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BIBLIOBUS Littérature française

PROPOITION

PROPOSITION, subst. fém. M. du Marsais, au mot Construction, a traité si amplement de ce qui concerne la proposition, entendue grammaticalement, qu’il n’y auroit plus qu’à renvoyer à cet article, qu’il faut consulter en effet, tome IV. page 81. si je n’avois à faire quelques observations que je crois nécessaires sur cet objet.

Notre grammairien philosophe dit que la proposition est un assemblage de mots, qui, par le concours des différens rapports qu’ils ont entre eux, énoncent un jugement ou quelque considération particuliere de l’esprit qui regarde un objet comme tel. Il me semble qu’il y a quelque inexactitude dans cette définition.

Le seul mot latin moriemur, par exemple, est une proposition entiere, & rien n’y est sousentendu ; la terminaison indique que le sujet est la premiere personne du pluriel, & dès qu’il est déterminé par-là, on ne doit pas le suppléer par nos, parce que ce seroit tomber dans la périssologie, ou du-moins introduire le pléonasme : or la construction analytique, loin de l’introduire, a pour objet de le supprimer, ou du-moins d’en faire remarquer la redondance par rapport à l’intégrité grammaticale de la proposition. Si donc moriemur est une proposition pleine, on ne doit point dire que la proposition est un assemblage de mots.

L’auteur ajoute qu’elle énonce un jugement ou quelque considération particuliere de l’esprit qui regarde un objet comme tel : il prétend par-là indiquer deux sortes de propositions ; les unes directes, qui énoncent un jugement ; les autres indirectes, qu’il nomme simplement énonciatives, & qui n’entrent, dit-il, dans le discours que pour y énoncer certaines vûes de l’esprit. Tout cela, si je ne me trompe, est véritablement quid unum & idem ; en voici la preuve.

Nous parlons pour transmettre aux autres hommes nos connoissances, & nos connoissances ne sont autre chose que la perception de l’existence intellectuelle des êtres sous telle ou telle relation, à telle ou telle modification. Si un être a véritablement en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, nous en avons une connoissance vraie ; s’il n’a pas en soi la relation sous laquelle il existe dans notre esprit, la connoissance que nous en avons est fausse ; mais vraie ou fausse, cette connoissance est un jugement, & l’expression de ce jugement est une proposition.

« Il n’y a autre chose dans un jugement, dit s'Gravesande, Introd. à la Philos. liv. II. ch. vij. n°. 401. qu’une perception » :

& il venoit de dire, n°. 400. que la perception de la relation qu’il y a entre deux idées s’appelle jugement.

« Pour qu’un jugement ait lieu, dit-il encore, deux idées doivent être présentes à notre ame … dès que les idées sont présentes, le jugement suit ».

Je ne differe de ce philosophe que par l’expression : il dit deux idées, & je détermine, moi, l’idée d’un sujet & celle d’un attribut ; c’est un peu plus de précision : il dit que les deux idées doivent être présentes à notre ame, & moi, je dis que le sujet existe dans notre esprit sous une relation à quelque modification : on verra ailleurs pourquoi j’aime mieux dire existence intellectuelle que présence dans notre ame. Voyez Verbe. Il suffit ici que l’on sente que ces expressions rentrent dans le même sens. Quant au fond de la doctrine qui nous est commune, c’est celle des meilleurs Logiciens ou Métaphysiciens ; & si on lit avec l’attention convenable les deux premiers chapitres du premier livre de la Recherche de la vérité, & le troisieme chapitre de la seconde partie de l’art de penser, on n’y trouvera pas autre chose.

Cela étant, je le demande : quelle différence y a-t-il entre un jugement qui est la perception de l’existence intellectuelle d’un sujet sous telle relation, à telle maniere d’être, & ce que M. de Marsais appelle une considération particuliere de l’esprit qui regarde un objet comme tel ? L’esprit ne peut regarder cet objet comme tel, qu’autant qu’il en apperçoit en soi-même l’existence sous telle relation à telle maniere d’être ; car ce n’est que par-là qu’un objet est tel. Ainsi il faut convenir qu’il n’y a en effet qu’un jugement qui puisse être le type ou l’objet d’une proposition, & je conclus qu’il faut dire qu’une proposition est l’expression totale d’un jugement.

Que plusieurs mots soient réunis pour cela, ou qu’un seul, au moyen des idées accessoires que l’usage y aura attachées, suffise pour cette fin ; l’expression est totale dès qu’elle énonce l’existence intellectuelle du sujet sous telle relation à telle ou telle modification. De même encore, que le jugement énoncé soit celui que l’on se propose directement de faire connoître, ou qu’il soit subordonné d’une maniere quelconque à celui que l’on envisage principalement ; c’est toujours un jugement dès qu’il énonce l’existence intellectuelle du sujet sous telle relation, à telle modification ; & l’expression totale, soit du jugement direct, soit du jugement indirect & subordonné, est également une proposition.

Je réduis à deux chefs les observations que la grammaire est chargée de faire sur cet objet qui sont la matiere & la forme de la proposition.

I. La matiere grammaticale de la proposition, c’est la totalité des parties intégrantes dont elle peut être composée, & que l’analyse réduit à deux, savoir le sujet & l’attribut.

Le sujet est la partie de la proposition qui exprime l’être, dont l’esprit apperçoit l’existence sous telle ou telle relation à quelque modification ou maniere d’être.

L’attribut est la partie de la proposition, qui exprime l’existence intellectuelle du sujet sous cette relation à quelque maniere d’être.

Ainsi quand on dit Dieu est juste, c’est une proposition qui renferme un sujet, Dieu, & un attribut, est juste. Dieu exprime l’être, dont l’esprit apperçoit l’existence sous la relation de convenance avec la justice ; est juste, en exprime l’existence sous cette relation ; est en particulier exprime l’existence du sujet ; juste en exprime le rapport de convenance à la justice. Si la relation du sujet à la maniere d’être est de disconvenance, on met avant le verbe une négation, pour indiquer le contraire de la convenance, Deus non est mendax.

L’attribut contient essentiellement le verbe, dit M. du Marsais, parce que le verbe est dit du sujet.

« Si l’attribut contient essentiellement le verbe, il s’ensuit, dit M. l’abbé Fromant, Suppl. aux chap. xiij. & xiv. de la II. part. de la gramm. génér. que le verbe n’est pas une simple liaison ou copule, comme la plûpart des logiciens le prétendent, il s’ensuit qu’il n’y a point de mot qui soit réduit à ce seul usage. Ainsi, quand on dit Dieu est tout-puissant, ce n’est pas la toute-puissance seule que l’on reconnoît en Dieu, c’est l’existence avec la toute-puissance : le verbe est donc le signe de l’existence réelle ou imaginée du sujet de la proposition auquel il lie cette existence & tout le reste ».

Il n’étoit pas possible de mieux développer les conséquences du principe de M. du Marsais, & je ne sais même si ce philosophe les avoit bien envisagées ; car par-tout où il parle du verbe, il semble en faire principalement consister la nature dans l’expression d’une action. Voyez Accident, Actif, Conjugaison . Il est vrai que M. l’abbé Fromant tourne ces conséquences en objection, qu’il croit que le verbe substantif ne signifie que l’affirmation, & que la définition que MM. de P. R. donnent du verbe est très-juste. Car, dit-il,

« quand je dis Dieu est tout-puissant, c’est la toute-puissance seule que je reconnois, que j’affirme en Dieu pour le moment présent ; il ne s’agit point de l’existence, elle est supposée & reconnue ; le verbe est ne signifie que la simple affirmation de l’attribut tout-puissant, qu’il lie avec le sujet Dieu ».

Ce qui trompe ici le savant principal de Vernon, c’est l’idée de l’existence : il n’est pas question de l’existence réelle du sujet, mais de son existence intellectuelle, de son existence dans l’esprit de celui qui parle, laquelle est toujours l’objet d’une proposition, & que je ferai voir être le caractere essentiel du verbe. Voyez Verbe. Ainsi, loin d’abandonner le principe de M. du Marsais à cause des conséquences qui en sortent, je les regarde comme une confirmation du principe, vu qu’elles tiennent d’ailleurs à ce qu’une analyse rigoureuse nous apprend de la nature du verbe. Disons donc avec notre grammairien philosophe, que l’attribut commence toujours par le verbe.

Le sujet & l’attribut peuvent être 1° simples ou composés, 2° incomplexes ou complexes.

1°. Le sujet est simple quand il présente à l’esprit un être déterminé par une idée unique. Tels sont les sujets des propositions suivantes : Dieu est éternel ; les hommes sont mortels ; la gloire qui vient de la vertu a un éclat immortel ; les preuves, dont on appuie la vérité de la religion chrétienne, sont invincibles ; craindre Dieu, est le commencement de la sagesse. En effet, Dieu exprime un sujet déterminé par l’idée unique de la nature individuelle de l’Etre suprême : les hommes, un sujet déterminé par la seule idée de la nature spécifique commune à tous les individus de cette espece : la gloire qui vient de la vertu, un sujet déterminé par l’idée unique de la nature générale de la gloire restrainte par l’idée de la vertu envisagée comme un fondement particulier : les preuves dont on appuie la vérité de la religion chrétienne, autre sujet déterminé par l’idée unique de la nature commune des preuves, restrainte par l’idée d’application à la vérité de la religion chrétienne : enfin ces mots craindre Dieu présentent encore à l’esprit un sujet déterminé par l’idée unique d’une crainte actuelle, restrainte par l’idée d’un objet particulier qui est Dieu.

Le sujet au contraire est composé quand il comprend plusieurs sujets déterminés par des idées différentes. Ainsi quand on dit, la foi, l’espérance & la charité sont trois vertus théologales ; le sujet

total est composé, parce qu’il comprend trois sujets déterminés, chacun par l’idée caractéristique de sa nature propre & individuelle. Voici une autre proposition dont le sujet total est pareillement composé en apparence, quoiqu’au fond il soit simple : croire a l’Evangile et vivre en paien, est une extravagance inconcevable ; il semble que croire à l’Evangile soit un premier sujet partiel, & que vivre en païen en soit un second : mais l’attribut ne peut pas convenir séparément à chacun de ces deux prétendus sujets, puisqu’on ne peut pas dire que croire à l’Evangile est une extravagance inconcevable ; ainsi il faut convenir que le véritable sujet est l’idée unique de la réunion de ces deux idées particulieres, & par conséquent que c’est un sujet simple.

Ce que j’appelle ici sujet composé, M. du Marsais le nomme sujet multiple ; & c’est, dit-il, lorsque, pour abréger, on donne un attribut commun à plusieurs objets différens.

Malgré l’exactitude ordinaire de ce savant grammairien, j’ose dire que l’assertion dont il s’agit est une définition fausse ou du-moins hasardée, puisqu’elle peut faire prendre pour sujet multiple ou composé un sujet réellement simple. Quand on dit, par exemple, les hom mes sont mortels, on donne, pour abréger, l’attribut commun sont mortels à plusieurs objets différens, & c’est au lieu de dire Pierre est mortel, Jacques est mortel, Jean est mortel, &c. on pourroit donc conclure de la définition de M. du Marsais, que le sujet les hommes est multiple ou composé, quoiqu’il soit simple & avoué simple par cet auteur : un sujet simple, dit-il, est énoncé en un seul mot ; le soleil est levé, sujet simple au singulier ; les astres brillent, sujet simple au pluriel.

Au reste, cette définition n’est pas plus exacte que celle du sujet multiple ou composé : pour s’en convaincre, il ne faut que se rappeller les exemples que j’ai cités des sujets simples ; aucun de ceux qui sont énoncés en plusieurs mots n’est destiné à réunir plusieurs objets différens sous un attribut commun, comme l’exige notre grammairien. C’est qu’en effet la simplicité du sujet dépend & doit dépendre non de l’unité du mot qui l’exprime, mais de l’unité de l’idée qui le détermine.

L’attribut peut être également simple ou composé.

L’attribut est simple, quand il n’exprime qu’une seule maniere d’être du sujet, soit qu’il le fasse en un seul mot, soit qu’il en emploie plusieurs. Ainsi quand on dit, Dieu est éternel ; Dieu gouverne toutes les parties de l’univers ; un homme avare recherche avec avidité des biens dont il ignore le véritable usage ; être sage avec excès, c'est etre fou : les attributs de toutes ces propositions sont simples, parce que chacun n’exprime qu’une seule maniere d’être du sujet : est éternel, gouverne toutes les parties de l’univers, sont deux attributs qui expriment chacun une maniere d’être de Dieu, l’un dans le premier exemple, l’autre dans le second ; recherche avec avidité des biens dont il ignore le véritable usage, c’est une maniere d’être d’un homme avare ; être fou, c’est une maniere d’être de ce que l’on appelle être sage avec excès.

L’attribut est composé, quand il exprime plusieurs manieres d’être du sujet. Ainsi quand on dit, Dieu est juste et tout puissant, l’attribut total est composé, parce qu’il comprend deux manieres d’être de Dieu, la justice & la toute-puissance.

Les propositions sont pareillement simples ou composées, selon la nature de leur sujet & de leur attribut.

Une proposition simple est celle dont le sujet & l’attribut sont également simples, c’est-à-dire également déterminés par une seule idée totale. Exemples : la sagesse est précieuse ; la puissance législative est le premier droit de la souveraineté ; la considération qu’on accorde à la vertu est préférable à celle qu’on rend à la naissance.

Une proposition composée est celle dont le sujet ou l’attribut, ou même ces deux parties sont composées, c’est-à-dire déterminées par différentes idées totales.

Une proposition composée par le sujet peut se décomposer en autant de propositions simples qu’il y a d’idées partielles dans le sujet composé, & elles auront toutes le même attribut & des sujets différens. L’Ecriture & la tradition sont les appuis de lo saine Théologie : il y a ici deux sujets, l’Ecriture & la tradition ; de-là les deux propositions simples sous le même attribut : 1° l’Ecriture est un appui de la saine Théologie ; 2° la tradition est un appui de la saine Théologie.

Une proposition composée par l’attribut peut se décomposer en autant de propositions simples qu’il y a d’idées partielles dans l’attribut composé ; & elles auront toutes le même sujet & des attributs différens. La plûpart des hommes sont aveugles & injustes : il y a ici deux attributs, sont aveugles & sont injustes ; de-là les deux propositions simples avec le même sujet : 1° la plûpart des hommes sont aveugles ; 2° la plûpart des hommes sont injustes. La décomposition est presque sensible dans cette belle strophe d’Horace, II. Od. 7.

Auream quisquis mediocritatem

Diligit, tutus caret obsoleti

Sordibus tuti, caret invidendâ

Sobrius aulâ.

Une proposition composée par le sujet & par l’attribut peut se décomposer 1° en autant de propositions, avant le même attribut composé qu’il y a d’idées partielles dans le sujet ; 2° chacune de ces propositions élémentaires peut se décomposer encore en autant de propositions simples qu’il y a d’idées partielles dans l’attribut composé ; ensorte que chacune des idées partielles du sujet composé pouvant être comparée avec chacune des idées partielles de l’attribut composé, & chaque comparaison donnant une proposition simple, le nombre des propositions simples qui sortiront de celle qui est composée par le sujet & par l’attribut, est égal au nombre des idées partielles du sujet composé, multiplié par le nombre des idées partielles de l’attribut composé. Les savans & les ignorans sont sujets à se tromper, prompts à décider & lents à se rétracter : il y a ici deux sujets simples, 1° les savans, 2° les ignorans, & trois attributs simples, 1° sont sujets à se tromper, 2° sont prompts à décider, 3° sont lents à se rétracter ; il en sortira donc deux fois trois ou six propositions simples : en les comparant entre elles par le sujet, trois auront pour sujet commun l’un des deux sujets élémentaires, & partageront entre elles les trois attributs ; trois autres auront pour sujet commun l’autre sujet élémentaire & partageront de même les trois attributs : si on les compare par l’attribut, deux auront pour attribut commun le premier attribut élémentaire, deux autres auront le second attribut, les deux dernieres le dernier attribut ; & les deux qui auront un attribut commun partageront entre elles les deux sujets.

  • 1°. Les savans sont sujets à se tromper.
  • 2°. Les savans sont prompts à se décider.
  • 3°. Les savans sont lents à se rétracter.
  • 4°. Les ignorans sont sujets à se tromper.
  • 5°. Les ignorans sont prompts à se décider.
  • 6°. Les ignorans sont lents à se rétracter.

Jusqu’ici je n’ai donné d’exemples de propositions composées que de celles que les Logiciens appellent

copulatives, parce que les parties composantes y sont liées par une conjonction copulative ; mais je n’ai pas prétendu donner l’exclusion aux autres especes, dont les parties composantes sont liées par toute autre conjonction : je crois seulement que les distinctions observées en logique sont inutiles à la grammaire, qui ne doit remarquer que ce qui est nécessaire à la composition des propositions, & qui n’est nullement chargée d’en discuter la vérité.

2°. Le sujet est incomplexe, quand il n’est exprimé que par un nom, un pronom, ou un infinitif, qui sont les seules especes de mots qui puissent présenter à l’esprit un sujet déterminé. Tels sont les sujets des propositions suivantes : Dieu est éternel ; les hommes sont mortels ; nous naissons pour mourrir ; dormir est un tems perdu.

Il y a apparence que M. du Marsais confondoit le sujet incomplexe avec le simple, quand il donnoit de celui-ci une définition qui ne peut convenir qu’à l’autre. En effet il définit de suite le sujet simple, le sujet multiple que j’appelle composé, & le sujet complexe, sans en opposer aucun à celui qu’il nomme complexe. Il y a cependant une très-grande différence entre le sujet simple & l’incomplexe : le sujet simple doit être déterminé par une idée unique, voilà son essence ; mais il peut être ou n’être pas incomplexe, parce que son essence est indépendante de l’expression, & que l’idée unique qui le détermine peut être ou n’être pas considérée comme le résultat de plusieurs idées subordonnées, ce qui donne indifféremment un ou plusieurs mots : au contraire l’essence du sujet incomplexe tient tout-à-fait à l’expression, puisqu’il ne doit être exprimé que par un mot.

Le sujet est complexe, quand le nom, le pronom, ou l’infinitif est accompagné de quelque addition qui en est un complément explicatif ou déterminatif. Tels sont les sujets des propositions suivantes : les livres utiles sont en petit nombre ; les principes de la Morale méritent attention ; vous qui connoissez ma conduite, jugez-moi ; craindre Dieu, est le commencement de la sagesse ; où l’on voit le nom livres modifié par l’addition de l’adjectif utiles, qui en restraint l’étendue ; le nom principes modifié par l’addition de ces mots de la morale, qui en est un complément déterminatif ; le pronom vous modifié par l’addition de la proposition incidente qui connoissez ma conduite, laquelle en est explicative ; & l’infinitif craindre déterminé par l’addition du complément objectif Dieu.

On voit, par la notion que je donne ici du sujet complexe, que ce n’est pas seulement une proposition incidente qui le rend tel, mais toute addition qui en développe le sens, ou qui le détermine par quelque idée particuliere qu’elle y ajoute. Le mot principal auquel est faite l’addition, est le sujet grammatical de la proposition, parce que c’est celui qui seul est soumis en qualité de sujet aux lois de la syntaxe de chaque langue ; ce même mot, avec l’addition qui le rend complexe, est le sujet logique de la proposition, parce que c’est l’expression totale de l’idée déterminée dont l’esprit apperçoit l’existence intellectuelle sous telle ou telle relation à tel attribut.

L’attribut peut être également incomplexe ou complexe.

L’attribut est incomplexe, quand la relation du sujet, à la maniere d’être dont il s’agit, y est exprimée en un seul mot, soit que ce mot exprime en même tems l’existence intellectuelle du sujet, soit que cette existence se trouve énoncée séparément. Ainsi quand on dit, je lis, je suis attentif, les attributs de ces deux propositions sont incomplexes, parce que dans chacun on exprime en un seul mot la relation du sujet à la maniere d’être qui lui est attribuée ; lis énonce tout-à-la-fois cette relation & l’existence du sujet, & il équivaut à suis lisant ; attentis n’énonce que la relation de convenance du sujet à l’attribut.

L’attribut est complexe, quand le mot principalement destiné à énoncer la relation du sujet à la maniere d’être qu’on lui attribue, est accompagné d’autres mots qui en modifient la signification. Ainsi quand on dit : je lis avec soin les meilleurs grammairiens, & je suis attentif à leurs procédés ; les attributs de ces deux propositions sont complexes, parce que dans chacun le mot principal est accompagné d’autres mots qui en modifient la signification. Lis, dans le premier exemple, est suivi de ces mots, avec soin, qui présentent l’action de lire comme modifiée par un caractere particulier ; & ensuite de ceux-ci, les meilleurs grammairiens, qui déterminent la même action de lire par l’application de cette action à un objet spécial. Attentif, dans le second exemple, est accompagné de ces mots, à leurs procédés, qui restraignent l’idée générale d’attention par l’idée spéciale d’un objet déterminé.

Les propositïons sont également incomplexes ou complexes, selon la forme de l’énonciation de leur sujet & de leur attribut.

Une proposition incomplexe, est celle dont le sujet & l’attribut sont également incomplexes. Exemples : la sagesse est précieuse ; vous parviendrez ; mentir est une lacheté.

Une proposition complexe, est celle dont le sujet ou l’attribut, ou même ces deux parties, sont complexes. Exemples : la puissance législative est respectable ; les preuves dont on appuie la vérité de la religion chrétienne sont invincibles ; ces propositions sont complexes par le sujet : Dieu gouverne toutes les parties de l’univers ; César fut le tyran d’une république dont il devoit être le défenseur ; ces propositions sont complexes par l’attribut : la gloire qui vient de la vertu est plus solide que celle qui vient de la naissance ; être sage avec excès est une véritable folie ; ces propositions sont complexes par le sujet & par l’attribut.

L’ordre analytique des parties essentielles d’une proposition complexe n’est pas toujours aussi sensible que dans les exemples que l’on vient de voir ; c’est alors à l’art même de l’analyse de le retrouver. Par exemple, c’est tuer les pauvres, dene pas subvenir autant qu’on le peut à leur subsistance (si non pavisti, occidisti) ; il est évident que l’on attribue ici à la chose dont on parle que c’est tuer les pauvres, & conséquemment que est tuer les pauvres est l’attribut de cette proposition ; quel en est donc le sujet ? Le voici : ce (sujet grammatical) de ne pas subvenir autant qu’on le peut à la subsistance des pauvres (addition qui rend le sujet complexe en le déterminant). La construction analytique est donc : ce de ne pas subvenir autant qu’on le peut à la subsistance des pauvres est les tuer.

Quand les additions faites, soit au sujet, soit à l’attribut, soit à quelque autre terme modificatif de l’un ou de l’autre, sont elles-mêmes des propositions ayant leurs sujets & leurs attributs, simples ou composés, incomplexes ou complexes ; ces propositions partielles sont incidentes, & celles dont elles sont des parties immédiates sont principales, voyez Incidente. Mais quelque composée, ou quelque complexe que puisse être une proposition, eût-elle l’étendue & la forme que les Rheteurs exigent pour une période, l’analyse la réduit enfin aux deux parties fondamentales, qui sont le sujet & l’attribut.

Prenons pour exemple cette belle période qui est à la tête de la seconde partie du discours de M. l’abbé Colin, couronné par l’académie françoise en 1714. Si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme, est une extravagance inconcevable ; c’est encore un bien plus grand renversement de raison d’être persuadé de la vérité de cette doctrine, & de vivre comme si on ne doutoit point qu’elle ne fût fausse.

Pour parvenir à la construction analytique, je ferai d’abord quelques remarques préliminaires. 1° Si n’est point ici une conjonction hypothétique ou conditionelle ; la proposition qu’elle commence ne doit plus être mise en question, elle a été prouvée dans la premiere partie dont elle est la conclusion & le précis : si a ici le même sens que le mot latin etsi, ou notre mot françois quoique, qui veut dire malgré la preuve que, voyez Mot, article 2. n. 3. ou en adaptant l’interprétation aux besoins présens, malgré la preuve de la vérité qui est. Voyez sur que rendu par qui est, l’article Incidente. 2°. Ces deux derniers mots qui est, commencent une proposition incidente, dont l’attribut doit être indicatif de la vérité individuelle énoncée auparavant par le nom appellatif vérité ; ce doit donc être cette proposition même qui l’énonce comme un jugement, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : & l’on voit ici qu’une proposition incidente est partie d’une autre qui est principale à son égard, mais qui est elle-même incidente à l’égard d’une troisieme. 3°. En réunissant, sous la forme que j’ai indiquée, tout ce qui constitue ce premier membre de la période, on aura, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable : or tout cela est une expression adverbiale, puisqu’il n’y a que la préposition malgré avec son complément ; l’ordre analytique demande donc que cela soit à la suite d’un nom appellatif, ou d’un adjectif, ou d’un verbe. Voyez Préposition. Et le bon sens, qu’il est si facile de justifier que je ne crois pas devoir le faire ici, indique assez que c’est à la suite de l’adjectif grand, ou plutôt de l’attribut, est encore un bien plus grand renversement de raison, mis par comparaison au-dessus du premier, est une extravagance inconcevable. Ce complément adverbial tombe sur le sens comparatif de l’adjectif plus grand. 4°. Ce, qui se trouve immédiatement avant le verbe principal est, n’est que le sujet grammatical, c’est-à-dire le mot principal dans l’expression totale du sujet dont on parle ici ; car ce est un nom d’une généralité indéfinie, lequel a besoin d’être déterminé, ou par les circonstances antécédentes, ou par quelque addition subséquente : or il est déterminé ici par l’union de deux additions respectivement opposées, 1. être persuadé de la vérité de cette doctrine, 2. vivre comme si on ne doutoit point qu’elle ne fût fausse ; & le rapport du nom général ce à cette double addition est marqué par la double préposition de. Voici donc la totalité du sujet logique : ce d’être persuadé de la vérité de cette doctrine & de vivre comme si on ne doutoit point qu’elle ne fût fausse. 5°. Ma derniere observation sera pour rappeller au lecteur que la Grammaire n’est chargée que de l’expression analytique de la pensée, voyez Inversion & Méthode, que les embellissemens de l’élocution ne sont point de son ressort, & qu’elle a droit de s’en débarrasser quand elle rend compte de ses procédés.

Voici donc enfin l’ordre analytique de la période proposée, réduite aux deux parties essentielles : ce d’être persuadé de la vérité de la doctrine chrétienne, & de vivre comme si on ne doutoit pas qu’elle ne fût fausse (sujet logique), est encore un bien plus grand renversement de raison, malgré la preuve de la vérité qui est, fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable (attribut logique) : ou bien sans changer le si, mais se souvenant néanmoins qu’il a la signification que l’on vient de voir ; ce d’être persuadé de la vérité de la doctrine chrétienne, & de vivre comme si on ne doutoit pas qu’elle ne fût fausse, est encore un bien plus grand renversement de raison, si fermer les yeux aux preuves éclatantes du christianisme est une extravagance inconcevable.

Il me semble que relativement à la matiere de la proposition, la Grammaire peut se passer d’en considérer d’autres especes. Elle doit connoître les termes & les propositions composées, parce que la syntaxe influe sur les inflexions numériques des mots, & que l’usage des conjonctions est peut-être inexplicable sans cette clé, voyez Mot, loc. cit. Elle doit connoître les termes & les propositions complexes, parce qu’elle doit indiquer & caractériser la relation des propositions incidentes, & fixer la construction des parties logiques & grammaticales qui ne peuvent sans cela être discernées. Mais que pourroit gagner la Grammaire à considérer les propositions modales, les conditionelles, les causales, les relatives, les discrétives, les exclusives, les exceptives, les comparatives, les inceptives, les désitives ? Si ces différens aspects peuvent fournir à la Logique des moyens de discuter la vérité du fonds, à la bonne heure ; ils ne peuvent être d’aucune utilité dans la Grammaire, & elle doit y renoncer.

Il. La forme grammaticale de la proposition consiste dans les inflexions particulieres, & dans l’arrangement respectif des différentes parties dont elle est composée. Voyez sur cela l’aticle Grammaire, §. 2. de l’orthologie, n. 2. Il est inutile de répeter ici ce qui en a été dit ailleurs, & il ne faut plus que remarquer les différentes especes de propositions que le grammairien doit distinguer par rapport à la forme. On peut envisager cette forme sous trois principaux aspects. 1°. par rapport à la totalité des parties principales & subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition ; 2°. par rapport à l’ordre successif que l’analyse assigne à chacune de ces parties ; 3°. par rapport au sens particulier qui peut dépendre de telle ou telle disposition.

1°. Par rapport à la totalité des parties principales & subalternes qui doivent entrer dans la composition analytique de la proposition, elle peut être pleine ou elliptique.

Une proposition est pleine, lorsqu’elle comprend explicitement tous les mots nécessaires à l’expression analytique de la pensée.

Une proposition est elliptique, lorsqu’elle ne renferme pas tous les mots nécessaires à l’expression analytique de la pensée.

Il faut pourtant observer que comme l’un & l’autre de ces accidens tombe moins sur les choses que sur la maniere de les dire, on dit plutôt que la phrase est pleine ou elliptique, qu’on ne le dit de la proposition. Au reste quoique l’on dise communément que notre langue n’est guere elliptique ; il est pourtant certain que quand on en veut soumettre les phrases à l’examen analytique, on est surpris de voir que l’usage y en introduit beaucoup plus d’elliptiques que de pleines. J’ai prouvé que la plupart de nos phrases interrogatives sont elliptiques, puisque les mots qui exprimeroient directement l’interrogation y sont sous-entendus. Voyez Interrogatif. Il est aisé de recueillir de ce que j’ai dit, article Mot, §. 2. n. 3. de la nature des conjonctions, que l’usage de cette sorte de mot amene assez naturellement des vuides dans la plénitude analytique. M. du Marsais, au mot elliptique, a très-bien fait sentir que l’ellipse est très-fréquente & très-naturelle dans les réponses faites sur le champ à des interrogations. Il y a mille autres occasions où une plénitude scrupuleuse feroit languir l’élocution ; & l’usage autorise alors, dans toutes les langues, l’ellipse de tout ce qui peut aisément se deviner d’après ce qui est positivement exprimé : par exemple, dans les propositions composées par le sujet, il est inutile de répeter l’attribut autant de fois qu’il y a de sujets distincts ; dans celles qui sont composées par l’attribut, il n’est pas moins superflu de répeter le sujet pour chaque attribut

différent, &c. Par-tout on se contenteroit d’un mot pour exprimer une pensée, si un mot pouvoit suffire ; mais du-moins l’usage tend partout à supprimer tout ce dont il peut autoriser la suppression, sans nuire à la clarté de l’énonciation, qui est la qualité de tout langage la plus nécessaire & la plus indispensable.

2°. Par rapport à l’ordre successif que l’analyse assigne à chacune des parties de la proposition, la phrase est directe, ou inverse, ou hyperbatique.

La phrase est directe, lorsque tous les mots en sont disposés selon l’ordre & la nature des rapports successifs qui fondent leur liaison : omnes sunt admirati constantiam Catonis.

La phrase est inverse, lorsque l’ordre des rapports successifs qui fondent la liaison des mots est suivi dans un sens contraire, mais sans interruption dans les liaisons des mots conjonctifs : constantiam Catonis admirati sunt omnes.

Enfin la phrase est hyperbatique, lorsque l’ordre des rapports successifs & la liaison naturelle des mots consécutifs sont également interrompus : Catonis omnes admirati sunt constantiam.

Il faut observer, entre les idées partielles d’une pensée, liaison & relation. La liaison exige que les corrélatifs immédiats soient immédiatement l’un auprès de l’autre ; mais de quelque maniere qu’on les dispose, l’image de la liaison subsiste : Augustus vicit, ou vicit Augustus ; vicit Antonium, ou Antonium vicit ; & par conséquent Augustus vicit Antonium, ou Antonium vicit Augustus, les liaisons sont toujours également observées. Mais les liaisons supposent des relations, & les relations supposent une succession dans leurs termes ; la priorité est propre à l’un, la postériorité est essentielle à l’autre ; voilà un ordre que l’on peut envisager, ou en allant du premier terme au second, ou en allant du second au premier ; la premiere considération est directe, la seconde est inverse : Augustus vicit, vicit Antonium, & par conséquent, Augustus vicit Antonium, c’est l’ordre direct ; Antonium vicit, vicit Augustus, & est conséquemment Antonium vicit Augustus, c’est l’ordre inverse : l’un & l’autre conserve l’image des liaisons naturelles, mais il n’y a que le premier qui soit aussi l’ordre naturel des rapports ; il est renversé dans le second. Enfin la disposition des mots d’une phrase peut être telle qu’elle n’exprime plus ni les liaisons des idées, ni l’ordre qui résulte de leurs rapports ; ce qui arrive quand on jette entre deux corrélatifs quelque mot qui est étranger au rapport qui les unit : il n’y a plus alors ni construction directe, ni inversion ; c’est l’hyperbate : Antonium Augustus vicit. Voyez Inversion, Hyperbate. Il y a des langues où l’usage autorise presque également ces trois sortes de phrases ; ce sont des raisons de goût qui en ont déterminé le choix dans les bons écrivains ; & c’est en cherchant à demêler ces raisons fines que l’on apprendra à lire : chose beaucoup plus rare que l’amour-propre ne permet de le croire.

3°. Enfin par rapport au sens particulier qui peut dépendre de la disposition des parties de la proposition, elle peut être ou simplement expositive ou interrogative.

La proposition est simplement expositive, quand elle est l’expression propre du jugement actuel de celui qui la prononce : Dieu a créé le ciel & la terre ; Dieu ne veut point la mort du pécheur.

La proposition est interrogative, quand elle est l’expression d’un jugement sur lequel est incertain celui qui la prononce, soit qu’il doute sur le sujet ou sur l’attribut, soit qu’il soit incertain sur la nature de la relation du sujet à l’attribut : Qui a créé le ciel & la terre ? interrogation sur le sujet : Quelle est la doctrine de l’Eglise sur le culte des saints ? interrogation sur l’attribut : Dieu veut-il la mort du pécheur ? interrogation sur la relation du sujet à l’attribut.

Tout ce qu’enseigne la Grammaire est finalement relatif à la proposition expositive, dont elle envisage sur-tout la composition : s’il y a quelques remarques particulieres sur la proposition interrogative, j’en ai fait le détail en son lieu. Voyez Interrogatif. (B. E. R. M.)