BIBLIOBUS Littérature française

Fables de Marie de France (1160-1210)

TABLE

  • L'Abeille et la Mouche.
  • L'Aigle, l'Autour et le Pigeons.
  • L'Ane et le Chien.
  • L'Arpenteur et sa Perche.
  • L'Autour et le Hibou.
  • La Biche, le Faon, et le Chasseur.
  • Les Corbeaux.
  • Le Blaireau et les Cochons.
  • Le Bouc et le Cheval.
  • Le Chameau et la Puce.
  • Le Chat, le Mulot et la Souris, ou Le Chat qui se fit Evèque.
  • Le Chevallier et le Vieillard.
  • Le Corbeau et le Loup.
  • De L'Escarbot.
  • Une femme et sa Poule.
  • La Guenon et l'Ours.
  • De la Grue.
  • L'Homme et les deux Cerfs.
  • L'Homme , le Renard et le Serpent.
  • Le Lièvre et son destin.
  • L'Assemblée des Lièvres.
  • Le Lion, le Loup et le Renard.
  • Le Loup devenu Roi. Les deux loups.
  • Du Loup et de la Guêpe.
  • Du Loup et du Hérisson.
  • Le Loup et le Pigeon.
  • Du Loup qui avait fait un voeu.
  • Du Médecin et de la fille enceinte.
  • Le Milan et le Geai.
  • Les Oiseaux se choisissant un Roi.
  • Le Prêtre et le Loup.
  • Du Prud'homme qui vit sa femme avec un amant.
  • Le Renard et le Chat.
  • Le Renard et le Coq.
  • Le Renard et l'Ourse.
  • Le Renard et le Pigeon.
  • Du Villain et du Follet.
  • Le Villain et ses Boeufs.
  • Du Villain et de son Cheval.
  • Le Villain et la Chouette.
  • Le Villain et le Dragon.
  • Du Villain et de l'Escarbot.
  • Du Villain et de l'Ermite.
  • Du Villain et du Loup.
  • Du Villain qui donna ses Boeufs au Loup.
  • Le Villain et le Serpent.
  • Les deux Villains.
  • Le Voleur et les Moutons.

 

 

   L'Abeille et la Mouche.  

 
L 'Abeille et la mouche eurent querelle un jour. Celle-ci méprisoit l'autre : elle se vantoit d'entrer dans les palais des rois, de s'asseoir sur leur tête, de manger à leur table. «Toute la terre m'appartient, disoit-elle; je vole librement parcetout où il me plaît, et me nourris sans aucun travail de ce miel que tu fais avec tant de peine et pour lequel on te donne la mort.
—On me fait mourir, il est vrai, répondit l'abeille, mais c'est à regret, parce que je suis utile.
    Pendant ma vie on m'estime, on me recherche, tandis que toi, paresseuse, importune et vagabonde, tu ne peux être en honneur nulle part, et te fais chasser de tous les lieux où tu parois.» Elle s'y donne les mêmes éloges, et loue surtout sa prévoyance à se préparer pour l'hiver des ressources contre la faim.
 
 

 L'Aigle, l'Autour et le Pigeons.  

 
Le roi des oiseaux reposoit en paix, perché sur un arbre. À ses côtés étoit l'autour, son sénéchal, et un peu au-dessous, des pigeons, occupant d'autres branches, jouoient et folâtroient sans crainte sous le feuillage. Cette confiance choqua l'autour. «Insolents! leur dit-il, vous bravez ma serre, parce que la présence de votre monarque vous rassure; mais si j'étois seul ici, vous ne m'insulteriez pas impunément. »
Un roi sage ne doit point choisir ses officiers parmi les méchants; car enfin s'il est des moments où ses regards peuvent les contenir, il en est beaucoup plus où ils seront assurés de n'être point vus.
 
 

 L'Ane et le Chien.  

 
Un âne se plaignoit de sa destinée; un chien l'entendit et prétendit être bien plus à plaindre encore. Le premier, racontant ses infortunes, détailla tout ce qu'il avoit à souffrir pendant l'année. Toujours sur les chemins par la chaleur, par le vent ou par la pluie; aujourd'hui c'est de la farine ou du blé, demain c'est du fumier ou du bois qu'il lui faut porter. Il plie sous le fardeau, il ne peut marcher, on l'accable de coups. A peine lui laisse-t-on dans la journée quelques instants de relâche pour aller le long des fossés pâturer à la hâte un peu de mauvaise herbe. Du reste, aucun soin de sa personne; toujours des menaces et du mépris, jamais un mot d'amitié ni une caresse. Tu travailles le long de la semaine, il est vrai, répondit le chien; mais le soir, quand tu rentres, tu trouves une étable bien chaude où tu peux t'étendre et reposer en paix; moi, au contraire, je n'ai jamais de repos. La nuit comme le jour, l'hiver comme l'été, mon sort est de veiller dans une cour, exposé à toute la rigueur des saisons. Vient-il à se glisser dans la maison un voleur ou un loup, il faut combattre au risque de ma vie, et te défendre pendant que tu dors. Le matin, après une nuit ainsi passée, je vais à jeun me présenter à la cuisine pour recevoir la récompense de mes services. J'y trouve la servante qui, aux dépens de son maitre, déjeune secrètement avec le valet qu'elle aime. Ils me chassent à grands coups de pieds , parce que je les importune. Obligé d'attendre l'heure du dîner, quoique mes entrailles crient famine, j'accours enfin et trouve toute, la famille à table, buvant et mangeant bien. J'ai beau pen-dant ce temps-là les regarder piteusement, aucun d'eux ne daigne seulement faire attention à moi , et je me crois très heureux si, après bien des caresses de ma part, ils daignent, lorsqu'ils n'ont; plus faim, me jeter quelque os décharné. Pendant que je suis occupé à le dévorer, l'un des enfants ou l'une des filles laisse échapper quel-que incongruité, l'encens frappe l'odorat, on se bouche le nez : au diable le mâtin, s'écrie-t-on; et à l'instant mille coups que je n'ai pas mérités pleuvent sur moi, on me chasse, et je me vois obligé de me sauver à la cour, sans oser reparaître de toute la journée. Tout ce que tu viens de dire est vrai, reprit l'âne; mais si l'on te procure des moments de chagrin, tu en as d'autres aussi qui te dédommagent. Tu vis avec ton maître, il reconnoît tes bons offices, il te loue, il te caresse, et au moins l'emploi dont il te charge n'est pas avilissant. »
Cette fable n'est point dans les deux volumes des poésies dé Marie de France publiés par M. Roquefort.
 
 
 
L'Arpenteur et sa Perche.  
 
Un arpenteur vouloit mesurer son champ, et il ne pouvoit en venir à bout, parce qu'il étoit ivre. Dans sa colère il s'en prit à sa perche, qu'il jeta par terre avec mille injures. « Tu as tort, répondit celle-ci, ce n'est pas moi qu'il faut blâmer, je ne me suis jamais trompée. » Mais l'homme en place fait-il une faute, il la rejette toujours sur quelque autre, et s'en prend à lui.
 
 

L'Autour et le Hibou.  


 
Un autour et un hibou s'étoient liés d'une étroite amitié. Au printemps l'autour ayant fait un nid au haut d'un chêne, l'autre vint y pondre. Alors le noble oiseau renonçant généreusement, en faveur de son ami, à la douceur de devenir père, adopte les œufs et les couve comme s'ils étoient les siens. Dès que les petits sont éclos, il les appâte avec la même tendresse; mais il est étonné de voir sans cesse son nid humide et infecté par leur ordure, et il leur en fait des reproches. « Voilà vingt ans de suite que j'ai une aire, leur dit-il, et jamais je n'ai éprouvé d'au-cun de mes enfants dégoût semblable. » Les jeunes hiboux répondirent que ce n'étoit pas leur faute, et ils ajoutèrent naïvement que leurs parents les ayant faits foireux, il ne dépendoit point d'eux d'avoir un nid qui fut propre. « Vous avez raison, reprit l'autour, j'ai pu vous faire éclore, je puis encore vous élever et vous nourrir, mais tous mes succès se borneront là; jamais on ne change un mauvais naturel. "
 
 
 
 
La Biche, le Faon, et le Chasseur.  
 
Une biche instruisoit son faon sur tout ce qu'il avoit à craindre du loup, des chasseurs et des chiens, et elle lui apprenoit en même temps à s'en défier et à s'en garantir. Tandis qu'elle parloit, ils aperçurent au loin dans la campagne un homme à cheval, armé d'arc et de flèches. « Qu'est-ce que ceci? dit le faon.
— Mon fils, répondit la mère, c'est ce que tu dois redouter le plus au monde, si tu aimes à vivre. Garde-toi bien de te laisser jamais. approcher par de pareilles gens; et si par hasard tu en es surpris, fuis de toutes tes forces. » Pendant ce discours, le chasseur qui les avoit vus aussi approchoit à grands pas. « Fuyons, « disoit la biche, fuyons, le voici. » Le jeune téméraire, loin d'écouter ces avis, regardoit tout cela comme des terreurs de femme, et s'amusoit à considérer l'habillement du chasseur et les mouvements lestes de son cheval. « C'est lui qui a peur de nous, disoit-il. Regardez, le voilà qui descend et qui met pied à terre.
— Ah! mon fils, sauve-toi, » crioit la mère en fuyant tant qu'elle pouvoit. Hélas! il n'en étoit plus temps, déjà une flèche étoit lancée, et le faon blessé à mort tomboit par terre.
Avertissez un fou du danger qui le menace, il rira de vos conseils et n'y croira que quand il sera tombé dans le malheur.
 
 
 
Le Blaireau et les Cochons.  
 
On conduisoit des porcs à la glandée dans une forêt. Un blaireau se joignit à eux, et prétendit être de la famille. Le soir il rentra avec eux dans l'étable; mais quand il vit qu'on en égorgeoit quelques-uns, il ne voulut plus être de leurs parents, et jura sur son honneur que jamais il ne leur avoit appartenu.
 
 
 
Le Bouc et le Cheval.  
 
Certain seigneur, homme de peu d'esprit, avoit un cheval dont il vouloit se défaire. Il crut l'occasion favorable pour se défaire en même temps d'un bouc qu'il avoit aussi, et les exposa tous deux en vente, demandant pour l'un et pour l'autre vingt sous. Plusieurs personnes marchandèrent le cheval, mais aucune ne voulut du bouc; lui, au contraire, s'opiniâtra dans son idée, et déclara toujours qu'il ne vend roit point l'un sans l'autre. Vous devinez ce qui arriva? C'est qu'il ne vendit ni le bouc ni le cheval.
 
 
 
Le Chameau et la Puce.  
 
Un chameau alloit commencer un grand voyage, une puce sauta sur son dos et fit le voyage avec lui. Quand il fut de retour, elle crut devoir le remercier. « Vous m'avez portée fort doucement, lui dit-elle, je vous suis obligée, et conviens que sans vous je n'eusse jamais pu faire si longue route. » Le chameau, tournant avec étonnernent la tête pour la regarder, répondit d'un ton ironique : « Vous êtes trop reconnois-santé en vérité, mais s'il faut parler vrai, je ne me suis point aperçu dans le chemin que votre poids m'ait fatigué, et jusqu'à ce moment-ci, je vous l'assure, j'ai ignoré que nous fussions ensemble. »
  On rencontre souvent ici-bas de ces gens obscurs , qui ont beaucoup de prétentions néanmoins. Ils se croient fort importants, et l'on ne sait seulement pas s'ils existent.

Le Chat, le Mulot et la Souris, ou Le Chat qui se fit Evêque.

Un chat tapi sur un four avoit, pendant toute la journée, inutilement fait la guette, lorsqu'il aperçut un mulot et une souris. Il les appelle d'un ton benin, leur dit qu'ils ont écouté de méchants discours, qu'il est leur évêque, et veut leur donner sa bénédiction. Les souris lui répondent qu'elles aiment mieux mourir que de venir se mettre à portée de ses griffes. Elles fuient, le chat les poursuit, et elles se réfugient dans des trous du mur.
Elles s'y tiennent cachées et préfèrent ne pas voir le jour plutôt que de s'approcher du perfide dont elles redoutent la prétendue bénédiction.
Ceci vous fait voir qu'il ne faut pas se mettre sous la main de celui qui veut faire le mal, et qu'il vaut mieux fuir en un autre pays.
 
 
Le Chevallier et le Vieillard.  
 
Il y avoit un vieillard qui avoit beaucoup voyagé. Comme d'ailleurs il étoit plein de sens, on le considéroit à la ronde, et l'on écoutoit volontiers ses conseils. Un jour certain chevalier du voisinage vint le consulter. «Prud'homme, lui dit-il, je n'ai rien qui me fixe ici, et je veux vivre heureux. Dites-moi quel est le pays où je dois me retirer pour cela. 
— Dans celui où l'on voudra vous aimer, répondit le vieillard.
— Et si je ne trouvois point de gens qui voulussent m'aimer? reprit le gentilhomme.
— Dans ce cas-là, sire, je vous conseille d'aller où l'on vous craindra.
— Mais enfin, si le peuple chez qui je m'établirai n'avoit point de raisons pour me craindre?
— Eh bien! alors allez où l'on ne vous craindra pas.
— Enfin, si par hasard je ne pouvois pas encore trouver ce pays-là, lequel choisirai-je, je vous prie?
— Celui, sire, où vous ne trouverez personne, et où vous serez sûr que personne ne vous trouvera. »

Le Corbeau et le Loup.  
 
Un corbeau s'étoit posé sur le dos d'un mouton. Un loup qui passoit près de là l'aperçut. Voyez ce que c'est que le bonheur! se dit-il à lui-même. Ce monstre de mauvais augure est perché là tranquillement, le berger ne lui dit rien : et moi, malheureux! si j'approchois seu-lement de ce mouton imbécille, tous les chiens galoperaient après moi. »
Le méchant cause tant d'effroi, que dès qu'il paroit tout le monde cherchée se garantir de lui.
 
 
 
De l'Escarbot.  
 
Un escarbot sortant de son fumier vit un aigle qui prenoit son vol dans les nues : le sale insecte en fut jaloux, a Eh! pourquoi, se dit-il k lui-même, ce fier oiseau a-t-il reçu de la nature une destinée si brillante, tandis que moi je ne fais presque que ramper? Après tout, s'il a des ailes, n'en ai-je pas aussi ? S'il est grand et fort, n'ai-je pas le corps beau et luisant? C'en est fait, je renonce à mon fumier, et veux désor-mais vivre et voler comme lui. »
Tandis qu'il arrangeoit dans sa petite tète ses nouveaux projets, l'oiseau roi s'abattit à terre et vint se reposer assez près du fumier. L'escar-bot saisit l'occasion; il prend son essor, saute par-dessus l'aigle, et pousse de joie un vilain cri aigre pour célébrer sa prouesse. Le reste de la journée il en fut tout fier; mais sur le soir, la faim l'ayant pris, il fut obligé de retourner à son ordure, et renonça à toutes ses idées de grandeur.
Ceci est l'image de ce qui arrive à certains ambitieux sans mérite. Jaloux de ceux qu'ils voient s'élever, ils veulent comme eux prendre aussi leur vol, mais c'est l'histoire de l'escarbot, bientôt la nature les ramène à la fange d'où ils sont sortis.
 
 
 
Une femme et sa Poule.  
 
Une femme assise devant sa porte voyoit sa poule gratter et chercher sa nourriture. Elle s'y occupoit tout le jour, et la femme qui l'aimoit lui dit : « Ma belle, ne te fatigue pas à gratter sans cesse, chaque jour je te donnerai du grain abondamment et à ta volonté.
— Que dis-tu? répond la poule, crois-tu que j'aime mieux ton blé que ce que j'ai l'habitude de chercher? Nenni, nenni; ta corbeille de grains seroit là toujours pleine, que je ne m'abstiendrais pas de suivre ma nature et de picoter sans cesse. »
Cet exemple vous fait voir que l'on ne peut changer les habitudes de nature.
 
 
 
La Guenon et l'Ours.  
 
De toutes les femelles d'animaux, vous savez que la guenon est celle qui aime le plus extra-vagamment ses petits, tout laids qu'ils sont.
Il y en avoit une un jour qui étoit si éprise du sien, et qui le trouvoit si beau, qu'elle le montroit à tous les passants. Ils avoient beau lui rire au nez et se moquer d'elle, rien ne la désabusoit. Sa folie alla même jusqu'à vouloir le montrer à la cour du lion; mais le monarque ayant dit que jamais il n'avoit vu si laide bète, elle s'en revint fort affligée. En route, la mère et le fils furent rencontrés par un ours. Celui-ci s'arrête avec un air de surprise, et il s'écrie : a Oh! le bel enfant! qu'il est joli! C'est lui sans doute de la beauté duquel on parle tant?
— Oui, sire, répond la mère enchantée, et c'est mon fils.
— Je ne puis y tenir, souffrez, dame, que je le baise. » A ces mots il prend le poupon, et d'un coup de mâchoire il lui croque la cervelle.

De la Grue.  
 
L'aigle eut un jour à se plaindre de l'autour. Il assembla aussitôt tous les oiseaux ses sujets, et, après leur avoir exposé ses griefs, il donna ordre qu'on allât saisir le coupable et qu'on le lui amenât. Celui-ci, qui pressentoit la colère du monarque, s'étoit retiré dans le trou d'un rocher, bien résolu à se défendre si on 1 y atta-quoit. Vingt fois les oiseaux passèrent et repassèrent devant le trou, sans qu'aucun d'eux osât se risquer à y entrer.
La grue enfin proposa un expédient qui an-nonçoit bien son imbécillité, c'étoit d'y enfoncer son long cou, et d'obliger avec le bec le rebelle à sortir. L'avis fut fort approuvé. En conséquence la sotte, enivrée par ces éloges, pénètre étourdiment dans le piège; mais à peine y a-t-elle enfoncé la tète, que l'autour, la lui saisissant avec sa serre, la mord cruellement.
Elle ne s'attendoit pas à cet accueil. Sa peur est telle qui involontairement elle ouvre l'extrémité opposée, et conspue les oiseaux qui étoient auprès d'elle. Tout le monde se met à rire; enfin elle se tire du trou avec grand'peine; mais dans la confusion que lui cause son accident, elle se sauve et prend même le parti de passer les mers pour s'éloigner à jamais des témoins de sa honte. Dans sa route elle rencontre une mouette de sa connoissance qui lui demande où elle alloit ainsi. L'autre lui raconte naïvement sa triste aventure. Mais, dites-moi, reprit la mouette, vous n'em-portez pas sans doute avec vous l'instrument honteux qui vous a joué ce mauvais tour?
— Belle question! Eh! comment voulez-vous donc que je m'en sois défaite?
— Eh bien! ma chère, puisque vous le portez toujours, retournez d'où vous venez, croyez-moi, et craignez qu'il ne fasse encore pis ailleurs. »

L'Homme et les deux Cerfs.  
 
Un paysan traversoit à pied une forêt. Dans sa route il vit deux cerfs qui se parloient d'un air d'effroi, et qui sembloient délibérer sur ce qu'ils avoient à faire, « Eh! d'où vous vient cette terreur? leur dit le manant. Je ne vois ici aucun danger; que craignez-vous?
—Le danger futur, répondirent-ils. »
 
 
 
L'Homme , le Renard et le Serpent.
 
Un bon villageois sans malice trouva en hiver un serpent roide de froid. Touché de pitié, il le met dans son sein pour le réchauffer; mais la bête malfaisante n'est pas plus tôt rendue à la vie qu'elle cherche à étouffer son bienfaiteur en le serrant des longs anneaux de son corps. Celui-ci cherche à se débarrasser : « Malheureux! s'écrie-t-il, voilà donc comme lu paiesle bien qu'on te fait!
—J'obéis à mon naturel, répond le serpent.»
Pendant tout ce débat, un renard passe auprès d'eux, et voit le villageois aux prises avec son ennemi. « Retire-toi, dit-il au serpent; tu commettrois une vilaine action, mais il est encore temps de te repentir. Et vous, ajouta-t-il en s'adressant à l'homme, vous avez eu tort d'employer vis-à-vis de cet animal des termes injurieux.
Sachez que, quand on est dans le danger, il n'est pas sage d'insulter son ennemi. »
 
 
Le Lièvre et son destin.  
 
Un lièvre vit passer un cerf, et il fut frappé de la beauté de cet animal. Il admiroit surtout la majesté du bois dont sa tête étoit parée. Ce bois enfin fit sur lui une telle impression, qu'il alla se plaindre au Destin de n'avoir pas de même reçu en partage une arme aussi redoutable et si capable de le faire craindre. En vain le dieu lui représenta que de pareilles armes n'étoient pas faites pour sa tête, il importuna tant qu'enfin elles lui furent accordées. Le voilà donc avec un bois de cerf, mais il ne peut plus marcher, le poids l'entraîne, il tombe à chaque pas, et périt enfin par sa faute.
Ceci s'adresse aux ambitieux qui se chargent d'emplois pour lesquels ils ne sont point faits.
 
 
 
L'Assemblée des Lièvres.  
 
L'homme vint un jour avec ses chiens s'établir dans le pays qu'habitoient les lièvres. Ceux-ci, depuis ce moment-là toujours tourmentés, toujours inquiets, résolurent enfin d'aller vivre ailleurs, et ils convoquèrent à ce dessein une assemblée générale. Les plus vieux et les plus sages opinèrent à rester : ils avoient de la peine à quitter cette terre où avoient vécu leurs pères, et où eux-mêmes étoient nés; mais on n'écouta point leurs représentations, les clabaudeurs l'emportèrent, et toute la troupe partit.
Dans leur route ils passèrent près d'un marais dont les bords étoient couverts de grenouilles. Elles étoient sorties pour respirer l'air et jouir du soleil. Au bruit cpie font les lièvres en passant, elles s'effraient, et toutes en foule se précipitent dans les eaux. Un des lièvres s'arrête alors: « Frères, dit-il à la colonie fugitive, nous avons eu tort de quitter notre terre natale. Retournons, croyez-moi, je vois que par tous les pays on craint et que partout on a lieu de craindre. » On le crut et l'on retourna.
On pourrait adresser le même discours à tous ces gens qui, mécontents de leur patrie et du gouvernement sous lequel ils vivent, veulent le quitter, dans l'espérance de rencontrer mieux ailleurs. Hélas! ils ont beau chercher, ils ne trouveront nulle part de contrée qui soit sans inquiétude, sans travail et sans douleur.
 
 
 
Le Lion, le Loup et le Renard.  
 
Le lion se promenoit un jour avec le renard et le loup, ses sujets.Tout-à-coup il se mit à bailler, et laissa voir une gueule toute sanglante encore, et remplie de flocons de laine. Le renard s'en aperçut très bien; mais flatteur à son ordinaire: Sire, vous avez faim, dit-il, et je vois par ce baillement que votre estomac travaille, et que vous n'avez point mangé d'aujourd'hui. Il est vrai, répondit le lion; eh bien! chassons ensemble, nous partagerons notre chasse en commun: mais jurez-moi auparavant d'être fidèles, et de ne rien détourner pour votre profit particulier. » Les deux courtisans jurèrent; le monarque lui-même fit le serment; et, après être convenu d'un signal et d'un lieu de ralliement, ils partirent chacun de leur coté. Mais celui-ci n'eut garde de se fatiguera chasser; il se rendit tranquillement au lieu du rendez-vous.
Pour les deux autres, ils revinrent bientôt après, annonçant qu'ils a voient découvert l'un un taureau, l'autre une vache avec son veau. Sur leur rapport, le roi les suivit pour aller étrangler les trois victimes. Quand elles furent tuées Ysengrin (le loup) proposa de partager. « Volontiers, dit le lion ; eh bien ! fais toi-même les parts.
—Elles doivent être proportionnées à la taille et à l'ap-petit de nous trois, reprit le loup. Que le taureau soit pour vous, sire; renard aura le veau et moi la vache. »
Pour toute réponse le lion furieux lui allonge sur le museau un coup de griffe, avec lequel il lui arrache un œil et une partie de la mâchoire; puis se tournant vers le renard, il ordonne à celui-ci de partager. « Je vous obéirai, sire, répond le renard, et j'aurai soin de ne pas manquer, comme mon camarade, au respect que je vous dois. Prenez le taureau, sire; il vous appartient comme notre roi et notre maître. La reine, votre auguste compagne, vient de vous donner un lionceau; il est juste que nous travaillions pour elle, donnez-lui la vache; quant à messire votre fils, ses droits ne doivent pas être oubliés, qu'il prenne le veau. »



Les deux Loups.  
 
Deux loups s'entretenoient ensemble des brigandages de leur vie scélérate : car les méchants ont quelquefois des retours de vertu. « Nous sommes en exécration, disoit l'un d'eux: aussi nous fait-on sans cesse la guerre et vivons-nous dans des transes éternelles. Changeons de conduite, essayons de bien vivre; et alors, loin d'être redoutés, loin d'avoir nous-mêmes à craindre, nous serons partout honorés et chéris. Tu as raison, répondit l'autre, soyons bons; mais qu'imaginerons-nous pour l'être , et surtout pour convaincre de notre changement? »
En parlant ainsi, il aperçoit dans la campagne des moissonneurs qui coupoient les grains. Il propose à son camarade d'aller les aider. Celui-ci y consent,et voilà nos deux pénitents qui s'approchent des travailleurs. Mais dès qu'on les voit, on crie après eux et on les chasse à coupsde pierres et de bâtons.
« Tu vois, dit alors un des loups, nous avons beau faire, on nous en veut, et tout, jusqu'à nos services, est imputé à crime. Eh bien! puisque nous sommes haïs, méritons de l'être, re-tournons au bois et faisons pis encore qu'auparavant. Ils le firent et tinrent parole.
Combien de fois n'est-il pas arrivé à des méchants de montrer ainsi des sentiments honnêtes; mais quand il s'agit de les mettre à exécution, ils trouvent bientôt un prétexte pour s'en dispenser.
 
 
 
Le Loup devenu Roi.  
 
On raconte que le lion, ayant résolu un jour de voyager, convoqua tous les animaux pour leur déclarer son projet; et, comme d'ailleurs il ne comptoit pas revenir de sitôt, il leur permit même de se choisir un roi à sa place. Tous répondirent d'abord que sur un choix si difficile ils ne s'en rapporteraient qu'à lui seul; et, en conséquence, ils le prièrent de chercher dans sa noble famille quelqu'un qui fût digne d'être son successeur, Je ne me suis point donné d'héritier, répondit-il, je laisse le trône vacant, placez-y qui vous plaira. »
D'après ce consentement les animaux prirent jour pour se donner un maître. Ils choisirent le loup et vinrent demander pour lui l'agrément de leur ancien monarque. « J'approuve votre élection, dit celui-ci. Votre nouveau roi est ac-tif, hardi, entreprenant, et je ne desirerois à son courage et à son caractère qu'un peu plus de franchise et de loyauté. Prenez garde seule-ment qu'il ne se donne quelque traître pour conseiller. Si, par exemple, il alloit prendre le renard, ce seroient deux méchants ensemble, et alors vous auriez tout à craindre. J'appréhende encore, je l'avouerai, qu'il ne puisse pas commandera sa gloutonnerie. Voulez-vous suivre un bon conseil? Faites-lui promettre que tant qu'il sera roi il ne mangera chair d'animal vivant, et ne lui prêtez serment d'obéissance que quand il aura, le premier, prêté celui-là. »
L'avis fut exécuté. Le loup fit sans scrupule tous les serments qu'on voulut, parce qu'il espéroit bien les rompre impunément lorsqu'il seroit le plus-fort. En effet, il ne vit pas plus tôt son autorité assurée et son prédécesseur parti qu'il voulut manger de la chair. Cependant, afin de ne pas trop effaroucher les esprits, il employa la ruse, et la sienne fut telle qu'elle eut l'apparence de la justice.
Il appela donc la brebis et lui demanda, sur la foi qu'elle lui devoit comme sujette, s'il étoit vrai, ainsi qu'on le prétendoit, qu'il eût l'haleine forte. Celle-ci, trop bête pour soupçonner le piège qu'on lui tendoit, convint avec franchise que la bouche du sire exhaloit une odeur capable de suffoquer. Lui aussitôt, avec l'apparence de la colère, convoque ses barons. Il leur demande quel traitement mérite celui qui a fait honte et insulte à son seigneur. Tous opinent à la mort; et à l'instant il fait égorger la brebis et la mange, après en avoir cependant distribué quelques morceaux aux juges pour les intéresser à sa félonie.
Quelques jours après, lorsque la brebis fut entièrement consommée, il manda le chevreuil et lui fit la même question qu'à l'autre. Ce dernier, que l'aventure du porte-laine avoit rendu circonspect, donna dans l'extrémité opposée; il assura le prince qu'il n'y avoit roses, parfums ni aromates qui, pour la douceur, approchassent de son haleine. D'après une flatterie aussi grossière, nouveau conseil pour savoir comment devoit être puni le sujet qui avoit menti impudemment à son souverain : nouvel arrêt de mort, par conséquent,et nouvelle victime.
Peu après, le loup, en se promenant, aperçut un gros singe dont il eut envie. Il le questionna aussi sur son haleine, comme les deux premiers; mais le drôle étoit plus fin qu'eux. Il répondit adroitement qu'elle ressemblât à celle de mille autres; c'est-à-dire qu'il ne la trouvoit ni douce ni forte. La réponse étoit adroite; il n'y avoit pas là de quoi traduire en jugement : aussi le tyran fut-il embarrassé. Voici ce qu'il imagina.
Il se mit au lit, se dit malade, se plaignit d'un dégoût général et envoya chercher des médecins. Ceux-ci lui demandèrent s'il n'y auroit pas quelque chose qui pût le ragoûter. a Non, répondit-il. J'ai bien, il est vrai, une envie démesurée de manger du singe; mais je sais aussi le serment que j'ai fait en montant sur le trône, et j'ai la conscience trop délicate pour y manquer. » Les médecins, comme vous pouvez croire, s'empressèrent de rassurer cette âme si timorée. A les entendre, tout devenoit juste quand il s'agissoit de conserver une tète si chère. Enfin ils représentèrent que le roi avoit promis seulement de ne point manger de chair vivante, mais que son serment ne regard oit point la chair morte. Ainsi il n'y avoit, selon eux,qu'à tuer le singe, et les scrupules du sire n'avoient plus de fondement.
Ces scrupules n'étoient pas bien considérables , car il étrangla lui-même l'animal et le mangea aussitôt. Ce n'est pas tout. Enhardi par ces criminelles complaisances, il devint de jour en jour plus entreprenant. Bientôt il ne connut plus de frein, et pendant tout le temps qu'il régna il ne cessa de dévorer sans honte ses sujets, toutes les fois que la faim lui en demanda quelqu'un.
On doit bien se garder de se donner pour seigneur un homme méchant, car rien ne pourra l'arrêter et il traitera ses sujets comme le loup traita les siens.
 
 
 
Du Loup et de la Guêpe.  
 
Un loup, pendant son sommeil, fut piqué sous la queue par une guêpe, à l'endroit que vous devinez. Jugez quels hurlements il fit lorsque la douleur le réveilla. Cependant, à force de contorsions etde mouvements, il réussità faire sortir l'insecte; mais, quand il le vit, il fut tellement indigné qu'un si petit animal eût pu lui arracher de pareils cris qu'il l'accabla d'injures. La guêpe fut choquée à son tourdece ton méprisant. Elle prétenditvaloir mieux que lui. « Assemble ici demain toute la fa-mille, lui dit-elle; j'y assemblerai la mienne-nous combattrons, et la victoire décidera qui de nous est le plus méprisable. »
Le lendemain en effet, au point du jour, les deux troupes bien ordonnées se présentèrent au combat. Le loup, persuadé que ses ennemis ne pouvoient piquer qu'où il l'avoit été la veille, s'é-toit bouché et tamponné, avec des feuilles, l'endroit foible, et tous ses camarades en avoient fait autant. Avec cette assurance il s'avance fièrement à leur tête ; mais la guêpe, s'élançant sur lui tout-à-coup, s'attache sous son ventre à un endroit plus sensible encore, qu'elle pique et mord cruellement. Il ne s'attendoit pas à cette attaque. La frayeur lui cause un accident qui jette au loin le tampon, mais non dans l'état où il avoit été-mis. Notre héros s'enfuit à toutes jambes; et les autres qui le voient désarmé, et qui craignent pour eux la même chose, suivent son exemple.
Il n'est point d'ennemis méprisables.
 
 
 
Du Loup et du Hérisson.
 
Le loup et le hérisson s'étoient réunis pour chasser ensemble. L'un devoit arrêter les chiens, les attirer à lui, et les combattre avec ses pointes, et l'autre, pendant ce temps, devoit saisir et emporter la proie. Un jour qu'ils chassoient ainsi, le loup trouva à enlever un agneau; mais il fut aperçu de loin par les bergers, qui aussitôt lâchèrent leurs chiens après lui. C'étoit au hérisson à les attendre : il n'en eut pas le courage, et supplia son compagnon de le tirer du danger. Celui-ci fit la sourde oreille : l'autre, insistant vainement, lui dit enfin : « Cher ami, il m'est bien douloureux de mourir ainsi sans pouvoir embrasser pour la dernière fois et ma femme et mes enfants. Puisque tu es sûr d'échapper, charge-toi à ma place de ce triste office, je t'en supplie. Approche et porte-leur au moins un baiser, comme le dernier gage de mon tendre attachement. »
Le loup, par une sorte de compassion, s'avança pour embrasser son ami, mais l'ami aussitôt le saisit à l'oreille avec une telle force, que l'autre fut, malgré lui, obligé de l'emporter. Cependant ce poids ralentissoit sa marche et donna aux chiens le temps de l'atteindre. Quand le hérisson vit qu'il alloit être pris, il le lâcha et grimpa sur un arbre qui étoit là auprès. Le loup alors le supplia de descendre et de venir à son secours.
Que Dieu t'aide, répondit l'animal aux épines; mais quand je t'ai prié de venir au mien, tu sais comme tu t'es conduit; tu m'as abandonné, je t'abandonne. Adieu, défends-toi, me voilà en sûreté, »
 
 
 
Le Loup et le Pigeon.  
 
Un loup regardoit un pigeon qui, sous un buisson, ra inassoit de petites branches pour faire son nid. Le loup ne se put tenir de lui dire : « Je te vois beaucoup travailler, cueillir et chercher maints rameaux, et ta maison n'en vaudra pas mieux. » Le pigeon lui répondit : « Je te vois souvent prendre des brebis, voler des agneaux et des moutons, tu n'en es pas plus avancé, ni plus riche, ni plus prisé. »
Ainsi voit-on que les fripons et les voleurs n'en sont pas plus riches pour ravir le bien d'autrui, et vivent toujours en pauvreté.
 
 
 
Du Loup qui avait fait un voeu.  
 
Jadis il fut un loup qui, dans un moment de ferveur, voua de faire un carême de quarante jours, et de s'abstenir scrupuleusement de chair pendant tout ce temps. A peine il avoit prononcé son serment qu'il rencontra un mouton gras et dodu. « Ah! quelle occasion, s'écria-t-il, « si je n'avois pas fait un vœu! Mais cependant, si je ne mange point ce benêt, viendra un autre qui le mangera et qui se moquera de moi. « D'un autre côté, après tout, il faut bien dîner. Acheter un saumon ou un brochet, il m'en coûtera deux fois davantage. Eh bien! appeIons cet animal saumon, et mangeons-le comme tel. »
Je veux vous apprendre par là que rarement un homme vicieux se corrige de ses mauvaises inclinations : une occasion de rechute s'offre-t-elle à lui, adieu les belles résolutions, il y succombera.
 
 
 
Du Médecin et de la Fille enciente.  
 
Certain bourgeois tomba malade, et pendant quelques jours il se contenta de garder le lit, soigné uniquement par sa fille. Enfin cependant, comme il sentoit le mal empirer, il envoya chercher un médecin. Celui-ci le saigna, et il ordonna à la demoiselle de conserver le sang, afin qu'à son retour il pût voir, quand ce sang seroit refroidi, d'où la maladie provenoit. La fille, pour plus grande sûreté, alla porter l'écuelle dans sa chambre, et la posa bien couverte sur un banc. Mais l'instant d'après l'étourdie n'y songea plus, et la première chose qu'elle fit en rentrant chez elle, ce fut de tout jeter par terre.
Qu'imaginer en pareille circonstance pour éviter d'être grondée? Elle ne trouva rien de mieux que de se faire saigner elle-même par une autre personne, et quand le médecin reviendroit, de lui présenter ce sang en place de celui de son père. C'est ce qui arriva ; mais l'Esculape devina la tricherie et voulut en punir la donzelle. Il s'adresse au père : « Ce sang-là, dit-il, me donne pour vous de bonnes espérances, il m'annonce que bientôt vous aurez un enfant de plus. » A ces paroles le prud'homme reste interdit, et il l'est avec d'autant plus de raison qu'il étoit veuf. Il en demande l'explication. De son côté la fille rougit; enfin tout s'explique; et celle-ci, forcée d'avouer la vérité, convient qu'à trois mois de là l'horoscope du médecin doit s'accomplir.
Combien de gens qui, en voulant tromper les autres, ont été trompés eux-mêmes.

Le Milan et le Geai.  
 
Un milan étoit malade en son lit. Dans son voisinage étoit le nid d'un geai, auquel il avoit souvent fait du mal. Il prie sa mère d'aller vers le geai lui demander pardon et l'inviter à prier pour lui. " Comment, dit-elle, irai-je, et que pourrai-je lui dire? Maintes fois tu as ravagé son nid et tué ses petits. »
Combien de gens, après leurs méfaits, vont criant merci et demandent des secours.
 
 
 
Les Oiseaux se choisissant un Roi.  
 
Les oiseaux ayant perdu leur roi s'étoient assemblés dans un grand bois pour lui donner un successeur. Tous se trouvèrent à la diète, excepté le coucou. On l'entendit chanter à quelque distance de là : sa voii forte et sonore frappa tout le monde; on crut qu'un oiseau qui annonçait tant de vigueur étoit fait pour gouverner un grand empire, et en conséquence il fut unanimement élu roi.
dépendant, avant de lui jurer obéissance, on voulut connoitre plus particulièrement ce qu'il étoit, et l'on dépécha vers lui, pour s'en assurer, la mésange, renommée entre tous les volatiles pour être sage et prudente. Celle-ci alla se percher sur l'arbre où il étoit : elle vola, tourna autour de lui, l'examina bien, et fut d'abord choquée de son air niais et ignoble. Ce n'est pas tout : dans le dessein de l'éprouver et de pouvoir l'apprécier plus positivement, elle se place au-dessus de sa tête et laisse tomber sur lui son ordure; le coucou, sans en être plus ému, se contente de secouer ses plumes.
Alors la mésange s'en retourne et va raconter l'assemblée ce qu'elle a fait. « Ce roi-là n'est pas ce qu'il nous faut, dit-elle; car s'il n'a pas osé se venger de moi qui suis foible et petite, que fera-t-il donc quand un autre plus fort que lui l'insultera? Nous avons besoin d'un chef robuste et courageux, qui soit en état de faire trembler tous ses sujets et de n'en redouter aucun. »
En parlant ainsi, elle jeta les yeux sur l'aigle, et admira la force qu'annonçoit cet oiseau, sa haute taille et son regard fier. « Voici, ajoutat-elle, le maître qui nous convient II porte des armes formidables, il sait endurer long-temps la soif et la faim, il ne craint point les combats, et nous pouvons être assurés d'a-vance qu'il ne redoutera point de punir l'injustice. »
On crut la mésange, on choisit l'aigle pour roi, et depuis ce temps il n'a point cessé de l'être.
 
 
 
Le Prêtre et le Loup.
 
Un prêtre avoit un loup privé, auquel il voulut apprendre à lire. « Çà, dit-il en lui montrant un alphabet, regarde bien ceci et répète après moi : A. » Le loup, au lieu de répéter la lettre, se mit à crier Bè. En vain le prêtre se tuoit de lui crier A, il en revenoit toujours à prononcer le cri du mouton.
« Oh! je vois bien à présent, s'écria le maître, que ce qu'on a dans le coeur on l'a toujours sur les lèvres. »
 
 
 
Du Prud'homme qui vit sa femme avec un amant.  
 
Un villain, homme fort simple, fut étonné un jour, en rentrant chez lui, de trouver la chambre fermée. Il regarda par le trou de la serrure, et vit sur le lit un homme couché avec sa femme. L'innocent se retire aussitôt, mais bien résolu cependant de faire tapage lorsqu'elle seroit seule. Il revient le soir dans ce dessein : la dame, qui le voit rentrer de fort mauvaise humeur, lui demande ce qu'il a. Alors il commence sa querelle, « Voilà toujours de tes lubies ordinaires, répond-elle, et il n'y a pas moyen de te guérir. Imbécille! est-ce que tu ne sais pas qu'il y a dans la chambre un cuvier plein d'eau : tiens, regarde. »
En parlant ainsi, elle le mène au cuvier, et, pendant qu'il y regarde, elle lui passe un bras autour du cou. Effectivement il voit dans l'eau sa propre image, collée à celle de sa femme, dans l'attitude que je viens de vous dépeindre.
Eh bien! lui dit-elle, voilà ce que tu as vu tan-tôt : c'était toi et moi, et cependant voilà pour-quoi tu te fâches. »
Il convint qu'il avoit tort, et promit de ne plus jamais croire ce qu'il verroit.



Le Renard et le Chat.  
 
Un renard et un chat, se rencontrant dans un champ, se concertèrent pour aller ensemble de compagnie. Le chat demanda au renard par quelles ruses ils se pourroient défendre lorsqu'ils seroient poursuivis. « Des ruses, dit le renard, j'en ai au moins plein un sac, mais je ne veux pas ce sac ouvrir avant que nous ne soyons attaqués. » Le chat lui répond : « Nous ne serons pas compagnons, car je ne sais qu'une ruse que savent aussi bien tous mes voisins. » Pendant qu'ils parlent, ils voient venir deux chiens courants; le renard s'écrie : « Maintenant j'ai besoin de ton aide; » le chat répond : « Se-cours-toi toi-même , je n'ai qu'une ruse, elle est pour moi ; » et il saute alors sur un arbre, les chiens saisissent le renard et se mettent à le déchirer. « Compagnon, lui crie le chat, pour-quoi t'oublier, pourquoi n'as-tu pas délié ton sac; tu l'épargnes trop, et les chiens te mal-mènent durement.
— Ah! dit le renard, je l'ai trop épargné, et j'aimerois mieux ton seul tour que tous ceux dont j'ai la pance pleine. Je te vois délivré et je péris.
— Bien m'a servi, dit le chat, de me souvenir de ce que j'ai entendu raconter. »
Le conseil du menteur peut quelquefois profiter au sage, mais une parole de l'homme loyal est plus écoutée et sert plus dans le danger que tous les discours de l'homme fourbe.
 
 
 
Le Renard et le Coq.
 
Un coq chantoit sur son fumier. Près de là étoit un renard qui le guettoit; mais il n'étoit pas aisé au larron d'approcher de lui sans l'effaroucher, et cependant c'est ce dont l'hypocrite vint à bout par une ruse. « Sire, lui dit-il, je ne puis résister davantage à l'envie de vous té-« moigner combien vous m'avez donné ici de plaisir. Il y a long-temps que je vous regarde, et je vous trouve, il faut en convenir, le plus parfait des animaux que j'aie jamais connus. Mais ce qui me plait en vous surtout, c'est votre voix. De ma vie je n'en ai encore entendu une pareille, excepté peut-être celle de votre père : il est vrai pourtant que lui il chantoit les yeux fermés.
— Je suis capable de le foire comme mon père, » répondit le coq; et à l'instant, fermant les yeux, il bat des ailes peur chanter, mais à l'instant aussi il est saisi et enlevé par le renard.
Heureusement pour lui, des bergers qui étoient là à peu de distance virent le voleur emporter sa proie : ils lâchèrent leurs chiens après lui. Le coq alors, usant d'adresse à son tour, dit au ravisseur : « Criez-leur que je suis de vos amis, ils vous laisseront aller.» Le renard le croit, il ouvre la bouche pour parler, mais il lâche ainsi l'oiseau, qui aussitôt vole sur un arbre et se moque de lui. « Maudit soit celui qui parle, lors-qu'il devroit se taire, dit le renard.
—Maudit soit, ajouta le coq, celui qui ferme les yeux lorsqu'il devroit veiller. »
 

L'Assemblée des Lièvres.
 
UL'homme vint un jour avec ses chiens s'établir dans le pays qu'habitoient les lièvres. Ceux-ci, depuis ce moment-là toujours tourmentés, toujours inquiets, résolurent enfin d'aller vivre ailleurs, et ils convoquèrent à ce dessein une assemblée générale. Les plus vieux et les plus sages opinèrent à rester : ils avoient de la peine à quitter cette terre où avoient vécu leurs pères, et où eux-mêmes étoient nés; mais on n'écouta point leurs représentations, les clabaudeurs l'emportèrent, et toute la troupe partit.
Dans leur route ils passèrent près d'un marais dont les bords étoient couverts de grenouilles. Elles étoient sorties pour respirer l'air et jouir du soleil. Au bruit cpie font les lièvres en passant, elles s'effraient, et toutes en foule se précipitent dans les eaux. Un des lièvres s'arrête alors: « Frères, dit-il à la colonie fugitive, nous avons eu tort de quitter notre terre natale. Retournons, croyez-moi, je vois que par tous les pays on craint et que partout on a lieu de craindre. » On le crut et l'on retourna.
On pourrait adresser le même discours à tous ces gens qui, mécontents de leur patrie et du gouvernement sous lequel ils vivent, veulent le quitter, dans l'espérance de rencontrer mieux ailleurs. Hélas! ils ont beau chercher, ils ne trouveront nulle part de contrée qui soit sans inquiétude, sans travail et sans douleur.
 
 
L'Assemblée des Lièvres.  
 
L'homme vint un jour avec ses chiens s'établir dans le pays qu'habitoient les lièvres. Ceux-ci, depuis ce moment-là toujours tourmentés, toujours inquiets, résolurent enfin d'aller vivre ailleurs, et ils convoquèrent à ce dessein une assemblée générale. Les plus vieux et les plus sages opinèrent à rester : ils avoient de la peine à quitter cette terre où avoient vécu leurs pères, et où eux-mêmes étoient nés; mais on n'écouta point leurs représentations, les clabaudeurs l'emportèrent, et toute la troupe partit.
Dans leur route ils passèrent près d'un marais dont les bords étoient couverts de grenouilles. Elles étoient sorties pour respirer l'air et jouir du soleil. Au bruit cpie font les lièvres en passant, elles s'effraient, et toutes en foule se précipitent dans les eaux. Un des lièvres s'arrête alors: « Frères, dit-il à la colonie fugitive, nous avons eu tort de quitter notre terre natale. Retournons, croyez-moi, je vois que par tous les pays on craint et que partout on a lieu de craindre. » On le crut et l'on retourna.
On pourrait adresser le même discours à tous ces gens qui, mécontents de leur patrie et du gouvernement sous lequel ils vivent, veulent le quitter, dans l'espérance de rencontrer mieux ailleurs. Hélas! ils ont beau chercher, ils ne trouveront nulle part de contrée qui soit sans inquiétude, sans travail et sans douleur.
 
 
Le Renard et l'Ourse.  
 
Un vieux renard étoit devenu amoureux d'une jeune ourse, sa voisine. Non content de lui faire des propositions fort malhonnêtes, il s'émancipa un jour au point qu'elle se mit en colère, et qu'elle le poursuivit pour le punir. C'est à quoi le drôle s'attendoit. En courant devant elle, il la fit tomber dans un piège qu'il avoit tendu, et où elle se trouva tellement empêtrée, qu'il accomplit tous ses désirs sans qu'elle pût, en aucune façon, l'en empêcher. Quand il se fut satisfait il la quitta, et ajouta d'un air ironique : « Il n'a tenu qu'à vous, la belle, que je vous susse quelque gré de ce qui vient de m'arriver; mais, grâce à votre humeur gentille, je n'en ai pas moins tout obtenu, et ne vous en ai nulle obligation. »
Combien de gens à qui pareille aventure est arrivée, et qui, sans être renards, ont pu dire la même chose.
 
 
Le Renard et le Pigeon.
 
Pourquoi te tiens-tu ainsi à l'écart, disoit un renard à certain pigeon qu'il voyoit perché sur un toit. Descends, viens près de moi sans défiance. Eh quoi ! ne sais-tu donc pas l'ordonnance qui vient d'être publiée? La paix est faite entre les quadrupèdes et les oiseaux; les deux monarques l'ont signée mutuellement, et, sous les peines les plus graves, ils ont défendu toute hostilité entre leurs sujets. J'ai lu moi-même l'édit : pigeons et renards peuvent désormais jouer ensemble en toute sûreté. Viens donc, ne te fais pas attendre.
—J'y vais, répondit la colombe; mais dis-moi auparavant ce que nous veulent ces deux chasseurs que je vois là-bas avec leurs chiens?
— Sont-ils bien éloignés?
— « Non, ils accourent vers nous au galop, et bien-toi ils nous auront joints.
— Adieu, nous nous reverrons une autre fois, je crains que les hommes n'aient publié, de leur coté, une ordonnance contraire à la nôtre. »
 
 

Du Villain et du Follet.  
 
Pendant plusieurs jours, un villain avoit été occupé à guetter un folet qui, depuis quelque temps, rôdoitdanssa maison. Enfin il l'attrapa, et, pour ravoir sa liberté, le génie fut obligé de composer avec lui. « Forme trois souhaits, dit-il au « manant, je les accomplirai. » A ces conditions on le lâche. Le villageois rentre chez lui, bien content,pour raconter son aventure à sa femme; et dans la joie où il est, il permet même à celle-ci de former seule un des trois vœux.
Une semaine entière se passa sans qu'ils pussent se décider sur ce qu'ils demanderaient Le dimanche enfin, comme ils avoicnt à dîner un morceau de mouton, il se trouva un os dont la Cérame voulut avoir la moelle. N'en pouvant venir à bout, elle souhaita à son mari un bec de bécasse, afin qu'il pût la lui tirer. A peine a-t-elle fait son vœu, qu'il est accompli. Jugez après cela de la colère du sire. Pour se venger, il souhaite de son côté à sa femme qu'elle ait la tête du même oiseau. Autre métamorphose, et nouvelle plainte par conséquent, la querelle dura, de part et d'autre, le reste du jour.
Enfin le soir,il fallut bien pourtant faire la paix avant de se mettre au lit. Le villain demanda que sa femme et lui fussent rétablis dans leur premier état. Il l'obtint à l'instant ; mais ce fut là aussi tout le fruit qu'il retira de ses trois vœux.

Le Villain et ses Boeufs.
 
Des bœufs reposoient et ruminoient tranquillement dans leur étable , tandis que leur maître travailloit à en ôter le fumier. Au lieu de profiter en paix du repos qu'il leur acoordoit, les sots animaux s'avisèrent de lui faire des reproches sur tout l'argent qu'ils lui avoient gagné jusque-là par leur travail.
« Oh! oh!dit le villain en colère, je suis ma foi bien bon de me donner tant de peine. Ça, mes amis, dites-moi un peu qui de vous ou de moi a fait tout ce fumier?
— Cest nous, répondirent-ils.
— Eh bien ! puisque vous l'avez fait et que je vous nourris, vous aurez la bonté de l'ôter, s'il vous plaît; et aussitôt il les fit travailler.



Du Villain et de son Cheval.
 
Un villain qui voyageoit le dimanche voulut en route entendre la messe. Il entra pour cela dans une église et laissa son cheval à la porte. Pendant tout le temps que dura le sacrifice, il pria Dieu de lui donner un autre cheval, parce que le sien ne valoit rien; mais, quand il sortit, il s'aperçut qu'on le lui avoit volé. Alors il rentra pour demander à Dieu de le lui rendre, parce que ajmais il n'en avoit eu un si bon.
 
 
 
Le Villain et la Chouette.  
 
Un villain nourrissait une chouette qu'il aimait beaucoup, et l'instruisit si bien, qu'il lui apprit à parler. Un voisin lui tua son oiseau : il le cita à la justice, et raconta au juge comment cet oiseau parlait et chantait toute la matinée. Le juge dit que le voisin avait mal fait t et il le manda à son tribunal. Au jour que celui-ci devait comparaître, il prit un cuir qu'il cacha sous son manteau, ayant soin d'en laisser pendre un des bouts pour faire entendre au juge qu'on le lui donnerait pour récompense du gain de la cause: il entr'ouvrit souvent son manteau, si bien que le juge le comprit. L'autre villain étant appelé, le  juge lui demande ce que chantait la chouette et quelle parole elle disait. Il répond qu'il n'en sait rien. « Si tu n'en sais rien, et si tu ne comprenais point ses paroles ni son jargon, comment veux-tu que l'on te fasse réponse. » Celui-ci s'en alla sans avoir eu justice, à cause du cadeau qu'avait fait son voisin.
Les princes et les rois ne doivent point confier leur pouvoir à des gens avides; car dès-lors il n'y a plus de justice.

Le Villain et le Dragon.
 
Un dragon qui habitait une crevasse de rocher avait fait connaissance avec un paysan du voisinage, « Sois mon ami, lui a voit-il dit, je puis te rendre bientôt riche, et ne te demande pour cela que de m'apporter ici du lait deux fois par jour; mais songe aussi à m'être fidèle, car s'il t'arrive jamais de me trahir, je t'avertis d' avance que tu t'en repentiras long-temps. »
Dès le lendemain effectivement le villain porta du lait à l'animal, et il en reçut en récompense une pièce d'or. De retour chez lui, il raconta son aventure à sa femme, et lui montra ce qu'il venait de recevoir. A la vue de cet or, l'imagination de l'épouse s'enflamme : elle suppose que le dragon a en sa possession un trésor immense,et conseille à son mari de le tuer, afin de s'emparer de tout à-la-fois. Le mari se laisse tenter : il prend une hache, se rend le soir au rocher avec du lait, puis, lorsqu'il voit le dragon occupé à boire, il lève sa hache pour le couper en deux; mais sa précipitation est telle que son coup, mal assené, porte sur le rocher, et que l'animal se retire sans blessure.
Celui-ci ne tarda pas à se venger. Dès la nuit même,le fils du traître, ses chevaux, ses boeuf, ses moutons, tout fut étranglé. Jugez quelle désolation quand notre homme se réveilla. Il s'en prit à celle dont le conseil perfide lui a voit attiré tous ces désastres; et la femme, qui en craignait d'autres encore, conseilla alors d'employer les excuses et d'aller demander grâce au dragon. Le villain s'en va donc de nouveau, avec du lait, se présenter à la crevasse. Là il se jette à genoux, et d'un air humble supplie l'animal d'accepter son présent.
« Sans doute c'est du poison que tu m'apportes là ? répond l'autre. N'ayant pu réussir hier avec la hache, tu crois un breuvage plus sûr apparemment? Retourne chez toi et n'approche jamais d'ici. La seule grâce que je peux t'accorder est de ne pas venger ton crime sur toi-même. Mais c'en est fait pour toujours entre nous deux. Tant que tu songeras à ton fils, tu dois me haïr, et je te craindrai, moi, tant que je verrai sur ce rocher l'empreinte de ta trahison. »
 
 
 
Du Villain et de l'Escarbot.  
 
Un paysan se soulageait de certain besoin dans son verger. Un escarbot, profitant de l'occasion, se glissa dans les intestins du sire, vous devinez par où. Notre homme souffrit beaucoup, il ne dormit plus, le ventre lui enfla; enfin, comme il ignoroit l'origine du mal, son inquiétude fut telle qu'il alla consulter un médecin. L'esculape, qui était tout aussi ignorant que lui, mais d'une autre manière, déclara que c'étoient signes de grossesse. A l'instant la nouvelle s'en répand à la ronde. Le peuple, toujours sot et superstitieux, publie que ce prodige est l'annonce d'un grand malheur. On attend en tremblant le moment des couches : on va même jusqu'à garder jour et nuit l'homme et son futur enfant.
Un beau matin l'escarbot sortit par où il étoit entré, et l'on ne parla plus de la grossesse que pour en rire.
 
 

Du Villain et de l'Ermite.  
 
J'ai entendu parler d'un villain qui trouvoit fort mauvais que Dieu nous eût damnés pour une pomme. Dans son voisinage habitoit un bon ermite qu'il allait voir souvent. Le saint homme lui parloit toujours des choses divines, mais le manant en revenait sans cesse à dire qu'assurément Adam n'avait pas péché comme on le di-soit; qu'une pomme n'est pas un morceau assez friand pour faire désobéir aux ordres exprès de Dieu, et que, quant à lui, s:il s'étoit trouvé dans le paradis terrestre, le serpent, à coup sûr, n'eût pu le tenter avec pareille amorce.
Toutes ces objections ennuyèrent l'ermite. Il résolut de les faire finir; et un jour qu'il attendoit le villain, il cacha sous une jatte une souris qu'il avoit prise, puis, quand celui-ci fut arrivé, il le quitta pour un moment sous prétexte d'aller à l'église, et lui recommanda sur toutes choses de ne point toucher à la jatte. C'en était assez de cette défense pour exciter la curiosité du villageois. Il soupçonna à tout ceci du mystère, leva la jatte, et vit une souris qui s'échappa. Le reclus à son retour le gronda beaucoup. « C'est votre faute, répondit le villain, il ne fallait pas me rendre curieux. Si vous ne m'aviez rien défendu, je n'aurais touché à rien.
— Eh bien! répartit l'ermite, puisque tu m'as désobéi sans qu'il en résultât pour toi aucun plaisir, conçois-tu maintenant comment Adam a pu désobéir à Dieu pour celui de manger une pomme. »



Le Villain et le Loup.
 
Des chiens chassaient un loup. Il se trouva arrêté dans sa course par une rivière large et rapide; mais heureusement pour lui il y avait là un bateau, et il pria le maître de le passer de l'autre côté. « Que me donneras-tu pour ma peine? demanda le batelier.
— Je ne puis, sire, vous payer en argent, parce que je n'en ai pas; mais je vous dirai, si vous le voulez, trois maximes admirables, vraiment dignes d'être écrites en lettres d'or; et d'abord, pour vous prouver que mon intention n'est pas de tromper, voici la première :
« Fais toujours le bien, sans t'inquiéter de ce qui en arrivera. »
La maxime ayant fait impression sur le batelier, il recul le loup dans sa nacelle. Quand on fut au milieu de la rivière, notre passager ouvrit une seconde fois la bouche et dit : Si un trompeur te promet quelque chose, crains toujours d'être dupe. Enfin, lorsqu'il fut arrivé au bord, il s'élança hors du bateau, et en s'enfuyant ajouta :
Regarde toujours comme perdu ce que tu auras fait pour un méchant.
 
 
Du Villain qui donna ses Boeufs au Loup.
 
Les bœufs d'un villain avaient si mal travaillé: ils l'avaient tant fait jurer, qu'enfin, dans son impatience, il souhaita qu'ils fussent mangés du loup. Or vous saurez que là tout auprès était un loup qui entendit le souhait du villain, et qui vint aussitôt se présenter à lui pour avoir les bœufs. Celui-ci de les refuser, comme vous l'imaginez bien; l'autre d'insister: là-dessus grande dispute. Un renard passe par là : on le choisit pour arbitre.
Le nouveau juge commence d'abord par faire jurer aux deux parties qu'elles s'en rapporteront à son jugement, quel qu'il soit. Quand leur serment est fait, il tire le villain à l'écart, et lui dit à l'oreille: « Ecoute, l'ami: il ne tient qu'a moi dans ce moment-ci de te ruiner pour jamais si je veux. Mais je ne suis pas méchant, et tu vas en voir la preuve. Veux-tu me promettre une poule grasse pour moi, avec une oie pour ma femme? Je te promets, en retour, non-seulement de prononcer en ta faveur, mais encore de te livrer vivant le loup, ton ennemi. »
I.es conditions ayant été acceptées, il va de même parler secrètement au loup. « Cousin, lui dit-il, tu sais bien, entre nous,'que tu n'as aucun droit sur les bceufs de ce manant. Je viens de le sermonner néanmoins; et, à force de re présentations j'ai obtenu de lui, pour dédomma- gement, un beau et grand fromage qu'il destinait au baron son seigneur. Si tu veux en goûter, suis-moi, je sais où il l'a mis. »
En parlant ainsi, il le conduit vers un puits voisin, et lui montre l'image de la pleine lune qui se peignait dans l'eau, car déjà la nuit était commencée. « Le voilà, dit-il, ce fromage délicieux que j'ai enfin extorqué; voilà la cave où on le gardait : allons, descends. »
Le loup, défiant et soupçonneux, n'osa point s'y risquer; l'autre » qui ne pouvoit l'attirée dans le piège qu'en lui inspirant par son exemple une certaine confiance, se met dans un des seaux et lorsqu'il est arrivé à l'eau, il y enfonce la tête comme s'il voulait tout manger à lui seul. « Apporte-m'en donc un morceau, lui crie le loup.
« —Je ne le puis, mon ami, il est trop lourd, il faut que tu viennes toi-même. »
Sire loup a tant de peur d'arriver trop tard, qu'il se précipite dans le seau vide. Plus lourd que le renard, il l'enlève et descend à sa place. Celui-ci en passant le félicite sur sa bonne fortune, « Je désire que le fromage soit à ton goût, lui dit-il; mais n'en mange pas trop cependant, car je vais avertir le villain, et je suis persuadé que tu auras de lui quelque autre chose.
 
 
 
Le Villain et le Serpent.
 
Un villain s'était lié d'amitié avec un serpent, et il lui renouvelait chaque jour ses protestations d'attachement. La maligne bête voulut s'en assurer: elle allégua un voyage, et avant de partir donna au villageois un œuf qu'elle lui recommanda de garder bien exactement. Tant de soins et de prédilection pour un œuf le surprirent : il en demanda la raison. « C'est qu'à cet œuf est attachée la conservation de mes jours, répondit le serpent; à l'instant même qu'il se cassera je dois mourir. »
En parlant ainsi, l'animal dit adieu à son compagnon et feignit de s'éloigner; mais son discours avoit échauffé la cervelle du manant. Celui-ci se crut possesseur de la vie du reptile, et s'imagina que, s'il le faisait périr, il s'emparerait de tous ses trésors. Dans ce dessein il jette l'œuf par terre; mais à peine l'a-t-il cassé, que le serpent, retournant sur lui en colère, lui reproche sa perfidie et le quitte pour jamais.
Ne confiez jamais ni votre honneur à un traître ni votre trésor à un avare.


Les deux Villains.  
 
Tous les jours un villain allait à l'église prier Dieu qu'il le bénît, lui, sa femme et ses enfants, mais nul autre avec eux. Un jour qu'il faisait sa prière fort haut, un autre villain qui était auprès de lui l'entendit, et celui-ci ajouta :
« Mon bon Dieu, maudissez cet homme, maudissez sa femme et ses enfants, et nul autre qu'eux. »
 
 
 
Le Voleur et les Moutons.  
 
On avait mis au pâturage un nombreux troupeau de moutons, et comme l'endroit était fermé, on ne leur avoit donné aucun gardien. Un voleur s'en aperçut et profita de cette sécurité pour en dérober un. Le lendemain il vint en enlever un second, le surlendemain deux ou trois, et pendant long-temps il fit ainsi tous les jours. Les moutons voulurent d'abord en avertir leur maître; mais choqués de l'indifférence méprisante avec laquelle il semblait les avoir abandonnés, ils se piquèrent contre lui, et pour le punir se laissèrent enlever les uns après les autres, sans pousser le moindre cri. Le voleur cependant revint tant de fois au butin, qu'enfin il ne resta plus qu'un agneau. Quand celui-ci vit que son tour était venu, il eut peur et alla se plaindre au maître.
" Nous avons pris un sot parti, lui dit-il, mais n'en soyez point étonné, nous étions un grand nombre. " - FIN
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 



 

 

 

Date de dernière mise à jour : 13/04/2016