BIBLIOBUS Littérature

AVRIL

 

 

14 avril.

Il faut tout dire. Quand on a bien envie et qu'on peut -- enfin ! -- mettre son derrière sur la lunette, c'est une joie d'attendre encore un peu.

Pour un écrivain qui vient de travailler, lire, c'est monter en voiture après une marche à pied pénible.

Quand un acteur rentre dans la coulisse, il semble se déshabiller brusquement, se mettre à nu.

J'abonde dans mon sens.

La douce mélancolie du travail, le dimanche, quand les autres se promènent.

17 avril.

L'idéal : un rêve précis.

19 avril.

Je ne me contente pas de la vie intermittente : il me faut de la vie à chaque instant.

Elle se défie de son homme et ne lui dit rien de ses affaires. Elle a du bien pour plus de 80.000 francs, et il ne s'en doute pas. On lui offre d'acheter ses vignes à l'amiable : elle accepte le prix. Son notaire, qui n'a rien sur la vente, lui dit qu'elle fait une bêtise. Troublée, et n'ayant rien signé, elle reprend tranquillement sa parole.

Il faut qu'elle ait toujours dans son armoire un billet de cent francs d'avance.

Rien ne l'obligerait à déplacer son argent placé. Elle aime mieux emprunter et payer des intérêts avec ses revenus.

Venant à Paris en seconde, elle avait droit à l'express à partir de Laroche. Pas pressée, elle a préféré rester dans le train omnibus.

Plus elle amasse, et plus elle est désolée que ses enfants n'aient pas d'enfants. A qui tout ce bien va-t-il aller ?

Sur le retour, elle a des éblouissements, des lourdeurs. Elle va trouver son pharmacien qui lui donne une purge et lui dit que ça passera.

Elle a moins peur de mourir que de quitter son bien.

-- Je n'ai pas besoin d'eux, dit-elle de ses enfants. Qu'ils tâchent de n'avoir pas besoin de moi !

Il m'endort. Tout ce qu'il dit est plat. Nous mangeons des gaufres à la terrasse d'un café. Un peu de sucre tombe sur son gilet. Avec l'autorité d'un grand capitaine, il demande une brosse. Le groom le brosse.

-- C'est assez, dit-il d'un ton qui fait ma joie, et il ajoute : Brossez aussi ces messieurs. Mais nous n'en avons pas besoin. D'ailleurs, le groom interloqué n'a pas entendu et s'éloigne.

Comme c'est Capus qui paie les consommations :

-- Payez aussi le groom, dit-il.

-- Qu'est-ce qu'il faut lui payer ? dit Capus. Son mois ?

-- Donnez-lui quatre sous, dit-il sans hésiter.

C'est un garçon admirable.

Il a sur le dos un veston tout fripé qui sort de l'armoire. Ces plis m'étonnent : ce doit être très chic.

Il parle sans cesse, explique tout. Ce qu'il dit est quelconque, mais on sent très bien qu'à des gens cela peut paraître ingénieux et spirituel. Souvent, tandis qu'il parle, Guitry flûte. On ne l'interrompt pas aisément. Il a un « Permettez ! » qui vous arrête, net et sec.

-- Nous autres, dit-il, les quinze ou vingt connaisseurs de Paris...

Il ne peut pas manger un fruit sans en dire l'espèce et sans la comparer aux autres.

On ne peut pas prononcer un nom de ville sans qu'il en parle comme un guide.

Il mesure la qualité d'un éditeur aux avances d'argent qui lui ont été faites.

Bernard, qui se promène avec un petit Montaigne de cinq sous, avant que d'entrer dans une vespasienne, frappe à la porte, sur la tôle.

Chaque poule, la tête sous un cachet de cire rouge.

Capus dit, d'une bouche de femme, qu'elle a une telle odeur « qui ne dit mot qu'on sent ».

Faire de temps en temps un petit voyage de la rue du Rocher à Paris. S'en aller passer huit jours à Paris.

-- Au Concours agricole, j'ai vu une vache qui était belle comme toi, dit Baïe à sa maman.

Poil de Carotte. Je n'ai jamais pu faire un geste de décision sans que mon frère pouffe de rire. De là ma vie humble et plate.

Je n'ai pas une tour, je n'ai qu'un carnet d'ivoire.

Ronfler, c'est dormir tout haut.

-- Je n'ai qu'un défaut, dit-elle : j'ai toujours froid aux pieds.

Comme femme, mon idéal, c'est l'Elmire de Tartuffe.

Ah ! faire des choses que les petits enfants copieraient sur leurs cahiers ! C'est ça, être classique.

Huysmans s'affiche en plein boulevard avec des prêtres.

Un souci en vaut un autre.

Barrès est professeur d'énergie comme on l'est de philosophie : ça n'oblige pas à être sage.

Regarder la nature, ça vaut tout de même mieux que de traduire Virgile.

22 avril.

Les romantiques, des gens qui n'ont jamais vu l'envers de rien.

Je refuse de savoir ce que peut penser des hommes de talent un homme qui n'en a pas.

Sors, va ! Promène-toi ! Le beau temps perdu ne se retrouve jamais.

Deux canards traversent les airs à des hauteurs où notre cruauté n'atteint pas.

Les canards viennent tous les soirs des étangs, ou s'abattent, et leur vol claque comme une voile.

Les geais crient sur le bois comme des charrues.

Baïe demande ce que font les sergents à la guerre.

-- Pan ! Pan ! lui dis-je.

-- Ah ! on les fouette ?

23 avril.

-- Qu'est-ce qu'un critique ? Un lecteur qui fait des embarras.

24 avril.

La fausse modestie, c'est déjà très bien.

Le tremble, quel joli nom d'arbre !

Quand ils communient, ils se font une raie pour l'amour de Dieu.

La truie a sur le dos une raie blanche qu'elle n'a pas pu tremper dans la boue.

J'écoute pousser ma barbe.

Chaque fois qu'on a le dos tourné, un bourgeon éclate.

Quand je me suis marié, j'ai dû mener ma jeune femme dans ma famille. Mon père chercha ce qu'il pourrait faire en son honneur. Il décida de faire remettre quelques tuiles neuves au toit de sa maison, puis il y renonça.

Fils légitime de mes oeuvres.

Je me relève aussi facilement que je tombe. Légère comme une araignée, mon âme remonte à un fil.

La truie et son troupeau de seins.

En un instant, l'esprit parcourt d'immenses pays de rêves, cependant que les yeux passent sur la réalité comme des tortues.

Le réveil déchire brusquement la toile fine de nos rêves.

J'écris des pensées pour quand je serai mort. Elles ne me servent à rien pendant ma vie ; j'oublie même de les penser.

Mon anneau de Gygès qui me rend invisible, c'est ma timidité.

Je compte un triomphe de plus à mon passif.

Déplaisant comme un morceau de papier dans une prairie.

Ma tête est peuplée de mots, comme une forêt, d'oiseaux. Quand ils se mettent tous à chanter, c'est un vacarme !...

Au Jardin d'acclimatation. Le kangourou marche sur ses mollets.

Celui-là, pas d'écriteau : il n'a pas encore dit son nom.

Le yack, fertile en laine comme un champ.

Le lama sourit comme Sarah.

Le tatou, une tortue perfectionnée.

Les éléphants s'approchent l'un de l'autre, croisent leurs trompes et se soufflent dans la bouche comme pour se demander s'ils n'ont pas l'haleine trop forte. Leur soupir gonflerait une voile. Puis ils dansent, plutôt de la tête que des pieds, en l'honneur du monsieur. Et toute cette masse molle, et ce petit oeil comme un oeillet dans un gros sac.

29 avril.

Tout de même, peu à peu je renonce à un tas de choses que je ne peux pas avoir.

Le coq voudrait être monogame.

Il me faudrait, madame, pour dire ce que j'éprouve, un mot qui serait à « larmes » ce que « sourire » est à « rire ».

 

 

 

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