BIBLIOBUS Littérature française

POINT

POINT, s. m. (Gramm.) ce mot vient du verbe poindre, qui signifie piquer ; & il conserve quelque chose de cette signification primitive dans tous les sens qu’on y a attachés. On dit le point ou la pointe du jour pour en marquer le premier commencement, parce que le commencement frappe les yeux comme une pointe, ou qu’il est à l’égard du jour entier, ce que le point est à l’égard de la ligne. L’extrémité d’une ligne s’appelle point, parce que si la ligne étoit d’une matiere inflexible, son extrémité pourroit servir à poindre. Un point de côté cause une douleur semblable à celle d’une piquure violente & continue, &c.

En Grammaire, c’est une petite marque qui se fait avec la pointe de la plume posée sur le papier comme pour le piquer. On se sert de cette marque à bien des usages.

1°. On termine par un point toute la proposition dont le sens est entierement absolu & indépendant de la proposition suivante ; & il y a pour cela trois sortes de points : le point simple, qui termine une proposition purement expositive ; le point interrogatif, ou d’interrogation, qui termine une proposition interrogative, & qui se marque ainsi ? ; enfin le point admiratif, ou d’admiration, que l’on nomme encore exclamatif ou d’exclamation, & que j’aimerois mieux nommer point pathétique, parce qu’il se met à la fin de toutes les propositions pathétiques ou qui énoncent avec le mouvement de quelque passion ; il se figure ainsi !.

2°. On se sert de deux points posés verticalement, ou d’un point sur une virgule, à la fin d’une proposition expositive, dont le sens grammatical est complet & fini ; mais qui a avec la proposition suivante une liaison logique & nécessaire. Pour ce qui regar de le choix de ces deux ponctuations & l’usage des deux points dont on vient de parler. Voyez Ponctuation.

3°. On met deux points horisontalement au-dessus d’une voyelle, pour indiquer qu’il faut la prononcer séparément d’une autre voyelle qui la précede, avec laquelle on pourroit croire qu’elle seroit une diphtongue, si l’on n’en étoit averti par cette marque qui s’appelle diérèse, comme dans Saül, qui sans la diérèse, pourroit se prononcer Saul, comme nous prononçons Paul. J’ai exposé en parlant de la Lettre I, l’usage de la diérèse, & j’y ait dit qu’un second usage de ce signe est d’indiquer que la voyelle précédente n’est point muette comme elle a coutume de l’être en pareille position, & qu’elle doit se faire entendre avant celle où l’on met les deux points ; qu’ainsi il faut écrire aiguïlle, contiguité, afin que l’on prononce ces mots autrement que les mots anguille, guidé, où l’u est muet. Mais c’est de ma part une correction abusive à l’orthographe ordinaire : si l’on écrit aiguïlle

comme contiguïté, on prononcera l’un comme l’autre, ou en divisant la diphtongue ui du premier de ces mots, ou en l’introduisant mal-à-propos dans le second. Il faut donc écrire contiguïté, ambiguë, à la bonne heure ; l’u n’y est point muet, & cependant il n’y a pas diphtongue : mais je crois maintenant qu’il vaut mieux écrire aigüille, Güise (ville) ; en mettant la diérèse sur l’u, elle servira à marquer sans équivoque que l’u n’est point muet comme dans anguille, guise (fantaisie), & n’empêchera point qu’on ne prononce la diphtongue, parce qu’elle ne sera pas sur la seconde voyelle. Cujusvis hominis est errare, nullius nisi insipientis in errore perseverare. Cic. Philipp. XII. 2.

4°. On dispose quelquefois quatre points horisontalement dans le corps de la ligne, pour indiquer la suppression, soit du reste d’un discours commencé, & qu’on n’acheve pas par pudeur, par modération, ou par quelqu’autre motif, soit d’une partie d’un texte que l’on cite, ou d’un discours que l’on rapporte. Quos ego….sed motos praestat componere fluctus. Virg. Æ n. I. 139.

5°. Enfin la crainte qu’on ne confondît l’i écrit avec un jambage d’u, a introduit l’usage de mettre un point au-dessus : c’est une inutilité qu’on ne doit pourtant pas abandonner, puisqu’elle est consacrée par l’usage.

Les Hébraïsans connoissent une autre espece de point qu’ils appellent points-voyelles, parce que ce sont en effet des points ou de très-petits traits de plume qui tiennent lieu de voyelles dans les livres hébraïques. On connoît l’ancienne maniere d’écrire des Hébreux, des Chaldéens, des Syriens, des Samaritains, qui ne peignoient guere que les consonnes, parce que l’usage très-connu de leur langue fixoit chez eux les principes de la lecture de maniere à ne s’y pas méprendre. Depuis que ces langues ont cessé d’être vivantes, on a cherché à en fixer ou à en revivifier la prononciation, & l’on a imaginé les points-voyelles pour indiquer les sons dont les consonnes écrites marquoient l’explosion. Ainsi le mot [Omission hébreu], dbr, se prononce de différentes manieres & à des sens différens, selon la différence des points que l’on ajoute aux consonnes dont il est composé : [Omission hébreu], dabar signifie chose & parole ; [Omission hébreu], deber, signifie peste, ruine ; [Omission hébreu], dober, veut dire bercail, &c. Avant l’invention des points-voyelles, l’usage, la construction, le sens total de la phrase, la suite de tout le discours, servoient à fixer le sens & la prononciation des mots écrits.

Il y a trois classes différentes de points-voyelles, cinq longs, cinq brefs, & quatre très-brefs. Les cinq longs sont appellés :

  • Kamets, ou â long, comme [Omission hébreu], bâ ;
  • Tseré, ou ê long, comme [Omission hébreu], bê ;
  • Chirik long, ou î long, comme [Omission hébreu], bî ;
  • Kholem, ou ô long, comme [Omission hébreu], bô ;
  • Schourek, qui est ou, comme [Omission hébreu], bou.
  • Les cinq brefs sont appellés :
  • Phatach, ou á bref, comme [Omission hébreu], bâ ;
  • Segol, ou é bref, comme [Omission hébreu], bé ;
  • Chirik bref, ou í bref, comme [Omission hébreu], bí ;
  • Kamets-kateph, ou ó bref, comme [Omission hébreu], bó ;
  • Kibbust, ou ú bref, comme [Omission hébreu], bú.

Les quatre très-brefs sont appellés :

  • Schéva, ou e brévissime, comme [Omission hébreu], be ;
  • Kateph phatach, ou a très-bref, comme [Omission hébreu], ba ;
  • Kateph-segol, ou é très-bref, comme [Omission hébreu], bé ;
  • Kateph-kamets, ou ó très-bref, comme [Omission hébreu], .

Outre qu’il est très-aisé dans un si grand nombre de lignes si peu sensibles, de confondre ceux qui sont les plus différenciés, il y en a qui different très-peu, & le kamets ou à long est précisément le même que le kamets-kateph, ou o bref. D’ailleurs l’emploi de tous ces signes entraîne des détails innombrables & des exceptions sans fin, qu’on ne faisit & qu’on ne retient qu’avec peine, & qui retardent prodigieusement les progrès de ceux qui veulent étudier la langue sainte.

Après avoir examiné en détail toutes les difficultés & les variations de la lecture de l’hébreu par les points-voyelles, Louis Cappel (Crit. sacr. l. Vl. c. ij.), remarque que les points etant une invention des Massorètes, dont l’autorité ne doit point nous subjuguer, les regles de la grammaire hébraïque doivent être d’après les mots écrits sans points, & qu’il faut conséquemment retrancher toutes celles qui tiennent à ce systeme factice. Il ajoûte que dans la lecture il ne faudroit avoir égard qu’aux lettres matrices, matres lectionis, […] ; mais que comme elles manquent très-fréquemment dans le texte, cette maniere de lire lui paroît difficile à établir. Voici sa conclusion : Age sanè punctationi massorethicae eatenùs adhaereamus, quatenùs neque certior, neque commodior vocales ad vocum enuntiationem necessarias designandi ratio usque hodiè inventa est ; atque ex consequenti eam tradendae & docendae grammaticae rationem sequantur quae illi punctationi innititur, neque tomerè eam convellamus aut sollicitemus, nisi fortè aliquis aliam rationem certiorem & commodiorem inveniret punctandi.

Au lieu d’imaginer un systeme plus simple de points-voyelles, M. Masclef, chanoine de la cathédrale d’Amiens, inventa une maniere de lire l’hébreu sans points. Cette méthode consiste à supposer après chaque consonne la voyelle qu’on y met dans l’épellation alphabétique. Ainsi comme le [Omission hébreu] se nomme beth, on suppose un é après cette consonne ; comme le [Omission hébreu] s’appelle daleth, on y suppose un a, &c. [Omission hébreu], ou dbr doit donc se lire daber. Ce système révolta d’abord les savans, & cela devoit être ainsi : 1°. C’étoit une nouveauté, & toute nouveauté allarme toujours les esprits jaloux, & ceux qui contractent fortement & aveuglément les habitudes : 2°. ce système réduisit à rien toutes les peines qu’il en avoit couté aux érudits pour être initiés dans cette langue, & il leur sembloit ridicule de vouloir y introduire de plain-pié & sans embarras, ceux qui viendroient après eux. On fit pourtant des objections que l’on crut foudroyantes ; mais dans l’édition de la grammaire hébraïque de Masclef, faite en 1731 par les soins de M. de la Bletterie, on trouve dans le second tome, sous le titre de novae grammaticae argumenta ac vindiciae, tout ce qui peut servir à établir ce systeme & à détruire toutes les objections contraires. Aussi le Masclefisme fait-il aujourd'hui en France, & même en Angleterre, une secte considérable parmi les hébraïsans : & il me semble qu’il est à souhaiter d’en voir hâter les progrès

Les Massorethes avoient encore imaginé d’autres signes pour la distinction des sens & des pauses, lesquels sont appellés dans les grammaires hébraïques écrites en latin, accentus pausantes & distinguentes, & gardent en françois le nom de points. Ils ont encore, pour la plûpart, tant de ressemblance avec les points-voyelles, qu’ils ne servent qu’à augmenter les embarras de la lecture ; & Masclef, en souhaitant qu’on introduisît notre ponctuation dans l’hébreu, en a donné l’exemple. Puisque nos signes de ponctuation n’ont aucun équivoque, & sont d’un usage facile :

iis non uti, dit Masclef (Gramm. heb. cap. j. n°. 5.) nihil aliud est quàm, invento pane, glande vesci. (B. E. R. M.)