Illustration de: Charles Émile Egli dit: Carlègle(1877 - 1937)
Gustave, dit Trognon ; Bobéchotte.
BOBÉCHOTTE- Trognon, je vais bien t’épater. Oui, je vais t’en boucher une surface. Sais-tu qui est-ce qui m’a fait un cadeau ? La concierge.
GUSTAVE- Peste ! tu as de belles relations ! Tu ne m’avais jamais dit ça !
BOBÉCHOTTE-- Ne chine pas la concierge, Trognon ; c’est une femme tout ce qu’il y a de bath ; à preuve qu’elle m’a donné… – devine quoi ? – un gora !
GUSTAVE- La concierge t’a donné un gora ?
BOBÉCHOTTE- Oui, mon vieux.
GUSTAVE- Et qu’est-ce que c’est que ça, un gora ?
BOBÉCHOTTE- Tu ne sais pas ce que c’est qu’un gora ?
GUSTAVE- Ma foi, non.
BOBÉCHOTTE, égayée.- Mon pauvre Trognon, je te savais un peu poire, mais à ce point-là, je n’aurais pas cru. Alors, non, tu ne sais pas qu’un gora, c’est un chat ?
GUSTAVE- Ah !… Un angora, tu veux dire.
BOBÉCHOTTE- Comment ?
GUSTAVE- Tu dis : un gora.
BOBÉCHOTTE- Naturellement, je dis : un gora.
GUSTAVE- Eh bien, on ne dit pas : un gora.
BOBÉCHOTTE- On ne dit pas : un gora ?
GUSTAVE- Non.
BOBÉCHOTTE- Qu’est-ce qu’on dit, alors ?
GUSTAVE- On dit : un angora.
BOBÉCHOTTE- Depuis quand ?
GUSTAVE- Depuis toujours.
BOBÉCHOTTE- Tu crois ?
GUSTAVE- J’en suis même certain.
BOBÉCHOTTE- J’avoue que tu m’étonnes un peu. La concierge dit : un gora, et si elle dit : un gora, c’est qu’on doit dire : un gora. Tu n’as pas besoin de rigoler ; je la connais mieux que toi, peut-être, et c’est encore pas toi, avec tes airs malins, qui lui feras le poil pour l’instruction.
GUSTAVE- Elle est si instruite que ça ?
BOBÉCHOTTE, avec une grande simplicité.- Tout ce qui se passe dans la maison, c’est par elle que je l’ai appris.
GUSTAVE- C’est une raison, je le reconnais, mais ça ne change rien à l’affaire, et pour ce qui est de dire : un angora, sois sûre qu’on dit : un angora.
BOBÉCHOTTE- Je dirai ce que tu voudras, Trognon ; ça m’est bien égal, après tout, et si nous n’avons jamais d’autre motif de discussion…
GUSTAVE- C’est évident.
BOBÉCHOTTE- N’est-ce pas ?
GUSTAVE- Sans doute.
BOBÉCHOTTE- Le tout, c’est qu’il soit joli, hein ?
GUSTAVE- Qui ?
BOBÉCHOTTE- Le petit nangora que m’a donné la concierge, et, à cet égard-là, il n’y a pas mieux. Un vrai amour de petit nangora, figure-toi ; pas plus gros que mon poing, avec des souliers blancs, des yeux comme des cerises à l’eau-de-vie, et un bout de queue pointu, pointu, comme l’éteignoir de ma grand’mère… Mon Dieu, quel beau petit nangora !
GUSTAVE- Je vois, au portrait que tu m’en traces, qu’il doit être, en effet, très bien. Une simple observation, mon loup ; on ne dit pas : un petit nangora.
BOBÉCHOTTE- Tiens ? Pourquoi donc ?
GUSTAVE- Parce que c’est du français de cuisine.
BOBÉCHOTTE- Eh ben, elle est bonne, celle-là ! je dis comme tu m’as dit de dire.
GUSTAVE- Oh ! mais pas du tout ; je proteste. Je t’ai dit de dire : un angora, mais pas : un petit nangora. (Muet étonnement de Bobéchotte) C’est que, dans le premier cas, l’a du mot angora est précédé de la lettre n, tandis que c’est la lettre t qui précède, avec le mot petit ?
BOBÉCHOTTE- Ah ?
GUSTAVE- Oui.
BOBÉCHOTTE, haussant les épaules. - En voilà des histoires ! Qu’est-ce que je dois dire, avec tout ça ?
GUSTAVE- Tu dois dire : un petit angora.
BOBÉCHOTTE- C’est bien sûr, au moins ?
GUSTAVE- N’en doute pas.
BOBÉCHOTTE- Il n’y a pas d’erreur ?
GUSTAVE- Sois tranquille.
BOBÉCHOTTE- Je tiens à être fixée, tu comprends.
GUSTAVE- Tu l’es comme avec une vis.
BOBÉCHOTTE- N’en parlons plus. Maintenant, je voudrais ton avis. J’ai envie de l’appeler Zigoto.
GUSTAVE- Excellente idée !
BOBÉCHOTTE- Il me semble.
GUSTAVE- Je trouve ça épatant !
BOBÉCHOTTE- N’est-ce pas ?
GUSTAVE- C’est simple.
BOBÉCHOTTE- Gai.
GUSTAVE- Sans prétention.
BOBÉCHOTTE- C’est facile à se rappeler.
GUSTAVE- Ça fait rire le monde.
BOBÉCHOTTE- Et ça dit bien ce que ça veut dire. Oui, je crois que pour un tangora, le nom n’est pas mal trouvé. (Elle rit).
GUSTAVE- Pour un quoi ?
BOBÉCHOTTE- Pour un tangora.
GUSTAVE- Ce n’est pas pour te dire des choses désagréables, mais ma pauvre cocotte en sucre, j’ai de la peine à me faire comprendre. Fais donc attention, sapristoche ! On ne dit pas : un tangora.
BOBÉCHOTTE- Ça va durer longtemps, cette plaisanterie-là ?
GUSTAVE (interloqué) -Permets…
BOBÉCHOTTE- Je n’aime pas beaucoup qu’on s’offre ma physionomie, et si tu es venu dans le but de te payer mon 24-30, il vaudrait mieux le dire tout de suite.
GUSTAVE- Tu t’emballes ! tu as bien tort ! Je dis : « On dit un angora, un petit angora ou un gros angora » ; il n’y a pas de quoi fouetter un chien, et tu ne vas pas te fâcher pour une question de liaison.
BOBÉCHOTTE- Liaison !… Une liaison comme la nôtre vaut mieux que bien des ménages, d’abord ; et puis, si ça ne te suffit pas, épouse-moi ; est-ce que je t’en empêche ? Malappris ! Grossier personnage !
GUSTAVE- Moi ?
BOBÉCHOTTE- D’ailleurs, tout ça, c’est de ma faute et je n’ai que ce que je mérite. Si, au lieu de me conduire gentiment avec toi, je m’étais payé ton 24-30 comme les neuf dixièmes des grenouilles que tu as gratifiées de tes faveurs, tu te garderais bien de te payer le mien aujourd’hui. C’est toujours le même raisonnement : « Je ne te crains pas ! Je t’enquiquine ! » Quelle dégoûtation, bon Dieu ! Heureusement, il est encore temps.
GUSTAVE (inquiet)- Hein ? Comment ? Qu’est-ce que tu dis ? Il est encore temps !… Temps de quoi ?
BOBÉCHOTTE- Je me comprends ; c’est le principal. Vois-tu, c’est toujours imprudent de jouer au plus fin avec une femme. De plus malins que toi y ont trouvé leur maître. Parfaitement ! À bon entendeur… Je t’en flanquerai, moi, du zangora !