BIBLIOBUS Littérature

IV


Tout à coup M. Colin-Tampon replace brusquement son chapeau sur son crâne pelé en s'écriant: «Pas possible!»

D'abord il se lève sur la pointe des pieds, puis il se baisse, ensuite il penche la tête à droite, et enfin il la penche à gauche. Son oeil étincelle derrière ses lunettes, et pour la seconde fois il s'écrie: «Pas possible!»

Son coeur bat, sa main tremble, et, craignant d'être la dupe d'une illusion d'optique, il tire de sa poche son foulard à carreaux, essuie longuement ses lunettes, les remet sur son nez, regarde de nouveau et s'écrie:

«C'en est un! Azor, mon bon chien, c'en est un!—Un quoi!» semble dire Azor, qui a levé sur son maître ses deux grands yeux intelligents.

M. Colin-Tampon comprend cette muette interrogation et répond: «Un lièvre.»

Au seul mot de lièvre, Azor agite sa queue et bondit sur place. M. Colin-Tampon est surpris et un peu indigné que l'instinct d'Azor ne lui dise pas où gît le lièvre.

M. Colin-Tampon a bien le droit de s'indigner. Azor lui a coûté très cher, et le marchand de chiens de la rue d'Amsterdam le lui a garanti pour un chien do chasse, foi d'honnête homme. Il a nommé le père et la mère d'Azor, et même son grand-père et sa grand'mère. Aussi M. Colin-Tampon a donné 800 francs pour entrer en possession d'Azor.

Le lièvre gît là-bas, au bout de cette luzerne, au pied de cet arbre isolé, ou plutôt il n'y gît pas, mais il danse. Et même c'est la plus singulière danse que jamais ait dansée un lièvre de mars au plus fort de sa folie. Il bondit sur place, il se relève, bondit encore, semblable à ces marionnettes qui se trémoussent au bout d'un fil.

Un chasseur exercé se fût défié de ces allures; mais l'inventeur du bouton inamovible n'était pas un chasseur exercé. C'était un de ces Parisiens de la rue Saint-Denis qui n'ont jamais vu de lièvres que ceux qui sont pendus, la tête en bas, à l'étalage des marchands de gibier, ou bien encore les lièvres savants qui tirent le pistolet et battent du tambour à la foire aux pains d'épice.

M. Colin-Tampon porte lentement la crosse de son fusil à son épaule et vise sans se presser. Au moment de tirer, il regarde Azor. Azor se dit: «Sur quoi, diable! va-t-il tirer?» Et le maître d'Azor, interprétant à sa façon le langage muet de son chien, se dit: «Azor semble croire que nous ne sommes pas à bonne portée.»

A pas de loup, il quitte le bosquet, surveillant du coin de l'oeil son lièvre, qui danse toujours comme un possédé. En chasseur prudent, l'inventeur du bouton inamovible se faufile d'abri en abri. A mesure qu'il approche, le lièvre saute plus haut, comme pour le narguer. Tout à coup le chasseur s'arrête, épaule, vise et fait feu.

 

 

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