ! mais il n’y aurait là rien de décent ; et nos procédés, madame, n’auront rien d’odieux, partant rien de fiscal : rassurez-vous.
— Monsieur, la douane conjugale est de tous les expédients de cette Seconde Partie celui qui peut-être réclame de vous le plus de tact, de finesse, et le plus de connaissances acquises a priori, c’est-à-dire avant le mariage. Pour pouvoir exercer, un mari doit avoir fait une étude profonde du livre de Lavater et s’être pénétré de tous ses principes ; avoir habitué son œil et son entendement à juger, à saisir, avec une étonnante promptitude, les plus légers indices physiques par lesquels l’homme trahit sa pensée.
La Physiognomonie de Lavater a créé une véritable science. Elle a pris place enfin parmi les connaissances humaines. Si, d’abord, quelques doutes, quelques plaisanteries accueillirent l’apparition de ce livre ; depuis, le célèbre docteur Gall est venu, par sa belle théorie du crâne, compléter le système du Suisse, et donner de la solidité à ses fines et lumineuses observations. Les gens d’esprit, les diplomates, les femmes, tous ceux qui sont les rares et fervents disciples de ces deux hommes célèbres, ont souvent eu l’occasion de remarquer bien d’autres signes évidents auxquels on reconnaît la pensée humaine. Les habitudes du corps, l’écriture, le son de la voix, les manières ont plus d’une fois éclairé la femme qui aime, le diplomate qui trompe, l’administrateur habile ou le souverain obligés de démêler d’un coup d’œil l’amour, la trahison ou le mérite inconnus. L’homme dont l’âme agit avec force est comme un pauvre ver-luisant qui, à son insu, laisse échapper la lumière par tous ses pores. Il se meut dans une sphère brillante où chaque effort amène un ébranlement dans la lueur et dessine ses mouvements par de longues traces de feu.
Voilà donc tous les éléments des connaissances que vous devez posséder, car la douane conjugale consiste uniquement dans un examen rapide, mais approfondi, de l’état moral et physique de tous les êtres qui entrent et sortent de chez vous, lorsqu’ils ont vu ou vont voir votre femme. Un mari ressemble alors à une araignée qui, au centre de sa toile imperceptible, reçoit une secousse de la moindre mouche étourdie, et, de loin, écoute, juge, voit ou la proie ou l’ennemi.
Ainsi, vous vous procurerez les moyens d’examiner le célibataire qui sonne à votre porte, dans deux situations bien distinctes : quand il va entrer, quand il est entré.
Au moment d’entrer, combien de choses ne dit-il pas sans seulement desserrer les dents !…
Soit que d’un léger coup de main, ou en plongeant ses doigts à plusieurs reprises dans ses cheveux, il en abaisse et en rehausse le toupet caractéristique ;
Soit qu’il fredonne un air italien ou français, joyeux ou triste, d’une voix de ténor, de contr’alto, de soprano, ou de baryton ;
Soit qu’il s’assure si le bout de sa cravate significative est toujours placé avec grâce ;
Soit qu’il aplatisse le jabot bien plissé ou en désordre d’une chemise de jour ou de nuit ;
Soit qu’il cherche à savoir par un geste interrogateur et furtif si sa perruque blonde ou brune, frisée ou plate, est toujours à sa place naturelle ;
Soit qu’il examine si ses ongles sont propres ou bien coupés ;
Soit que d’une main blanche ou peu soignée, bien ou mal gantée, il refrise ou sa moustache ou ses favoris, ou soit qu’il les passe et repasse entre les dents d’un petit peigne d’écaille ;
Soit que, par des mouvements doux et répétés, il cherche à placer son menton dans le centre exact de sa cravate ;
Soit qu’il se dandine d’un pied sur l’autre, les mains dans ses poches ;
Soit qu’il tourmente sa botte, en la regardant, comme s’il se disait : « Eh ! mais, voilà un pied qui n’est certes pas mal tourné !… »
Soit qu’il arrive à pied ou en voiture, qu’il efface ou non la légère empreinte de boue qui salit sa chaussure ;
Soit même qu’il reste immobile, impassible comme un Hollandais qui fume ;
Soit que, les yeux attachés à cette porte, il ressemble à une âme sortant du purgatoire et attendant saint Pierre et ses clefs ;
Soit qu’il hésite à tirer le cordon de la sonnette ; et soit qu’il le saisisse négligemment, précipitamment, familièrement ou comme un homme sûr de son fait ;
Soit qu’il ait sonné timidement, faisant retentir un tintement perdu dans le silence des appartements comme un premier coup de matines en hiver dans un couvent de Minimes ; ou soit qu’après avoir sonné avec vivacité, il sonne encore, impatienté de ne pas entendre les pas d’un laquais ;
Soit qu’il donne à son haleine un parfum délicat en mangeant une pastille de cachundé ;
Soit qu’il prenne d’un air empesé une prise de tabac, en en chassant soigneusement les grains qui pourraient altérer la blancheur de son linge ;
Soit qu’il regarde autour de lui, en ayant l’air d’estimer la lampe de l’escalier, le tapis, la rampe, comme s’il était marchand de meubles, ou entrepreneur de bâtiments ;
Soit enfin que ce célibataire soit jeune ou âgé, ait froid ou chaud, arrive lentement, tristement ou joyeusement, etc.
Vous sentez qu’il y a là, sur la marche de votre escalier, une masse étonnante d’observations.
Les légers coups de pinceau que nous avons essayé de donner à cette figure vous montrent, en elle, un véritable kaléidoscope moral avec ses millions de désinences. Et nous n’avons même pas voulu faire arriver de femme sur ce seuil révélateur ; car nos remarques, déjà considérables, seraient devenues innombrables et légères comme les grains de sable de la mer.
En effet, devant cette porte fermée, un homme se croit entièrement seul ; et, pour peu qu’il attende, il y commence un monologue muet, un soliloque indéfinissable, où tout, jusqu’à son pas, dévoile ses espérances, ses désirs, ses intentions, ses secrets, ses qualités, ses défauts, ses vertus, etc. ; enfin, un homme est, sur un palier, comme une jeune fille de quinze ans dans un confessionnal, la veille de sa première communion.
En voulez-vous la preuve ?… Examinez le changement subit opéré sur cette figure et dans les manières de ce célibataire aussitôt que de dehors il arrive au dedans. Le machiniste de l’Opéra, la température, les nuages ou le soleil, ne changent pas plus vite l’aspect d’un théâtre, de l’atmosphère et du ciel.
À la première dalle de votre antichambre, de toutes les myriades d’idées que ce célibataire vous a trahies avec tant d’innocence sur l’escalier, il ne reste pas même un regard auquel on puisse rattacher une observation. La grimace sociale de convention a tout enveloppé d’un voile épais ; mais un mari habile a dû déjà deviner, d’un seul coup d’œil, l’objet de la visite, et lire dans l’âme de l’arrivant comme dans un livre.
La manière dont on aborde votre femme, dont on lui parle, dont on la regarde, dont on la salue, dont on la quitte… il y a là des volumes d’observations plus minutieuses les unes que les autres.
Le timbre de la voix, le maintien, la gêne, un sourire, le silence même, la tristesse, les prévenances à votre égard, tout est indice, et tout doit être étudié d’un regard, sans effort. Vous devez cacher la découverte la plus désagréable sous l’aisance et le langage abondant d’un homme de salon. Dans l’impuissance où nous nous trouvons d’énumérer les immenses détails du sujet, nous nous en remettons entièrement à la sagacité du lecteur, qui doit apercevoir l’étendue de cette science ; elle commence à l’analyse des regards et finit à la perception des mouvements que le dépit imprime à un orteil caché sous le satin d’un soulier ou sous le cuir d’une botte.
Mais la sortie !… car il faut prévoir le cas où vous aurez manqué votre rigoureux examen au seuil de la porte, et la sortie devient alors d’un intérêt capital, d’autant plus que cette nouvelle étude du célibataire doit se faire avec les mêmes éléments, mais en sens inverse de la première.
Il existe cependant, dans la sortie, une situation toute particulière, c’est le moment où l’ennemi a franchi tous les retranchements dans lesquels il pouvait être observé, et qu’il arrive à la rue !… Là, un homme d’esprit doit deviner toute une visite en voyant un homme sous une porte cochère. Les indices sont bien plus rares, mais aussi quelle clarté ! C’est le dénouement, et l’homme en trahit sur-le-champ la gravité par l’expression la plus simple du bonheur, de la peine ou de la joie.
Les révélations sont alors faciles à recueillir : c’est un regard jeté ou sur la maison, ou sur les fenêtres de l’appartement ; c’est une démarche lente ou oisive ; le frottement des mains du sot, ou la course sautillante du fat, ou la station involontaire de l’homme profondément ému : enfin, vous aviez sur le palier les questions aussi nettement posées que si une académie de province proposait cent écus pour un discours ; à la sortie, les solutions sont claires et précises. Notre tâche serait au-dessus des forces humaines s’il fallait dénombrer les différentes manières dont les hommes trahissent leurs sensations : là, tout est tact et sentiment.
Si vous appliquez ces principes d’observation aux étrangers, à plus forte raison soumettrez-vous votre femme aux mêmes formalités.
Un homme marié doit avoir fait une étude profonde du visage de sa femme. Cette étude est facile, elle est même involontaire et de tous les moments. Pour lui, cette belle physionomie de la femme ne doit plus avoir de mystères. Il sait comment les sensations s’y peignent, et sous quelle expression elles se dérobent au feu du regard.
Le plus léger mouvement de lèvres, la plus imperceptible contraction des narines, les dégradations insensibles de l’œil, l’altération de la voix, et ces nuages indéfinissables qui enveloppent les traits, ou ces flammes qui les illuminent, tout est langage pour vous.
Cette femme est là : tous la regardent, et nul ne peut comprendre sa pensée. Mais, pour vous, la prunelle est plus ou moins colorée, étendue, ou resserrée ; la paupière a vacillé, le sourcil a remué ; un pli, effacé aussi rapidement qu’un sillon sur la mer, a paru sur le front ; la lèvre a été rentrée, elle a légèrement fléchi ou s’est animée… pour vous, la femme a parlé.
Si, dans ces moments difficiles où une femme dissimule en présence de son mari, vous avez l’âme du Sphinx pour la deviner, vous sentez bien que les principes de la douane deviennent un jeu d’enfant à son égard.
En arrivant chez elle ou en sortant, lorsqu’elle se croit seule, enfin votre femme a toute l’imprudence d’une corneille, et se dirait tout haut, à elle-même, son secret : aussi, par le changement subit de ses traits au moment où elle vous voit, contraction qui, malgré la rapidité de son jeu, ne s’opère pas assez vite pour ne pas laisser voir l’expression qu’avait le visage en votre absence, vous devez lire dans son âme comme dans un livre de plain-chant. Enfin votre femme se trouvera souvent sur le seuil aux monologues, et là, un mari peut à chaque instant vérifier les sentiments de sa femme.
Est-il un homme assez insouciant des mystères de l’amour pour n’avoir pas, maintes fois, admiré le pas léger, menu, coquet d’une femme qui vole à un rendez-vous ? Elle se glisse à travers la foule comme un serpent sous l’herbe. Les modes, les étoffes et les piéges éblouissants tendus par les lingères déploient vainement pour elle leurs séductions ; elle va, elle va, semblable au fidèle animal qui cherche la trace invisible de son maître, sourde à tous les compliments, aveugle à tous les regards, insensible même aux légers froissements inséparables de la circulation humaine dans Paris. Oh ! comme elle sent le prix d’une minute ! Sa démarche, sa toilette, son visage commettent mille indiscrétions. Mais, ô quel ravissant tableau pour le flâneur, et quelle page sinistre pour un mari, que la physionomie de cette femme quand elle revient de ce logis secret sans cesse habité par son âme !… Son bonheur est signé jusque dans l’indescriptible imperfection de sa coiffure dont le gracieux édifice et les tresses ondoyantes n’ont pas su prendre, sous le peigne cassé du célibataire, cette teinte luisante, ce tour élégant et arrêté que leur imprime la main sûre de la camériste. Et quel adorable laissez-aller dans la démarche ! comment rendre ce sentiment qui répand de si riches couleurs sur son teint, qui ôte à ses yeux toute leur assurance et qui tient à la mélancolie et à la gaieté, à la pudeur et à l’orgueil par tant de liens !
Ces indices, volés à la Méditation des derniers symptômes, et qui appartiennent à une situation dans laquelle une femme essaie de tout dissimuler, vous permettent de deviner, par analogie, l’opulente moisson d’observations qu’il vous est réservé de recueillir quand votre femme arrive chez elle, et que, le grand crime n’étant pas encore commis, elle livre innocemment le secret de ses pensées. Quant à nous, nous n’avons jamais vu de palier sans avoir envie d’y clouer une rose des vents et une girouette.
Les moyens à employer pour parvenir à se faire dans sa maison une sorte d’observatoire dépendant entièrement des lieux et des circonstances, nous nous en rapportons à l’adresse des jaloux pour exécuter les prescriptions de cette Méditation.
MÉDITATION XVI. CHARTE CONJUGALE.
J’avoue que je ne connais guère à Paris qu’une seule maison conçue d’après le système développé dans les deux Méditations précédentes. Mais je dois ajouter aussi que j’ai bâti le système d’après la maison. Cette admirable forteresse appartient à un jeune maître des requêtes, ivre d’amour et de jalousie.
Quand il apprit qu’il existait un homme exclusivement occupé de perfectionner le mariage en France, il eut l’honnêteté de m’ouvrir les portes de son hôtel et de m’en faire voir le gynécée. J’admirai le profond génie qui avait si habilement déguisé les précautions d’une jalousie presque orientale sous l’élégance des meubles, sous la beauté des tapis et la fraîcheur des peintures. Je convins qu’il était impossible à sa femme de rendre son appartement complice d’une trahison.
— Monsieur, dis-je à l’Otello du Conseil-d’état qui ne me paraissait pas très-fort sur la haute politique conjugale, je ne doute pas que madame la vicomtesse n’ait beaucoup de plaisir à demeurer au sein de ce petit paradis ; elle doit même en avoir prodigieusement, surtout si vous y êtes souvent ; mais un moment viendra où elle en aura assez ; car, monsieur, on se lasse de tout, même du sublime. Comment ferez-vous alors quand madame la vicomtesse, ne trouvant plus à toutes vos inventions leur charme primitif, ouvrira la bouche pour bâiller, et peut-être pour vous présenter une requête tendant à obtenir l’exercice de deux droits indispensables à son bonheur : la liberté individuelle, c’est-à-dire la faculté d’aller et de venir selon le caprice de sa volonté ; et la liberté de la presse, ou la faculté d’écrire et de recevoir des lettres, sans avoir à craindre votre censure ?…
À peine avais-je achevé ces paroles, que monsieur le vicomte de V*** me serra fortement le bras, et s’écria : — Et voilà bien l’ingratitude des femmes ! S’il y a quelque chose de plus ingrat qu’un roi, c’est un peuple ; mais, monsieur, la femme est encore plus ingrate qu’eux tous. Une femme mariée en agit avec nous comme les citoyens d’une monarchie constitutionnelle avec un roi : on a beau assurer à ceux-là une belle existence dans un beau pays ; un gouvernement a beau se donner toutes les peines du monde avec des gendarmes, des chambres, une administration et tout l’attirail de la force armée, pour empêcher un peuple de mourir de faim, pour éclairer les villes par le gaz aux dépens des citoyens, pour chauffer tout son monde par le soleil du quarante-cinquième degré de latitude, et pour interdire enfin à tous autres qu’aux percepteurs de demander de l’argent ; il a beau paver, tant bien que mal, des routes,… eh ! bien, aucun des avantages d’une si belle utopie n’est apprécié ! Les citoyens veulent autre chose !… Ils n’ont pas honte de réclamer encore le droit de se promener à volonté sur ces routes, celui de savoir où va l’argent donné aux percepteurs ; et enfin le monarque serait tenu de fournir à chacun une petite part du trône, s’il fallait écouter les bavardages de quelques écrivassiers, ou adopter certaines idées tricolores, espèces de polichinelles que fait jouer une troupe de soi-disant patriotes, gens de sac et de corde, toujours prêts à vendre leurs consciences pour un million, pour une femme honnête ou une couronne ducale.
— Monsieur le vicomte, dis-je en l’interrompant, je suis parfaitement de votre avis sur ce dernier point, mais que ferez-vous pour éviter de répondre aux justes demandes de votre femme ?
— Monsieur, je ferai…, je répondrai comme font et comme répondent les gouvernements, qui ne sont pas aussi bêtes que les membres de l’Opposition voudraient le persuader à leurs commettants. Je commencerai par octroyer solennellement une espèce de constitution, en vertu de laquelle ma femme sera déclarée entièrement libre. Je reconnaîtrai pleinement le droit qu’elle a d’aller où bon lui semble, d’écrire à qui elle veut, et de recevoir des lettres en m’interdisant d’en connaître le contenu. Ma femme aura tous les droits du parlement anglais : je la laisserai parler tant qu’elle voudra, discuter, proposer des mesures fortes et énergiques, mais sans qu’elle puisse les mettre à exécution, et puis après… nous verrons !
— Par saint Joseph !… dis-je en moi-même, voilà un homme qui comprend aussi bien que moi la science du mariage. — Et puis vous verrez, monsieur, répondis-je à haute voix pour obtenir de plus amples révélations, vous verrez que vous serez, un beau matin, tout aussi sot qu’un autre.
— Monsieur, reprit-il gravement, permettez-moi d’achever. Voilà ce que les grands politiques appellent une théorie, mais ils savent faire disparaître cette théorie par la pratique, comme une vraie fumée ; et les ministres possèdent encore mieux que tous les avoués de Normandie l’art d’emporter le fond par la forme. Monsieur de Metternich et monsieur de Pilat, hommes d’un profond mérite, se demandent depuis long-temps si l’Europe est dans son bon sens, si elle rêve, si elle sait où elle va, si elle a jamais raisonné, chose impossible aux masses, aux peuples et aux femmes. Messieurs de Metternich et de Pilat sont effrayés de voir ce siècle-ci poussé par la manie des constitutions, comme le précédent l’était par la philosophie, et comme celui de Luther l’était par la réforme des abus de la religion romaine ; car il semble vraiment que les générations soient semblables à des conspirateurs dont les actions marchent séparément au même but en se passant le mot d’ordre. Mais ils s’effraient à tort, et c’est en cela seulement que je les condamne, car ils ont raison de vouloir jouir du pouvoir, sans que des bourgeois arrivent, à jour fixe, du fond de chacun de leurs six royaumes pour les taquiner. Comment des hommes si remarquables n’ont-ils pas su deviner la profonde moralité que renferme la comédie constitutionnelle, et voir qu’il est de la plus haute politique de laisser un os à ronger au siècle ? Je pense absolument comme eux relativement à la souveraineté. Un pouvoir est un être moral aussi intéressé qu’un homme à sa conservation. Le sentiment de la conservation est dirigé par un principe essentiel, exprimé en trois mots : Ne rien perdre. Pour ne rien perdre, il faut croître, ou rester infini ; car un pouvoir stationnaire est nul. S’il rétrograde, ce n’est plus un pouvoir, il est entraîné par un autre. Je sais, comme ces messieurs, dans quelle situation fausse se trouve un pouvoir infini qui fait une concession ? il laisse naître dans son existence un autre pouvoir dont l’essence sera de grandir. L’un anéantira nécessairement l’autre, car tout être tend au plus grand développement possible de ses forces. Un pouvoir ne fait donc jamais de concessions qu’il ne tente de les reconquérir. Ce combat entre les deux pouvoirs constitue nos gouvernements constitutionnels, dont le jeu épouvante à tort le patriarche de la diplomatie autrichienne, parce que, comédie pour comédie, la moins périlleuse et la plus lucrative est celle que jouent l’Angleterre et la France. Ces deux patries ont dit au peuple : « Tu es libre ! » et il a été content ; il entre dans le gouvernement comme une foule de zéros qui donnent de la valeur à l’unité. Mais le peuple veut-il se remuer, on commence avec lui le drame du dîner de Sancho, quand l’écuyer, devenu souverain de son île en terre-ferme, essaie de manger. Or, nous autres hommes, nous devons parodier cette admirable scène au sein de nos ménages. Ainsi, ma femme a bien le droit de sortir, mais en me déclarant où elle va, comment elle va, pour quelle affaire elle va, et quand elle reviendra. Au lieu d’exiger ces renseignements avec la brutalité de nos polices, qui se perfectionneront sans doute un jour, j’ai le soin de revêtir les formes les plus gracieuses. Sur mes lèvres, dans mes yeux, sur mes traits, se jouent et paraissent tour à tour les accents et les signes de la curiosité et de l’indifférence, de la gravité et de la plaisanterie, de la contradiction et de l’amour. C’est de petites scènes conjugales pleines d’esprit, de finesse et de grâce, qui sont très-agréables à jouer. Le jour où j’ai ôté de dessus la tête de ma femme la couronne de fleurs d’oranger qu’elle portait, j’ai compris que nous avions joué, comme au couronnement d’un roi, les premiers lazzis d’une longue comédie. — J’ai des gendarmes !… J’ai ma garde royale, j’ai mes procureurs généraux, moi !.. reprit-il avec une sorte d’enthousiasme. Est-ce que je souffre jamais que madame aille à pied sans être accompagnée d’un laquais en livrée ? Cela n’est-il pas du meilleur ton ? sans compter l’agrément qu’elle a de dire à tout le monde : — J’ai des gens. Mais mon principe conservateur a été de toujours faire coïncider mes courses avec celles de ma femme, et depuis deux ans j’ai su lui prouver que c’était pour moi un plaisir toujours nouveau de lui donner le bras. S’il fait mauvais à marcher, j’essaie de lui apprendre à conduire avec aisance un cheval fringant ; mais je vous jure que je m’y prends de manière à ce qu’elle ne le sache pas de sitôt !… Si, par hasard ou par l’effet de sa volonté bien prononcée, elle voulait s’échapper sans passe-port, c’est-à-dire dans sa voiture et seule, n’ai-je pas un cocher, un heiduque, un groom ? Alors ma femme peut aller où elle veut, elle emmène toute une sainte hermandad, et je suis bien tranquille… Mais, mon cher monsieur, combien de moyens n’avons-nous pas de détruire la charte conjugale par la pratique, et la lettre par l’interprétation ! J’ai remarqué que les mœurs de la haute société comportent une flânerie qui dévore la moitié de la vie d’une femme, sans qu’elle puisse se sentir vivre. J’ai, pour mon compte, formé le projet d’amener adroitement ma femme jusqu’à quarante ans sans qu’elle songe à l’adultère, de même que feu Musson s’amusait à mener un bourgeois de la rue Saint-Denis à Pierrefitte, sans qu’il se doutât d’avoir quitté l’ombre du clocher de Saint-Leu.
— Comment ! lui dis-je en l’interrompant, auriez-vous par hasard deviné ces admirables déceptions que je me proposais de décrire dans une Méditation, intitulée : Art de mettre la mort dans la vie !… Hélas ! je croyais être le premier qui eût découvert cette science. Ce titre concis m’avait été suggéré par le récit que fit un jeune médecin d’une admirable composition inédite de Crabbe. Dans cet ouvrage, le poète anglais a su personnifier un être fantastique, nommé la Vie dans la Mort. Ce personnage poursuit à travers les océans du monde un squelette animé, appelé la Mort dans la vie. Je me souviens que peu de personnes, parmi les convives de l’élégant traducteur de la poésie anglaise, comprirent le sens mystérieux de cette fable aussi vraie que fantastique. Moi seul, peut-être, plongé dans un silence brute, je songeais à ces générations entières qui, poussées par la VIE, passent sans vivre. Des figures de femmes s’élevaient devant moi par milliers, par myriades, toutes mortes, chagrines, et versant des larmes de désespoir en contemplant les heures perdues de leur jeunesse ignorante. Dans le lointain, je voyais naître une Méditation railleuse, j’en entendais déjà les rires sataniques ; et vous allez sans doute la tuer… Mais voyons, confiez-moi promptement les moyens que vous avez trouvés pour aider une femme à gaspiller les moments rapides où elle est dans la fleur de sa beauté, dans la force de ses désirs… Peut-être m’aurez-vous laissé quelques stratagèmes, quelques ruses à décrire…
Le vicomte se mit à rire de ce désappointement d’auteur, et me dit d’un air satisfait : — Ma femme a, comme toutes les jeunes personnes de notre bienheureux siècle, appuyé ses doigts, pendant trois ou quatre années consécutives, sur les touches d’un piano qui n’en pouvait mais. Elle a déchiffré Beethoven, fredonné les ariettes de Rossini et parcouru les exercices de Crammer. Or, j’ai déjà eu le soin de la convaincre de sa supériorité en musique : pour atteindre à ce but, j’ai applaudi, j’ai écouté sans bâiller les plus ennuyeuses sonates du monde, et je me suis résigné à lui donner une loge aux Bouffons, Aussi ai-je gagné trois soirées paisibles sur les sept que Dieu a crééés dans la semaine. Je suis à l’affût des maisons à musique. À Paris, il existe des salons qui ressemblent exactement à des tabatières d’Allemagne, espèces de Componiums perpétuels où je vais régulièrement chercher des indigestions d’harmonie, que ma femme nomme des concerts. Mais aussi, la plupart du temps, s’enterre-t-elle dans ses partitions…
— Hé ! monsieur, ne connaissez-vous donc pas le danger qu’il y a de développer chez une femme le goût du chant, et de la laisser livrée à toutes les excitations d’une vie sédentaire ?… Il ne vous manquerait plus que de la nourrir de mouton, et de lui faire boire de l’eau…
— Ma femme ne mange jamais que des blancs de volaille, et j’ai soin de toujours faire succéder un bal à un concert, un rout à une représentation des Italiens ! Aussi ai-je réussi à la faire coucher pendant six mois de l’année entre une heure et deux du matin. Ah ! monsieur, les conséquences de ce coucher matinal sont incalculables ! D’abord, chacun de ces plaisirs nécessaires est accordé comme une faveur, et je suis censé faire constamment la volonté de ma femme : alors je lui persuade, sans dire un seul mot, qu’elle s’est constamment amusée depuis six heures du soir, époque de notre dîner et de sa toilette, jusqu’à onze heures du matin, heure à laquelle nous nous levons.
— Ah ! monsieur, quelle reconnaissance ne vous doit-elle pas pour une vie si bien remplie !…
— Je n’ai donc plus guère que trois heures dangereuses à passer ; mais n’a-t-elle pas des sonates à étudier, des airs à répéter ?… N’ai-je pas toujours des promenades au bois de Boulogne à proposer, des calèches à essayer, des visites à rendre, etc. ? Ce n’est pas tout. Le plus bel ornement d’une femme est une propreté recherchée, ses soins à cet égard ne peuvent jamais avoir d’excès ni de ridicule : or, la toilette m’a encore offert les moyens de lui faire consumer les plus beaux moments de sa journée.
— Vous êtes digne de m’entendre !.. m’écriai-je. Eh ! bien, monsieur, vous lui mangerez quatre heures par jour si vous voulez lui apprendre un art inconnu aux plus recherchées de nos petites-maîtresses modernes… Dénombrez à madame de V les étonnantes précautions créées par le luxe oriental des dames romaines, nommez-lui les esclaves employées seulement au bain chez l’impératrice Poppée : les Unctores, les Fricatores, les Alipilariti, les Dropacistae, les Paratiltriae, les Picatrices, les Tractatrices, les essuyeurs en cygne, que sais-je !… Entretenez-la de cette multitude d’esclaves dont la nomenclature a été donnée par Mirabeau dans son Erotika Biblion. Pour qu’elle essaie à remplacer tout ce monde-là, vous aurez de belles heures de tranquillité, sans compter les agréments personnels qui résulteront pour vous de l’importation dans votre ménage du système de ces illustres Romaines, dont les moindres cheveux artistement disposés avaient reçu des rosées de parfums, dont la moindre veine semblait avoir conquis un sang nouveau dans la myrrhe, le lin, les parfums, les ondes, les fleurs, le tout au son d’une musique voluptueuse.
— Eh ! monsieur, reprit le mari qui s’échauffait de plus en plus, n’ai-je pas aussi d’admirables prétextes dans la santé ? Cette santé, si précieuse et si chère, me permet de lui interdire toute sortie par le mauvais temps, et je gagne ainsi un quart de l’année. Et n’ai-je pas su introduire le doux usage de ne jamais sortir l’un ou l’autre sans aller nous donner le baiser d’adieu, en disant : « Mon bon ange, je sors. » Enfin, j’ai su prévoir l’avenir et rendre pour toujours ma femme captive au logis, comme un conscrit dans sa guérite !… Je lui ai inspiré un enthousiasme incroyable pour les devoirs sacrés de la maternité.
— En la contredisant ? demandai-je.
— Vous l’avez deviné !… dit-il en riant. Je lui soutiens qu’il est impossible à une femme du monde de remplir ses obligations envers la société, de mener sa maison, de s’abandonner à tous les caprices de la mode, à ceux d’un mari qu’on aime, et d’élever ses enfants… Elle prétend alors qu’à l’exemple de Caton, qui voulait voir comment la nourrice changeait les langes du grand Pompée, elle ne laissera pas à d’autres les soins les plus minutieux réclamés par les flexibles intelligences et les corps si tendres de ces petits êtres dont l’éducation commence au berceau. Vous comprenez, monsieur, que ma diplomatie conjugale ne me servirait pas à grand’chose, si, après avoir ainsi mis ma femme au secret, je n’usais pas d’un machiavélisme innocent, qui consiste à l’engager perpétuellement à faire ce qu’elle veut, à lui demander son avis en tout et sur tout. Comme cette illusion de liberté est destinée à tromper une créature assez spirituelle, j’ai soin de tout sacrifier pour convaincre madame de V qu’elle est la femme la plus libre qu’il y ait à Paris, et, pour atteindre à ce but, je me garde bien de commettre ces grosses balourdises politiques qui échappent souvent à nos ministres.
— Je vous vois, dis-je, quand vous voulez escamoter un des droits concédés à votre femme par la charte, je vous vois prenant un air doux et mesuré, cachant le poignard sous des roses, et, en le lui plongeant avec précaution dans le cœur, lui demandant d’une voix amie : — Mon ange, te fait-il mal ? Comme ces gens sur le pied desquels on marche, elle vous répond peut-être : — Au contraire ?
Il ne put s’empêcher de sourire, et dit : — Ma femme ne sera-t-elle pas bien étonnée au jugement dernier ?
— Je ne sais pas, lui répondis-je, qui le sera le plus de vous ou d’elle.
Le jaloux fronçait déjà les sourcils, mais sa physionomie redevint sereine quand j’ajoutai : — Je rends grâce, monsieur, au hasard qui m’a procuré le plaisir de faire votre connaissance. Sans votre conversation j’aurais certainement développé moins bien que vous ne l’avez fait quelques idées qui nous étaient communes. Aussi vous demanderai-je la permission de mettre cet entretien en lumière. Là, où nous avons vu de hautes conceptions politiques, d’autres trouveront peut-être des ironies plus ou moins piquantes, et je passerai pour un habile homme aux yeux des deux partis…
Pendant que j’essayais de remercier le vicomte (le premier mari selon mon cœur que j’eusse rencontré), il me promenait encore une fois dans ses appartements, où tout paraissait irréprochable.
J’allais prendre congé de lui, quand, ouvrant la porte d’un petit boudoir, il me le montra d’un air qui semblait dire : — Y a-t-il moyen de commettre là le moindre désordre que mon œil ne sût reconnaître ?
Je répondis à cette muette interrogation par une de ces inclinations de tête que font les convives à leur amphitryon en dégustant un mets distingué.
— Tout mon système, me dit-il à voix basse, m’a été suggéré par trois mots que mon père entendit prononcer à Napoléon en plein Conseil-d’État, lors de la discussion du divorce. — L’adultère, s’écria-t-il, est une affaire de canapé ! Aussi, voyez ! J’ai su transformer ces complices en espions, ajouta le maître des requêtes en me désignant un divan couvert d’un casimir couleur thé, dont les coussins étaient légèrement froissés. — Tenez, cette marque m’apprend que ma femme a eu mal à la tête et s’est reposée là…
Nous fîmes quelques pas vers le divan, et nous vîmes le mot — SOT — capricieusement tracé sur le meuble fatal par quatre
De ces je ne sais quoi, qu’une amante tira
Du verger de Cypris, labyrinthe des fées,
Et qu’un duc autrefois jugea si précieux
Qu’il voulut l’honorer d’une chevalerie,
Illustre et noble confrérie
Moins pleine d’hommes que de Dieux.
— Personne dans ma maison n’a les cheveux noirs ! dit le mari en pâlissant.
Je me sauvai, car je me sentis pris d’une envie de rire que je n’aurais pas facilement comprimé.
— Voilà un homme jugé !… me dis-je. Il n’a fait que préparer d’incroyables plaisirs à sa femme, par toutes les barrières dont il l’a environnée.
Cette idée m’attrista. L’aventure détruisait de fond en comble trois de mes plus importantes Méditations, et l’infaillibilité catholique de mon livre était attaquée dans son essence. J’aurais payé de bien bon cœur la fidélité de la vicomtesse de V de la somme avec laquelle bien des gens eussent voulu lui acheter une seule faute. Mais je devais éternellement garder mon argent.
En effet, trois jours après, je rencontrai le maître des requêtes au foyer des Italiens. Aussitôt qu’il m’aperçut, il accourut à moi. Poussé par une sorte de pudeur, je cherchais à l’éviter ; mais, me prenant le bras : — Ah ! je viens de passer trois cruelles journées !… me dit-il à l’oreille. Heureusement, ma femme est peut-être plus innocente qu’un enfant baptisé d’hier…
— Vous m’avez déjà dit que madame la vicomtesse était très-spirituelle… répliquai-je avec une cruelle bonhomie.
— Oh ! ce soir j’entends volontiers la plaisanterie ; car ce matin, j’ai eu des preuves irrécusables de la fidélité de ma femme. Je m’étais levé de très-bonne heure pour achever un travail pressé… En regardant mon jardin par distraction, j’y vois tout à coup le valet de chambre d’un général, dont l’hôtel est voisin du mien, grimper par-dessus les murs. La soubrette de ma femme, avançant la tête hors du vestibule, caressait mon chien et protégeait la retraite du galant. Je prends mon lorgnon, je le braque sur le maraud… des cheveux de jais !… Ah ! jamais face de chrétien ne m’a fait plus de plaisir à voir !… Mais, comme vous devez le croire, dans la journée les treillages ont été arrachés. — Ainsi, mon cher monsieur, reprit-il, si vous vous mariez, mettez votre chien à la chaîne, et semez des fonds de bouteilles sur tous les chaperons de vos murs…
— Madame la vicomtesse s’est-elle aperçue de vos inquiétudes pendant ces trois jours-ci ?…
— Me prenez-vous pour un enfant ? me dit-il en haussant les épaules… Jamais de ma vie je n’avais été si gai.
— Vous êtes un grand homme inconnu !… m’écriai-je, et vous n’êtes pas…
Il ne me laissa pas achever ; car il disparut en apercevant un de ses amis qui lui semblait avoir l’intention d’aller saluer la vicomtesse.
Que pourrions-nous ajouter qui ne serait une fastidieuse paraphrase des enseignements renfermés dans cette conversation ? Tout y est germe ou fruit. Néanmoins, vous le voyez, ô maris, votre bonheur tient à un cheveu.
MÉDITATION XVII. THÉORIE DU LIT.
Il était environ sept heures du soir. Assis sur leurs fauteuils académiques, ils décrivaient un demi-cercle devant une vaste cheminée, où brûlait tristement un feu de charbon de terre, symbole éternel du sujet de leurs importantes discussions. À voir les figures graves quoique passionnées de tous les membres de cette assemblée, il était facile de deviner qu’ils avaient à prononcer sur la vie, la fortune et le bonheur de leurs semblables. Ils ne tenaient leurs mandats que de leurs consciences, comme les associés d’un antique et mystérieux tribunal, mais ils représentaient des intérêts bien plus immenses que ceux des rois ou des peuples, ils parlaient au nom des passions et du bonheur des générations infinies qui devaient leur succéder.
Le petit-fils du célèbre BOULLE était assis devant une table ronde, sur laquelle se trouvait la pièce à conviction, exécutée avec une rare intelligence ; moi chétif secrétaire, j’occupais une place à ce bureau afin de rédiger le procès-verbal de la séance.
— Messieurs, dit un vieillard, la première question soumise à vos délibérations se trouve clairement posée dans ce passage d’une lettre écrite à la princesse de Galles, Caroline d’Anspach, par la veuve de Monsieur, frère de Louis XIV, mère du régent.
« La reine d’Espagne a un moyen sûr pour faire dire à son mari tout ce qu’elle veut. Le roi est dévot ; il croirait être damné s’il touchait à une autre femme qu’à la sienne, et ce bon prince est d’une complexion fort amoureuse. La reine obtient ainsi de lui tout ce qu’elle souhaite. Elle a fait mettre des roulettes au lit de son mari. Lui refuse-t-il quelque chose ?… elle pousse le lit loin du sien. Lui accorde-t-il sa demande ? les lits se rapprochent, et elle l’admet dans le sien. Ce qui est la plus grande félicité du roi, qui est extrêmement porté… »
— Je n’irai pas plus loin, messieurs, car la vertueuse franchise de la princesse allemande pourrait être taxée ici d’immoralité.
Les maris sages doivent-ils adopter le lit à roulettes ?… Voilà le problème que nous avons à résoudre.
L’unanimité des votes ne laissa aucun doute. Il me fut ordonné de consigner sur le registre des délibérations que, si deux époux se couchaient dans deux lits séparés et dans une même chambre, les lits ne devaient point avoir de roulettes à équerre.
— Mais sans que la présente décision, fit observer un membre, puisse en rien préjudicier à ce qui sera statué sur la meilleure manière de coucher les époux.
Le président me passa un volume élégamment relié, contenant l’édition originale, publiée en 1788, des lettres de MADAME Charlotte-Élisabeth de Bavière, veuve de MONSIEUR, frère unique de Louis XIV, et pendant que je transcrivais le passage cité, il reprit ainsi : — Mais, messieurs, vous avez dû recevoir à domicile le bulletin sur lequel est consignée la seconde question.
— Je demande la parole… s’écria le plus jeune des jaloux assemblés.
Le président s’assit après avoir fait un geste d’adhésion.
— Messieurs, dit le jeune mari, sommes-nous bien préparés à délibérer sur un sujet aussi grave que celui présenté par l’indiscrétion presque générale des lits ? N’y a-t-il pas là une question plus ample qu’une simple difficulté d’ébénisterie à résoudre ? Pour ma part, j’y vois un problème qui concerne l’intelligence humaine. Les mystères de la conception, messieurs, sont encore enveloppés de ténèbres que la science moderne n’a que faiblement dissipées. Nous ne savons pas jusqu’à quel point les circonstances extérieures agissent sur les animaux microscopiques, dont la découverte est due à la patience infatigable des Hill, des Baker, des Joblot, des Eichorn, des Gleichen, des Spallanzani, surtout de Müller, et, en dernier lieu, de monsieur Bory de Saint-Vincent. L’imperfection du lit renferme une question musicale de la plus haute importance, et, pour mon compte, je déclare que je viens d’écrire en Italie pour obtenir des renseignements certains sur la manière dont y sont généralement établis les lits… Nous saurons incessamment s’il y a beaucoup de tringles, de vis, de roulettes, si les constructions en sont plus vicieuses dans ce pays que partout ailleurs, et si la sécheresse des bois due à l’action du soleil ne produit pas, ab ovo, l’harmonie dont le sentiment inné se trouve chez les Italiens… Par tous ces motifs, je demande l’ajournement.
— Et sommes-nous ici pour prendre l’intérêt de la musique ?… s’écria un gentleman de l’Ouest en se levant avec brusquerie. Il s’agit des mœurs avant tout, et la question morale prédomine toutes les autres…
— Cependant, dit un des membres les plus influents du conseil, l’avis du premier opinant ne me paraît pas à dédaigner. Dans le siècle dernier, messieurs, l’un de nos écrivains le plus philosophiquement plaisant et le plus plaisamment philosophique, Sterne, se plaignait du peu de soin avec lequel se faisaient les hommes : « Ô honte ! s’écria-t-il, celui qui copie la divine physionomie de l’homme reçoit des couronnes et des applaudissements, tandis que celui qui présente la maîtresse pièce, le prototype d’un travail mimique, n’a, comme la vertu, que son œuvre pour récompense !… » Ne faudrait-il pas s’occuper de l’amélioration des races humaines, avant de s’occuper de celle des chevaux ? Messieurs, je suis passé dans une petite ville de l’Orléanais où toute la population est composée de bossus, de gens à mines rechignées ou chagrines, véritables enfants de malheur… Eh ! bien, l’observation du premier opinant me fait souvenir que tous les lits y étaient en très-mauvais état, et que les chambres n’offraient aux yeux des époux que de hideux spectacles… Eh ! messieurs, nos esprits peuvent-ils être dans une situation analogue à celle de nos idées, quand au lieu de la musique des anges, qui voltigent çà et là au sein des cieux où nous parvenons, les notes les plus criardes de la plus importune, de la plus impatientante, de la plus exécrable mélodie terrestre, viennent à détonner ?… Nous devons peut-être les beaux génies qui ont honoré l’humanité à des lits solidement construits, et la population turbulente à laquelle est due la révolution française a peut-être été conçue sur une multitude de meubles vacillants, aux pieds contournés et peu solides ; tandis que les Orientaux, dont les races sont si belles, ont un système tout particulier pour se coucher… Je suis pour l’ajournement.
Et le gentleman s’assit.
Un homme qui appartenait à la secte des Méthodistes se leva.
— Pourquoi changer la question ? Il ne s’agit pas ici d’améliorer la race, ni de perfectionner l’œuvre. Nous ne devons pas perdre de vue les intérêts de la jalousie maritale et les principes d’une saine morale. Ignorez-vous que le bruit dont vous vous plaignez semble plus redoutable à l’épouse incertaine du crime que la voix éclatante de la trompette du jugement dernier ?… Oubliez-vous que tous les procès en criminelle conversation n’ont été gagnés par les maris que grâce à cette plainte conjugale ?… Je vous engage, messieurs, à consulter les divorces de milord Abergaveny, du vicomte Bolingbrocke, celui de la feue reine, celui d’Élisa Draper, celui de madame Harris, enfin tous ceux contenus dans les vingt volumes publiés par… (Le secrétaire n’entendit pas distinctement le nom de l’éditeur anglais.)
L’ajournement fut prononcé. Le plus jeune membre proposa de faire une collecte pour récompenser l’auteur de la meilleure dissertation qui serait adressée à la Société sur cette question, regardée par Sterne comme si importante ; mais à l’issue de la séance, il ne se trouva que dix-huit schellings dans le chapeau du président.
Cette délibération de la société qui s’est récemment formée à Londres pour l’amélioration des mœurs et du mariage, et que lord Byron a poursuivie de ses moqueries, nous a été transmise par les soins de l’honorable W. Hawkins, Esq, cousin-germain du célèbre capitaine Clutterbuck.
Cet extrait peut servir à résoudre les difficultés qui se rencontrent dans la théorie du lit relativement à sa construction.
Mais l’auteur de ce livre trouve que l’association anglaise a donné trop d’importance à cette question préjudicielle. Il existe peut-être autant de bonnes raisons pour être Rossiniste que pour être Solidiste en fait de couchette, et l’auteur avoue qu’il est au-dessous ou au-dessus de lui de trancher cette difficulté. Il pense avec Laurent Sterne qu’il est honteux à la civilisation européenne d’avoir si peu d’observations physiologiques sur la callipédie, et il renonce à donner les résultats de ses méditations à ce sujet parce qu’ils seraient difficiles à formuler en langage de prude, qu’ils seraient peu compris ou mal interprétés. Ce dédain laissera une éternelle lacune en cet endroit de son livre ; mais il aura la douce satisfaction de léguer un quatrième ouvrage au siècle suivant qu’il enrichit ainsi de tout ce qu’il ne fait pas, magnificence négative dont l’exemple sera suivi par tous ceux qui disent avoir beaucoup d’idées.
La théorie du lit va nous donner à résoudre des questions bien plus importantes que celles offertes à nos voisins par les roulettes et par les murmures de la criminelle conversation.
Nous ne reconnaissons que trois manières d’organiser un lit (dans le sens général donné à ce mot) chez les nations civilisées, et principalement pour les classes privilégiées, auxquelles ce livre est adressé.
Ces trois manières sont :
1º LES DEUX LITS JUMEAUX,
2º DEUX CHAMBRES SÉPARÉES,
3º UN SEUL ET MÊME LIT.
Avant de nous livrer à l’examen de ces trois modes de cohabitation qui, nécessairement, doivent exercer des influences bien diverses sur le bonheur des femmes et des maris, nous devons jeter un rapide coup d’œil sur l’action du lit et sur le rôle qu’il joue dans l’économie politique de la vie humaine.
Le principe le plus incontestable en cette matière est que le lit a été inventé pour dormir.
Il serait facile de prouver que l’usage de coucher ensemble ne s’est établi que fort tard entre les époux, par rapport à l’ancienneté du mariage.
Par quels syllogismes l’homme est-il arrivé à mettre à la mode une pratique si fatale au bonheur, à la santé, au plaisir, à l’amour-propre même ?… Voilà ce qu’il serait curieux de rechercher.
Si vous saviez qu’un de vos rivaux a trouvé le moyen de vous exposer, à la vue de celle qui vous est chère, dans une situation où vous étiez souverainement ridicule : par exemple, pendant que vous aviez la bouche de travers comme celle d’un masque de théâtre, ou pendant que vos lèvres éloquentes, semblables au bec en cuivre d’une fontaine avare, distillaient goutte à goutte une eau pure ; vous le poignarderiez peut-être. Ce rival est le sommeil. Existe-t-il au monde un homme qui sache bien comment il est et ce qu’il fait quand il dort ?…
Cadavres vivants, nous sommes la proie d’une [un] puissance inconnue qui s’empare de nous malgré nous, et se manifeste par les effets les plus bizarres : les uns ont le sommeil spirituel et les autres un sommeil stupide.
Il y a des gens qui reposent la bouche ouverte de la manière la plus niaise.
Il en est d’autres qui ronflent à faire trembler les planchers.
La plupart ressemblent à ces jeunes diables que Michel-Ange a sculptés, tirant la langue pour se moquer des passants.
Je ne connais qu’une seule personne au monde qui dorme noblement, c’est l’Agamemnon que Guérin a montré couché dans son lit au moment où Clytemnestre, poussée par Egisthe, s’avance pour l’assassiner. Aussi ai-je toujours ambitionné de me tenir sur mon oreiller comme se tient le roi des rois, dès que j’aurai la terrible crainte d’être vu, pendant mon sommeil, par d’autres yeux que par ceux de la Providence. De même aussi, depuis le jour où j’ai vu ma vieille nourrice soufflant des pois, pour me servir d’une expression populaire mais consacrée, ai-je aussitôt ajouté, dans la litanie particulière que je récite à saint Honoré, mon patron, une prière pour qu’il me garantisse de cette piteuse éloquence.
Qu’un homme se réveille le matin, en montrant une figure hébétée, grotesquement coiffée d’un madras qui tombe sur la tempe gauche en manière de bonnet de police, il est certainement bien bouffon, et il serait difficile de reconnaître en lui cet époux glorieux célébré par les strophes de Rousseau ; mais enfin il y a une lueur de vie à travers la bêtise de cette face à moitié morte… Et si vous voulez recueillir d’admirables charges, artistes, voyagez en malle-poste, et à chaque petit village où le courrier réveille un buraliste, examinez ces têtes départementales !…Mais, fussiez-vous cent fois plus plaisant que ces visages bureaucratiques, au moins vous avez alors la bouche fermée, les yeux ouverts, et votre physionomie a une expression quelconque… Savez-vous comment vous étiez une heure avant votre réveil, ou pendant la première heure de votre sommeil, quand, ni homme, ni animal, vous tombiez sous l’empire des songes qui viennent par la porte de corne ?… Ceci est un secret entre votre femme et Dieu !
Était-ce donc pour s’avertir sans cesse de l’imbécillité du sommeil que les Romains ornaient le chevet de leurs lits d’une tête d’âne ?… Nous laisserons éclaircir ce point par messieurs les membres composant l’académie des inscriptions.
Assurément, le premier qui s’avisa, par l’inspiration du diable, de ne pas quitter sa femme, même pendant le sommeil, devait savoir dormir en perfection. Maintenant, vous n’oublierez pas de compter au nombre des sciences qu’il faut posséder, avant d’entrer en ménage, l’art de dormir avec élégance. Aussi mettons-nous ici, comme un appendice à l’axiome XXV du Catéchisme Conjugal, les deux aphorismes suivants :
Un mari doit avoir le sommeil aussi léger que celui d’un dogue, afin de ne jamais se laisser voir endormi.
Un homme doit s’habituer dès son enfance à coucher tête nue.
Quelques poètes voudront voir, dans la pudeur, dans les prétendus mystères de l’amour, une cause à la réunion des époux dans un même lit ; mais il est reconnu que si l’homme a primitivement cherché l’ombre des cavernes, la mousse des ravins, le toit siliceux des antres pour protéger ses plaisirs, c’est parce que l’amour le livre sans défense à ses ennemis. Non, il n’est pas plus naturel de mettre deux têtes sur un même oreiller qu’il n’est raisonnable de s’entortiller le cou d’un lambeau de mousseline. Mais la civilisation est venue, elle a renfermé un million d’hommes dans quatre lieues carrées ; elle les a parqués dans des rues, dans des maisons, dans des appartements, dans des chambres, dans des cabinets de huit pieds carrés ; encore un peu, elle essaiera de les faire rentrer les uns dans les autres comme les tubes d’une lorgnette.
De là et de bien d’autres causes encore, comme l’économie, la peur, la jalousie mal entendue, est venue la cohabition des époux ; et cette coutume a créé la périodicité et la simultanéité du lever et du coucher.
Et voilà donc la chose la plus capricieuse du monde, voilà donc le sentiment le plus éminemment mobile, qui n’a de prix que par ses inspirations chatouilleuses, qui ne tire son charme que de la soudaineté des désirs, qui ne plaît que par la vérité de ses expansions, voilà l’amour, enfin, soumis à une règle monastique et à la géométrie du bureau des longitudes !
Père, je haïrais l’enfant qui, ponctuel comme une horloge, aurait, soir et matin, une explosion de sensibilité, en venant me dire un bonjour ou un bonsoir commandés. C’est ainsi que l’on étouffe tout ce qu’il y a de généreux et d’instantané dans les sentiments humains. Jugez par là de l’amour à heure fixe !
Il n’appartient qu’à l’auteur de toutes choses de faire lever et coucher le soleil, soir et matin, au milieu d’un appareil toujours splendide, toujours nouveau, et personne ici-bas, n’en déplaise à l’hyperbole de Jean-Baptiste Rousseau, ne peut jouer le rôle du soleil.
Il résulte de ces observations préliminaires qu’il n’est pas naturel de se trouver deux sous la couronne d’un lit ;
Qu’un homme est presque toujours ridicule endormi ;
Qu’enfin la cohabitation constante présente pour les maris des dangers inévitables.
Nous allons donc essayer d’accommoder nos usages aux lois de la nature, et de combiner la nature et les usages de manière à faire trouver à un époux un utile auxiliaire et des moyens de défense dans l’acajou de son lit.
§ I. — LES DEUX LITS JUMEAUX.
Si le plus brillant, le mieux fait, le plus spirituel des maris veut se voir minotauriser au bout d’un an de ménage, il y parviendra infailliblement s’il a l’imprudence de réunir deux lits sous le dôme voluptueux d’une même alcôve.
L’arrêt est concis, en voici les motifs :
Le premier mari auquel est due l’invention des lits jumeaux était sans doute un accoucheur qui, craignant les tumultes involontaires de son sommeil, voulut préserver l’enfant porté par sa femme des coups de pied qu’il aurait pu lui donner.
Mais non, c’était plutôt quelque prédestiné qui se défiait d’un mélodieux catarrhe ou de lui-même.
Peut-être était-ce aussi un jeune homme qui, redoutant l’excès même de sa tendresse, se trouvait toujours, ou sur le bord du lit près de tomber, ou trop voisin de sa délicieuse épouse dont il troublait le sommeil.
Mais ne serait-ce pas une Maintenon aidée par un confesseur, ou plutôt une femme ambitieuse qui voulait gouverner son mari ?… Ou, plus sûrement, une jolie petite Pompadour attaquée de cette infirmité parisienne si plaisamment exprimée par monsieur de Maurepas dans ce quatrain qui lui valut sa longue disgrâce, et qui contribua certainement aux malheurs du règne de Louis XVI. Iris, on aime vos appas, vos grâces sont vives et franches ; et les fleurs naissant sous vos pas, mais ce sont des fleurs…
Enfin pourquoi ne serait-ce pas un philosophe épouvanté du désenchantement que doit éprouver une femme à l’aspect d’un homme endormi ? Et, celui-là se sera toujours roulé dans sa couverture, sans bonnet sur la tête.
Auteur inconnu de cette jésuitique méthode, qui que tu sois, au nom du diable, salut et fraternité !… Tu as été la cause de bien des malheurs. Ton œuvre porte le caractère de toutes les demi-mesures ; elle ne satisfait à rien et participe aux inconvénients des deux autres partis sans en donner les bénéfices.
Comment l’homme du dix-neuvième siècle, comment cette créature souverainement intelligente qui a déployé une puissance surnaturelle, qui a usé les ressources de son génie à déguiser le mécanisme de son existence, à déifier ses besoins pour ne pas les mépriser, allant jusqu’à demander à des feuilles chinoises, à des fèves égyptiennes, à des graines du Mexique, leurs parfums, leurs trésors, leurs âmes ; allant jusqu’à ciseler les cristaux, tourner l’argent, fondre l’or, peindre l’argile, et solliciter enfin tous les arts pour décorer, pour agrandir son bol alimentaire ! comment ce roi, après avoir caché sous les plis de la mousseline, couvert de diamants, parsemé de rubis, enseveli sous le lin, sous les trames du coton, sous les riches couleurs de la soie, sous les dessins de la dentelle, la seconde de ses pauvretés, peut-il venir la faire échouer avec tout ce luxe sur deux bois de lit ?… À quoi bon rendre l’univers entier complice de notre existence, de nos mensonges, de cette poésie ? À quoi bon faire des lois, des morales, des religions, si l’invention d’un tapissier (c’est peut-être un tapissier qui a inventé les lits jumeaux) ôte à notre amour toutes ses illusions, le dépouille de son majestueux cortége et ne lui laisse que ce qu’il a de plus laid et de plus odieux ? car, c’est là toute l’histoire des deux lits.
LXIII.
Paraître sublime ou grotesque, voilà l’alternative à laquelle nous réduit un désir.
Partagé, notre amour est sublime ; mais couchez dans deux lits jumeaux, et le vôtre sera toujours grotesque. Les contre-sens auxquels cette demi-séparation donne lieu peuvent se réduire à deux situations, qui vont nous révéler les causes de bien des malheurs.
Vers minuit, une jeune femme met ses papillottes en bâillant. J’ignore si sa mélancolie provient d’une migraine près de fondre sur la droite ou sur la gauche de sa cervelle, ou si elle est dans un de ces moments d’ennui pendant lesquels nous voyons tout en noir ; mais, à l’examiner se coiffant de nuit avec négligence, à la regarder levant languissamment la jambe pour la dépouiller de sa jarretière, il me semble évident qu’elle aimerait mieux se noyer que de ne pas retremper sa vie décolorée dans un sommeil réparateur. Elle est en cet instant sous je ne sais quel degré du pôle nord, au Spitzberg ou au Groënland. Insouciante et froide, elle s’est couchée en pensant peut-être, comme l’eût fait madame Gauthier Shandy, que le lendemain est un jour de maladie, que son mari rentre bien tard, que les œufs à la neige qu’elle a mangés n’étaient pas assez sucrés, qu’elle doit plus de cinq cents francs à sa couturière ; elle pense enfin à tout ce qu’il vous plaira de supposer que pense une femme ennuyée. Arrive, sur ces entrefaites, un gros garçon de mari, qui, à la suite d’un rendez-vous d’affaires, a pris du punch et s’est émancipé. Il se déchausse, il met ses habits sur les fauteuils, laisse ses chaussettes sur une causeuse, son tire-bottes devant la cheminée ; et, tout en achevant de s’affubler la tête d’un madras rouge, sans se donner la peine d’en cacher les coins, il lance à sa femme quelques phrases à points d’interjection, petites douceurs conjugales, qui font quelquefois toute la conversation d’un ména ge à ces heures crépusculaires où la raison endormie ne brille presque plus dans notre machine. — Tu es couchée ! — Diable, il fait froid ce soir ! — Tu ne dis rien, mon ange ! — Tu es déjà roulée dans ton lit !… — Sournoise ! tu fais semblant de dormir !… Ces discours sont entrecoupés de bâillements ; et, après une infinité de petits événements qui, selon les habitudes de chaque ménage, doivent diversifier cette préface de la nuit, voilà mon homme qui fait rendre un son grave à son lit en s’y plongeant. Mais voici venir sur la toile fantastique que nous trouvons comme tendue devant nous, en fermant les yeux, voici venir les images séduisantes de quelques jolis minois, de quelques jambes élégantes ; voici les amoureux contours qu’il a vus pendant le jour. Il est assassiné par d’impétueux désirs… Il tourne les yeux vers sa femme. Il aperçoit un charmant visage encadré par les broderies les plus délicates ; tout endormi qu’il puisse être, le feu de son regard semble brûler les ruches de dentelle qui cachent imparfaitement les yeux ; enfin des formes célestes sont accusées par les plis révélateurs du couvre-pied… — Ma Minette ?… — Mais je dors, mon ami.. Comment débarquer dans cette Laponie ? Je vous fais jeune, beau, plein d’esprit, séduisant. Comment franchirez-vous le détroit qui sépare le Groënland de l’Italie ? L’espace qui se trouve entre le paradis et l’enfer n’est pas plus immense que la ligne qui empêche vos deux lits de n’en faire qu’un seul ; car votre femme est froide, et vous êtes livré à toute l’ardeur d’un désir. N’y eût-il que l’action technique d’enjamber d’un lit à un autre, ce mouvement place un mari coiffé d’un madras dans la situation la plus disgracieuse du monde. Le danger, le peu de temps, l’occasion, tout, entre amants, embellit les malheurs de ces situations, car l’amour a un manteau de pourpre et d’or qu’il jette sur tout, même sur les fumants décombres d’une ville prise d’assaut ; tandis que, pour ne pas apercevoir des décombres sur les plus riants tapis, sous les plis les plus séduisants de la soie, l’hymen a besoin des prestiges de l’amour. Ne fussiez-vous qu’une seconde a entrer dans les possessions de votre femme, le DEVOIR, cette divinité du mariage, a le temps de lui apparaître dans toute sa laideur.
Ah ! devant une femme froide, combien un homme ne doit-il pas paraître insensé quand le désir le rend successivement colère et tendre, insolent et suppliant, mordant comme une épigramme et doux comme un madrigal ; quand il joue enfin, plus ou moins spirituellement la scène où, dans Venise sauvée, le génie d’Otway [Orway] nous a représenté le sénateur Antonio répétant cent fois aux pieds d’Aquilina : Aquilina, Quilina, Lina, Lina, Nacki, Aqui, Nacki ! sans obtenir autre chose que des coups de fouet quand il s’avise de faire le chien. Aux yeux de toute femme, même de sa femme légitime, plus un homme est passionné dans cette circonstance, plus on le trouve bouffon. Il est odieux quand il ordonne, il est minotaurisé s’il abuse de sa puissance. Ici, souvenez-vous de quelques aphorismes du Catéchisme Conjugal, et vous verrez que vous en violez les préceptes les plus sacrés. Qu’une femme cède ou ne cède pas, les deux lits jumeaux mettent dans le mariage quelque chose de si brusque, de si clair, que la femme la plus chaste et le mari le plus spirituel arrivent à l’impudeur.
Cette scène qui se représente de mille manières et à laquelle mille autres incidents peuvent donner naissance, a pour pendant l’autre situation, moins plaisante, mais plus terrible.
Un soir que je m’entretenais de ces graves matières avec feu M. le comte de Nocé, de qui j’ai déjà eu l’occasion de parler, un grand vieillard à cheveux blancs, son ami intime, et que je ne nommerai pas, parce qu’il vit encore, nous examina d’un air assez mélancolique. Nous devinâmes qu’il allait raconter quelque anecdote scandaleuse, et alors nous le contemplâmes à peu près comme le sténographe du Moniteur doit regarder monter à la tribune un ministre dont l’improvisation lui a été communiquée. Le conteur était un vieux marquis émigré, dont la fortune, la femme et les enfants avaient péri dans les désastres de la révolution. La marquise ayant été une des femmes les plus inconséquentes du temps passé, il ne manquait pas d’observations sur la nature féminine. Arrivé à un âge auquel on ne voit plus les choses que du fond de la fosse, il parlait de lui-même comme s’il eût été question de Marc-Antoine ou de Cléopâtre.
— Mon jeune ami (me fit-il l’honneur de me dire, car c’était moi qui avais clos la discussion), vos réflexions me rappellent une soirée où l’un de mes amis se conduisit de manière à perdre pour toujours l’estime de sa femme. Or dans ce temps-là une femme se vengeait avec une merveilleuse facilité, car il n’y avait pas loin de la coupe à la bouche. Mes époux couchaient précisément dans deux lits séparés, mais réunis sous le ciel d’une même alcôve. Ils rentraient d’un bal très-brillant donné par le comte de Mercy, ambassadeur de l’empereur. Le mari avait perdu une assez forte somme au jeu, de manière qu’il était complétement absorbé par ses réflexions. Il s’agissait de payer six mille écus le lendemain !… et, tu t’en souviens, Nocé ? l’on n’aurait pas quelquefois trouvé cent écus en rassemblant les ressources de dix mousquetaires… La jeune femme, comme cela ne manque jamais d’arriver dans ces cas-là, était d’une gaieté désespérante. — Donnez à monsieur le marquis, dit-elle au valet de chambre, tout ce qu’il faut pour sa toilette. Dans ce temps-là l’on s’habillait pour la nuit. Ces paroles assez extraordinaires ne tirèrent point mon mari de sa léthargie. Alors voilà madame qui, aidée de sa femme de chambre, se met à faire mille coquetteries. Étais-je à votre goût ce soir ?… demanda-t-elle. — Vous me plaisez toujours !… répondit le marquis en continuant de se promener de long en large. — Vous êtes bien sombre !… Parlez-moi donc, beau ténébreux !… dit-elle en se plaçant devant lui, dans le négligé le plus séduisant. Mais vous n’aurez jamais une idée de toutes les sorcelleries de la marquise ; il faudrait l’avoir connue. — Eh ! c’est une femme que tu as vue, Nocé !… dit-il avec un sourire assez railleur. Enfin, malgré sa finesse et sa beauté, toutes ses malices échouèrent devant les six mille écus qui ne sortaient pas de la tête de cet imbécile de mari, et elle se mit au lit toute seule. Mais les femmes ont toujours une bonne provision de ruses ; aussi, au moment où mon homme fit mine de monter dans son lit, la marquise de s’écrier : Oh ! que j’ai froid !… — Et moi aussi ! reprit-il. Mais comment nos gens ne bassinent-ils pas nos lits ?… Et voilà que je sonne…
Le comte de Nocé ne put s’empêcher de rire, et le vieux marquis interdit s’arrêta.
Ne pas deviner les désirs d’une femme, ronfler quand elle veille, être en Sibérie quand elle est sous le tropique, voilà les moindres inconvénients des lits jumeaux. Que ne hasardera pas une femme passionnée quand elle aura reconnu que son mari a le sommeil dur ?…
Je dois à Beyle une anecdote italienne, à laquelle son débit sec et sarcastique prêtait un charme infini quand il me la raconta comme un exemple de hardiesse féminine.
Ludovico a son palais à un bout de la ville de Milan, à l’autre est celui de la comtesse Pernetti. À minuit, au péril de sa vie, Ludovico, résolu à tout braver pour contempler pendant une seconde un visage adoré, s’introduit dans le palais de sa bien-aimée, comme par magie. Il arrive auprès de la chambre nuptiale. Elisa Pernetti, dont le cœur a partagé peut-être le désir de son amant, entend le bruit de ses pas et reconnaît la démarche. Elle voit à travers les murs une figure enflammée d’amour. Elle se lève du lit conjugal. Aussi légère qu’une ombre, elle atteint au seuil de la porte, embrasse d’un regard Ludovico tout entier, lui saisit la main, lui fait signe, l’entraîne : — Mais il te tuera !… dit-il. — Peut-être.
Mais tout cela n’est rien. Accordons à beaucoup de maris un sommeil léger. Accordons-leur de dormir sans ronfler et de toujours deviner sous quel degré de latitude se trouveront leurs femmes ! Bien plus, toutes les raisons que nous avons données pour condamner les lits jumeaux seront, si l’on veut, d’un faible poids. Eh ! bien, une dernière considération doit faire proscrire l’usage des lits réunis dans l’enceinte d’une même alcôve.
Dans la situation où se trouve un mari, nous avons considéré le lit nuptial comme un moyen de défense. C’est au lit seulement qu’il peut savoir chaque nuit si l’amour de sa femme croît ou décroît. Là est le baromètre conjugal. Or, coucher dans deux lits jumeaux, c’est vouloir tout ignorer. Vous apprendrez, quand il s’agira de la guerre civile (voir la Troisième Partie), de quelle incroyable utilité est un lit, et combien de secrets une femme y révèle involontairement.
Ainsi ne vous laissez jamais séduire par la fausse bonhomie des lits jumeaux.
C’est l’invention la plus sotte, la plus perfide et la plus dangereuse qui soit au monde. Honte et anathème à qui l’imagina !
Mais autant cette méthode est pernicieuse aux jeunes époux, autant elle est salutaire et convenable pour ceux qui atteignent à la vingtième année de leur mariage. Le mari et la femme font alors bien plus commodément les duos que nécessitent leurs catarrhes respectifs. Ce sera quelquefois à la plainte que leur arrachent, soit un rhumatisme, soit une goutte opiniâtre, ou même à la demande d’une prise de tabac, qu’ils pourront devoir les laborieux bienfaits d’une nuit animée par un reflet de leurs premières amours, si toutefois la toux n’est pas inexorable.
Nous n’avons pas jugé à propos de mentionner les exceptions qui, parfois, autorisent un mari à user des deux lits jumeaux. C’est des calamités à subir. Cependant l’opinion de Bonaparte était qu’une fois qu’il y avait eu échange d’âme et de transpiration (telles sont ses paroles), rien, pas même la maladie, ne devait séparer les époux. Cette matière est trop délicate pour qu’il soit possible de la soumettre à des principes.
Quelques têtes étroites pourront objecter aussi qu’il existe plusieurs familles patriarcales dont la jurisprudence érotique est inébranlable sur l’article des alcôves à deux lits, et qu’on y est heureux de père en fils. Mais, pour toute réponse, l’auteur déclare qu’il connaît beaucoup de gens très-respectables qui passent leur vie à aller voir jouer au billard.
Ce mode de coucher doit donc être désormais jugé pour tous les bons esprits, et nous allons passer à là seconde manière dont s’organise une couche nuptiale.
§ II. — DES CHAMBRES SÉPARÉES.
Il n’existe pas en Europe cent maris par nation qui possèdent assez bien la science du mariage, ou de la vie, si l’on veut, pour pouvoir habiter un appartement séparé de celui de leurs femmes.
Savoir mettre en pratique ce système !… c’est le dernier degré de la puissance intellectuelle et virile.
Deux époux qui habitent séparés ont, ou divorcé, ou su trouver le bonheur. Ils s’exècrent ou ils s’adorent.
Nous n’entreprendrons pas de déduire ici les admirables préceptes de cette théorie, dont le but est de rendre la constance et la fidélité une chose facile et délicieuse. Cette réserve est respect, et non pas impuissance en l’auteur. Il lui suffit d’avoir proclamé que, par ce système seul, deux époux peuvent réaliser les rêves de tant de belles âmes : il sera compris de tous les fidèles.
Quant aux profanes !.. il aura bientôt fait justice de leurs interrogations curieuses, en leur disant que le but de cette institution est de donner le bonheur à une seule femme. Quel est celui d’entre eux qui voudrait priver la société de tous les talents dont il se croit doué, au profit de qui ?… d’une femme !… Cependant rendre sa compagne heureuse est le plus beau titre de gloire à produire à la vallée de Josaphat, puisque, selon la Genèse, Ève n’a pas été satisfaite du paradis terrestre. Elle y a voulu goûter le fruit détendu, éternel emblème de l’adultère.
Mais il existe une raison péremptoire qui nous interdit de développer cette brillante théorie. Elle serait un hors-d’œuvre en cet ouvrage. Dans la situation où nous avons supposé que se trouvait un ménage, l’homme assez imprudent pour coucher loin de sa femme ne mériterait même pas de pitié pour un malheur qu’il aurait appelé.
Résumons-nous donc.
Tous les hommes ne sont pas assez puissants pour entreprendre d’habiter un appartement séparé de celui de leurs femmes ; tandis que tous les hommes peuvent se tirer tant bien que mal des difficultés qui existent à ne faire qu’un seul lit.
Nous allons donc nous occuper de résoudre les difficultés que des esprits superficiels pourraient apercevoir dans ce dernier mode, pour lequel notre prédilection est visible.
Mais que ce paragraphe, en quelque sorte muet, abandonné par nous aux commentaires de plus d’un ménage, serve de piédestal à la figure imposante de Lycurgue, celui des législateurs antiques à qui les Grecs durent les pensées les plus profondes sur le mariage. Puisse son système être compris par les générations futures ! Et si les mœurs modernes comportent trop de mollesse pour l’adopter tout entier, que du moins elles s’imprègnent du robuste esprit de cette admirable législation.
§ III. — D’UN SEUL ET MÊME LIT.
Par une nuit du mois de décembre, le grand Frédéric, ayant contemplé le ciel dont toutes les étoiles distillaient cette lumière vive et pure qui annonce un grand froid, s’écria : « Voilà un temps qui vaudra bien des soldats à la Prusse !… »
Le roi exprimait là, dans une seule phrase, l’inconvénient principal que présente la cohabitation constante des époux. Permis à Napoléon et à Frédéric d’estimer plus ou moins une femme suivant le nombre de ses enfants ; mais un mari de talent doit, d’après les maximes de la Méditation XIIIe, ne considérer la fabrication d’un enfant que comme un moyen de défense, et c’est à lui de savoir s’il est nécessaire de le prodiguer.
Cette observation mène à des mystères auxquels la Muse physiologique doit se refuser. Elle a bien consenti à entrer dans les chambres nuptiales quand elles sont inhabitées ; mais, vierge et prude, elle rougit à l’aspect des jeux de l’amour.
Puisque c’est à cet endroit du livre que la Muse s’avise de porter de blanches mains à ses yeux pour ne plus rien voir, comme une jeune fille, à travers les interstices ménagés entre ses doigts effilés, elle profitera de cet accès de pudeur pour faire une réprimande à nos mœurs.
En Angleterre, la chambre nuptiale est un lieu sacré. Les deux époux seuls ont le privilége d’y entrer, et même plus d’une lady fait, dit-on, son lit elle-même. De toutes les manies d’outre-mer pourquoi la seule que nous ayons dédaignée est-elle précisément celle dont la grâce et le mystère auraient dû plaire à toutes les âmes tendres du continent ? Les femmes délicates condamnent l’impudeur avec laquelle on introduit en France les étrangers dans le sanctuaire du mariage. Pour nous, qui avons énergiquement anathématisé les femmes qui promènent leur grossesse avec emphase, notre opinion n’est pas douteuse. Si nous voulons que le célibat respecte le mariage, il faut aussi que les gens mariés aient des égards pour l’inflammabilité des garçons.
Coucher toutes les nuits avec sa femme peut paraître, il faut l’avouer, l’acte de la fatuité la plus insolente.
Bien des maris vont se demander comment un homme qui a la prétention de perfectionner le mariage ose prescrire à un époux un régime qui serait la perte d’un amant.
Cependant telle est la décision du docteur ès arts et sciences conjugales.
D’abord, à moins de prendre la résolution de ne jamais coucher chez soi, ce parti est le seul qui reste à un mari, puisque nous avons démontré les dangers des deux systèmes précédents. Nous devons donc essayer de prouver que cette dernière manière de se coucher offre plus d’avantages et moins d’inconvénients que les deux premières, relativement à la crise dans laquelle se trouve un ménage.
Nos observations sur les lits jumeaux ont dû apprendre aux maris qu’ils sont en quelque sorte obligés d’être toujours montés au degré de chaleur qui régit l’harmonieuse organisation de leurs femmes : or il nous semble que cette parfaite réalité de sensations doit s’établir assez naturellement sous la blanche égide qui les couvre de son lin protecteur ; et c’est déjà un immense avantage.
En effet, rien n’est plus facile que de vérifier à toute heure le degré d’amour et d’expansion auquel une femme arrive quand le même oreiller reçoit les têtes des deux époux.
L’homme (nous parlons ici de l’espèce) marche avec un bordereau toujours fait, qui accuse net et sans erreur la somme de sensualité dont il est porteur. Ce mystérieux gynomètre est tracé dans le creux de la main. La main est effectivement celui de nos organes qui traduit le plus immédiatement nos affections sensuelles. La chirologie est un cinquième ouvrage que je lègue à mes successeurs, car je me contenterai de n’en faire apercevoir ici que les éléments utiles à mon sujet.
La main est l’instrument essentiel du toucher. Or le toucher est le sens qui remplace le moins imparfaitement tous les autres, par lesquels il n’est jamais suppléé. La main ayant seule exécuté tout ce que l’homme a conçu jusqu’ici, elle est en quelque sorte l’action même. La somme entière de notre force passe par elle, et il est à remarquer que les hommes à puissante intelligence ont presque tous eu de belles mains, dont la perfection est le caractère distinctif d’une haute destinée. Jésus-Christ a fait tous ses miracles par l’imposition des mains. La main transsude la vie, et partout où elle se pose, elle laisse des traces d’un pouvoir magique ; aussi est-elle de moitié dans tous les plaisirs de l’amour. Elle accuse au médecin tous les mystères de notre organisme. Elle exhale, plus qu’une autre partie du corps, les fluides nerveux ou la substance inconnue qu’il faut appeler volonté à défaut d’autre terme. L’œil peut peindre l’état de notre âme ; mais la main trahit tout à la fois les secrets du corps et ceux de la pensée. Nous acquérons la faculté d’imposer silence à nos yeux, à nos lèvres, à nos sourcils et au front ; mais la main ne dissimule pas, et rien dans nos traits ne saurait se comparer pour la richesse de l’expression. Le froid et le chaud dont elle est passible ont de si imperceptibles nuances, qu’elles échappent aux sens des gens irréfléchis ; mais un homme sait les distinguer, pour peu qu’il se soit adonné à l’anatomie des sentiments et des choses de la vie humaine. Ainsi la main a mille manières d’être sèche, humide, brûlante, glacée, douce, rêche, onctueuse. Elle palpite, elle se lubrifie, s’endurcit, s’amollit. Enfin, elle offre un phénomène inexplicable qu’on est tenté de nommer l’incarnation de la pensée. Elle fait le désespoir du sculpteur et du peintre quand ils veulent exprimer le changeant dédale de ses mystérieux linéaments. Tendre la main à un homme, c’est le sauver. Elle sert de gage à tous nos sentiments. De tout temps les sorcières ont voulu lire nos destinées futures dans ses lignes qui n’ont rien de fantastique et qui correspondent aux principes de la vie et du caractère. En accusant un homme de manquer de tact, une femme le condamne sans retour. On dit enfin la main de la justice, la main de Dieu ; puis, un coup de main quand on veut exprimer une entreprise hardie.
Apprendre à connaître les sentiments par les variations atmosphériques de la main que, presque toujours, une femme abandonne sans défiance, est une étude moins ingrate et plus sûre que celle de la physionomie.
Ainsi vous pouvez, en acquérant cette science, vous armer d’un grand pouvoir, et vous aurez un fil qui vous guidera dans le labyrinthe des cœurs les plus impénétrables. Voilà votre cohabitation acquittée de bien des fautes, et riche de bien des trésors.
Maintenant, croyez-vous de bonne foi que vous êtes obligé d’être un Hercule, parce que vous couchez tous les soirs avec votre femme ?.. Niaiserie ! Dans la situation où il se trouve, un mari adroit possède bien plus de ressources pour se tirer d’affaire que madame de Maintenon n’en avait quand elle était obligée de remplacer un plat par la narration d’une histoire !
Buffon et quelques physiologistes prétendent que nos organes sont beaucoup plus fatigués par le désir que par les jouissances les plus vives. En effet, le désir ne constitue-t-il pas une sorte de possession intuitive ? N’est-il pas à l’action visible ce que les accidents de la vie intellectuelle dont nous jouissons pendant le sommeil sont aux événements de notre vie matérielle ? Cette énergique appréhension des choses ne nécessite-t-elle pas un mouvement intérieur plus puissant que ne l’est celui du fait extérieur ? Si nos gestes ne sont que la manifestation d’actes accomplis déjà par notre pensée, jugez combien des désirs souvent répétés doivent consommer de fluides vitaux ? Mais les passions, qui ne sont que des masses de désirs, ne sillonnent-elles pas de leurs foudres les figures des ambitieux, des joueurs, et n’en usent-elles pas les corps avec une merveilleuse promptitude ?
Alors ces observations doivent contenir les germes d’un mystérieux système, également protégé par Platon et par Épicure ; nous l’abandonnons à vos méditations, couvert du voile des statues égyptiennes.
Mais la plus grande erreur que puissent commettre les hommes est de croire que l’amour ne réside que dans ces moments fugitifs qui, selon la magnifique expression de Bossuet, ressemblent, dans notre vie, à des clous semés sur une muraille : ils paraissent nombreux à l’œil ; mais qu’on les rassemble, ils tiendront dans la main.
L’amour se passe presque toujours en conversations. Il n’y a qu’une seule chose d’inépuisable chez un amant, c’est la bonté, la grâce et la délicatesse. Tout sentir, tout deviner, tout prévenir ; faire des reproches sans affliger la tendresse ; désarmer un présent de tout orgueil ; doubler le prix d’un procédé par des formes ingénieuses ; mettre la flatterie dans les actions et non en paroles ; se faire entendre plutôt que de saisir vivement ; toucher sans frapper ; mettre de la caresse dans les regards et jusque dans le son de la voix ; ne jamais embarrasser ; amuser sans offenser le goût ; toujours chatouiller le cœur ; parler à l’âme… Voilà tout ce que les femmes demandent, elles abandonneront les bénéfices de toutes les nuits de Messaline pour vivre avec un être qui leur prodiguera ces caresses d’âme dont elles sont si friandes, et qui ne coûtent rien aux hommes, si ce n’est un peu d’attention.
Ces lignes renferment la plus grande partie des secrets du lit nuptial. Il y a peut-être des plaisants qui prendront cette longue définition de la politesse pour celle de l’amour, tandis que ce n’est, à tout prendre, que la recommandation de traiter votre femme comme vous traiteriez le ministre de qui dépend la place que vous convoitez.
J’entends des milliers de voix crier que cet ouvrage plaide plus souvent la cause des femmes que celle des maris ;
Que la plupart des femmes sont indignes de ces soins délicats, et qu’elles en abuseraient ;
Qu’il y a des femmes portées au libertinage, lesquelles ne s’accommoderaient pas beaucoup de ce qu’elles appelleraient des mystifications ;
Qu’elles sont tout vanité et ne pensent qu’aux chiffons ;
Qu’elles ont des entêtements vraiment inexplicables ;
Qu’elles se fâcheraient quelquefois d’une attention ;
Qu’elles sont sottes, ne comprennent rien, ne valent rien, etc.
En réponse à toutes ces clameurs nous inscrirons ici cette phrase, qui, mise entre deux lignes blanches, aura peut-être l’air d’une pensée, pour nous servir d’une expression de Beaumarchais.
LXIV.
La femme est pour son mari ce que son mari l’a faite.
Avoir un truchement fidèle qui traduise avec une vérité profonde les sentiments d’une femme, la rendre l’espion d’elle même, se tenir à la hauteur de sa température en amour, ne pas la quitter, pouvoir écouter son sommeil, éviter tous les contre-sens qui perdent tant de mariages, sont les raisons qui doivent faire triompher le lit unique sur les deux autres modes d’organiser la couche nuptiale.
Comme il n’existe pas de bienfait sans charge, vous êtes tenu de savoir dormir avec élégance, de conserver de la dignité sous le madras, d’être poli, d’avoir le sommeil léger, de ne pas trop tousser, et d’imiter les auteurs modernes, qui font plus de préfaces que de livres.
MÉDITATION XVIII. DES RÉVOLUTIONS CONJUGALES.
Il arrive toujours un moment où les peuples et les femmes, même les plus stupides, s’aperçoivent qu’on abuse de leur innocence. La politique la plus habile peut bien tromper long-temps, mais les hommes seraient trop heureux si elle pouvait tromper toujours, il y aurait bien du sang d’épargné chez les peuples et dans les ménages.
Cependant espérons que les moyens de défense, consignés dans les Méditations précédentes, suffiront à une certaine quantité de maris pour se tirer des pattes du Minotaure !
Oh ! accordez au docteur que plus d’un amour, sourdement conspiré, périra sous les coups de l’Hygiène, ou s’amortira grâce à la Politique Maritale. Oui (erreur consolante !), plus d’un amant sera chassé par les Moyens Personnels, plus d’un mari saura couvrir d’un voile impénétrable les ressorts de son machiavélisme, et plus d’un homme réussira mieux que l’ancien philosophe qui s’écria : — « Nolo coronari ! »
Mais, nous sommes malheureusement forcés de reconnaître une triste vérité. Le despotisme a sa sécurité, elle est semblable à cette heure qui précède les orages et dont le silence permet au voyageur, couché sur l’herbe jaunie, d’entendre à un mille de distance le chant d’une cigale. Un matin donc, une femme honnête, et la plus grande partie des nôtres l’imitera, découvre d’un œil d’aigle les savantes manœuvres qui l’ont rendue la victime d’une politique infernale. Elle est d’abord toute furieuse d’avoir eu si long-temps de la vertu. À quel âge, à quel jour se fera cette terrible révolution ?… Cette question de chronologie dépend entièrement du génie de chaque mari ; car tous ne sont pas appelés à mettre en œuvre avec le même talent les préceptes de notre évangile conjugal.
— Il faut aimer bien peu, s’écriera l’épouse mystifiée, pour se livrer à de semblables calculs !… Quoi ! depuis le premier jour, il m’a toujours soupçonnée !… C’est monstrueux, une femme ne serait pas capable d’un art si cruellement perfide !
Voilà le thème. Chaque mari peut deviner les variations qu’y apportera le caractère de la jeune Euménide dont il aura fait sa compagne.
Une femme ne s’emporte pas alors. Elle se tait et dissimule. Sa vengeance sera mystérieuse. Seulement, vous n’aviez que ses hésitations à combattre depuis la crise où nous avons supposé que vous arriviez à l’expiration de la Lune de Miel ; tandis que maintenant vous aurez à lutter contre une résolution. Elle a décidé de se venger. Dès ce jour, pour vous, son masque est de bronze comme son cœur. Vous lui étiez indifférent, vous allez lui devenir insensiblement insupportable. La guerre civile ne commencera qu’au moment où, semblable à la goutte d’eau qui fait déborder un verre plein, un événement, dont le plus ou le moins de gravité nous semble difficile à déterminer, vous aura rendu odieux. Le laps de temps qui doit s’écouler entre cette heure dernière, terme fatal de votre bonne intelligence, et le jour où votre femme s’est aperçue de vos menées, est cependant assez considérable pour vous permettre d’exécuter une série de moyens de défense que nous allons développer.
Jusqu’ici vous n’avez protégé votre honneur que par les jeux d’une puissance entièrement occulte. Désormais les rouages de vos machines conjugales seront à jour. Là où vous préveniez naguère le crime, maintenant il faudra frapper. Vous avez débuté par négocier, et vous finissez par monter à cheval, sabre en main, comme un gendarme de Paris. Vous ferez caracoler votre coursier, vous brandirez votre sabre, vous crierez à tue-tête et vous tâcherez de dissiper l’émeute sans blesser personne.
De même que l’auteur a dû trouver une transition pour passer des moyens occultes aux moyens patents, de même il est nécessaire à un mari de justifier le changement assez brusque de sa politique ; car en mariage comme en littérature l’art est tout entier dans la grâce des transitions. Pour vous, celle-ci est de la plus haute importance. Dans quelle affreuse position ne vous placeriez-vous pas, si votre femme avait à se plaindre de votre conduite en ce moment le plus critique peut-être de la vie conjugale ?…
Il faut donc trouver un moyen de justifier la tyrannie secrète de votre première politique ; un moyen qui prépare l’esprit de votre femme à l’acerbité des mesures que vous allez prendre ; un moyen qui, loin de vous faire perdre son estime, vous la concilie ; un moyen qui vous rende digne de pardon, qui vous restitue même quelque peu de ce charme par lequel vous la séduisiez avant votre mariage…
Mais à quelle politique demander cette ressource ?… Existerait-elle ?…
— Oui.
Mais quelle adresse, quel tact, quel art de la scène, un mari ne doit-il pas posséder pour déployer les richesses mimiques du trésor que nous allons lui ouvrir ! Pour jouer la passion dont le feu va vous renouveler, il faut toute la profondeur de Talma !…
Cette passion est la JALOUSIE.
— Mon mari est jaloux. Il l’était dès le commencement de mon mariage… Il me cachait ce sentiment par un raffinement de délicatesse. Il m’aime donc encore ?… Je vais pouvoir le mener !…
Voilà les découvertes qu’une femme doit faire successivement, d’après les adorables scènes de la comédie que vous vous amuserez à jouer, et il faudrait qu’un homme du monde fût bien sot, pour ne pas réussir à faire croire à une femme ce qui la flatte.
Avec quelle perfection d’hypocrisie ne devez-vous pas coordonner les actes de votre conduite de manière à éveiller la curiosité de votre femme, à l’occuper d’une étude nouvelle, à la promener dans le labyrinthe de vos pensées !…
Acteurs sublimes, devinez-vous les réticences diplomatiques, les gestes rusés, les paroles mystérieuses, les regards à doubles flammes qui amèneront un soir votre femme à essayer de vous arracher le secret de votre passion ?
Oh ! rire dans sa barbe en faisant des yeux de tigre ; ne pas mentir et ne pas dire la vérité ; se saisir de l’esprit capricieux d’une femme, et lui laisser croire qu’elle vous tient quand vous allez la serrer dans un collier de fer !… Oh ! comédie sans public, jouée de cœur à cœur, et où vous vous applaudissez tous deux d’un succès certain !…
C’est elle qui vous apprendra que vous êtes jaloux ; qui vous démontrera qu’elle vous connaît mieux que vous ne vous connaissez vous-même ; qui vous prouvera l’inutilité de vos ruses, qui vous défiera peut-être. Elle triomphe avec ivresse de la supériorité qu’elle croit avoir sur vous ; vous vous ennoblissez à ses yeux ; car elle trouve votre conduite toute naturelle. Seulement votre défiance était inutile : si elle voulait vous trahir, qui l’en empêcherait ?…
Puis un soir la passion vous emportera, et, trouvant un prétexte dans une bagatelle, vous ferez une scène, pendant laquelle votre colère vous arrachera le secret des extrémités auxquelles vous arriverez. Voilà la promulgation de notre nouveau code.
Ne craignez pas qu’une femme se fâche, elle a besoin de votre jalousie. Elle appellera même vos rigueurs. D’abord parce qu’elle y cherchera la justification de sa conduite ; puis elle trouvera d’immenses bénéfices à jouer dans le monde le rôle d’une victime : n’aura-t-elle pas de délicieuses commisérations à recueillir ? Ensuite elle s’en fera une arme contre vous-même, espérant s’en servir pour vous attirer dans un piége.
Elle y voit distinctement mille plaisirs de plus dans l’avenir de ses trahisons, et son imagination sourit à toutes les barrières dont vous l’entourez : ne faudra-t-il pas les sauter ?
La femme possède mieux que nous l’art d’analyser les deux sentiments humains dont elle s’arme contre nous ou dont elle est victime. Elles ont l’instinct de l’amour, parce qu’il est toute leur vie, et de la jalousie parce que c’est à peu près le seul moyen qu’elles aient de nous gouverner. Chez elle la jalousie est un sentiment vrai, il est produit par l’instinct de la conservation ; il renferme l’alternative de vivre ou mourir. Mais, chez l’homme, cette affection presque indéfinissable est toujours un contre-sens quand il ne s’en sert pas comme d’un moyen.
Avoir de la jalousie pour une femme dont on est aimé constitue de singuliers vices de raisonnement. Nous sommes aimés ou nous ne le sommes pas : placée à ces deux extrêmes, la jalousie est un sentiment inutile en l’homme ; elle ne s’explique peut-être pas plus que la peur, et peut-être la jalousie est-elle la peur en amour. Mais ce n’est pas douter de sa femme, c’est douter de soi-même.
Être jaloux, c’est tout à la fois le comble de l’égoïsme, l’amour-propre en défaut, et l’irritation d’une fausse vanité. Les femmes entretiennent avec un soin merveilleux ce sentiment ridicule, parce qu’elles lui doivent des cachemires, l’argent de leur toilette, des diamants, et que, pour elles, c’est le thermomètre de leur puissance. Aussi, si vous ne paraissiez pas aveuglé par la jalousie, votre femme se tiendrait-elle sur ses gardes ; car il n’existe qu’un seul piége dont elle ne se défiera pas, c’est celui qu’elle se tendra elle-même.
Ainsi une femme doit devenir facilement la dupe d’un mari assez habile pour donner à l’inévitable révolution qui se fait tôt ou tard en elle la savante direction que nous venons d’indiquer.
Vous transporterez alors dans votre ménage ce singulier phénomène dont l’existence nous est démontrée dans les asymptotes par la géométrie. Votre femme tendra toujours à vous minautoriser sans y parvenir. Semblable à ces nœuds qui ne se serrent jamais si fortement que quand on les dénoue, elle travaillera dans l’intérêt de votre pouvoir, en croyant travailler à son indépendance.
Le dernier degré du bien-jouer chez un prince est de persuader à son peuple qu’il se bat pour lui quand il le fait tuer pour son trône.
Mais bien des maris trouveront une difficulté primitive à l’exécution de ce plan de campagne. Si la dissimulation de la femme est profonde, à quels signes reconnaître le moment où elle apercevra les ressorts de votre longue mystification ?
D’abord la Méditation de la Douane et la Théorie du lit ont déjà développé plusieurs moyens de deviner la pensée féminine ; mais nous n’avons pas la prétention d’épuiser dans ce livre toutes les ressources de l’esprit humain qui sont immenses. En voici une preuve. Le jour des Saturnales, les Romains découvraient plus de choses sur le compte de leurs esclaves en dix minutes qu’ils n’en pouvaient apprendre pendant le reste de l’année ! Il faut savoir créer des Saturnales dans votre ménage, et imiter Gessler qui, après avoir vu Guillaume Tell abattant la pomme sur la tête de son enfant, a dû se dire :
— Voilà un homme de qui je dois me défaire, car il ne me manquerait pas s’il voulait me tuer.
Vous comprenez que si votre femme veut boire du vin de Roussillon, manger des filets de mouton, sortir à toute heure, et lire l’Encyclopédie, vous l’y engagerez de la manière la plus pressante. D’abord elle entrera en défiance contre ses propres désirs en vous voyant agir en sens inverse de tous vos systèmes précédents. Elle supposera un intérêt imaginaire à ce revirement de politique, et alors tout ce que vous lui donnerez de liberté l’inquiétera de manière à l’empêcher d’en jouir. Quant aux malheurs que pourrait amener ce changement, l’avenir y pourvoira. En révolution, le premier de tous les principes est de diriger le mal qu’on ne saurait empêcher, et d’appeler la foudre par des paratonnerres, pour la conduire dans un puits.
Enfin le dernier acte de la comédie se prépare.
L’amant qui, depuis le jour où le plus faible de tous les premiers symptômes s’est déclaré chez votre femme jusqu’au moment où la révolution conjugale s’opère, a voltigé, soit comme figure matérielle, soit comme être de raison, l’amant, appelé d’un signe par elle, a dit : — Me voilà.
MÉDITATION XIX. DE L’AMANT.
Nous offrons les maximes suivantes à vos méditations.
Il faudrait désespérer de la race humaine si elles n’avaient été faites qu’en 1830 ; mais elles établissent d’une manière si catégorique les rapports et les dissemblances qui existent entre vous, votre femme et un amant ; elles doivent éclairer si brillamment votre politique, et vous accuser si juste les forces de l’ennemi, que le magister a fait toute abnégation d’amour-propre ; et si, par hasard, il s’y trouvait une seule pensée neuve, mettez-la sur le compte du diable qui conseilla l’ouvrage.
LXV.
Parler d’amour, c’est faire l’amour.
LXVI.
Chez un amant, le désir le plus vulgaire se produit toujours comme l’élan d’une admiration c onsciencieuse.
LXVII.
Un amant a toutes les qualités et tous les défauts qu’un mari n’a pas.
LXVIII.
Un amant ne donne pas seulement la vie à tout, il fait aussi oublier la vie : le mari ne donne la vie à rien.
LXIX.
Toutes les singeries de sensibilité qu’une femme fait abusent toujours un amant ; et, là où un mari hausse nécessairement les épaules, un amant est en extase.
LXX.
Un amant ne trahit que par ses manières le degré d’intimité auquel il est arrivé avec une femme mariée.
LXXI.
Une femme ne sait pas toujours pourquoi elle aime. Il est rare qu’un homme n’ait pas un intérêt à aimer. Un mari doit trouver cette secrète raison d’égoïsme, car elle sera pour lui le levier d’Archimède.
LXXII.
Un mari de talent ne suppose jamais ouvertement que sa femme a un amant.
LXXIII.
Un amant obéit à tous les caprices d’une femme ; et, comme un homme n’est jamais vil dans les bras de sa maîtresse, il emploiera pour lui plaire des moyens qui souvent répugnent à un mari.
LXXIV.
Un amant apprend à une femme tout ce qu’un mari lui a caché.
LXXV.
Toutes les sensations qu’une femme apporte à son amant, elle les échange ; elles lui reviennent toujours plus fortes ; elles sont aussi riches de ce qu’elles ont donné que de ce qu’e lles ont reçu. C’est un commerce où presque tous les maris finissent par faire banqueroute.
LXXVI.
Un amant ne parle à une femme que de ce qui peut la grandir ; tandis qu’un mari, même en aimant, ne peut se défendre de donner des conseils, qui ont toujours un air de blâme.
LXXVII.
Un amant procède toujours de sa maîtresse à lui, c’est le contraire chez les maris.
LXXVIII.
Un amant a toujours le désir de paraître aimable. Il y a dans ce sentiment un principe d’exagération qui mène au ridicule, il faut en savoir profiter.
LXXIX.
Quand un crime est commis, le juge d’instruction sait (sauf le cas d’un forçat libéré qui assassine au bagne) qu’il n’existe pas plus de cinq personnes auxquelles il puisse attribuer le coup. Il part de là pour établir ses conjectures. Un mari doit raisonner comme le juge : il n’a pas trois personnes à soupçonner dans la société quand il veut chercher quel est l’amant de sa femme.
LXXX.
Un amant n’a jamais tort.
LXXXI.
L’amant d’une femme mariée vient lui dire : — Madame, vous avez besoin de repos. Vous avez à donner l’exemple de la vertu à vos enfants. Vous avez juré de faire le bonheur d’un mari, qui, à quelques défauts près (et j’en ai plus que lui), mérite votre estime. Eh ! bien, il faut me sacrifier votre famille et votre vie, parce que j’ai vu que vous aviez une jolie jambe. Qu’il ne vous échappe même pas un murmure ; car un regret est une offense que je punirais d’une peine plus sévère que celle de la loi contre les épouses adultères. Pour prix de ces sacrifices, je vous apporte autant de plaisirs que de peines. Chose incroyable, un amant triomphe !… La forme qu’il donne à son discours fa it tout passer. Il ne dit jamais qu’un mot : — J’aime. Un amant est un héraut qui proclame ou le mérite, ou la beauté, ou l’esprit d’une femme. Que proclame un mari ?
Somme toute, l’amour qu’une femme mariée inspire ou celui qu’elle ressent est le sentiment le moins flatteur qu’il y ait au monde : chez elle, c’est une immense vanité ; chez son amant, c’est égoïsme. L’amant d’une femme mariée contracte trop d’obligations pour qu’il se rencontre trois hommes par siècle qui daignent s’acquitter ; il devrait consacrer toute sa vie à sa maîtresse, qu’il finit toujours par abandonner : l’un et l’autre le savent, et depuis que les sociétés existent, l’une a toujours été aussi sublime que l’autre a été ingrat. Une grande passion excite quelquefois la pitié des juges qui la condamnent, mais où voyez-vous des passions vraies et durables ? Quelle puissance ne faut-il pas à un mari pour lutter avec succès contre un homme dont les prestiges amènent une femme à se soumettre à de tels malheurs !
Nous estimons que, règle générale, un mari peut, en sachant bien employer les moyens de défense que nous avons déjà développés, amener sa femme jusqu’à l’âge de vingt-sept ans, non pas sans qu’elle ait choisi d’amant, mais sans qu’elle ait commis le grand crime. Il se rencontre bien çà et là des hommes qui, doués d’un profond génie conjugal, peuvent conserver leurs femmes pour eux seuls, corps et âme, jusqu’à trente ou trente-cinq ans ; mais ces exceptions causent une sorte de scandale et d’effroi. Ce phénomène n’arrive guère qu’en province, où la vie étant diaphane et les maisons vitrifiées, un homme s’y trouve armé d’un immense pouvoir. Cette miraculeuse assistance donnée à un mari par les hommes et par les choses s’évanouit toujours au milieu d’une ville dont la population monte à deux cent cinquante mille âmes.
Il serait donc à peu près prouvé que l’âge de trente ans est l’âge de la vertu. En ce moment critique, une femme devient d’une garde si difficile que, pour réussir à toujours l’enchaîner dans le paradis conjugal, il faut en venir à l’emploi des derniers moyens de défense qui nous restent, et que vont dévoiler l’Essai sur la Police, l’Art de rentrer chez soi et les Péripéties.
MÉDITATION XX. ESSAI SUR LA POLICE.
La police conjugale se compose de tous les moyens que vous donnent les lois, les mœurs, la force et la ruse pour empêcher votre femme d’accomplir les trois actes qui constituent en quelque sorte la vie de l’amour : s’écrire, se voir, se parler.
La police se combine plus ou moins avec plusieurs des moyens de défense que contiennent les Méditations précédentes. L’instinct seul peut indiquer dans quelles proportions et dans quelles occasions ces divers éléments doivent être employés. Le système entier a quelque chose d’élastique : un mari habile devinera facilement comment il faut le plier, l’étendre, le resserrer. À l’aide de la police un homme peut amener sa femme à quarante ans, pure de toute faute.
Nous diviserons ce traité de police en cinq paragraphes :
§ I. DES SOURICIÈRES.
§ II. DE LA CORRESPONDANCE.
§ III. DES ESPIONS.
§ IV. L’INDEX.
§ V. DU BUDGET.
§ I. — DES SOURICIÈRES.
Malgré la gravité de la crise à laquelle arrive un mari, nous ne supposons pas que l’amant ait complétement acquis droit de bourgeoisie dans la cité conjugale. Souvent bien des maris se doutent que leurs femmes ont un amant, et ne savent sur qui, des cinq ou six élus, dont nous avons parlé, arrêter leurs soupçons. Cette hésitation provient sans doute d’une infirmité morale, au secours de laquelle le professeur doit venir.
Fouché avait dans Paris trois ou quatre maisons où venaient les gens de la plus haute distinction, les maîtresses de ces logis lui étaient dévouées. Ce dévouement coûtait d’assez fortes sommes à l’État. Le ministre nommait ces sociétés dont personne ne se défia, dans le temps, ses souricières. Plus d’une arrestation s’y fit au sortir d’un bal où la plus brillante compagnie de Paris avait été complice de l’oratorien.
L’art de présenter quelques fragments de noix grillée, afin de voir votre femme avancer sa blanche main dans le piége, est très-circonscrit car une femme est bien certainement sur ses gardes ; cependant nous comptons au moins trois genres de souricières : L’IRRÉSISTIBLE, LA FALLACIEUSE et CELLE À DÉTENTE.
DE L’IRRESISTIBLE.
Deux maris étant donnés, et qui seront À, B, sont supposés vouloir découvrir quels sont les amants de leurs femmes. Nous mettrons le mari À au centre d’une table chargée des plus belles pyramides de fruits, de cristaux, de sucreries, de liqueurs, et le mari B sera sur tel point de ce cercle brillant qu’il vous plaira de supposer. Le vin de Champagne a circulé, tous les yeux brillent et toutes les langues sont en mouvement.
MARI À. (Épluchant un marron.) Eh ! bien, moi j’admire les gens de lettres, mais de loin ; je les trouve insupportables, ils ont une conversation despotique ; je ne sais ce qui nous blesse le plus de leurs défauts ou de leurs qualités, car il semble vraiment que la supériorité de l’esprit ne serve qu’à mettre en relief leurs défauts et leurs qualités. Bref !… (Il gobe son marron.) Les gens de génie sont des élixirs, si vous voulez, mais il faut en user sobrement.
FEMME B. (Qui était attentive.) Mais, monsieur À, vous êtes bien difficile ! (Elle sourit malicieusement.) Il me semble que les sots ont tout autant de défauts que les gens de talent, à cette différence près qu’ils ne savent pas se les faire pardonner !…
MARI À. (Piqué.) Vous conviendrez, au moins, madame, qu’ils ne sont guère aimables auprès de vous…
FEMME B. (Vivement) Qui vous l’a dit ?
MARI À. (Souriant.) Ne vous écrasent-ils pas à toute heure de leur supériorité ? La vanité est si puissante dans leurs âmes qu’entre vous et eux il doit y avoir double emploi…
LA MAITRESSE de la maison. (À part à la FEMME À.) Tu l’as bien mérité, ma chère… (La femme À lève les épaules.)
MARI À. (Continuant toujours.) Puis l’habitude qu’ils ont de combiner des idées leur révélant le mécanisme des sentiments, pour eux l’amour purement physique, et l’on sait qu’ils ne brillent pas…
FEMME B. (Se pinçant les lèvres et interrompant.) Il me semble, monsieur, que nous sommes seules juges de ce procès-là. Mais, je conçois que les gens du monde n’aiment pas les gens de lettres !… Allez, il vous est plus facile de les critiquer que de leur ressembler.
MARI À. (Dédaigneusement.) Oh ! madame, les gens du monde peuvent attaquer les auteurs du temps présent sans être taxés d’envie. Il y a tel homme de salon qui, s’il écrivait…
FEMME B. (Avec chaleur.) Malheureusement pour vous, monsieur, quelques-uns de vos amis de la Chambre ont écrit des romans, avez-vous pu les lire ?… Mais vraiment, aujourd’hui, il faut faire des recherches historiques pour la moindre conception, il faut…
MARI B. (Ne répondant plus à sa voisine, et à part.) Oh ! oh ! est-ce que ce serait M. de L. (l’auteur des Rêves d’une jeune fille), que ma femme aimerait… Cela est singulier, je croyais que c’était le docteur M… Voyons… (Haut.) Savez-vous, ma chère, que vous avez raison dans ce que vous dites ? (On rit.) Vraiment, je préférerai toujours avoir dans mon salon des artistes et des gens de lettres (À part : Quand nous recevrons) à y voir des gens d’autres métiers. Au moins les artistes parlent de choses qui sont à la portée de tous les esprits ; car, quelle est la personne qui ne se croit pas du goût ? Mais les juges, les avocats, les médecins surtout… ah ! j’avoue que les entendre toujours parler procès et maladie, les deux genres d’infirmités humaines qui…
FEMME B. (Quittant sa conversation avec sa voisine pour répondre à son mari.) Ah ! les médecins sont insupportables !…
FEMME À. (La voisine du mari B, parlant en même temps.) Mais qu’est-ce que vous dites donc là, mon voisin ?… Vous vous trompez étrangement. Aujourd’hui, personne ne veut avoir l’air d’être ce qu’il est : les médecins, puisque vous citez les médecins, s’efforcent toujours de ne pas s’entretenir de l’art qu’ils professent. Ils parlent politique, modes, spectacles ; racontent, font des livres mieux que les auteurs même, et il y a loin d’un médecin d’aujourd’hui à ceux de Molière…
MARI À. (À part.) Ouais ! ma femme aimerait le docteur M… ? voilà qui est particulier. (Haut.) Cela est possible, ma chère, mais je ne donnerais pas mon chien à soigner aux médecins qui écrivent.
FEMME À. (Interrompant son mari.) Cela est injuste ; je connais des gens qui ont cinq à six places, et en qui le gouvernement paraît avoir assez de confiance ; d’ailleurs, il est plaisant, monsieur À., que ce soit vous qui disiez cela, vous qui faites le plus grand cas du docteur M…
MARI À. (À part.) Plus de doute.
LA FALLACIEUSE.
UN MARI. (Rentrant chez lui.) Ma chère, nous sommes invités par madame de Fischtaminel au concert qu’elle donnera mardi prochain. Je comptais y aller pour parler au jeune cousin du ministre qui devait y chanter ; mais il est allé à Frouville, chez sa tante. Que prétends-tu faire ?…
LA FEMME. Mais les concerts m’ennuient à la mort !… Il faut rester clouée sur une chaise des heures entières sans rien dire… Tu sais bien d’ailleurs que nous dînons ce jour-là chez ma mère, et qu’il nous est impossible de manquer à lui souhaiter sa fête.
LE MARI. (Négligemment.) Ah ! c’est vrai.
(Trois jours après.)
LE MARI. (En se couchant.) Tu ne sais pas, mon ange ? Demain, je te laisserai chez ta mère, parce que le comte est revenu de Frouville, et qu’il sera chez madame de Fischtaminel.
LA FEMME. (Vivement.) Mais pourquoi irais-tu donc tout seul ? Voyez un peu, moi qui adore la musique !
LA SOURICIÈRE À DÉTENTE.
LA FEMME. Pourquoi vous en allez-vous donc de si bonne heure ce soir ?…
LE MARI. (Mystérieusement.) Ah ! c’est pour une affaire d’autant plus douloureuse, que je ne vois vraiment pas comment je vais faire pour l’arranger !…
LA FEMME. De quoi s’agit-il donc ? Adolphe, tu es un monstre si tu ne me dis pas ce que tu vas faire…
LE MARI. Ma chère, cet étourdi de Prosper Magnan a un duel avec monsieur de Fontanges à propos d’une fille d’Opéra… Qu’as-tu donc ?…
LA FEMME. Rien… Il fait très-chaud ici. Ensuite, je ne sais pas d’où cela peut venir… mais pendant toute la journée… il m’a monté des feux au visage…
LE MARI. (À part.) Elle aime monsieur de Fontanges ! (Haut.) Célestine ! (Il crie plus fort.) Célestine, accourez donc, madame se trouve mal !…
Vous comprenez qu’un mari d’esprit doit trouver mille manière de tendre ces trois espèces de souricières.
§ II. — DE LA CORRESPONDANCE.
Écrire une lettre et la faire jeter à la poste ; recevoir la réponse, la lire et la brûler ; voilà la correspondance réduite à sa plus simple expression.
Cependant examinez quelles immenses ressources la civilisation, nos mœurs et l’amour ont mises à la disposition des femmes pour soustraire ces actes matériels à la pénétration maritale.
La boîte inexorable qui tend une bouche ouverte à tous venants reçoit sa pâture budgétaire de toutes mains.
Il y a l’invention fatale des bureaux restants.
Un amant trouve dans le monde cent charitables personnes, masculines ou féminines, qui, à charge de revanche, glisseront le doux billet dans la main amoureuse et intelligente de sa belle maîtresse.
La correspondance est un Protée. Il y a des encres sympathiques, et un jeune célibataire nous a confié avoir écrit une lettre sur la garde blanche d’un livre nouveau qui, demandé au libraire par le mari, est arrivé entre les mains de sa maîtresse, prévenue la veille de cette ruse adorable.
La femme amoureuse qui redoutera la jalousie d’un mari écrira, lira des billets-doux pendant le temps consacré à ces mystérieuses occupations pendant lesquelles le mari le plus tyrannique est obligé de la laisser libre.
Enfin les amants ont tous l’art de créer une télégraphie particulière dont les capricieux signaux sont bien difficiles à comprendre. Au bal, une fleur bizarrement placée dans la coiffure ; au spectacle, un mouchoir déplié sur le devant de la loge ; une démangeaison au nez, la couleur particulière d’une ceinture, un chapeau mis ou ôté, une robe portée plutôt que telle autre, une romance chantée dans un concert, ou des notes particulières touchées au piano ; un regard fixé sur un point convenu, tout, depuis l’orgue de Barbarie qui passe sous vos fenêtres et qui s’en va si l’on ouvre une persienne, jusqu’à l’annonce d’un cheval à vendre insérée dans le journal, et même jusqu’à vous, tout sera correspondance.
En effet, combien de fois une femme n’aura-t-elle pas prié malicieusement son mari de lui faire telle commission, d’aller à tel magasin, dans telle maison, en ayant prévenu son amant que votre présence à tel endroit est un oui ou un non.
Ici le professeur avoue à sa honte qu’il n’existe aucun moyen d’empêcher deux amants de correspondre. Mais le machiavélisme marital se relève plus fort de cette impuissance qu’il ne l’a jamais été d’aucun moyen coërcitif.
Une convention qui doit rester sacrée entre les époux est celle par laquelle ils se jurent l’un à l’autre de respecter le cachet de leurs lettres respectives. Celui-là est un mari habile qui consacre ce principe en entrant en ménage, et qui sait y obéir consciencieusement.
En laissant à une femme une liberté illimitée d’écrire et de recevoir des lettres, vous vous ménagez le moyen d’apprendre le moment où elle correspondra avec son amant.
Mais en supposant que votre femme se défiât de vous, et qu’elle couvrît des ombres les plus impénétrables les ressorts employés à vous dérober sa correspondance, n’est-ce pas ici le lieu de déployer cette puissance intellectuelle dont nous vous avons armés dans la Méditation de la Douane ? L’homme qui ne voit pas quand sa femme a écrit à son amant ou quand elle en a reçu une réponse est un mari incomplet.
L’étude profonde que vous devez faire des mouvements, des actions, des gestes, des regards de votre femme, sera peut-être pénible et fatigante, mais elle durera peu ; car il ne s’agit que de découvrir quand votre femme et son amant correspondent et de quelle manière.
Nous ne pouvons pas croire qu’un mari, fût-il d’une médiocre intelligence, ne sache pas deviner cette manœuvre féminine quand il soupçonne qu’elle a lieu.
Maintenant jugez, par une seule aventure, de tous les moyens de police et de répression que vous offre la correspondance.
Un jeune avocat auquel une passion frénétique révéla quelquesuns des principes consacrés dans cette importante partie de notre ouvrage, avait épousé une jeune personne de laquelle il était faiblement aimé (ce qu’il considéra comme un très-grand bonheur) ; et, au bout d’une année de mariage, il s’aperçut que sa chère Anna (elle s’appelait Anna) aimait le premier commis d’un agent de change.
Adolphe était un jeune homme de vingt-cinq ans environ, d’une jolie figure, aimant à s’amuser comme tous les célibataires possibles. Il était économe, propre, avait un cœur excellent, montait bien à cheval, parlait spirituellement, tenait de fort beaux cheveux noirs toujours frisés, et sa mise ne manquait pas d’élégance. Bref, il aurait fait honneur et profit à une duchesse. L’avocat était laid, petit, trapu, carré, chafouin et mari. Anna, belle si grande, avait des yeux fendus en amande, le teint blanc, et les traits délicats. Elle était tout amour, et la passion animait son regard d’une expression magique. Elle appartenait à une famille pauvre, maître Lebrun avait douze mille livres de rente. Tout est expliqué. Un soir, Lebrun rentre chez lui d’un air visiblement abattu. Il passe dans son cabinet pour y travailler ; mais il revient aussitôt chez sa femme en grelottant ; car il a la fièvre, et ne tarde pas à se mettre au lit. Il gémit, déplore ses clients, et surtout une pauvre veuve dont il devait, le lendemain même, sauver la fortune par une transaction. Le rendez-vous était pris avec les gens d’affaires, et il se sentait hors d’état d’y aller. Après avoir sommeillé un quart d’heure, il se réveille, et, d’une voix faible, prie sa femme d’écrire à l’un de ses amis intimes de le remplacer dans la conférence qui a lieu le lendemain. Il dicte une longue lettre, et suit du regard l’espace que prennent ses phrases sur le papier. Quand il fallut commencer le recto du second feuillet, l’avocat était en train de peindre à son confrère la joie que sa cliente aurait si la transaction était signée, et le fatal recto commençait par ces mots :
Mon bon ami, allez, ah ! allez aussitôt chez madame de Vernon ; vous y serez attendu bien impatiemment. Elle demeure rue du Sentier, n. 7. Pardonnez-moi de vous en dire si peu, mais je compte sur votre admirable sens pour deviner ce que je ne puis expliquer.
Tout à vous.
— Donnez-moi la lettre, dit l’avocat, pour que je voie s’il n’y a pas de faute avant de la signer. L’infortunée, dont la prudence avait été endormie par la nature de cette épître hérissée presque tout entière des termes les plus barbares de la langue judiciaire, livre la lettre. Aussitôt que Lebrun possède le fallacieux écrit, il se plaint, se tortille, et réclame je ne sais quel bon office de sa femme. Madame s’absente deux minutes, pendant lesquelles l’avocat saute hors du lit, ploie un papier en forme de lettre, et cache la missive écrite par sa femme. Quand Anna revient, l’habile mari cachète le papier blanc, le fait adresser, par elle, à celui de ses amis auquel la lettre soustraite semblait destinée, et la pauvre créature remet le candide message à un domestique. Lebrun paraît se calmer insensiblement ; il s’endort, ou fait semblant, et le lendemain matin il affecte encore d’avoir de vagues douleurs. Deux jours après, il enlève le premier feuillet de la lettre, met un e au mot tout, dans cette phrase, tout à vous ; il plie mystérieusement le papier innocemment faussaire, le cachète, sort de la chambre conjugale, appelle la soubrette et lui dit : — Madame vous prie de porter cela chez monsieur Adolphe ; courez… Il voit partir la femme de chambre ; et aussitôt après il prétexte une affaire, et s’en va rue du Sentier, à l’adresse indiquée. Il attend paisiblement son rival chez l’ami qui s’était prêté à son dessein. L’amant, ivre de bonheur, accourt, demande madame de Vernon ; il est introduit, et se trouve face à face avec maître Lebrun qui lui montre un visage pâle, mais froid, des yeux tranquilles, mais implacables. — Monsieur, dit-il d’une voix émue au jeune commis dont le cœur palpita de terreur, vous aimez ma femme, vous essayez de lui plaire ; je ne saurais vous en vouloir, puisqu’à votre place et à votre âge j’en eusse fait tout autant. Mais Anna est au désespoir ; vous avez troublé sa félicité, l’enfer est dans son cœur. Aussi m’a-t-elle tout confié. Une querelle facilement apaisée l’avait poussée à vous écrire le billet que vous avez reçu, elle m’a envoyé ici à sa place. Je ne vous dirai pas, monsieur, qu’en persistant dans vos projets de séduction vous feriez le malheur de celle que vous aimez, que vous la priveriez de mon estime, et un jour de la vôtre ; que vous signeriez votre crime jusque dans l’avenir en préparant peut-être des chagrins à mes enfants ; je ne vous parle même pas de l’amertume que vous jetteriez dans ma vie ; — malheureusement, c’est des chansons !… Mais je vous déclare, monsieur, que la moindre démarche de votre part serait le signal d’un crime ; car je ne me fierais pas à un duel pour vous percer le cœur !… Là, les yeux de l’avocat distillèrent la mort. — Eh ! monsieur, reprit-il d’une voix plus douce, vous êtes jeune, vous avez le cœur généreux ; faites un sacrifice au bonheur à venir de celle que vous aimez ? abandonnez-la, ne la revoyez jamais. Et s’il vous faut absolument quelqu’un de la famille, j’ai une jeune tante que personne n’a pu fixer ; elle est charmante, pleine d’esprit et riche, entreprenez sa conversion, et laissez en repos une femme vertueuse. Ce mélange de plaisanterie et de terreur, la fixité du regard et le son de voix profond du mari firent une incroyable impression sur l’amant. Il resta deux minutes interdit, comme les gens trop passionnés auxquels la violence d’un choc enlève toute présence d’esprit. Si Anna eut des amants (pure hypothèse), ce ne fut certes pas Adolphe.
Ce fait peut servir à vous faire comprendre que la correspondance est un poignard à deux tranchants qui profite autant à la défense du mari qu’à l’inconséquence de la femme. Vous favoriserez donc la correspondance, par la même raison que M. le préfet de police fait allumer soigneusement les réverbères de Paris.
§ III. — DES ESPIONS.
S’abaisser jusqu’à mendier des révélations auprès de ses gens, tomber plus bas qu’eux en leur payant une confidence, ce n’est pas un crime ; c’est peut-être une lâcheté, mais c’est assurément une sottise ; car rien ne vous garantit la probité d’un domestique qui trahit sa maîtresse ; et vous ne saurez jamais s’il est dans vos intérêts ou dans ceux de votre femme. Ce point sera donc une chose jugée sans retour.
La nature, cette bonne et tendre parente, a placé près d’une mère de famille les espions les plus sûrs et les plus fins, les plus véridiques et en même temps les plus discrets qu’il y ait au monde. Ils sont muets et ils parlent, ils voient tout et ne paraissent rien voir.
Un jour, un de mes amis me rencontre sur le boulevard ; il m’invite à dîner, et nous allons chez lui. La table était déjà servie, et la maîtresse du logis distribuait à ses deux filles des assiettes pleines d’un fumant potage. — « Voilà de mes premiers symptômes, » me dis je. Nous nous asseyons. Le premier mot du mari, qui n’y entendait pas finesse et qui ne parlait que par désœuvrement, fut de demander : — Est-il venu quelqu’un aujourd’hui ?… — Pas un chat ! lui répond sa femme sans le regarder. Je n’oublierai jamais la vivacité avec laquelle les deux filles levèrent les yeux sur leur mère. L’aînée surtout, âgée de huit ans, eut quelque chose de particulier dans le regard. Il y eut tout à la fois des révélations et du mystère, de la curiosité et du silence, de l’étonnement et de la sécurité. S’il y eut quelque chose de comparable à la vélocité avec laquelle cette flamme candide s’échappa de leurs yeux, ce fut la prudence avec laquelle elles déroulèrent toutes deux, comme des jalousies, les plis gracieux de leurs blanches paupières.
Douces et charmantes créatures qui, depuis l’âge de neuf ans jusqu’à la nubilité, faites souvent le tourment d’une mère, quand même elle n’est pas coquette, est-ce donc par privilége ou par instinct que vos jeunes oreilles entendent le plus faible éclat d’une voix d’homme au travers des murs et des portes, que vos yeux voient tout, que votre jeune esprit s’exerce à tout deviner, même la signification d’un mot dit en l’air, même celle que peut avoir le moindre geste de vos mères ?
Il y a de la reconnaissance et je ne sais quoi d’instinctif dans la prédilection des pères pour leurs filles, et des mères pour leurs garçons.
Mais l’art d’instituer des espions en quelque sorte matériels est un enfantillage, et rien n’est plus facile que de trouver mieux que ce bedeau qui s’avisa de placer des coquilles d’œuf dans son lit, et qui n’obtint d’autre compliment de condoléance de la part de son compère stupéfait que : « Tu ne les aurais pas si bien pilés. »
Le maréchal de Saxe ne donna guère plus de consolation à La Popelinière, quand ils découvrirent ensemble cette fameuse cheminée tournante, inventée par le duc de Richelieu : — « Voilà le plus bel ouvrage à cornes que j’aie jamais vu ! » s’écria le vainqueur de Fontenoi.
Espérons que votre espionnage ne vous apprendra encore rien de si fâcheux ! Ces malheurs-là sont les fruits de la guerre civile, et nous n’y sommes pas.
§ IV. — L’INDEX.
Le pape ne met que des livres à l’index ; vous marquerez d’un sceau de réprobation les hommes et les choses.
Interdit à madame d’aller au bain autre part que chez elle.
Interdit à madame de recevoir chez elle celui que vous soupçonnez d’être son amant, et toutes les personnes qui pourraient s’intéresser à leur amour.
Interdit à madame de se promener sans vous.
Mais les bizarreries auxquelles donnent naissance dans chaque ménage la diversité des caractères, les innombrables incidents des passions, et les habitudes des époux, impriment à ce Livre noir de tels changements, elles en multiplient ou en effacent les lignes avec une telle rapidité, qu’un ami de l’auteur appelait cet index l’histoire des variations de l’église conjugale.
Il n’existe que deux choses qu’on puisse soumettre à des principes fixes : la campagne et la promenade.
Un mari ne doit jamais mener ni laisser aller sa femme à la campagne. Ayez une terre, habitez-la, n’y recevez que des dames ou des vieillards, n’y laissez jamais votre femme seule. Mais la conduire, même pour une demi-journée, chez un autre… c’est devenir plus imprudent qu’une autruche.
Surveiller une femme à la campagne est déjà l’œuvre la plus difficile à accomplir. Pourrez-vous être à la fois dans tous les halliers, grimper sur tous les arbres, suivre la trace d’un amant sur l’herbe foulée la nuit, mais que la rosée du matin redresse et fait renaître aux rayons du soleil ? Aurez-vous un œil à chaque brèche des murs du parc ? Oh ! la campagne et le printemps !… voilà les deux bras droits du célibat.
Quand une femme arrive à la crise dans laquelle nous supposons qu’elle se trouve, un mari doit rester à la ville jusqu’au moment de la guerre, ou se dévouer à tous les plaisirs d’un cruel espionnage.
En ce qui concerne la promenade, madame veut-elle aller aux fêtes, aux spectacles, au bois de Boulogne ; sortir pour marchander des étoffes, voir les modes ? Madame ira, sortira, verra dans l’honorable compagnie de son maître et seigneur.
Si elle saisissait le moment où une occupation qu’il vous serait impossible d’abandonner vous réclame tout entier, pour essayer de vous surprendre une tacite adhésion à quelque sortie méditée ; si, pour l’obtenir, elle se mettait à déployer tous les prestiges et toutes les séductions de ces scènes de câlinerie dans lesquelles les femmes excellent et dont les féconds ressorts doivent être devinés par vous, eh ! bien, le professeur vous engage à vous laisser charmer, à vendre cher la permission demandée, et surtout à convaincre cette créature dont l’âme est tour à tour aussi mobile que l’eau, aussi ferme que l’acier, qu’il vous est défendu par l’importance de votre travail de quitter votre cabinet.
Mais aussitôt que votre femme aura mis le pied dans la rue, si elle va à pied, ne lui donnez pas le loisir de faire seulement cinquante pas ; soyez sur ses traces, et suivez-la sans qu’elle puisse s’en apercevoir.
Il existe peut-être des Werther dont les âmes tendres et délicates se révolteront de cette inquisition. Cette conduite n’est pas plus coupable que celle d’un propriétaire qui se relève la nuit, et regarde par la fenêtre pour veiller sur les pêches de ses espaliers. Vous obtiendrez peut-être par là, avant que le crime ne soit commis, des renseignements exacts sur ces appartements que tant d’amoureux louent en ville sous des noms supposés. Si par un hasard (dont Dieu vous garde) votre femme entrait dans une maison à vous suspecte, informez-vous si le logis a plusieurs issues.
Votre femme monte-t-elle en fiacre… qu’avez-vous à craindre ? Un préfet de police auquel les maris auraient dû décerner une couronne d’or mat n’a-t-il pas construit sur chaque place de fiacres une petite baraque où siége, son registre à la main, un incorruptible gardien de la morale publique ? Ne sait-on pas où vont et d’où viennent ces gondoles parisiennes ?
Un des principes vitaux de votre police sera d’accompagner parfois votre femme chez les fournisseurs de votre maison si elle avait l’habitude d’y aller. Vous examinerez soigneusement s’il existe quelque familiarité entre elle et sa mercière, sa marchande de modes, sa couturière, etc. Vous appliquerez là les règles de la Douane Conjugale, et vous tirerez vos conclusions.
Si, en votre absence, votre femme, sortie malgré vous, prétend être allée à tel endroit, dans tel magasin, rendez-vous-y le lendemain, et tâchez de savoir si elle a dit la vérité.
Mais la passion vous dictera, mieux encore que cette Méditation, les ressources de la tyrannie conjugale, et nous arrêterons là ces fastidieux enseignements.
§ V. — DU BUDGET.
En esquissant le portrait d’un mari valide (Voyez la Méditation des Prédestinés), nous lui avons soigneusement recommandé de cacher à sa femme la véritable somme à laquelle monte son revenu.
Tout en nous appuyant sur cette base pour établir notre système financier, nous espérons contribuer à faire tomber l’opinion assez généralement répandue, qu’il ne faut pas donner le maniement de l’argent à sa femme. Ce principe est une des erreurs populaires qui amènent le plus de contre-sens en ménage.
Et d’abord traitons la question de cœur avant la question d’argent.
Décréter une petite liste civile, pour votre femme et pour les exigences de la maison, et la lui verser comme une contribution, par douzièmes égaux et de mois en mois, emporte en soi quelque chose de petit, de mesquin, de resserré, qui ne peut convenir qu’à des âmes sordides ou méfiantes. En agissant ainsi, vous vous préparez d’immenses chagrins.
Je veux bien que, pendant les premières années de votre union mellifique, des scènes plus ou moins gracieuses, des plaisanteries de bon goût, des bourses élégantes, des caresses aient accompagné, décoré le don mensuel ; mais il arrivera un moment où l’étourderie de votre femme, une dissipation imprévue la forceront à implorer un emprunt dans la chambre. Je suppose que vous accorderez toujours le bill d’indemnité, sans le vendre fort cher par des discours, comme nos infidèles députés ne manquent pas de le faire. Ils payent, mais ils grognent ; vous payerez et ferez des compliments ; soit !
Mais dans la crise où nous sommes, les prévisions du budget annuel ne suffisent jamais. Il y a accroissement de fichus, de bonnets, de robes ; il y a une dépense inappréciable nécessitée par les congrès, les courriers diplomatiques, par les voies et les moyens de l’amour tandis que les recettes restent les mêmes. Alors commence dans un ménage l’éducation la plus odieuse et la plus épouvantable qu’on puisse donner à une femme. Je ne sache guère que quelques âmes nobles et généreuses, qui tiennent à plus haut prix que les millions la pureté du cœur, la franchise de l’âme, et qui pardonneraient mille fois une passion plutôt qu’un mensonge, dont l’instinctive délicatesse a deviné le principe de cette peste de l’âme, dernier degré de la corruption humaine.
Alors, en effet, se passent dans un ménage les scènes d’amour les plus délicieuses. Alors une femme s’assouplit ; et, semblable à la plus brillante de toutes les cordes d’une harpe jetée devant le feu, elle se roule autour de vous, elle vous enlace, elle vous enserre ; elle se prête à toutes vos exigences ; jamais ses discours n’auront été plus tendres ; elle les prodigue ou plutôt elle les vend ; elle arrive à tomber au-dessous d’une fille d’Opéra, car elle se prostitue à son mari. Dans ses plus doux baisers, il y a de l’argent ; dans ses paroles il y a de l’argent. À ce métier ses entrailles deviennent de plomb pour vous. L’usurier le plus poli, le plus perfide, ne soupèse pas mieux d’un regard la future valeur métallique d’un fils de famille auquel il fait signer un billet, que votre femme n’estime un de vos désirs en sautant de branche en branche comme un écureuil qui se sauve, afin d’augmenter la somme d’argent par la somme d’appétence. Et ne croyez pas échapper à de telles séductions. La nature a donné des trésors de coquetterie à une femme, et la société les a décuplés par ses modes, ses vêtements, ses broderies et ses pèlerines.
— Si je me marie, disait un des plus honorables généraux de nos anciennes armées, je ne mettrai pas un sou dans la corbeille…
— Et qu’y mettrez-vous donc, général ? dit une jeune personne.
— La clef du secrétaire.
La demoiselle fit une petite minauderie d’approbation. Elle agita doucement sa petite tête par un mouvement semblable à celui de l’aiguille aimantée ; son menton se releva légèrement, et il semblait qu’elle eût dit : — J’épouserais le général très-volontiers, malgré ses quarante-cinq ans.
Mais comme question d’argent, quel intérêt voulez-vous donc que prenne une femme dans une machine où elle est gagée comme un teneur de livres ?
Examinez l’autre système.
En abandonnant à votre femme, sous couleur de confiance absolue, les deux tiers de votre fortune, et la laissant maîtresse de diriger l’administration conjugale, vous obtenez une estime que rien ne saurait effacer, car la confiance et la noblesse trouvent de puissants échos dans le cœur de la femme. Madame sera grevée d’une responsabilité qui élèvera souvent une barrière d’autant plus forte contre ses dissipations qu’elle se la sera créée elle-même dans son cœur. Vous, vous avez fait d’abord une part au feu, et vous êtes sûr ensuite que votre femme ne s’avilira peut-être jamais.
Maintenant, en cherchant là des moyens de défense, considérez quelles admirables ressources vous offre ce plan de finances.
Vous aurez, dans votre ménage, une cote exacte de la moralité de votre femme, comme celle de la Bourse donne la mesure du degré de confiance obtenu par le gouvernement.
En effet, pendant les premières années de votre mariage, votre femme se piquera de vous donner du luxe et de la satisfaction pour votre argent.
Elle instituera une table opulemment servie, renouvellera le mobilier, les équipages ; aura toujours dans le tiroir consacré au bien-aimé une somme toute prête. Eh ! bien, dans les circonstances actuelles, le tiroir sera très-souvent vide, et monsieur dépensera beaucoup trop. Les économies ordonnées par la Chambre ne frappent jamais que sur les commis à douze cents francs ; or, vous serez le commis à douze cents francs de votre ménage. Vous en rirez, puisque vous aurez amassé, capitalisé, géré, le tiers de votre fortune pendant long-temps ; semblable à Louis XV qui s’était fait un petit trésor à part, en cas de malheur, disait-il.
Ainsi votre femme parle-t-elle d’économie, ses discours équivaudront aux variations de la cote bursale. Vous pourrez deviner tous les progrès de l’amant par les fluctuations financières, et vous aurez tout concilié : E sempre bene.
Si, n’appréciant pas cet excès de confiance, votre femme dissipait un jour une forte partie de la fortune, d’abord, il serait difficile que cette prodigalité atteignît au tiers des revenus gardés par vous depuis dix ans ; mais ensuite, la Méditation sur les Péripéties vous apprendra qu’il y a dans la crise même amenée par les folies de votre femme d’immenses ressources pour tuer le Minotaure.
Enfin le secret du trésor entassé par vos soins ne doit être connu qu’à votre mort ; et si vous aviez besoin d’y puiser pour venir au secours de votre femme, vous serez censé toujours avoir joué avec bonheur, ou avoir emprunté à un ami.
Tels sont les vrais principes en fait de budget conjugal.
La police conjugale a son martyrologe. Nous ne citerons qu’un seul fait, parce qu’il pourra faire comprendre la nécessité où sont les maris qui prennent des mesures si acerbes de veiller sur eux-mêmes autant que sur leurs femmes.
Un vieil avare, demeurant à T…, ville de plaisir, si jamais il en fut, avait épousé une jeune et jolie femme ; et il en était tellement épris et jaloux que l’amour triompha de l’usure ; car il quitta le commerce pour pouvoir mieux garder sa femme, ne faisant ainsi que changer d’avarice. J’avoue que je dois la plus grande partie des observations contenues dans cet essai, sans doute imparfait encore, à la personne qui a pu jadis étudier cet admirable phénomène conjugal ; et, pour le peindre, il suffira d’un seul trait. Quand il allait à la campagne, ce mari ne se couchait jamais sans avoir secrètement ratissé les allées de son parc dans un sens mystérieux, et il avait un râteau particulier pour le sable de ses terrasses. Il avait fait une étude particulière des vestiges laissés par les pieds des différentes personnes de sa maison, et dès le matin, il en allait reconnaître les empreintes. — Tout ceci est de haute futaie, disait-il à la personne dont j’ai parlé, en lui montrant son parc, car on ne voit rien dans les taillis… Sa femme aimait un des plus charmants jeunes gens de la ville. Depuis neuf ans cette passion vivait, brillante et féconde, au cœur des deux amants qui s’étaient devinés d’un seul regard, au milieu d’un bal ; et, en dansant, leurs doigts tremblants leur avaient révélé, à travers la peau parfumée de leurs gants, l’étendue de leur amour. Depuis ce jour, ils avaient trouvé l’un et l’autre d’immenses ressources dans les riens dédaignés par les amants heureux. Un jour le jeune homme amena son seul confident d’un air mystérieux dans un boudoir où, sur une table et sous des globes de verre, il conservait, avec plus de soin qu’il n’en aurait eu pour les plus belles pierreries du monde, des fleurs tombées de la coiffure de sa maîtresse, grâce à l’emportement de la danse, des brinborions arrachés à des arbres qu’elle avait touchés dans son parc. Il y avait là jusqu’à l’étroite empreinte laissée sur une terre argileuse par le pied de cette femme. — J’entendais, me dit plus tard ce confident, les fortes et sourdes palpitations de son cœur sonner au milieu du silence que nous gardâmes devant les richesses de ce musée d’amour. Je levai les yeux au plafond comme pour confier au ciel un sentiment que je n’osais exprimer. — Pauvre humanité !… pensais-je… — Madame de… m’a dit qu’un soir, au bal, on vous avait trouvé presque évanoui dans son salon de jeu ?… lui demandai je. — Je crois bien, dit-il en voilant le feu de son regard ; je lui avais baisé le bras !… — Mais, ajouta-t-il en me serrant la main et me lançant un de ces regards qui semblent presser le cœur, son mari a dans ce moment-ci la goutte bien près de l’estomac… Quelque temps après, le vieil avare revint à la vie, et parut avoir fait un nouveau bail ; mais, au milieu de sa convalescence, il se mit au lit un matin, et mourut subitement. Des symptômes de poison éclatèrent si violemment sur le corps du défunt, que la justice informa, et les deux amants furent arrêtés. Alors il se passa, devant la cour d’assises, la scène la plus déchirante qui jamais ait remué le cœur d’un jury. Dans l’instruction du procès, chacun des deux amants avait sans détour avoué le crime, et, par une même pensée, s’en était seul chargé, pour sauver, l’une son amant, l’autre sa maîtresse. Il se trouva deux coupables là où la justice n’en cherchait qu’un seul. Les débats ne furent que des démentis qu’ils se donnèrent l’un à l’autre avec toute la fureur du dévouement de l’amour. Ils étaient réunis pour la première fois, mais sur le banc des criminels, et séparés par un gendarme. Ils furent condamnés à l’unanimité par des jurés en pleurs. Personne, parmi ceux qui eurent le courage barbare de les voir conduire à l’échafaud, ne peut aujourd’hui parler d’eux sans frissonner. La religion leur avait arraché le repentir du crime, mais non l’abjuration de leur amour. L’échafaud fut leur lit nuptial, et ils s’y couchèrent ensemble dans la longue nuit de la mort.
MÉDITATION XXI. L’ART DE RENTRER CHEZ SOI.
Incapable de maîtriser les bouillants transports de son inquiétude, plus d’un mari commet la faute d’arriver au logis et d’entrer chez sa femme pour triompher de sa faiblesse comme ces taureaux d’Espagne qui, animés par le banderillo rouge, éventrent de leurs cornes furieuses les chevaux et les matadors, picadors, tauréadors et consorts.
Oh ! rentrer d’un air craintif et doux, comme Mascarille qui s’attend à des coups de bâton, et devient gai comme un pinson en trouvant son maître de belle humeur !… voilà qui est d’un homme sage !…
— Oui, ma chère amie, je sais qu’en mon absence vous aviez tout pouvoir de mal faire !… À votre place, une autre aurait peut-être jeté la maison par les fenêtres, et vous n’avez cassé qu’un carreau ! Dieu vous bénisse de votre clémence. Conduisezvous toujours ainsi, et vous pouvez compter sur ma reconnaissance.
Telles sont les idées que doivent trahir vos manières et votre physionomie ; mais, à part, vous dites : — Il est peut-être venu !…
Apporter toujours une figure aimable au logis est une des lois conjugales qui ne souffrent pas d’exception.
Mais l’art de ne sortir de chez soi que pour y rentrer quand la police vous a révélé une conspiration, mais savoir rentrer à propos !… ah ! ce sont des enseignements impossibles à formuler. Ici tout est finesse et tact. Les événements de la vie sont toujours plus féconds que l’imagination humaine. Aussi nous contenterons-nous d’essayer de doter ce livre d’une histoire digne d’être inscrite dans les archives de l’abbaye de Thélême. Elle aura l’immense mérite de vous dévoiler un nouveau moyen de défense légèrement indiqué par l’un des aphorismes du professeur, et de mettre en action la morale de la présente Méditation, seule manière de vous instruire.
Monsieur de B., officier d’ordonnance et momentanément attaché en qualité de secrétaire à Louis Bonaparte, roi de Hollande, se trouvait au château de Saint-Leu, près Paris, où la reine Hortense tenait sa cour et où toutes les dames de son service l’avaient accompagnée. Le jeune officier était assez agréable et blond ; il avait l’air pincé, paraissait un peu trop content de lui-même et trop infatué de l’ascendant militaire ; d’ailleurs, passablement spirituel et très-complimenteur. Pourquoi toutes ces galanteries étaient-elles devenues insupportables à toutes les femmes de la reine ?… L’histoire ne le dit pas. Peut-être avait-il fait la faute d’offrir à toutes un même hommage ? Précisément. Mais chez lui, c’était astuce. Il adorait, pour le moment, l’une d’entre elles, madame la comtesse de. La comtesse n’osait défendre son amant, parce qu’elle aurait ainsi avoué son secret, et, par une bizarrerie assez explicable, les épigrammes les plus sanglantes partaient de ses jolies lèvres, tandis que son cœur logeait l’image proprette du joli militaire. Il existe une nature de femme auprès de laquelle réussissent les hommes un peu suffisants, dont la toilette est élégante et le pied bien chaussé. C’est les femmes à minauderies, délicates et recherchées. La comtesse était, sauf les minauderies, qui, chez elle, avaient un caractère particulier d’innocence et de vérité, une de ces personnes-là. Elle appartenait à la famille des N…, où les bonnes manières sont conservées traditionnellement. Son mari, le comte de… était fils de la vieille duchesse de L…, et il avait courbé la tête devant l’idole du jour : Napoléon l’ayant récemment nommé comte, il se flattait d’obtenir une ambassade ; mais, en attendant, il se contentait d’une clef de chambellan ; et s’il laissait sa femme auprès de la reine Hortense, c’était sans doute par calcul d’ambition. — Mon fils, lui dit un matin sa mère, votre femme chasse de race. Elle aime monsieur de B. — Vous plaisantez, ma mère : il m’a emprunté hier cent napoléons. — Si vous ne tenez pas plus à votre femme qu’à votre argent, n’en parlons plus ! dit sèchement la vieille dame. Le futur ambassadeur observa les deux amants, et ce fut en jouant au billard avec la reine, l’officier et sa femme qu’il obtint une de ces preuves aussi légères en apparence qu’elles sont irrécusables aux yeux d’un diplomate. — Ils sont plus avancés qu’ils ne le croient eux-mêmes !… dit le comte de à sa mère. Et il versa dans l’âme aussi savante que rusée de la duchesse le chagrin profond dont il était accablé par cette découverte amère. Il aimait la comtesse, et sa femme, sans avoir précisément ce qu’on nomme des principes, était mariée depuis trop peu de temps pour ne pas être encore attachée à ses devoirs. La duchesse se chargea de sonder le cœur de sa bru. Elle jugea qu’il y avait encore de la ressource dans cette âme neuve et délicate, et elle promit à son fils de perdre monsieur de B sans retour. Un soir, au moment où les parties étaient finies, que toutes les dames avaient commencé une de ces causeries familières où se confisent les médisances, et que la comtesse faisait son service auprès de la reine, madame de L… saisit cette occasion pour apprendre à l’assemblée féminine le grand secret de l’amour de monsieur de B… pour sa bru. Tolle général. La duchesse ayant recueilli les voix, il fut décidé à l’unanimité que celle-là qui réussirait à chasser du château l’officier rendrait un service signalé à la reine Hortense qui en était excédée, et à toutes ses femmes qui le haïssaient, et pour cause. La vieille dame réclama l’assistance des belles conspiratrices, et chacune promit sa coopération à tout ce qui pourrait être tenté. En quarante-huit heures, l’astucieuse belle-mère devint la confidente et de sa bru et de l’amant. Trois jours après, elle avait fait espérer au jeune officier la faveur d’un tête-à-tête à la suite d’un déjeuner. Il fut arrêté que monsieur de B partirait le matin de bonne heure pour Paris et reviendrait secrètement. La reine avait annoncé le dessein d’aller avec toute la compagnie suivre, ce jour-là, une chasse au sanglier, et la comtesse devait feindre une indisposition. Le comte, ayant été envoyé à Paris par le roi Louis, donnait peu d’inquiétudes. Pour concevoir toute la perfidie du plan de la duchesse, il faut expliquer succinctement la disposition de l’appartement exigu qu’occupait la comtesse au château. Il était situé au premier étage, au-dessus des petits appartements de la reine, et au bout d’un long corridor. On entrait immédiatement dans une chambre à coucher, à droite et à gauche de laquelle se trouvaient deux cabinets. Celui de droite était un cabinet de toilette, et celui de gauche avait été récemment transformé en boudoir par la comtesse. On sait ce qu’est un cabinet de campagne : celui-là n’avait que les quatre murs. Il était décoré d’une tenture grise, et il n’y avait encore qu’un petit divan et un tapis ; car l’ameublement devait en être achevé sous peu de jours. La duchesse n’avait conçu sa noirceur que d’après ces circonstances, qui, bien que légères en apparence, la servirent admirablement. Sur les onze heures, un déjeuner délicat est préparé dans la chambre. L’officier, revenant de Paris, déchirait à coups d’éperon les flancs de son cheval. Il arrive enfin ; il confie le noble animal à son valet, escalade les murs du parc, vole au château, et parvient à la chambre sans avoir été vu de personne, pas même d’un jardinier. Les officiers d’ordonnance portaient alors, si vous ne vous en souvenez pas, des pantalons collants très-serrés et un petit schako étroit et long, costume aussi favorable pour se faire admirer le jour d’une revue qu’il est gênant dans un rendez-vous. La vieille femme avait calculé l’inopportunité de l’uniforme. Le déjeuner fut d’une gaieté folle. La comtesse ni sa mère ne buvaient de vin ; mais l’officier, qui connaissait le proverbe, sabla fort joliment autant de vin de Champagne qu’il en fallait pour aiguiser son amour et son esprit. Le déjeuner terminé, l’officier regarda la belle-mère qui, poursuivant son rôle de complice, dit : — J’entends une voiture, je crois !… Et de sortir. Elle rentre au bout de trois minutes. — C’est le comte !… s’écria-t-elle en poussant les deux amants dans le boudoir. — Soyez tranquilles !… leur dit-elle. — Prenez donc votre schako… ajouta-t-elle en gourmandant par un geste l’imprudent jeune homme. Elle recula vivement la table dans le cabinet de toilette ; et, par ses soins, le désordre de la chambre se trouva entièrement réparé au moment où son fils apparut. Ma femme est malade ?… demanda le comte. — Non, mon ami, répond la mère. Son mal s’est promptement dissipé ; elle est à la chasse, à ce que je crois… Puis elle lui fait un signe de tête comme pour lui dire : — Ils sont là… — Mais êtes-vous folle, répond le comte à voix basse, de les enfermer ainsi ?… — Vous n’avez rien à craindre, reprit la duchesse, j’ai mis dans son vin… — Quoi ?… — Le plus prompt de tous les purgatifs. Entre le roi de Hollande. Il venait demander au comte le résultat de la mission qu’il lui avait donnée. La duchesse essaya, par quelques-unes de ces phrases mystérieuses que savent si bien dire les femmes, d’obliger Sa Majesté à emmener le comte chez elle. Aussitôt que les deux amants se trouvèrent dans le boudoir, la comtesse, stupéfaite en reconnaissant la voix de son mari, dit bien bas au séduisant officier : — Ah ! monsieur, vous voyez à quoi je me suis exposée pour vous… — Mais, chère Marie ! mon amour vous récompensera de tous vos sacrifices, et je te serai fidèle jusqu’à la Mort. (À part et en lui-même : Oh ! oh ! quelle douleur !…)
— Ah ! s’écria la jeune femme, qui se tordit les mains en entendant marcher son mari près de la porte du boudoir, il n’y a pas d’amour qui puisse payer de telles terreurs !… Monsieur, ne m’approchez pas… — Ô ! ma bien-aimée, mon cher trésor, dit-il en s’agenouillant avec respect, je serai pour toi ce que tu voudras que je sois !… Ordonne… je m’éloignerai. Rappelle-moi… je viendrai. Je serai le plus soumis comme je veux être… (S… D…, j’ai la colique !) le plus constant des amants… Ô ma belle Marie !… (Ah ! je suis perdu. C’est à en mourir !…) Ici, l’officier marcha vers la fenêtre pour l’ouvrir et se précipiter la tête la première dans le jardin ; mais il aperçut la reine Hortense et ses femmes. Alors il se tourna vers la comtesse en portant la main à la partie la plus décisive de son uniforme ; et, dans son désespoir, il s’écria d’une voix étouffée : — Pardon, madame ; mais il m’est impossible d’y tenir plus long-temps. — Monsieur, êtes-vous fou ?… s’écria la jeune femme, en s’apercevant que l’amour seul n’agitait pas cette figure égarée. L’officier, pleurant de rage, se replia vivement sur le schako qu’il avait jeté dans un coin. — Eh ! bien, comtesse… disait la reine Hortense en entrant dans la chambre à coucher d’où le comte et le roi venaient de sortir, comment allez-vous ? Mais, où est-elle donc ? — Madame !… s’écria la jeune femme en s’élançant à la porte du boudoir, n’entrez pas !… Au nom de Dieu, n’entrez pas ! La comtesse se tut, car elle vit toutes ses compagnes dans la chambre. Elle regarda la reine. Hortense, qui avait autant d’indulgence que de curiosité, fit un geste, et toute sa suite se retira. Le jour même, l’officier part pour l’armée, arrive aux avant-postes, cherche la mort et la trouve. C’était un brave, mais ce n’était pas un philosophe.
On prétend qu’un de nos peintres les plus célèbres, ayant conçu pour la femme d’un de ses amis un amour qui fut partagé, eut à subir toutes les horreurs d’un semblable rendez-vous, que le mari avait préparé par vengeance ; mais, s’il faut en croire la chronique, il y eut une double honte ; et, plus sages que monsieur de B…, les amants, surpris par la même infirmité, ne se tuèrent ni l’un ni l’autre.
La manière de se comporter en rentrant chez soi dépend aussi de beaucoup de circonstances. Exemple.
Lord Catesby était d’une force prodigieuse. Il arrive, un jour, qu’en revenant d’une chasse au renard à laquelle il avait promis d’aller sans doute par feinte, il se dirige vers une haie de son parc où il disait voir un très-beau cheval. Comme il avait la passion des chevaux, il s’avance pour admirer celui-là de plus près. Il aperçoit lady Castesby, au secours de laquelle il était temps d’accourir, pour peu qu’il fût jaloux de son honneur. Il fond sur un gentleman, et en interrompt la criminelle conversation en le saisissant à la ceinture ; puis il le lance par-dessus la baie au bord d’un chemin. — Songez, monsieur, que c’est à moi qu’il faudra désormais vous adresser pour demander quelque chose ici !… lui dit-il sans emportement. — Eh ! bien, milord, auriez-vous la bonté de me jeter aussi mon cheval ?… Mais le lord flegmatique avait déjà pris le bras de sa femme, et lui disait gravement : — Je vous blâme beaucoup, ma chère créature, de ne pas m’avoir prévenu que je devais vous aimer pour deux. Désormais tous les jours pairs je vous aimerai pour le gentleman, et les autres jours pour moi-même.
Cette aventure passe, en Angleterre, pour une des plus belles rentrées connues. Il est vrai que c’était joindre avec un rare bonheur l’éloquence du geste à celle de la parole.
Mais l’art de rentrer chez soi, dont les principes ne sont que des déductions nouvelles du système de politesse et de dissimulation recommandé par nos Méditations antérieures, n’est que la préparation constante des Péripéties conjugales dont nous allons nous occuper.
MÉDITATION XXII. DES PÉRIPÉTIES.
Le mot péripétie est un terme de littérature qui signifie coup de théâtre.
Amener une péripétie dans le drame que vous jouez est un moyen de défense aussi facile à entreprendre que le succès en est incertain. Tout en vous en conseillant l’emploi, nous ne vous en dissimulerons pas les dangers.
La péripétie conjugale peut se comparer à ces belles fièvres qui emportent un sujet bien constitué ou en restaurent à jamais la vie. Ainsi, quand la péripétie réussit, elle rejette pour des années une femme dans les sages régions de la vertu.
Au surplus, ce moyen est le dernier de tous ceux que la science ait permis de découvrir jusqu’à ce jour.
La Saint-Barthélemy, les Vêpres Siciliennes, la mort de Lucrèce, les deux débarquements de Napoléon à Fréjus, sont des péripéties politiques. Il ne vous est pas permis d’en faire de si vastes ; mais, toutes proportions gardées, vos coups de théâtre conjugaux ne seront pas moins puissants que ceux-là.
Mais comme l’art de créer des situations et de changer, par des événements naturels, la face d’une scène, constitue le génie ; que le retour à la vertu d’une femme dont le pied laisse déjà quelques empreintes sur le sable doux et doré des sentiers du vice est la plus difficile de toutes les péripéties, et que le génie ne s’apprend pas, ne se démontre pas ; le licencié en droit conjugal se trouve forcé d’avouer ici son impuissance à réduire en principes fixes une science aussi changeante que les circonstances, aussi fugitive que l’occasion, aussi indéfinissable que l’instinct.
Pour nous servir d’une expression que Diderot, d’Alembert et Voltaire n’ont pu naturaliser, malgré son énergie, une péripétie conjugale se subodore. Aussi notre seule ressource sera-t-elle de crayonner imparfaitement quelques situations conjugales analogues, imitant ce philosophe des anciens jours qui, cherchant vainement à s’expliquer le mouvement, marchait devant lui pour essayer d’en saisir les lois insaisissables.
Un mari aura, selon les principes consignés dans la Méditation sur la Police, expressément défendu à sa femme de recevoir les visites du célibataire qu’il soupçonne devoir être son amant ; elle a promis de ne jamais le voir. C’est de petites scènes d’intérieur que nous abandonnons aux imaginations matrimoniales, un mari les dessinera bien mieux que nous, en se reportant, par la pensée, à ces jours où de délicieux désirs ont amené de sincères confidences, où les ressorts de sa politique ont fait jouer quelques machines adroitement travaillées.
Supposons, pour mettre plus d’intérêt à cette scène normale, que ce soit vous, vous mari qui me lisez, dont la police, soigneusement organisée, découvre que votre femme profitant des heures consacrées à un repas ministériel auquel elle vous a fait peut-être inviter, doit recevoir monsieur À–Z.
Il y a là toutes les conditions requises pour amener une des plus belles péripéties possibles.
Vous revenez assez à temps pour que votre arrivée coïncide avec celle de monsieur À–Z, car nous ne vous conseillerions pas de risquer un entr’acte trop long. Mais comment rentrez-vous ?… non plus, selon les principes de la Méditation précédente. — En furieux, donc ?… — Encore moins. Vous arrivez en vrai bonhomme, en étourdi qui a oublié sa bourse ou son mémoire pour le ministre, son mouchoir ou sa tabatière.
Alors, ou vous surprendrez les deux amants ensemble, ou votre femme avertie par sa soubrette, aura caché le célibataire.
Emparons-nous de ces deux situations uniques.
Ici nous ferons observer que tous les maris doivent être en mesure de produire la terreur dans leur ménage, et préparer long-temps à l’avance des deux septembre matrimoniaux.
Ainsi, un mari, du moment où sa femme a laissé apercevoir quelques premiers symptômes, ne manquera jamais à donner, de temps à autre, son opinion personnelle sur la conduite à tenir par un époux dans les grandes crises conjugales.
— Moi, direz-vous, je n’hésiterais pas à tuer un homme que je surprendrais aux genoux de ma femme.
À propos d’une discussion que vous aurez suscitée, vous serez amené à prétendre : — que la loi aurait dû donner à un mari, comme aux anciens Romains, droit de vie et de mort sur ses enfants, pour qu’il pût tuer les adultérins.
Ces opinions féroces, qui ne vous engagent à rien, imprimeront une terreur salutaire à votre femme ; vous les énoncerez même en riant et en lui disant : — Oh ! mon Dieu, oui, mon cher amour, je te tuerais fort proprement. Aimerais-tu à être occise par moi ?…
Une femme ne peut jamais s’empêcher de craindre que cette plaisanterie ne devienne un jour très-sérieuse, car il y a encore de l’amour dans ces crimes involontaires ; puis les femmes, sachant mieux que personne dire la vérité en riant, soupçonnent parfois leurs maris d’employer cette ruse féminine.
Alors, quand un époux surprend sa femme avec son amant, au milieu même d’une innocente conversation, sa tête, vierge encore, doit produire l’effet mythologique de la célèbre Gorgone.
Pour obtenir une péripétie favorable en cette conjoncture, il faut, selon le caractère de votre femme, ou jouer une scène pathétique à la Diderot, ou faire de l’ironie comme Cicéron, ou sauter sur des pistolets chargés à poudre, et les tirer même si vous jugez un grand éclat indispensable.
Un mari adroit s’est assez bien trouvé d’une scène de sensiblerie modérée. Il entre, voit l’amant et le chasse d’un regard. Le célibataire parti, il tombe aux genoux de sa femme, déclame une tirade, où, entre autres phrases, il y avait celle-ci : — Eh quoi ! ma chère Caroline, je n’ai pas su t’aimer !…
Il pleure, elle pleure, et cette péripétie larmoyante n’eut rien d’incomplet.
Nous expliquerons, à l’occasion de la seconde manière dont peut se présenter la péripétie, les motifs qui obligent un mari à moduler cette scène sur le degré plus ou moins élevé de la force féminine.
Poursuivons !
Si votre bonheur veut que l’amant soit caché, la péripétie sera bien plus belle.
Pour peu que l’appartement ait été disposé selon les principes consacrés par la Méditation XIV, vous reconnaîtrez facilement l’endroit où s’est blotti le célibataire, se fût-il, comme le don Juan de lord Byron, pelotonné sous le coussin d’un divan. Si, par hasard, votre appartement est en désordre, vous devez en avoir une connaissance assez parfaite pour savoir qu’il n’y a pas deux endroits où un homme puisse se mettre.
Enfin, si par quelque inspiration diabolique il s’était fait si petit qu’il se fût glissé dans une retraite inimaginable (car on peut tout attendre d’un célibataire), eh ! bien, ou votre femme ne pourra s’empêcher de regarder cet endroit mystérieux, ou elle feindra de jeter les yeux sur un côté tout opposé, et alors rien n’est plus facile à un mari que de tendre une petite souricière à sa femme.
La cachette étant découverte, vous marchez droit à l’amant. Vous le rencontrez !…
Là, vous tâcherez d’être beau. Tenez constamment votre tête de trois quarts en la relevant d’un air de supériorité. Cette attitude ajoutera beaucoup à l’effet que vous devez produire.
La plus essentielle de vos obligations consiste en ce moment à écraser le célibataire par une phrase très-remarquable, que vous aurez eu tout le temps d’improviser ; et, après l’avoir terrassé, vous lui indiquerez froidement qu’il peut sortir. Vous serez très-poli, mais aussi tranchant que la hache d’un bourreau, et plus impassible que la loi. Ce mépris glacial amènera peut-être déjà une péripétie dans l’esprit de votre femme. Point de cris, point de gestes, pas d’emportements. Les hommes des hautes sphères sociales, a dit un jeune auteur anglais, ne ressemblent jamais à ces petites gens qui ne sauraient perdre une fourchette sans sonner l’alarme dans tout le quartier.
Le célibataire parti, vous vous trouvez seul avec votre femme ; et, dans cette situation, vous devez la reconquérir pour toujours.
En effet, vous vous placez devant elle, en prenant un de ces airs dont le calme affecté trahit des émotions profondes ; puis, vous choisirez dans les idées suivantes que nous vous présentons en forme d’amplification rhétoricienne, celles qui pourront convenir à vos principes : — Madame, je ne vous parlerai ni de vos serments, ni de mon amour ; car vous avez trop d’esprit et moi trop de fierté pour que je vous assomme des plaintes banales que tous les maris sont en droit de faire en pareil cas ; leur moindre défaut alors est d’avoir trop raison. Je n’aurai même, si je puis, ni colère, ni ressentiment. Ce n’est pas moi qui suis outragé ; car j’ai trop de cœur pour être effrayé de cette opinion commune qui frappe presque toujours très-justement de ridicule et de réprobation un mari dont la femme se conduit mal. Je m’examine, et je ne vois pas par où j’ai pu mériter, comme la plupart d’entre eux, d’être trahi. Je vous aime encore.
Je n’ai jamais manqué, non pas à mes devoirs, car je n’ai trouvé rien de pénible à vous adorer ; mais aux douces obligations que nous impose un sentiment vrai. Vous avez toute ma confiance et vous gérez ma fortune. Je ne vous ai rien refusé. Enfin voici la première fois que je vous montre un visage, je ne dirai pas sévère, mais improbateur. Cependant laissons cela, car je ne dois pas faire mon apologie dans un moment où vous me prouvez si énergiquement qu’il me manque nécessairement quelque chose, et que je ne suis pas destiné par la nature à accomplir l’œuvre difficile de votre bonheur. Je vous demanderai donc alors, en ami parlant à son ami, comment vous avez pu exposer la vie de trois êtres à la fois :… celle de la mère de mes enfants, qui me sera toujours sacrée ; celle du chef de la famille, et celle enfin de celui que vous aimez… (elle se jettera peut-être à vos pieds ; il ne faudra jamais l’y souffrir ; elle est indigne d’y rester), car… vous ne m’aimez plus, Élisa. Eh ! bien, ma pauvre enfant (vous ne la nommerez ma pauvre enfant qu’au cas où le crime ne serait pas commis), pourquoi se tromper ?… Que ne me le disiez-vous ? Si l’amour s’éteint entre deux époux, ne reste-t-il pas l’amitié, la confiance ?… Ne sommes-nous pas deux compagnons associés pour faire une même route ? Est-il dit que, pendant le chemin, l’un n’aura jamais à tendre la main à l’autre, pour le relever ou pour l’empêcher de tomber ? Mais j’en dis même peut-être trop, et je blesse votre fierté… Élisa !… Élisa !
Que diable voulez-vous que réponde une femme ?… Il y a nécessairement péripétie.
Sur cent femmes, il existe au moins une bonne demi-douzaine de créatures faibles qui, dans cette grande secousse, reviennent peut-être pour toujours à leurs maris, en véritables chattes échaudées craignant désormais l’eau froide. Cependant cette scène est un véritable alexipharmaque dont les doses doivent être tempérées par des mains prudentes.
Pour certaines femmes à fibres molles, dont les âmes sont douces et craintives, il suffira, en montrant la cachette où [ou] gît l’amant, de dire. — M. À–Z est là !… (On hausse les épaules.) Comment pouvez-vous jouer un jeu à faire tuer deux braves gens ? Je sors, faites-le évader, et que cela n’arrive plus.
Mais il existe des femmes dont le cœur trop fortement dilaté s’anévrise dans ces terribles péripéties ; d’autres, chez lesquelles le sang se tourne, et qui font de graves maladies. Quelques-unes sont capables de devenir folles. Il n’est même pas sans exemple d’en avoir vu qui s’empoisonnaient ou qui mouraient de mort subite, et nous ne croyons pas que vous vouliez la mort du pécheur.
Cependant la plus jolie, la plus galante de toutes les reines de France ; la gracieuse, l’infortunée Marie Stuart, après avoir vu tuer Rizzio presque dans ses bras, n’en a pas moins aimé le comte de Bothwel ; mais c’était une reine, et les reines sont des natures à part.
Nous supposerons donc que la femme dont le portrait orne notre première Méditation est une petite Marie Stuart, et nous ne tarderons pas à relever le rideau pour le cinquième acte de ce grand drame nommé le Mariage.
La péripétie conjugale peut éclater partout, et mille incidents indéfinissables la feront naître. Tantôt ce sera un mouchoir, comme dans le More de Venise ; ou une paire de pantoufles, comme dans Don Juan ; tantôt ce sera l’erreur de votre femme qui s’écriera : — Cher Alphonse ! — pour cher Adolphe ! Enfin souvent un mari, s’apercevant que sa femme est endettée, ira trouver le plus fort créancier, et l’amènera fortuitement chez lui un matin, pour y préparer une péripétie.
— Monsieur Josse, vous êtes orfévre, et la passion que vous avez de vendre des bijoux n’est égalée que par celle d’en être payé. Madame la comtesse vous doit trente mille francs. Si vous voulez les recevoir demain (il faut toujours aller voir l’industriel à une fin de mois), venez chez elle à midi. Son mari sera dans la chambre, n’écoutez aucun des signes qu’elle pourra faire pour vous engager à garder le silence. Parlez hardiment. — Je paierai.
Enfin la péripétie est, dans la science du mariage, ce que sont les chiffres en arithmétique.
Tous les principes de haute philosophie conjugale qui animent les moyens de défense indiqués par cette Seconde Partie de notre livre sont pris dans la nature des sentiments humains, nous les avons trouvés épars dans le grand livre du monde. En effet, de même que les personnes d’esprit appliquent instinctivement les lois du goût, quoiqu’elles seraient souvent fort embarrassées d’en déduire les principes ; de même, nous avons vu nombre de gens passionnés employant avec un rare bonheur les enseignements que nous venons de développer, et chez aucun d’eux il n’y avait de plan fixe. Le sentiment de leur situation ne leur révélait que des fragments incomplets d’un vaste système ; semblables en cela à ces savants du seizième siècle, dont les microscopes n’étaient pas encore assez perfectionnés pour leur permettre d’apercevoir tous les êtres dont l’existence leur était démontrée par leur patient génie.
Nous espérons que les observations déjà présentées dans ce livre et celles qui doivent leur succéder seront de nature à détruire l’opinion qui fait regarder, par des hommes frivoles, le mariage comme une sinécure. D’après nous, un mari qui s’ennuie est un hérétique, mieux que cela même, c’est un homme nécessairement en dehors de la vie conjugale et qui ne la conçoit pas. Sous ce rapport, peut-être, ces Méditations dénonceront-elles à bien des ignorants les mystères d’un monde devant lequel ils restaient les yeux ouverts sans le voir.
Espérons encore que ces principes sagement appliqués pourront opérer bien des conversions, et qu’entre les feuilles presque blanches qui séparent cette Seconde Partie de la GUERRE CIVILE, il y aura bien des larmes et bien des repentirs.
Oui, sur les quatre cent mille femmes honnêtes que nous avons si soigneusement élues au sein de toutes les nations européennes, aimons à croire qu’il n’y en aura qu’un certain nombre, trois cent mille, par exemple, qui seront assez perverses, assez charmantes, assez adorables, assez belliqueuses, pour lever l’étendard de la GUERRE CIVILE.
— Aux armes donc, aux armes !
Date de dernière mise à jour : 28/12/2024
Ajouter un commentaire