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- Les amis de l'enfance - Guérinon Emile
Les amis de l'enfance - Guérinon Emile
Comédie en 1 acte
PERSONNAGES
- Marinette, Fillette de 6 à 7 ans.
- Françoise, Sœur ainée de Marinette, 16 ans.
- Fernande,
- Clotilde, Fillettes de 5 a 8 ans,
- Maria, l’amie de Marinette.
- Juliette,
- La Fée Joie au cœur, Jeune fille de 12 à 14 ans.
- Le petit Poucet
- Cendrillon
- Le Chat botté,
- Le Prince charmant,
- Fillettes de 6 à 7 ans
- Riquet a la Houppe, des costumées ou travesties
- La Mère Michel
- Cadet Rousselle
- Le Petit Chaperon Rouge
Dans un logis de pauvres gens. Porte centrale donnant sur un jardin. Meubles misérables : table, chaises, buffet dans, le fond, berceau d'osier à gauche.
SCÈNE I
MARINETTE, FRANÇOISE
FRANÇOISE
Tu me promets d'être bien sage, Marinette, de ne pas sortir ?... Songe que si ton petit frère se réveillait, il pourrait tomber... tu me le promets ?
MARINETTE
Je te le promets.
FRANÇOISE
Ah ! je comprends bien que ça t'est dur de rester là, pendant que les autres s'amusent, mais quand papa sera sorti de l'hôpital, je demeurerai à la maison, et tu te rattraperas, va !
MARINETTE
Pourquoi est-ce que tu t'en vas toujours ?
FRANÇOISE
Pour gagner des sous, ma pauvre chérie, il en faut pour vivre... (Lui montrant une tartine sur le buffet) Je t'ai préparé ta tartine. Tiens là ! sur le buffet, tu la mangeras à quatre heures...
MARINETTE (examinant la tartine)
T'en n'as pas mis beaucoup... de confiture.
FRANÇOISE
C'est le dernier pot, il faut l'économiser.
MARINETTE
Tu n'en prends pas pour toi ?... Tu l'aimes bien pourtant.
FRANÇOISE
Non... je ne l'aime plus.
MARINETTE
Marthe, sa maman lui fait des tartines grosses comme ça, et puis il y en a de la confiture dessus, elle lui en donne tant qu'elle veut...
FRANÇOISE
Parce qu'elle est riche !
MARINETTE
On n'est pas riche, nous ?
FRANÇOISE
Nous sommes pauvres, ma chérie.
MARINETTE
Pourquoi que nous sommes des pauvres, nous autres ? Qu’est-ce que nous avons fait ?
FRANÇOISE
Je ne peux pas t'expliquer, plus tard quand tu seras grande tu comprendras... c'est la vie... les uns naissent pauvres, les autres riches, on n'y peut rien.
MARINETTE
Ah ! c'est peut être pour ça que nous n'avons pas de maman ?
FRANÇOISE (émue)
Mais tu en as une, Marinette, je suis ta maman, moi !
MARINETTE
Oh ! non, tu dis ça... mais je sais bien que tu es ma grande sœur...
FRANÇOISE
Une grande sœur, c'est souvent une maman, et toi- même, quand tu gardes ton petit frère, quand tu as soin de lui, tu es sa petite maman... (Elle l’embrasse avec émotion) Allons, sois bien sage... ne sors pas; s'il s'éveille, tu n'auras qu'à le bercer... N'oublie pas d'aller chercher l'œuf quand la poule chantera, mais reviens tout de suite...
MARINETTE
Oh !oui.
SCÈNE II
FRANÇOISE (l'embrassant)
Ma chérie ! (elle sort)
MARINETTE, seule
(Elle a regardé partir sa sœur sur le pas de la porter; elle referme la porte et revient).
MARINETTE
Gomme il fait beau dehors ! Il y a du soleil plein le jardin, comme pour une fête... Les rosiers sont fleuries et les reines-marguerites ont l'air de me faire des signes... ff ( un gros soupir) Il ferait si bon à regarder passer les voitures : le boucher avec son cheval gris : clic-clac ! hue, donc ! Coco !... Coco, c'est un joli nom pour un cheval ! ... Et la vieille Cabosse, elle a au moins cent ans, qui pousse sa charrette de légumes : la jolie laitue ! les carottes !... (Nouveau soupir) Ah ! elle a bien de la chance, la vieille Cabosse, de n'avoir pas de petit frère à garder !... Enfin... (Elle va au buffet et prend la tartine) Tout de même, elle la plaint... elle aurait pu mettre plus de confiture... il n'y a que du pain...
SCÈNE III
MARINETTE, CLOTILDE, MARIA, FERNANDE, JULIETTE
(Elles entrent joyeuses, en se bousculant comme une volée de moineaux)
MARIA
Marinette !
CLOTILDE
Marinette !
MARINETTE (désignant le berceau)
Chut!... il dort !
MARIA
C'est toi la marraine ! Clotilde a porté une boîte de pralines ! (et elle montre la poupée qu'elle tient dans ses bras)
MARINETTE (émerveillée)
Des vraies ?
Maria et Glotilde (en même temps)
Des vraies !
JULIETTE
Et Fernande sera le parrain ?
FERNANDE
Et Juliette sera le curé !
MARIA (montrant sa poupée)
Regarde si elle est belle, ma Lolotte !
FERNANDE (ironique)
Oh ! il lui manque un œil !
MARIA (vexée)
C'est la mode chez les poupées !
MARINETTE (inquiète, jetant un coup d'œil vers le berceau)
Pas si fort, vous allez me le réveiller.
JULIETTE (même jeu)
Chut !
MARINETTE
Et Clotilde?
MARIA
Clotilde ?... c'est la nourrice !
MARINETTE
Gomme vous allez bien vous amuser...
FERNANDE
On fera la dînette, on mangera des gâteaux, des groseilles...
MARINETTE
Avec quoi ?
FERNANDE (montrant une pièce de 50 centimes)
Avec ça !
MARINETTE (étonnée)
Dix sous !
FERNANDE
C'est grand'mère qui me les a donnés. Allons ! tu viens ?
MARINETTE
Je ne peux pas... il faut que je garde le petit...
CLOTILDE
Que tu es sotte ! tu reviendras de temps en temps !
MARINETTE
Si je croyais...
MARIA
Bien sûr... il ne s'en ira pas, va !
MARINETTE (avec regret)
Ah ! je voudrais bien, mais, vrai... j'ai promis à Françoise... Des pralines, ça doit être bon?
JULIETTE
Je te crois ! c'est l'oncle de Clotilde qui revient du Congo qui les a portées.
MARINETTE
Ça pousse sur...
MARIA
Sur les praliniers, pardi !
CLOTILDE
Gomme les dragées !
MARINETTE (à Clotilde)
Tu devrais bien m'en donner une... pour goûter...
FERNANDE
Ah ! non ! c'est pour le baptême, tu n'as qu'avenir.
MARINETTE
Puisque je ne peux pas !
CLOTILDE
Tant pis pour toi.
MARINETTE
Rien qu'une pour goûter...
MARIA
Puisque tu aimes mieux rester avec ton microbe, tu n'en auras pas ! pas vrai, Clotilde ?
MARINETTE
J'aime mieux, j'aime mieux... Et puis, je crois que c'est amusant...
JULIETTE
Eh! bien, viens, alors...
MARINETTE (résistant)
Non... non... vous ne comprenez pas ça, vous autres,... vous ne savez pas... Courant au berceau) chut !... vous voyez... le voilà qui se réveille... (elle berce et chante en même temps)
« Fais dodo, Loulou, mon p'tit frère »
« Fais dodo, t'auras du gâteau »
(Tout en continuant à bercer)
Françoise m'a dit de rester... j'ai promis... et puis...
CLOTILDE (se dirigeant avec ses compagnes vers la porte).
Et puis ?
MARINETTE (même jeu)
Non... vous ne comprendriez pas ça... vous avez une maman, vous autres, tandis que nous on n'a que nous, et papa est à l’hôpital... alors, n'est-ce pas, faut bien qu'on s'aide... qu'on se soutienne, on serait trop seul sans ça. (Se penchant sur le berceau). Pauvre petit, si rose, si mignon...
FERNANDE (sur la porte)
Allons, viens donc...
MARIA
Viens...
JULIETTE (revenant, comme avec un remords) Pourquoi tu ne veux pas être la marraine ?
MARINETTE (avec regret, mais grave, en désignant son petit frère)
Parce que je suis sa maman !
JULIETTE (s'en allant avec les autres) Quelle sotte ! (on entend dehors des rires)
SCÈNE IV
MARINETTE, puis la FÉE JOIE AU CŒUR
MARINETTE
En ont-elles de la chance? Mais je suis contente, tout de même ! J’ai bien fait de ne pas les écouter... (Elle se penche sur le berceau) Là... il est tout à fait rendormi (elle se dirige vers le buffet) Heureusement que j'ai ma tartine... je vais mettre un peu plus de confiture... (Elle ouvre le buffet, prend le pot) Ah ! voilà le pot. C'est vrai qu'il n'en reste pas beaucoup ! (elle passe son doigt dans la confiture et le porte à sa bouche) ; ce qu'elle est bonne ! (se retournant brusquement)... On a frappé... Entrez !
LA FÉE JOIE AU CŒUR (Enveloppée dans une mante brune, sur un ton plaintif) -.
La charité, s'il vous plaît ! un petit morceau de pain, un petit sou...
MARINETTE {interloquée)
Mais...
LA FÉE
Le Bon Dieu vous le rendra...
MARINETTE
Mais je n'ai rien, moi ! je suis toute seule, et puis... c'est guère la peine de venir chez nous... on est des pauvres, nous aussi...
LA FÉE
Ah...?
MARINETTE
Oui, papa est à l'hôpital...
LA FÉE
Mais... cette tartine, là sur la table...
MARINETTE (estomaquée)
Oh ! tu voudrais pas ! de la confiture !... c'est ma collation... (Après un silence) Pourquoi que tu mendies?
LA FÉE
Pour rapporter du pain à la nichée.
MARINETTE (qui ne comprend pas) A la nichée ?
LA FÉE
Les gosses, quoi ! ils sont quatre dans la voiture avec le vieux.
MARINETTE (ouvrant de grands yeux)
Tu as une voiture, toi ?
LA FÉE
Faut bien ! On n'est pas des escargots, on est des voyageurs, tantôt ici, tantôt ailleurs... le vieux... (Se reprenant) papa tresse des corbeilles, et quand il y en a, nous allons les vendre, mais voilà, ça ne marche plus, l'osier est cher cette année, il faut manger quand même! Alors, chacun fait sa tournée... on rapporte ce qu'on peut... Tu devrais bien me donner ta tartine...
MARINETTE
Et moi !
LA FÉE
Tu en prendras une autre.
MARINETTE
Tu crois ça, toi !
LA FÉE
Si tu savais comme ils ont faim, là-bas, les petits, et moi aussi... ça doit être bon ta confiture, c'est de là groseille ?
MARINETTE
Oh! ça, je ne sais pas, mais c'est bien bon! c'est dommage que le pot soit à fond... (Elle hésite puis prenant une résolution)... écoute, je vais t'en donner la moitié (elle fait mine de partager la tartine) la bonne moitié... (Hésitant) si Françoise le savait... non, elle ne me gronderait pas... et puis, tiens, ça te ferait plaisir de l'avoir toute ?
LA FÉE
Si ça me ferait plaisir ? Tu parles !
MARINETTE
Tu n'en manges pas souvent de la confiture ?
LA FÉE
De la confiture ?. . . Jamais !
SCÈNE V
MARINETTE (lui offrant sa tartine) Eh! bien, tiens; prends-la !... tant pis, j'en aurai une autre fois !
LES MÊMES, PLUS LES AMIS DE L'ENFANCE
(La fée rejette sa mante et apparaît, jeune, fraîche, souriante, en costume de fée)
LA FÉE
Tu es une brave petite fille !
MARINETTE (extasiée)
Oh!
LA FÉE
Garde ta tartine, Marinette, je suis la Fée Joie au cœur, j'ai voulu t'éprouver.
MARINETTE (joignant les mains d’admiration) La Fée Joie au cœur ?
LA FÉE
Celle qui récompense les bonnes actions. Je savais que tu étais seule, que tu ne devais pas sortir, et, puisque tu as obéi à ta sœur et que tu m'as donné ta tartine, j'ai fait venir ici les petits amis de l'enfance qui vont jouer avec toi. (Elle va à la porte, et aussitôt le petit monde des contes et des récits de l’Enfance entre pressé). Entrez, entrez, mes jolis... Voici le petit Chaperon rouge !... le Petit Poucet!... Cendrillon !... Le Chat Botté !... Le Prince Charmant !... La Mère Michel !... Cadet Rousselle !... Riquet à la Houppe !... entrez, entrez...
MARINETTE
Oh ! mais je les reconnais tous...
CENDRILLON
Nous aussi, nous te reconnaissons (lui faisant une grande révérence) Bonjour Marinette ! (Chacun à tour de rôle vient s'incliner devant Marinette en disant : Bonjour, Marinette !)
MARINETTE
Oh ! mais c'est un véritable conte de fées !
LA FÉE
Ils vont te dire une belle histoire, mais pas celle que tu connais... allez! mes jolis...
TOUS (ensemble, et bien scandé)
Il était une fois...
LA FÉE (les arrêtant)
Pas tous à la fois ! L'un après l'autre, mes enfants.
CHAPERON ROUGE
Il était une fois
(Bonne femme, file ta laine)
Voici des jours et des semaines,
Une fillette comme toi !
CENDRILLON
Aux yeux rieurs, au teint de pèche,
(Mouds, ton grain meunier, mouds ton grain)
Qui n'avait château ni calèche,
Mais aux lèvres un gai refrain !
PETIT POUCET
Chaque jour, à la nuit tombée,
(Loup y-es-tu ?) pour calmer sa peur,
Quand la porte était bien fermée...
MÈRE MICHEL
Quand le feu était sans lueur...
CADET ROUSSELLE
Quand le veau dormait dans l'étable.
CHAT BOTTÉ
Quand le chien rêvait sous la table...
PRINCE CHARMANT
Quand les étoiles souriaient. . .
CENDRILLON
J'arrivais avec mon soulier...
CHAPERON ROUGE
Avec mon pot et ma galette
RIQUET
Avec ma houppe à la riquette,
Avec ma bosse, avec mon nez !
PETIT POUCET
Avec mes six frères aînés.
MÈRE MICHEL
Avec mon chat.
CHAT BOTTÉ
Avec mes bottes !
CADET ROUSSELLE
Avec mes trois cheveux qui flottent
Mes trois deniers, mes trois maisons
Qui n'ont ni poutres ni chevrons.
TOUS ENSEMBLE
Houp ! Hop! Clac ! Houp !
Qu'on s'éveille !
PRINCE CHARMANT
Nous arrivons, troupe vermeille,
Dans la chambre pauvre où la nuit
S'attendrit d'un rayon de lune...
CHAPERON ROUGE
Le silence fait place au bruit...
CENDRILLON
Et la misère à la fortune !
PETIT POUCET
Le Rêve en a fait un palais !
CHAT BOTTÉ
L'espoir y chante ses couplets !
MÈRE MICHEL
Et la fillette aux mèches blondes
Avec nous vient tourner la ronde !
CADET ROUSSELLE (triste)
Voici... bien des jours.... bien des ans.
RIQUET
Elle est endormie à présent
Dans la grande ombre de la terre...
LA FÉE
Elle s'appelait Marinette !
MARINETTE (étonnée)
Comme moi ?
TOUS ENSEMBLE
Comme toi ?
LA FÉE
Elle t'aima beaucoup...
MARINETTE
Moi?
LA FÉE
Oui ! . . . c'était ta mère !
MARINETTE (très émue)
Oh ! . . . vous avez connu maman ?
TOUS ENSEMBLE
Bien sûr !
LA FÉE
Ils ont connu toutes les mamans; et tous les papas aussi, riches ou pauvres, tous ont été leurs amis, ceux des palais comme ceux des chaumières, et c'est pourquoi il faut les aimer...
MARINETTE
Oh! mais je les aimais déjà... avant de savoir... Oh ! dites, ils ne vont pas partir maintenant ?
LA FÉE
Si ! d'autres les attendent, mais quand tu voudras les recevoir il suffira que tu songes à eux, car vois- tu...
Ce sont les amis de l'enfance.
Gais toujours et toujours charmants
Et jeunes éternellement
Dans un monde où tout recommence !
Pomponnés, pimpants et coquets.
Rieurs, légers, foule empressée.
Des grands jardins de la pensée
Ils sont le suave bouquet !
(Elle s'adresse au public)
Êtres de grâce et de mystère
A l'entour de chaque berceau
Ils déroulent les écheveaux
Des vérités et des chimères :
Prince Charmants des clairs de lune,
Combien n'auront d'autre fortune
Sur la route grise du temps !
Combien ne cueilleront qu'en rêve
Leur part de fruits, leur part de fleurs....
Aimons donc les ensorceleurs
Enfants de l'Illusion brève !
Aimons-les tous, aimons-les bien,
L'âge vient tôt sans qu'on le veuille,
Et tout bonheur est une feuille
Au gré du souffle aérien !
Aimons-les, puisque leur histoire
Emerveilla dans l'autrefois
Tous ceux dont la tremblante voix
Chante encor dans notre mémoire !
Nos bons aïeux, nos grands parents,
Tous les chers morts par qui nous sommes,
Aimons, sur les chemins des hommes,
Les petits amis des enfants !
RIDEAU
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021