BIBLIOBUS Littérature française

Une parodie curieuse de L’art poétique de Boileau tirée d’un almanach de poche du XVIIIe siècle, réimprimée pour les Pantagruélistes

 

(Titre complet: LE TRIOMPHE | DU SENTIMENT, | ALMANACH | DES CHIEURS; | Contenant ce qu'il y a de plus agréable | sur cette matière utile, précieuse | et odoriférante. | Enrichi de la FOIROPEDIE et de | Chansons choisies et de goût | Suivi de l'ART DE PETER, | Le tout dédié à tous les NEZ et aux | LECHEURS | POUR LA PRESENTE ANNEE. | A MERDIPHOPOLIS, | Chez FOIRENCUL, rue des Étrons | moisis, à la Bouche ouverte. | Avec Permission des Vuidangeurs.)

 

 

 

Vous, qui lisez cet Ouvrage,

Savourez-en le fumet :

Ce Livre à plus d'un usage

Peut servir au Cabinet ;

S'il déplait par sa matière,

Torchez-vous en le derrière :

M'en pendrai-je ? Hélas! Non, vraiment ;

Autant en emporte le vent. (Bis.)

 

 

 

 

L'art de péter (Poème)

 

 

C’est en vain, cher ami, qu'un débile péteur

Croit de l'art de péter atteindre la hauteur,

S'il n'éprouve en son ventre une guerre secrète,

S'il ne sait par le bas tirer de l'arbalète,

Dans ses boyaux gonflés te vent reste captif ;

Pour lui Nature est sourde et son cul est poussif.

O vous donc, qui, sentant une ardeur chatouilleuse,

Courez des Francs-Péteurs la carrière merdeuse,

N'allez pas par des vents vous laisser consumer,

Ni prendre pour talent le simple Art de vesser.

Craignez d'un vent foireux les trompeuses délices ;

Il voiture avec lui de berneuses épices.

La Nature stérile en Péteurs excellents

Sçait entre les Souffleurs partager les talents.

L'un peut jusqu'à six fois décharger son tonnerre ;

L'autre du premier coup peut ébranler la Terre ;

Un Héros jusqu'à dix peut porter ses exploits ;

Un autre parler, rire et péter à la fois,

Mais tel qui bien souvent croit être un fort grand Sire,

Méconnoît ses défauts et n'apprête qu'à rire.

Tel aux plus grands Péteurs qui veut donner des lois,

Pour se faire écouter, n'a qu'un filet de voix.

Il faut plus de vigueur et jamais de mollesse.

Aux coups les plus bruyants on mesure l'adresse,

Un gros Pet est souvent la clef de la fortune,

Il faut laisser la Vesse à la foule commune.

O siècle aveugle ! O moeurs ! Les talents et l'honneur

Seront donc inutiles, si l'on n'est bon Péteur.

Quelques vents que l’on fasse, ou des Pets ou des Vesses,

Qu'on ait bien soin, surtout, de desserrer les fesses,

De crainte qu'en rentrant, ce dangereux captif

Ne devienne pour vous plus gênant, plus actif.

Vive un Pet bien dodu ! dit le grand Hippocrate ;

Rien n'est plus sain, plus propre à dilater la rate.

N'oubliez donc jamais, vous apprentis Péteurs,

Qu'un seul Pet étranglé peut causer des vapeurs.

Pétons tous à notre aise et sans perdre courage,

Ne croyons pas aux nez faire le moindre outrage.

L'oreille est pour entendre et le nez pour sentir ;

Qui n'aime pas les Pets est prié de sortir ;

Voulez-vous du public mériter le suffrage,

Il faut que votre cul varie son langage ;

Qu'il imite la Flûte et tantôt le Basson,

Que tantôt avec l'Orgue il soit à l'unisson.

Un Péteur trop égal et toujours uniforme

En vain frappe l'oreille, il faut qu'il nous endorme.

On goûte peu ces Pets qui, bien loin d'égayer,

Etant sur le même air, ne peuvent qu'ennuyer.

Il faut donc qu'en tout temps, musicien habile,

Vous changiez votre ton, soit aux champs, soit en ville.

Heureux! qui dans ses Pets d'une course légère

Sait quelquefois passer du plus doux au sévère.

Son derrière chéri de tous les Connaisseurs

Est souvent en public entouré d'Auditeurs ;

Mais lorsque vous pétez, évitez la bassesse,

Et qu'on puisse toujours admirer votre adresse.

Il est un heureux choix de Pets harmonieux ;

Fuyez des mauvais sons le concours odieux.

Le Pet le mieux rempli, fût-il une merveille,

Ne me plaira jamais, s'il choque mon oreille.

Prenez garde, surtout, qu'en cherchant à primer,

Votre orgueil, tôt ou tard, ne vous fasse blâmer.

La plupart emportés d'une ardeur insensée,

Sans s'être préparés, font partir la fusée.

Ils croiroient perdre tout, Péteurs impétueux,

S'ils pensoient que quelqu'autre ait pu péter comme eux.

Attendez pour péter que la Nature sage

Dans son laboratoire ait formé son ouvrage.

Il faut que chaque Pet y soit mis en son lieu ;

Que le plus gros, surtout, soit toujours au milieu,

Et que les plus petits, préparant la carrière,

Entrouvrent aux plus forts la porte de derrière.

Ce n'est pas qu'en pétant il faille raffiner ;

Un Pet fait simplement n'est pas à condamner.

J'aime un bon Pet qui part d'un derrière rustique ;

Celui d'un Duc et Pair me donne la colique.

Vous verrez rarement au sein 1e la Grandeur,

Et surtout à la Cour, un habile Péteur.

Méfiez-vous d'un vent qui glisse d'une Jupe ;

De ce foible avorton ne soyez pas la dupe.

Quelque soit son odeur, s'il ne retentit pas,

Mon nez trop délicat n'y trouve aucun appas.

Il faut pour mon oreille une explosion forte ;

A toute autre musique elle ferme la porte.

Mais j'entends du beau sexe un Partisan zélé

Prendre aussitôt en main le droit de l'offensé.

Ah ! Monsieur, pour ce Pet, je vous demande grâce,

Me dit-il avec feu ; si la note est trop basse,

Que du moins attendri par sa puante odeur,

Votre inflexible nez relâche sa rigueur.

Mais moi, toujours constant à ne me point dédire,

Je soutiens que ce Pet ne vaut pas qu'on l'admire :

Consultons, si l'on veut, sans faire aucun fracas,

Quelque Docteur instruit, qui décide le cas.

Mais sans aller si loin, un grave Apothicaire,

La seringue à la main, peut juger noire affaire.

Maître de tous les culs, dont les Pets sont à lui,

Il peut gloser sur eux comme sur leur étui.

Pour moi, je continue, et sans perdre courage

Je vais sur le métier remettre mon ouvrage.

Et vous, jeunes Péteurs, sans faire de façons,

Ecoutez de mon cul les utiles leçons :

Je dis donc qu’à péter si l'esprit s'évertue,

Le derrière à souffler aisément s'habitue.

Pour un vent fait sans bruit n'aller pas perdre cœur,

Ni vous croire à l'instant un malheureux Tireur.

Il en coûte, il est vrai, pour péter avec grâce ;

Mais quel métier n'a pas sa peine et sa disgrâce.

Encor si vous trouviez un Péteur complaisant,

Qui voulût cultiver votre petit talent ;

Mais à peine en est-il deux ou trois entre mille

Dont le terrein ingrat soit en Pets bien fertile.

Hélas ! Qu'est devenu ce tems, cet heureux tems

Où l'ont pétoit tout haut à la barbe des gens ?

Le Juge sur son siége et le Roi sur son trône,

Le Mendiant lui-même, en demandant l'aumône,

Le moine en plein Chapitre et jusques au Prélat,

Au moment qu'un chacun portoit la main au plat,

Tout le monde en public pétoit, et l'ont dit même

Que d'un amour parfait le Pet étoit l'emblême ;

Qu'un amant tendre et vif dans ces tems fortunés,

Pour gagner son Iris, lui pétoit vite au nez.

Durant les premiers ans, la rustique Noblesse

Pétoit tout simplement sans art et sans finesse.

Mais le lems est passé, ces beaux jours ne sont plus ;

Nos vœux pour les revoir seroient très-superflus.

Aujourd'hui que le luxe a gâté nos Provinces

Et qu'un simple Bourgois veut égaler les Princes,

On veut péter, dit-on, comme on pète à Paris.

Des seuls Pets à la grecque chacun est épris,

Et jusqu'à la Grisette au fond de sa boutique,

Le Sexe veut garder la moderne rubrique,

C'est-à-dire qu'on pète en dépit du bon goût,

Et qu'un Pet à la mode est un vilain ragoût.

Ce n'est pas encor tout : un dangereux usage

Depuis peu parmi nous a gâté le langage,

Dans ce siècle cagot, imbéciles poltrons,

Nous craignons de nommer les choses par leurs noms.

On disoit Vesse et Pet du temps de ma grand'mère,

Et pour dire un Étron, on n'étoit pas sévère.

Au lieu de demander : Comment vous portez-vous ?

On disoit gravement : Madame, pétez-vous ?

Mais de ce style pûr la ville dégoûtée

Voulut changer de ton et voiler sa pensée,

Démêla le poli du sale et du bouffon,

Et, laissa le paisan parler de pets, d'étron.

Ce fût, dit-on, Pettus qui le premier en France

Fit garder en pétant une juste cadence :

D'un Pet fait à propos, il montra le pouvoir

Et força tous les culs à faire leur devoir.

Par ce brave Péteur la Pétrie vengée

Fut bientôt parmi nous en Déesse érigée ;

Nos pères avec grâce apprirent à péter,

La Vesse sur le Pet n'osa plus résister,

Tout péta sous ses loix et ce guide fidèle

Aux Péteurs de nos jours sert encor de modèle.

Suivez donc ses conseils, marchez tous sur ses pas,

Et de ce bon Péteur ne vous éloignez pas.

Craignez-vous en pétant la censure publique ?

Soyez-vous à vous-même un sévère critique :

Un ignorant toujours est prêt à se flatter ;

Choisissez un ami, prompt lui-même à péter ;

Qu'il soit de tous vos vents le confident sincère,

Et des Vesses, sur-tout, un ardent adversaire.

Ne vous conduisez pas en arrogant péteur,

Et sachez de l'ami distinguer le flatteur.

Tel vous semble enchanté qui ne fait que la moue ;

Aimez qu'on vous dirige et non pas qu'on vous loue :

Un flatteur aussitôt cherche à se récrier.

Chaque Pet qu'il entend le fait extasier.

Vous pétez comme un charme ; aucun vent ne le blesse ;

Il est hors de lui-même, il pâme de tendresse,

Il fait de tous vos Pets un éloge pompeux ;

Il n'est rien, selon lui, de plus harmonieux.

Au contraire, un ami toujours ferme, inflexible,

Jamais sur vos défauts ne vous laisse paisible.

Il ne pardonne pas des Pets trop négligés,

Il crie haro sur eux, s'ils sont mal dirigés ;

Ce Pet est vicieux, il ne vaut pas le diable ;

C'est ainsi que s'exprime un ami véritable.

Un Péteur quelquefois enflé de son talent,

S'il ne pète et repète, il n'est jamais content.

S'il rencontre un ami, sans faire de préface,

Il décharge à l'instant et lui pète à la face.

Il n'est Palais si beau du Public respecté

Qui soit contre ses Pets un lieu de sûreté ;

Il aborde en pétant quiconque le salue

Et poursuit de ses Pets les passants dans la rue.

Fuyez de ces Péteurs l'exemple dangereux,

Et de vos moindres Pets soyez moins amoureux ;

Evitons tout excès ; laissons dans l'Eolie

De ces Pets abondants l'éclatante folie :

Péter sans fin, sans choix, rien n'est plus rebutant,

Le nez rassasié se dégoûte à l'instant.

Cependant loin d'ici ce Péteur phlegmatique,

Qui garde dans ses Pets un ordre didactique ;

Cet insipide usage a pour lui des appas ;

Il croit toujours qu'un Pet se mesure au compas.

Je vous l'ai déjà dit, souffrez qu'on vous censure,

Et, souple à la raison, changez votre mesure ;

Mais craignez les avis d'un sot qui vous reprend,

Souvent plein de lui-même un Souffleur ignorant,

Par d'injustes lardons rabaissant votre adresse,

Blâme des plus beaux Pets la noble hardiesse.

Laissez-là ses conseils, pétez sans vous gêner ;

Il vous en cuiroit trop de vous laisser gagner.

Choisissez entre mille un Censeur salutaire,

Qui ne vous cache rien, que le savoir éclaire,

Dont l'oreille soit sûre ; et qu'au premier faux ton

Il vous dise : Monsieur, je n'aime pas ce son.

Lui seul pourra chasser vos craintes ridicules

Et de votre derrière éloigner les scrupules.

C'est lui qui vous dira par quel effort nerveux,

Quelquefois dans sa route un Aquilon fougueux,

Trop resserré par l'Art, sort du ventre avec force

Et souvent en partant fait au cul une entorse ;

Mais ce parfait Censeur se trouve rarement.

Tel excelle à péter qui juge sottement,

Et tel, qui par ses Pets, s'est vu couvert de gloire,

Quand il en faut parler, a perdu la mémoire.

Péteurs, prêtez l'oreille à mon instruction ;

Il me reste à vous faire une sage leçon :

Fuyez sur-tout, fuyez la noire jalousie.

Des vulgaires Péteurs c'est la basse folie ;

Un Péteur excellent n'en peut être gâté,

C'est un Défaut qui suit la médiocrité,

D'un derrière estimé, cette sombre rivale

Contre lui se déchaîne et sans cesse cabale.

Pétons ; mais en pétant ayons toujours du coeur,

Et par de vils moyens n'allons point à l'honneur.

Que les Pets ne soient pas votre unique science ;

Il faut aussi sçavoir chier avec aisance ;

C'est peu de péter bien si l'on ne chie aussi ;

Un Péteur, sans chier, serait bientôt transi.

Mais n'allons pas plus loin, laissons-là cette thèse ;

Ma Muse est fatiguée et veut rimer à l'aise,

Du Cigne de Mantoue, imitant les doux sons,

Je vais ainsi que lui terminer mes leçons ;

Les nez ont assez bu, fermons notre derrière ;

Péteurs, jusqu'au revoir, j’ai fini ma carrière.

 

 

FIN

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021