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BIBLIOBUS Littérature

JUILLET

 

2 juillet.

Un drame à écrire. Il dormait. Il se réveilla et mourut.

Dire qu'un jour je serai un vieux monsieur décoré !

4 juillet.

Bouvard et Pécuchet, le livre de la guigne ; mais c'est trop : on ne les croit plus.

5 juillet.

Baïe met un escargot à côté d'une tortue, pour voir ce qu'ils vont se dire.

Rien de sale comme un lys sale.

Des chevaux labourent. Comme c'est loin, on ne voit pas la charrue, on voit à peine l'homme. Et les chevaux semblent se promener tout seuls, de long en large, à l'horizon.

6 juillet.

Les coudes levés, les poings aux yeux, la grenouille pleure.

Les deux pattes de devant sur une pierre, les yeux hors de la tête menaçante, très « quos ego !... » Mais elle ne trouve rien à dire.

Les oies mangent en marmonnant je ne sais quoi.

Elles vous regardent de leur paire de boutons et portent leur bec comme un sifflet.

Leurs trous de nez pincés et rapprochés les font parler du nez.

Elles ont un petit oreiller blanc au derrière.

Elles naviguent en marchant, et leur queue va et vient comme un gouvernail.

10 juillet.

Les cloches habitent l'air comme les oiseaux.

11 juillet.

Nos enfants, pauvres petits ! Nous pouvons les froisser avec la précision d'un marteau-pilon.

12 juillet.

De vieilles voitures à capote. Ils sont là-dessous comme de vieux porte-monnaie ouverts.

Le jars siffle comme un tuyau d'arrosage.

13 juillet.

L'air, à midi, brûle et bourdonne.

Ce Journal ne pourra être lu que par Fantec, et, encore, que s'il a l'âme trouble de l'homme de lettres ; et il faudra que j'écrive une « Lettre-Préface » pour lui expliquer le mot et la lettre.

15 juillet.

L'arbre, pour m'attirer, me fait des clins de feuilles. D'un mouvement rapide, elles se baissent et se relèvent.

D'énervement je me suis levé à cinq heures. Etonné que dorment encore des gens que je croyais plus matinaux. Ferme déjà vidée dans les champs, portes ouvertes. On retrouve les mêmes boeufs encore occupés à manger. Sur la route, une petite servante en corsage rose ramène des veaux au pré.

Les oiseaux ont la voix fraîche. On peut voir le sauvage loriot jaune.

Le vent, lui, ne s'est pas encore levé. Une fumée monte toute droite.

Le soleil est doux comme une haleine tiède. Il achève un nuage, dont il déjeune.

Les brumes du sommeil, qui pesaient sur les toits, remontent.

Par hasard, ils ont acheté Le Journal. Il y a un article signé de moi. Ils se sont dit : « Voyons voir ça ? » Ils m'en parlent, mais je dis que je me rappelle vaguement, et que j'en fais tant que je les oublie.

-- Je les oublie, dis-je, dès qu'ils me sont payés.

Je les aide à me rabaisser.

16 juillet.

Les sauterelles à tête d'âne.

Louis Paillard me dit en baissant les yeux, une petite rougeur aux pommettes :

-- J'ai cru, d'abord, que le talent chez vous était une longue patience, mais c'est bien plus spontané. Seulement, au lieu de la page abondante, c'est la ligne que vous trouvez, les trois mots. Il y a chez vous telle petite phrase qui fait l'effet d'un volume. A la première lecture, presque tout ce que je dis de vous me produit mauvaise impression. Je relis, et c'est meilleur.

-- Cela vient, dis-je, de votre paresse de lecteur. Pour m'aimer, il faut faire un effort et se mettre dans l'état d'esprit nécessaire, comme en état de grâce. Tout ce que j'écris, j'ai, à un moment, la joie de l'écrire. Cette joie passe, revient, mais elle existe, et elle est communicable, et vous devez la ressentir. A quel instant ? Je ne sais. A la première, à la seconde lecture ? Je ne sais, mais il est fatal que vous la ressentiez.

-- Plus simplement, il faut plutôt, comme pour les poëtes, vous relire que vous lire. Je voudrais faire sur vous une étude où je ne parlerais pas du « brillant fantaisiste », etc. C'est plus compliqué. Il me faudrait d'abord étudier les écrivains nivernais : Adam Billaut, Bussy-Rabutin, etc., puis, vos maîtres, le réalisme qui vous a influencé. Je connais très mal Flaubert, très mal Maupassant, après la lecture duquel vous avez écrit Crime de village, qui est déjà autre chose que du Maupassant. Vous n'en aviez que certaines formes de phrases, mais l'esprit était déjà vôtre. Je n'aurais aucun regret de consacrer deux ans à cette étude. Vous êtes un écrivain unique, et mes relations avec vous sont uniques. Je vous connais dans le milieu même de votre oeuvre. Je connais le milieu, et je suis le seul, ici, avec qui vous causiez. C'est une vraie occasion, et j'ai de la chance.

-- Faites donc, dis-je. Ce travail serait aussi important pour vous que pour moi. Je vous y aiderai. Vous pensez bien que je ne réclame pas de vous, pour l'ajouter aux autres, un petit article sur moi. Je me considère comme un cas littéraire : il vous appartient comme à moi. Chacun peut l'étudier. Je suis impersonnel, c'est-à-dire que je ne suis pas responsable du littérateur. Je n'ai ni à le blâmer, ni à le vanter : il est. Regardez-le. J'en fais autant de mon côté. En un mot, considérez-moi comme votre Philippe.

-- Je vais m'y mettre, dit-il. J'ai déjà des notes. Je suis sûr que vous allez de plus en plus vers l'humanité et la bonté, mais que celle-ci est chez vous quelque chose d'acquis et de raisonné. Au fond, il ne faudrait pas s'y fier.

-- Nous sommes presque tous amis, dis-je.

-- Poil de Carotte dit à chaque instant des choses audacieuses. On éprouve une gêne, non à cause des audaces, mais parce qu'il nous renseigne mal sur lui-même. On ne sait trop l'âge qu'il a.

-- Parce qu'il est fait de moments. Ce n'est pas un être qui se compose : c'est un être qui existe. J'aurais pu l'arranger, le tailler : je ne l'ai pas voulu. C'est un travail que vous faites vous-même, agacé peut-être, mais peu importe, et, par ce travail, vous accroissez, bon gré, mal gré, la vie de Poil de Carotte.

-- Une chose m'étonne, dit-il : c'est que vous décriviez si peu notre pays.

-- C'est parce qu'une description n'existe pas en tant que description par détails. On regarde un pays : on ne l'énumère pas. C'est l'impression par ce regard que je voudrais rendre, mais il n'y faut pas plus de deux ou trois mots. Je les cherche, et je les trouverai.

17 juillet.

La mort lui a mis son clair de lune sur la face.

Les deux pigeons. Ils s'aiment d'amour tendre, mais ce sont deux femelles. Chaque fois, rien.

18 juillet.

Chauve, quand il se découvre, on croit qu'il ôte sa chemise.

Se dompter, n'est-ce pas aussi tuer de bons moments ?

Une fois ma résolution bien prise, je reste encore indécis.

Le remords qui relève notre âme en bosse.

Si Baïe avait fait les chiffres, il y en aurait un pour chaque nombre : ce serait bien plus commode.

Le rat au bout de la branche, le chat sur le tronc. Ni l'un, ni l'autre ne bouge. Coup de fusil. Le rat tombe. Le chat vole, flaire et s'éloigne, un peu étonné tout de même de sa puissance.

Penser ne suffit pas : il faut penser à quelque chose.

La voix inarticulée et pâle de ceux qui rêvent tout haut.

19 juillet.

Les brumes montent çà et là comme des fumées éparses. Les hommes souterrains allument leur foyer.

20 juillet.

Les choses ne me frappent pas : elles me reviennent.

Le noyer est le plus taciturne des arbres.

La Marche à l'étoile. Passent un gros cheval noir, une pleine voiture de femmes dont on voit les jupons blancs, une vieille sous son parapluie qui lui sert d'ombrelle, un troupeau de boeufs et d'hommes qui meuglent et jurent, courent et montent les uns sur les autres, un paysan tout seul qui ne vendra ni n'achètera, qui verra, un petit veau dans une caisse à jour sur une voiture, un tape-cul à roues rouges, des boeufs, des boeufs, et encore des boeufs.

Un coeur dur qu'il faut à chaque instant que je serre, pour l'amollir.

21 juillet.

Victor Hugo, un génie qui ne tâtonne jamais.

Notre vie a l'air d'un essai.

23 juillet.

La batteuse, grosse mouche qui bourdonne dans le village.

Dans les plus joyeuses sonneries de cloches il y a toujours quelque chose de grave, de mortel.

24 juillet.

On les voit dans les champs. Ils n'ont plus que la culotte et la chemise, et leurs bretelles ressemblent à des harnais.

C'est leur aptitude à la misère qui les fait vivre.

-- On peut vivre ici, dit Borneau, quand on a les qualités d'un âne, qu'on est sobre et laborieux.

Leur langage est plein de petites images d'un sou qui les amusent.

Je crois être dans une mine d'or, et je ne gratte que de la terre.

26 juillet.

Renan. Quelques-unes de ses pages les plus saines remettent tout en place.

L'homme naît avec ses vices ; il acquiert ses vertus.

J'ai plus d'une fois essayé d'être triste un jour entier. Je n'ai pas, pu. Pas même ça !

L'âne qui essaie de pleurer, et qui ne peut que braire.

Une légère brise du nord me souffle au coeur.

27 juillet.

Sensible à tout, j'ai pris la sotte habitude de dire : « Tout m'est égal. »

Les paysans ont quelquefois la charrue trop longue.

Il faut aller à la sagesse par le plus court, par des chemins de traverse.

On ne méprise bien que ce qu'on aime secrètement.

28 juillet.

Le style, c'est l'habitude, la seconde nature de la pensée.

Si l'homme avait le pouvoir de compléter la nature, au serpent il ajouterait des épines.

Les arbres se réfléchissent dans le canal : des masses d'ombre pendues sous terre par une grosse corde.

L'arbre fait traverser la route à son ombre.

L'arbre déchaussé, son pied et ses gros doigts tordus visibles au bord du fossé.

29 juillet.

Une fois, elle a vu un ramonat au faîte de Paris.

D'autres, à ma place, monsieur, ont interrogé l'Infini. Ils ont voulu l'embrasser : ils sont revenus, la tête et les bras vides.

 

 

 

 

Chapitre suivant: AOUT 1899

 

 

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