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Carmontelle - Proverbes dramatiques (8 volumes) : Lejay, 1773-1781.

LE MAÎTRE DE BALLETS. PREMIER PROVERBE.

 

 

PERSONNAGES.

M. DU PAS, Maître de Ballets, en Robe-de-Chambre, & en peignoir, le visage poudré.

LE COMTE D’ORVILLE, en Frac, sans épée, avec une canne.

LA FRANCE ; Laquais de M. du Pas, en veste de pluche grise, avec un tablier blanc, ayant une bavette pointue, attachée à la boutonnière de sa veste.

La Scene est chez M. du Pas, dans une Chambre.

Scène premiere.

M. DU PAS, LA FRANCE.

M. DU PAS, en robe de chambre & en peignoir, s’ôtant la poudre, à la glace de la cheminée.

La France, le Tailleur a-t-il raccommodé mon habit de la chaconne ?

LA FRANCE.

Oui, Monsieur ; mais il n’a point d’ordre pour la nouvelle culotte.

M. DU PAS.

Comment, il n’a pas d’ordre ! il se moque de moi, je lui ai parlé hier à l’Opéra.

LA FRANCE.

Je le sai bien.

M. DU PAS.

Qu’est-ce qu’il veut donc dire ?

LA FRANCE.

Il parle de ces Messieurs.

M. DU PAS.

Quels Messieurs ?

LA FRANCE.

Je ne sais pas, moi.

M. DU PAS.

Comment ?

LA FRANCE.

Ils disent que vous avez déjà eu deux culottes pour cet habit-ci, & que trois c’est trop.

M. DU PAS.

Ils disent cela ?

LA FRANCE.

Oui, Monsieur.

M. DU PAS.

Hé bien, je ne danserai pas demain ; justement c’est Dimanche, j’irai à la campagne : vous n’avez qu’à le leur dire.

LA FRANCE.

Oui, Monsieur.

M. DU PAS.

C’est trop de trois culottes ! j’en veux douze. Vous enverrez chercher mon cabriolet chez le Sellier, entendez-vous ?

LA FRANCE.

Oui, Monsieur.

M. DU PAS.

Ah, deux culottes ! je leur apprendrai… Il y a quelqu’un là, voyez un peu. Ils s’en repentiront.

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Scène II.

M. DU PAS, LE COMTE, LA FRANCE.

Le COMTE.

Monsieur du Pas est-il ici ?

LA FRANCE.

Oui, Monsieur, le voilà.

M. DU PAS, sans se retourner.

Qu’est-ce qu’il y a ?

Le COMTE.

Monsieur du Pas, vous ne me connoissez point ?

M. DU PAS, regardant à peine.

Non.

Le COMTE.

C’est que je viens vous prier de vouloir bien me dire ce que vous pensez de ma danse ; parce que je voudrois danser dans un Opéra.

M. DU PAS, avec dédain.

Vous ?

Le COMTE.

Oui.

M. DU PAS, sans se retourner.

Vous êtes trop petit.

Le COMTE.

Cela ne fait rien. Si vous voulez voir. Il danse.

M. DU PAS, regardant de côté.

Cela ne vaut pas le diable.

Le COMTE.

Mais on m’a pourtant dit… tenez, voyez ceci. Il danse encore.

M. DU PAS, regardant dans la glace.

Pitoyable !

Le COMTE.

Mais, Monsieur…

M. DU PAS.

Je vous dis que c’est inutile, vous n’êtes pas ce qu’on appelle un Sujet : je vous dirai plus, on ne fera jamais rien de vous ; nulle disposition, enfin.

Le COMTE.

Mais ce genre-ci, par exemple. Il danse.

M. DU PAS.

Hé bien ; c’est danser de force, & je ne me chargerai point de vous faire danser à l’Opéra, pas même parmi les figurants.

Le COMTE.

Mais, Monsieur, ce n’est point à l’Opéra où vous dansez, que je veux….

M. DU PAS.

Quoi, à l’Opéra de Lyon, de Bordeaux ? voilà une belle ambition ! fi ! fi !

Le COMTE.

Hé, non, ce n’est pas cela ; c’est dans un Opéra de Société, à la campagne, & je suis le Comte d’Orville.

M. DU PAS.

Ah, cela est différent. Monsieur le Comte, je vous demande bien pardon ; mais c’est que si vous saviez comme je suis persécuté,… on ne finiroit jamais avec ces Messieurs-là, si on vouloit les écouter.

Le COMTE.

Je le crois bien.

M. DU PAS.

Revoyons un peu. À la France ôtant son peignoir : ôtez-moi cela.

Le COMTE.

Tenez, parlez-moi vrai. Il danse.

M. DU PAS.

Ne vous inquiétez pas, allez toujours. Pas mal. La tête & les épaules sont placées. Point de force, moëlleusement. A merveilles ! voilà ce qui s’appelle danser, cela.

Le COMTE.

Trouvez-vous réellement ?…

M. DU PAS.

Très-bien, très-bien.

Le COMTE.

Je suis bien aise que vous soyez content. Vous allez voir actuellement ceci. Il danse.

M. DU PAS.

Soutenez : fort bien. De la précision, de l’oreille ; comment diable, Monsieur le Comte ! allez, allez : là, enlevez ; à miracle ! voilà ce que c’est.

Le COMTE.

Vous croyez donc que je pourrai hasarder ?..

M. DU PAS.

Comment, hasarder ? je voudrois avoir un Danseur comme vous à l’Opéra, & je ne sais pas où j’avois l’esprit tout à l’heure, en vous disant ce que je vous ai dit.

Le COMTE.

Parbleu, vous me ravissez, j’aime votre franchise.

M. DU PAS.

C’est, je vous dis, qu’on me tracasse pour des miseres ; j’aurois été au désespoir de ne vous avoir pas vu avec attention.

Le COMTE.

Enfin, vous êtes content. Les bras, comment les trouvez-vous ?

M. DU PAS.

Moëlleux, sans contraction.

Le COMTE.

Oh, oui, c’est ce que j’ai. La tête ?

M. DU PAS.

Je vous l’ai dit, fort bien. Suivez votre oreille, soutenez, enlevez, point de force.

Le COMTE.

C’est tout ce que j’aime ; je viendrai vous remercier.

M. DU PAS.

Cela n’en vaut pas la peine.

Le COMTE.

Je vous demande pardon, & puis j’aurai encore besoin de vos conseils, sur un pas de deux que j’ai composé, qui est charmant ; mais ce sera pour une autre fois.

M. DU PAS.

Quand vous voudrez, Monsieur le Comte, je serai toujours à vos ordres. Il reconduit le Comte.

Le COMTE.

Où allez-vous donc ? point de cérémonies, entre nous autres Danseurs.

M. DU PAS.

Je vous rends ce que je vous dois.

Le COMTE.

Soutenez, enlevez, & point de force. Je me souviendrai de cela.

M. DU PAS.

Vous n’en aurez pas besoin, cela ira à merveilles.

Le COMTE.

Adieu, Monsieur du Pas.

M. DU PAS.

Monsieur le Comte, je suis bien votre serviteur.

Fin du premier Proverbe.

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Explication du Proverbe :

1. Selon les gens, l’encens.

LES DEUX ANGLOIS. DEUXIEME PROVERBE.

 

PERSONNAGES.

MILORD WITTHAM, en habit gris ou rouge, avec des brandebourgs noirs, & un grand chapeau uni, une cravate, perruque noire, & sans manchettes.

MILORD HENRI, en frac, avec des boutons d’acier, & un chapeau uni, cravate, cheveux plats, & sans manchettes.

La Scène est dans un Café.

Scène premiere.

WITTHAM se promene en rêvant tristement. HENRI se promene de même, & heurte Wittham en le rencontrant.

WITTHAM.

Vous pouvez vous promener, ainsi que moi, Monsieur ; mais vous me poussez trop fort, & cela est fort mal fait

HENRI.

Hé bien, Monsieur, tuez moi, si vous le trouvez mauvais, cela m’est fort égal ; vous me ferez même grand plaisir ; parce que dans le moment, je vais me jeter dans la riviere.

WITTHAM.

Vous allez vous jeter dans la riviere ?

HENRI.

Oui, Monsieur.

WITTHAM.

Et moi aussi, Monsieur.

HENRI.

Vous ?

WITTHAM.

Oui, je vous dis ; mais je trouve fort extraordinaire que vous, vous y alliez aussi.

HENRI.

Je ne vois pas pourquoi ; je suis maître de faire ce qu’il me plaît, apparemment ?

WITTHAM.

Sûrement ; je ne dispute pas sur la liberté ; mais je trouve seulement que vous êtes bien jeune pour cela.

HENRI.

Monsieur, je crois que l’âge ne fait rien ; puisque je n’en suis pas moins malheureux.

WITTHAM.

Et pourquoi, malheureux ?

HENRI.

J’ai tout perdu, je n’ai point d’autre ressource que la mort.

WITTHAM.

Tout perdu ; ce n’est pas un malheur, je voudrois être comme vous : je suis embarassé avec tout mon bien, cela il m’ennuie, je ne sais plus que faire, je veux finir cet embarras-là, en me noyant.

HENRI.

Ce n’est pas seulement de l’argent que je perds ; c’est un bonheur dont rien il ne peut me consoler.

WITTHAM.

Je ne comprends pas bien quel bonheur dont vous parlez ; j’ai connu tout ce qu’on appelle bonheur, ils n’en sont point.

HENRI.

Et l’amour, Monsieur ?

WITTHAM.

L’amour ? oui, j’ai entendu parler ; mais je n’ai point trouvé de bon. Il y a long-temps que je n’en connois plus.

HENRI.

Ah ! Monsieur, si vous connoissiez Lady…

WITTHAM.

Vous dites, Lady ?…

HENRI.

Permettez-moi de ne vous la pas nommer.

WITTHAM.

Comme il vous plaît.

HENRI.

Il y a deux mois que je vis Lady à la campagne, chez une de les parentes, j’eus le bonheur de lui plaire ; son pere est très-riche, & sans bien, je ne puis me présenter à lui pour épouser sa fille, sur-tout ne le connoissant pas.

WITTHAM.

Pourquoi ?

HENRI.

Parce que le vaisseau qui portoit tout ce que je possédois à la Jamaïque, vient de périr.

WITTHAM.

Et pour cela, vous allez vous noyer ?

HENRI.

Sûrement, il vaut mieux finir que de vivre dans le désespoir.

WITTHAM.

Ce n’est point une bonne raison pour mourir, je vous dis ; il faut être sûr qu’on ne sera plus heureux.

HENRI.

Et en puis-je douter ?

WITTHAM.

Sûrement, je réponds pour vous ; si c’est du bien qu’il vous faut, j’en ai beaucoup trop, je vous dis, & je vous donne la moitié pour que vous ayez votre Lady, il en restera encore plus qu’il ne faut à ma fille pour la marier ; & le père de votre Lady, il a tort de vouloir un gendre riche.

HENRI.

Quel excès de générosité !

WITTHAM.

Non, je ne suis point généreux ; au contraire, je voudrois avoir trouvé un gendre comme vous, qui voulût se charger du poids des affaires que le bien entraîne, je lui donnerois ma fille tout présentement.

HENRI.

Ah, que Milord Wittham ne pense-t-il comme vous !

WITTHAM.

Que dites-vous de Milord Wittham ? prenez garde.

HENRI.

C’est le père de Lady Sophie, que j’aime.

WITTHAM.

Milord Wittham ? hé bien, je suis Milord Wittham, & je trouve fort mal que vous pensiez de moi comme vous avez dit.

HENRI.

Ah ! Milord, je vous demande pardon, je ne vous connoissois pas.

WITTHAM.

Ce n’est point là une raison pour mal penser des gens ; je ne sais point votre nom, & je n’en suis pas capable pour cela à mal penser de vous.

HENRI.

Je me nomme Henri.

WITTHAM.

Vous êtes fils de Milord Williams ?

HENRI.

Oui, Milord : vous a-t-il été connu ?

WITTHAM.

Sûrement ; il m’a donné, à Boston, cinq coups d’épée, dont j’ai été fort long-temps malade.

HENRI, à part.

Que je suis malheureux !

WITTHAM.

Mais c’étoit un brave homme, un peu toris ; & j’ai toujours été son ami depuis. Allons, je vous donne ma fille & tout mon bien, si vous voulez accepter.

HENRI.

Quoi ! vous consentiriez ?…

WITTHAM.

Oui, je vous dis, à condition que vous prenez tout le bien & que je ne fais plus aucun calcul, que je n’en entends plus parler ; pour lors je retourne avec vous à Londres.

HENRI.

Quels remerciemens !… vous me donnez Sophie ! j’en mourrai de joie.

WITTHAM.

Vous voyez bien que vous n’étiez pas encore dans le moment de mourir dans la rivière.

HENRI.

Que ne vous devrai-je pas !

WITTHAM.

C’est de l’embarras que je vous donne, & non pas un présent ; & avec vous & ma fille, je veux vivre encore, & je serai plus content si vous le devenez. Allons, partons sur le moment, sans perdre plus de temps.

Fin du second Proverbe.

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Explication du Proverbe :

2. Il ne faut pas jeter le manche après la cognée.

LE POULET. TROISIEME PROVERBE.

PERSONNAGES

M. D’ORVILLE, en Robe-de-Chambre, avec une perruque en bonnet.

M. FRÉMONT, Médecin, en habit noir, & grande perruque.

LA BRIE.     } Laquais de M. d’Orville, en Livrée.

COMTOIS.

La Scene est chez M. d’Orville, dans sa chambre à coucher.

Scène premiere.

M. D’ORVILLE, COMTOIS, LA BRIE.

M. D’ORVILLE.

Parbleu, cette médecine-là m’a bien fatigué ! je meurs de faim. Et mon poulet, La Brie ?

LA BRIE.

Monsieur, vous allez l’avoir tout à l’heure.

M. D’ORVILLE.

Pourquoi Comtois n’y est-il pas allé ?

COMTOIS.

Monsieur, il falloit bien être auprès de vous, pour vous habiller. Nous allons mettre le couvert.

M. D’ORVILLE.

Ils ne finiront pas. Est-ce qu’il ne peut pas ranger cela tout seul ? Allons, vas-t’en.

COMTOIS.

J’y vais, j’y vais.

M. D’ORVILLE.

Je tombe d’inanition. Donnez-moi un fauteuil. Il s’assied. Allons, finis donc.

LA BRIE.

Je vais mettre la table devant vous. Il l’approche. Je m’en vais chercher du pain.

M. D’ORVILLE.

Je crois qu’ils me feront mourir d’impatience.

LA BRIE.

Déployez toujours votre serviette pour ne pas perdre de tems.

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Scène II.

M. D’ORVILLE.

Je n’en puis plus ! je m’endors de fatigue & de foiblesse. Il s’endort & ronfle.

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Scène III.

M. D’ORVILLE, LA BRIE, COMTOIS, portant le poulet.

LA BRIE.

Apporte du pain.

COMTOIS.

Il y en là, j’apporte le poulet. Quoi ! il dort déjà ?

LA BRIE.

Je ne fais pourtant que de le quitter.

COMTOIS.

Mais son poulet va refroidir. Réveille-le.

LA BRIE.

Moi ? je ne m’y joue pas, il crieroit comme un aigle.

COMTOIS.

Comment ferons-nous ?

LA BRIE.

Je n’en sais rien ; cela nous fera dîner à je ne sais quelle heure, & je meurs de faim.

COMTOIS.

Et moi aussi ; ma foi, je m’en vais l’éveiller.

LA BRIE.

Tu n’en viendras jamais à bout.

COMTOIS, criant.

Monsieur ?

LA BRIE.

Oui, oui ; vois comme il remue, il n’en ronfle que plus fort.

COMTOIS.

Quel diable d’homme ! coupe le poulet ; en cas qu’il se réveille, ce sera toujours autant de fait.

LA BRIE.

Oui, & il sera plus froid, je ne m’y joue pas.

COMTOIS.

Hé bien, je m’en vais le couper, moi. Il coupe une cuisse. Tiens, vois comme cela sent bon.

LA BRIE.

Je n’ai pas besoin de sentir pour avoir encore plus de faim.

COMTOIS.

Ma foi, j’ai envie de manger cette cuisse-là. Monsieur Frémont lui a ordonné de ne manger qu’une aile, il n’y prendra peut-être pas garde. Il mange la cuisse. Ma foi, elle est bonne. Je m’en vais boire un coup. Donne-moi un verre. Il se verse à boire, & boit.

LA BRIE.

Et s’il se réveille ?

COMTOIS.

Hé bien, il me chassera, & je m’en irai.

LA BRIE.

Ah, tu le prends sur ce ton-là ! oh, j’en ferai bien autant que toi ; allons, allons, donne-moi l’autre cuisse.

COMTOIS.

Je le veux bien, nous serons deux contre lui, il ne saura lequel renvoyer. Tiens. Il lui donne l’autre cuisse.

LA BRIE.

Donne-moi donc du pain ?

COMTOIS.

En voilà.

LA BRIE.

Ma foi, tu as raison ; ce poulet est excellent ! mais je veux boire aussi.

COMTOIS.

Hé bien, bois. Je songe une chose ; comme il ne doit manger qu’une aile, il ne m’en coûtera pas davantage de manger l’autre, je m’en vais en mettre une sur son assiette. Il mange.

LA BRIE.

C’est bien dit, donne-moi le corps.

COMTOIS.

Ah, le corps, c’est trop ; je m’en vais te donner le croupion. Ils mangent tous les deux.

LA BRIE.

Cela ne vaut pas l’aile.

COMTOIS.

Mange, mange toujours.

LA BRIE.

Buvons aussi.

COMTOIS.

Allons, à ta santé.

LA BRIE.

À la tienne. Ils boivent.

COMTOIS.

Ce vin-là est bon. Quoi, tu manges le haut du corps ?

LA BRIE.

Ma foi, oui.

COMTOIS.

Oh, je m’en vais manger son aile.

LA BRIE.

Attends donc.

COMTOIS.

Je suis ton serviteur, je veux en avoir autant que toi.

LA BRIE.

Tu es bien gourmand ?

COMTOIS.

Tu ne l’es pas, toi ? ah çà, buvons, buvons.

LA BRIE.

Prends ton verre. Ils boivent.

COMTOIS.

À présent, que ferons-nous, quand il s’éveillera ?

LA BRIE.

Je n’en sais rien. Buvons pour nous aviser.

COMTOIS.

Il ne reste plus rien dans la bouteille.

LA BRIE.

Non ? & que dira Dame Jeanne, quand elle verra la bouteille vuide ?

COMTOIS.

Et les restes du poulet ?

LA BRIE.

Ma foi, elle dira ce qu’elle voudra. Attends, le voilà qui remue.

COMTOIS.

Comment ferons-nous ? que dirons-nous ?

LA BRIE.

Tiens, mets tous les os sur son assiette, & dis comme moi.

COMTOIS.

Oui, oui, ne t’embarrasses pas.

LA BRIE.

Paix donc.

M. D’ORVILLE, se frottant les yeux.

Hé-bien, qu’est-ce que vous faites là vous autres ?

LA BRIE.

Monsieur, nous attendons. À Comtois, rinces son verre, & mets de l’eau dedans.

M. D’ORVILLE.

Hé bien, ces coquins là, ne veulent donc pas me donner mon poulet ?

LA BRIE.

Votre poulet, Monsieur ?

M. D’ORVILLE.

Oui ; comment depuis deux heures j’attends.

LA BRIE.

Que vous attendez, Monsieur ; vous badinez, il est bien loin.

M. D’ORVILLE.

Comment bien loin ! qu’est-ce que cela veut dire ?

LA BRIE.

Tenez, Monsieur, regardez devant vous.

M. D’ORVILLE.

Quoi !

LA BRIE.

Vous ne vous souvenez pas que vous l’avez mangé ?

M. D’ORVILLE.

Moi !

LA BRIE.

Oui, Monsieur.

COMTOIS.

Monsieur a dormi depuis.

M. D’ORVILLE.

Je n’en reviens pas ! je l’ai mangé ?

LA BRIE.

Ouï, Monsieur, & vous n’avez rien laissé ; voyez.

M. D’ORVILLE.

Je l’ai mangé ! c’est incompréhensible ! & je meurs de faim.

COMTOIS.

Cela n’est pas étonnant, vous n’aviez rien dans le corps ; cela a passe tout de suite en dormant.

M. D’ORVILLE.

Mais je voudrois boire un coup, du moins.

LA BRIE.

Vous avez tout bu. Nous ne vous avons jamais vu une soif & un appétit pareils.

M. D’ORVILLE.

Je le crois bien ; car je l’ai encore.

COMTOIS.

C’est sûrement la médecine, qui fait cela. Monsieur veut-il un verre d’eau ?

M. D’ORVILLE.

Un verre d’eau ?

COMTOIS.

Oui, pour vous rincer la bouche ; parce que nous irons dîner, nous, après cela.

M. D’ORVILLE.

Je n’y comprends rien. Il se rince la bouche.

LA BRIE, à Comtois, bas.

Tu vois bien que Dame Jeanne n’aura rien à dire non plus.

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Scène IV.

M. D’ORVILLE, M. FRÉMONT, LA BRIE, COMTOIS.

LA BRIE, annonçant.

Monsieur Frémont.

M. FRÉMONT.

Hé bien, la médecine, depuis ce matin ?

M. D’ORVILLE.

Ah, Monsieur, elle m’a donné un appétit dévorant.

M. FRÉMONT.

Tant mieux, cela prouve qu’elle a balayé le reste des humeurs.

COMTOIS.

C’est ce que nous avons dit à Monsieur.

M. D’ORVILLE.

Mais, Monsieur, je meurs de faim.

M. FRÉMONT.

N’avez-vous pas mangé votre aile de poulet, comme je vous l’avois ordonné ?

LA BRIE.

Bon ! Monsieur a bien plus fait, il a mangé le poulet tout entier.

M. FRÉMONT, en colere.

Le poulet entier !

COMTOIS.

Et bu sa bouteille de vin.

M. FRÉMONT, en colere.

Sa bouteille de vin & un poulet !

M. D’ORVILLE.

Hé, Monsieur, je mourois de faim.

M. FRÉMONT, en colere.

Vous mouriez de faim ! vous n’êtes pas plus raisonnable que cela ?

M. D’ORVILLE.

Hé, Monsieur, c’est comme si je n’avois rien mangé, je me sens toujours le même besoin.

M. FRÉMONT, en colere.

Le même besoin ! n’êtes-vous pas honteux ! Ne voyez-vous pas que ce sont vos entrailles qui sont irritées ?

M. D’ORVILLE.

Mais, Monsieur, considérez…

M. FRÉMONT, en colere.

Je vous ordonne une aile de poulet, &… allez, allez, Monsieur, avec une intempérance comme celle-là, vous ne méritez pas qu’on s’attache à vous, & qu’on en prenne soin.

M. D’ORVILLE.

Mais, je vous prie…

M. FRÉMONT.

Non, Monsieur, il faut vous mettre à la diete, pendant huit jours.

M. D’ORVILLE.

Ah, Monsieur Frémont !

M. FRÉMONT.

À l’eau de poulet.

M. D’ORVILLE.

À l’eau de poulet ?

M. FRÉMONT.

Oui, si vous ne voulez pas avoir une maladie épouvantable, une inflammation !… ou bien je ne vous verrai plus, je ferai mieux.

M. D’ORVILLE.

Quoi, Monsieur Frémont, vous pourriez m’abandonner ?

M. FRÉMONT.

Oui Monsieur si vous ne faites tout ce que je vous dirai.

M. D’ORVILLE.

Mais, Monsieur, rien que de l’eau de poulet ?…

M. FRÉMONT.

Ah, vous ne voulez pas ? adieu, Monsieur.

M. D’ORVILLE.

Et non, Monsieur, j’en prendrai. Allez-vous-en tous deux, dire qu’on en fasse tout à l’heure.

LA BRIE.

Oui, Monsieur.

M. FRÉMONT.

Non pas pour aujourd’hui, de l’eau de chiendent, seulement.

M. D’ORVILLE.

De l’eau de chiendent !

M. FRÉMONT.

Oui, Monsieur, il faut laver.

M. D’ORVILLE.

Et vous reviendrez ?

M. FRÉMONT.

À cette condition là.

M. D’ORVILLE.

Si vous me le promettez, je ferai tout ce que vous voudrez. Je vais vous suivre jusqu’à ce que vous m’ayez donné votre parole.

M. FRÉMONT.

Nous verrons comment vous vous conduirez. Ils sortent.

Fin du troisieme Proverbe.

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Explication du Proverbe :

3. Les battus payent l’amende.

LE SOURD. QUATRIEME PROVERBE.

PERSONNAGES

M. DE L’ORME, sourd ; en habit brun, veste d’or, grande perruque, & une canne.

Mlle. DE L’ORME, fille de M. de l’Orme, mise simplement.

M. DE MIRVILLE, bien mis.

M. DUMONT, habit de drap galonné, la veste de même.

HENRIETTE, Femme-de-Chambre de Mlle de l’Orme, en Femme-de-Chambre.

M. RONSIN, Notaire, en habit noir, & grande perruque.

La Scène est chez M. de l’Orme, dans un sallon.

Scène premiere.

M. DE L’ORME, Mlle. DE L’ORME.

M. DE L’ORME.

Ah çà, ma fille je, n’ai point voulu vous parler de mariage jusqu’à présent ; mais vous verrez arriver aujourd’hui le fils de Monsieur Dumont, qui est un garçon sage, aimable, que je vous destine ; il vient ici par le carrosse de Tours, préparez-vous à le bien recevoir.

Mlle. DE L’ORME.

Mais, mon père, je ne veux point me séparer de vous, & je n’ai point envie de me marier.

M. DE L’ORME.

Vous serez ravie de vous marier ? je le crois bien. Je voudrois voir le contraire, quand c’est moi qui ai arrangé cette affaire depuis plus de dix ans.

Mlle. DE L’ORME.

Je ne dis pas cela, mon pere, je dis que rien ne presse, & que je veux rester avec vous.

M. DE L’ORME.

Vous marier paroît doux ; parce que c’est ma volonté apparemment ?

Mlle. DE L’ORME.

Mais mon pere…

M. DE L’ORME.

Hem ?

Mlle. DE L’ORME.

Je ne dis pas cela.

M. DE L’ORME.

Vous aimez cela ; voilà ce qu’une fille ne doit pas dire ; mais aujourd’hui, je vous le passe. Il ne faut pourtant pas que Monsieur Dumont le sache ; songez toujours à le bien recevoir.

Mlle. DE L’ORME.

Vous ne m’entendez pas.

M. DE L’ORME.

Que je ne m’y attende pas ?

Mlle. DE L’ORME.

Je vous dis, mon pere, que je ne veux pas me marier sitôt.

M. DE L’ORME.

Il faut vous marier au plutôt ? hé bien, puisque vous êtes si pressée, je ne veux pas perdre de temps, je suis de votre avis ; je m’en vais chez mon Notaire faire dresser les articles, je ne veux pas que cela traîne ; peste, avec cet empressement-là, on ne sait pas ce qu’il peut arriver.

Mlle. DE L’ORME.

Mais, mon pere, écoutez donc mes raisons.

M. DE L’ORME.

Oh, je le crois bien, que vous trouvez que j’ai raison. À la bonne heure ; c’est toujours bien fait de s’expliquer, on ne se querelle jamais que faute de s’entendre. Je n’ai plus que faire de vous recommander de bien recevoir Monsieur Dumont. Adieu, adieu, je reviendrai bientôt.

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Scène II.

Mlle DE L’ORME, HENRIETTE.

HENRIETTE.

Hé bien, Mademoiselle ; avez-vous parlé à Monsieur votre pere ? est-il vrai que son Monsieur Dumont arrive aujourd’hui ?

Mlle. DE L’ORME.

Il n’est que trop vrai !

HENRIETTE.

De quoi êtes-vous convenue avec lui ?

Mlle. DE L’ORME.

De rien ; je n’ai jamais pu m’en faire entendre.

HENRIETTE.

Cela est quelquefois commode d’avoir un pere ou un mari sourd ; mais non pas dans ce moment-ci, où il n’y a pas de temps à perdre. Cependant il faut que vous sachiez une chose ; c’est que votre amant du couvent est ici.

Mlle. DE L’ORME.

Le Chevalier de Mirville ! & comment cela ?

HENRIETTE.

Il a appris à Tours, que Monsieur Dumont marioit son fils à Paris, à la fille de Monsieur de l’Orme, il est parti sur le champ ; il veut vous parler, il croit que vous le trahissez & que vous consentez à ce mariage ; je l’ai vu, il va venir ici dans le moment.

Mlle. DE L’ORME.

Ah, qu’il s’en garde bien ! mon pere va rentrer : Henriette, va plutôt le trouver, dis-lui bien…

HENRIETTE.

Ma foi, Mademoiselle, dites-lui vous-même, car le voilà.

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Scène III.

Mlle. DE L’ORME, M. DE MIRVILLE, HENRIETTE.

M. DE MIRVILLE.

Oui, Mademoiselle ; c’est moi qui veut savoir de vous-même si vous m’abandonnez, si vous m’avez assez peu aimé, pour consentir aujourd’hui à en épouser un autre ?

Mlle. DE L’ORME.

Ah, Chevalier, pouvez-vous avoir cette pensée ? mais si vous m’aimez encore, à quoi m’exposez-vous par cette imprudence ? mon pere peut nous surprendre, fuyez promptement.

M. DE MIRVILLE.

Ne craignez rien, il ne me connoît pas, & il me sera facile de le tromper : mais dites-moi donc quel est votre dessein & comment parer ce mariage odieux ? Il n’y a rien que je ne fasse pour le rompre, si vous y consentez, & si vous m’aimez encore.

Mlle. DE L’ORME.

Ah, Chevalier, si je vous aime !… mais comment parvenir seulement à éloigner ce mariage ?

M. DE MIRVILLE.

En ayant la fermeté de refuser celui qu’on vous propose.

Mlle. DE L’ORME.

Mais, si mon père veut absolument me forcer.

M. DE MIRVILLE.

Vous forcer ! le peut-il ? est-il maître de vous faire signer malgré vous ? il vous mettra dans un Couvent, mais peut-il vous faire Religieuse sans votre consentement ? il est question du bonheur de votre vie, du mien, vous dites que vous m’aimez, & vous croyez que je souffrirai…

Mlle. DE L’ORME.

Comment ?…

M. DE MIRVILLE.

Non, ne croyez parque Dumont vous épouse tant que je vivrai.

HENRIETTE.

Mais, Mademoiselle, Monsieur le Chevalier a raison ; qui peut engager Monsieur votre pere à faire ce mariage ? connoît-il seulement celui qu’on vous destine ? c’est le fils d’un de ses anciens amis ; mais il ne l’a jamais vu. On marie les enfans, comme on vend son cheval ; on dit toujours que c’est la meilleure acquisition qu’on puisse proposer, & l’on ne cherche qu’à s’en défaire & à se tromper l’un l’autre.

M. DE MIRVILLE.

Et l’on désunit deux cœurs que le Ciel sembloit avoir formés pour faire leur bonheur.

HENRIETTE.

J’entends quelqu’un. Ah ! c’est Monsieur votre pere, Mademoiselle.

M. DE MIRVILLE.

Soyez tranquille, & laissez-moi faire.

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Scène IV.

M. DE L’ORME, Mlle. DE L’ORME, M. DE MIRVILLE, HENRIETTE.

M. DE L’ORME, embrassant M. de Mirville.

Hé le voilà, ce cher enfant ! embrasse-moi.

M. DE MIRVILLE.

Monsieur…

HENRIETTE.

D’où connoît-il donc le Chevalier, Mademoiselle ?

Mlle. DE L’ORME.

Je n’en sais rien.

M. DE MIRVILLE.

Monsieur, j’arrive dans l’instant de Versailles

M. DE L’ORME.

De Marseille ! mais tu rêves. Ton pere m’a écrit que tu n’étois jamais sorti de Tours.

M. DE MIRVILLE.

Mon pere ?

M. DE L’ORME.

Par terre ? ah, c’est que tu as voyagé par la Loire apparemment ; c’est une belle rivière. Hé bien, dis-moi donc, pourquoi ne vient-il pas aussi le bon homme Dumont ? est-ce qu’il est toujours aussi indéterminé que de mon tems ? c’est insupportable !

HENRIETTE, à M. de Mirville.

Il vous prend pour son gendre futur, profitez de la circonstance.

M. DE MIRVILLE.

Il engage fort à le tromper, toujours.

M. DE L’ORME.

Tu ne dis rien. Est-ce que tu n’es pas content de ma fille ? quant à moi, je la trouverois bien dégoûtée, si elle ne t’aimoit pas déjà.

M. DE MIRVILLE.

Monsieur, elle a trop d’appas…

M. DE L’ORME.

Quand nous ferons le Contrat ? ah, voilà un empressement qui me plaît ; mais ce sera tout à l’heure, je viens de chez mon Notaire qui doit se rendre ici, tout est arrangé.

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Scène V.

M. DE L’ORME, Mlle, DE L’ORME, M. DE MIRVILLE, M. RONSIN, HENRIETTE, Un LAQUAIS.

Le LAQUAIS.

Monsieur Ronsin.

M. DE L’ORME.

Qu’est-ce que tu dis ? approche ici.

Le LAQUAIS.

Monsieur Ronsin, Monsieur.

M. DE L’ORME.

Ah, le voilà, Monsieur Ronsin ! vous ne pouviez pas venir plus à propos. Asseyons-nous. Tenez, voilà mon gendre.

M. RONSIN.

Monsieur, Mademoiselle votre fille doit en être contente.

M. DE L’ORME.

Combien il a de rentes ? voilà bien comme sont les gens d’affaires, ils n’estiment un homme que selon le revenu qu’il a ; pour moi celui-ci me plaît fort.

HENRIETTE, à M. de Mirville.

Cet homme-ci est incorruptible, je vous en avertis, & je ne sais pas comment vous sortirez de ceci.

M. DE MIRVILLE.

Ma foi, ni moi non plus. Nous verrons.

M. RONSIN.

Monsieur, je n’ai pas mis vos qualités ; parce que je ne les savois pas. Il ne manque que cela au Contrat.

M. DE MIRVILLE.

Je vous les dicterai.

M. DE L’ORME.

Qu’est-ce qu’il dit ?

M. RONSIN.

Qu’il va me dicter ses qualités.

M. DE L’ORME.

Que vous êtes entêté ? il vous connoît bien.

M. RONSIN.

Allons, Monsieur, quand il vous plaira.

M. DE MIRVILLE.

Mettez, Germain de Monfort, Chevalier de Mirville.

M. RONSIN.

Mais ce n’est pas ce nom-là que Monsieur de l’Orme m’avoit dit ?

M. DE MIRVILLE.

C’est qu’il ne le savoit pas.

Mlle. DE L’ORME.

Henriette, je tremble.

M. DE L’ORME.

Qu’est ce qu’il dit ?

M. RONSIN.

Qu’il s’appelle Monfort de Mirville.

M. DE L’ORME.

Mirtil, c’est un nom de Berger ; tant mieux, ce sera un mari constant, ma fille. Mais pourquoi Mirtil ?

M. DE MIRVILLE.

C’est un nom de terre.

M. DE L’ORME.

C’est le nom de ton pere, je ne savois pas cela moi ; pourquoi diable a-t-il deux noms ?

M. RONSIN.

Vos qualités ?

M. DE MIRVILLE.

Capitaine de Grenadiers au Régiment de Forêt.

M. RONSIN.

Fort bien.

M. DE L’ORME.

Après ?

M. RONSIN.

Capitaine de Grenadiers au Régiment de Forêt.

M. DE L’ORME.

Maître particulier des Eaux & forêts ; c’est une belle charge ; mais ton pere ne m’avoit pas mandé un mot de cette Charge. À la bonne heure.

M. RONSIN.

Monsieur de l’Orme, je ne comprends rien à cela.

M. DE L’ORME.

Vous entendez-bien cela, & moi aussi.

M. RONSIN.

Mais il n’y a pas un mot de tout ce que vous m’avez dit chez moi.

M. DE L’ORME.

Je fuis servi sur les deux toits ? hé mais je le crois bien, je ne fais que de bonnes affaires, moi ; signons, signons.

M. RONSIN.

Mais auparavant, songez à ce que vous allez faire, je ne vous conseille pas de signer.

M. DE L’ORME.

Si mon gendre voudra signer ?

M. DE MIRVILLE.

Ah, Monsieur, je ne demande pas mieux, & rien ne peut m’arrêter.

M. DE L’ORME.

Oui, oui, vous avez raison, il est vieux & ne fait que radoter ; signons, signons. Ils signent tous.

M. RONSIN.

Ma foi, comme vous voudrez, cela ne me fait rien du tout.

M. DE MIRVILLE.

Monsieur Ronsin, il n’y a pas de votre faute, laissez les choses comme elles sont.

M. RONSIN.

Moi, Monsieur, quand un Acte est passe & signé, je ne veux rien y changer ; si tout cela vous rend heureux, Mademoiselle & vous j’en serai charmé. Serviteur. Il sort.

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Scène VI.

M. DE L’ORME, Mlle. DE L’ORME, M. DE MIRVILLE, HENRIETTE.

M. DE L’ORME.

Qu’est-ce qu’il vous a dit là ? vous l’avez connu d’abord ; il est vrai qu’il est d’un entêtement à impatienter. Ah, il faut que je lui dite un mot. Il va pour sortir & il revient.

M. DE MIRVILLE.

Croyez-vous à présent que notre bonheur ne soit pas entièrement assuré ?

Mlle. DE L’ORME.

Je n’ose encore m’en flatter. Mon père revient.

M. DE L’ORME.

Oh, je lui parlerai demain. Oui mes enfans, je ne veux pas vous quitter.

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Scène VII.

M. DE L’ORME, Mlle. DE L’ORME, M. DE MIRVILLE, M. DUMONT, HENRIETTE, Un LAQUAIS.

Le LAQUAIS.

Monsieur Dumont, Monsieur.

M. DE L’ORME.

Hé bien le voilà. Pourquoi crier si fort ? il semble qu’il parle à un sourd. À M. Dumont. Ah ! Monsieur, qu’est-ce que vous voulez ?

Mlle. DE L’ORME.

Ah ! Chevalier.

HENRIETTE, à M. Dumont.

Vous voyez que Monsieur de l’Orme n’aime pas qu’on crie en lui parlant.

M. DE L’ORME.

Hé bien, parlez donc.

M. DUMONT.

Monsieur, je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous ; mais vous saurez qui je suis, quand vous aurez lu la lettre de mon père.

M. DE L’ORME.

Une lettre d’affaire, nous verrons cela demain. Il met la lettre dans sa poche.

M. DUMONT.

Mais, Monsieur…

M. DE L’ORME.

Vous voulez peut-être une réponse. Allons, allons. Mon gendre, vous voulez bien ?

M. DUMONT.

Son gendre !

M. DE L’ORME. Il lit.

Hum, hum, hum,… ah, le pauvre bon homme ! hum, hum… Fort bien, fort bien. C’est une lettre de votre pere : mais pourquoi ne me l’avez-vous pas remise ? ah, c’est que vous l’aviez oubliée, & vous l’avez envoyé chercher, à M. Dumont. Allons, c’est bon, laissez-nous.

M. DUMONT.

Comment, Monsieur, auriez-vous pris mon nom pour…

M. DE MIRVILLE.

Non, Monsieur, & vous pouvez voir le Contrat qui vient d’être signé ; j’aimois Mademoiselle, & son pere vient de me l’accorder.

M. DUMONT.

J’entends, Monsieur, je serois fâché de troubler votre bonheur ; mais Monsieur de l’Orme a tort de venir me faire essuyer un affront ; oui, Monsieur de l’Orme.

M. DE L’ORME.

Qu’est-ce qu’il a donc ?

M. DUMONT, criant.

Monsieur, je me nomme Dumont.

M. DE L’ORME.

Vous ?

M. DUMONT, criant.

Oui, Monsieur, & il n’est pas honnête à vous de me faire venir ici pour me manquer de parole.

M. DE L’ORME.

Comment ?

M. DUMONT, criant.

Vous venez d’accorder Mademoiselle votre fille, à Monsieur.

M. DE L’ORME.

Sans doute, est-ce que vous êtes son frere ?

M. DUMONT, criant.

Non, Monsieur, mais il ne se nomme pas Dumont.

M. DE L’ORME.

Je le sais bien.

M. DUMONT, criant.

Et c’est moi qui venoit pour l’épouser.

M. DE L’ORME.

Et pour me quereller. Allons, allons ; laissez-nous. Va j’écrirai à ton père. Ah, parbleu, j’aurois eu là un joli gendre, moi qui aime la paix.

Mlle. DE L’ORME.

Monsieur, je ne savois pas que mon père vous choisiroit quand j’ai aimé Monsieur le Chevalier, & lui-même n’a rien fait dont vous puissiez vous plaindre.

M. DUMONT.

Je le crois, Mademoiselle, j’ai l’honneur de le connoître ; & en vous voyant, je sens tout ce que je perds, mais rien ne me fera troubler une si belle union ; je suis seulement fâché que vous ayez pu la craindre un instant, & je me retire.

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Scène VIII.

M. DE L’ORME, Mlle. DE L’ORME, M. DE MIRVILLE, HENRIETTE.

M. DE L’ORME.

Mais voyez un peu ce petit Monsieur-là, qui arrive de Tours pour me quereller. Est-ce ma faute à moi ? que n’arrivoit-il plutôt.

Mlle. DE L’ORME.

Ah, mon père !

M. DE MIRVILLE.

Ah, Monsieur !

M. DE L’ORME.

Demain nous éclaircirons tout cela.

M. DE MIRVILLE.

J’espère que vous serez content.

M. DE L’ORME.

C’est attendre long-temps ? vous êtes impatient : mais je vous le pardonne ; parce que vous m’avez débarrassé de ce petit Dumont qui ne me convenoit point du tout ; mais laissons tout cela, & allons nous-en souper.

Fin du quatrieme Proverbe.

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Explication du Proverbe :

4. Le premier venu engraine.

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