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BIBLIOBUS Littérature française

NOMBRE

NOMBRE, (Gramm.) les nombres sont des terminaisons qui ajoutent à l’idée principale du mot, l’idée accessoire de la quotité. On ne connoît que deux nombres dans la plûpart des idiomes ; le singulier qui désigne unité, & le pluriel qui marque pluralité. Ainsi cheval & chevaux, c’est en quelque maniere le même mot sous deux terminaisons différentes : c’est comme le même mot, afin de présenter à l’esprit la même idée principale, l’idée de la même espece d’animal ; les terminaisons sont differentes, afin de désigner, par l’une, un seul individu de cette espece, ou cette seule espece, & par l’autre, plusieurs individus de cette espece. Le cheval est utile à l’homme, il s’agit de l’espece ; mon cheval m’a coûté cher, il s’agit d’un seul individu de cette espece ; j’ai acheté dix chevaux anglois, on désigne ici plusieurs individus de la même espece.

Il y a quelques langues, comme l’hébreu, le grec, le polonois, qui ont admis trois nombres ; le singulier qui désigne l’unité, le duel qui marque dualité, & le pluriel qui annonce pluralité. Il semble qu’il y ait plus de précision dans le système des autres langues. Car si l’on accorde à la dualité une inflexion propre, pourquoi n’en accorderoit-on pas aussi de particuliere à chacune des autres qualités individuelles ? si l’on pense que ce seroit accumuler sans besoin & sans aucune compensation, les difficultés des langues, on doit appliquer au duel le même principe : & la clarté qui se trouve effectivement, sans le secours de ce nombre, dans les langues qui ne l’ont point admis, prouve assez qu’il suffit de distinguer le singulier & le pluriel, parce qu’en effet la pluralité se trouve dans deux comme dans mille.

Aussi, s’il faut en croire l’auteur de la méthode grecque de P. R. liv. II. ch. j. le duel, δυϊκὸς, n’est venu que tard dans la langue, & y est fort peu usité ; de sorte qu’au lieu de ce nombre on se sert souvent du pluriel. M. l’abbé l’Advocat nous apprend, dans sa grammaire hébraïque, pag. 32. que le duel ne s’emploie ordinairement que pour les choses qui sont naturellement doubles, comme les piés, les mains, les oreilles & les yeux ; & il est évident que la dualité de ces choses en est la pluralité naturelle : il ne faut même, pour s’en convaincre, que prendre garde à la terminaison ; le pluriel des noms masculins hébreux se termine en im ; les duels des noms, de quelques genres qu’ils soient, se termine en aïm ; c’est assurément la même terminaison, quoiqu’elle soit précédée d’une inflexion caractéristique.

Quoi qu’il en soit des systèmes particuliers des langues, par rapport aux nombres, c’est une chose attestée par la déposition unanime des usages de tous les idiomes, qu’il y a quatre especes de mots qui sont susceptibles de cette espece d’accident, savoir les noms, les pronoms, les adjectifs & les verbes ; d’où j’ai inféré (voyez Mot, art. I.), que ces quatre especes doivent présenter à l’esprit les idées des êtres soit réels soit abstraits, parce qu’on ne peut nombrer que des êtres. La différence des principes qui reglent le choix des nombres à l’égard de ces quatre especes de mots, m’a conduit aussi à les diviser en deux classes générales ; les mots déterminatifs, savoir les noms & les pronoms ; & les indéterminatifs, savoit les adjectifs & les verbes : j’ai appellé les premiers déterminatifs, parce qu’ils présentent à l’esprit des êtres déterminés, puisque c’est à la Logique & non à la Grammaire à en fixer les nombres ; j’ai appellé les autres indéterminatifs, parce qu’ils présentent à l’esprit des êtres indéterminés, puisqu’ils ne présentent à l’est-elle ou telle terminaison numérique que par imitation avec les noms ou les pronoms avec lesquels ils sont en rapport d’identité. Voyez Identité.

Il suit de-là que les adjectifs & les verbes doivent avoir des terminaisons numériques de toutes les especes reçues dans la langue : en françois, par exemple, ils doivent avoir des terminaisons pour le singulier & pour le pluriel ; bon ou bonne, singulier, bons ou bonnes, pluriel ; aimé ou aimée, singulier ; aimés ou aimées, pluriel : en grec, ils doivent avoir des terminaisons pour le singulier, pour le duel & pour le pluriel ; ἀγαθός, ἀγαθή, ἀγαθόν, singulier ; ἀγαθώ, ἀγαθά, ἀγαθώ, duel ; ἀγαθοί, ἀγαθαί, ἀγαθά, pluriel, φιλεόμενος, φιλεομένη, φιλεόμενον, singulier ; φιλεομένω, φιλεομένα, φιλεομένω, duel ; φιλεόμενοι, φιλεόμεναι, φιλεόμενα, plurier. Sans cette diversité de terminaisons, ces mots indéterminatifs ne pourroient s’accorder en nombre avec les noms ou les pronoms leurs corrélatifs.

Les noms appellatifs doivent également avoir tous les nombres, parce que leur signification générale a une étendue susceptible de différens degrés de restriction, qui la rend applicable ou à tous les individus de l’espece, ou à plusieurs soit déterminément, ou à deux, ou à deux, ou à un seul. Quant à la remarque de la gramm. gén. part. II. ch. jv. qu’il y a plusieurs noms appellatifs qui n’ont point de pluriel, je suis tenté de croire que cette idée vient de ce que l’on prend pour appellatif des noms qui sont véritablement propres. Le nom de chaque métal, or, argent, fer, sont, si vous voulez, spécifiques ; mais quels individus distincts se trouvent sous cette espece ? C’est la même chose des noms des vertus ou des vices, justice, prudence, charité, haine, lacheté, &c. & de plusieurs autres mots qui n’ont point de pluriel dans aucune langue, à moins qu’ils ne soient pris dans un sens figuré.

Les noms reconnus pour propres sont précisément dans le même cas : essentiellement individuels, ils ne peuvent être susceptibles de l’idée accessoire de pluralité. Si l’on trouve des exemples qui paroissent contraires, c’est qu’il s’agit de noms véritablement appellatifs & devenus propres à quelque collection d’individus ; comme, Julii, Antonii, Scipiones, &c. qui sont comme les mots nationaux, Romani, Afri, Aquinates, nostrates, &c. ou bien il s’agit de noms propres employés par antonomase dans un sens appellatif, comme les Cicérons pour les grands orateurs, les Césars pour les grands capitaines, les Platons pour les grands philosophes, les Saumaises pour les fameux critiques, &c.

Lorsque les noms propres prennent la signification plurielle en françois, ils prennent ou ne prennent pas la terminaison caractéristique de ce nombre, selon l’occasion. S’ils désignent seulement plusieurs individus d’une même famille, parce qu’ils sont le nom propre de famille, ils ne prennent pas la terminaison plurielle ; les deux Corneille se sont distingués dans les lettres ; les Ciceron ne se sont pas également illustrés. Si les noms propres deviennent appellatifs par antonomase, ils prennent la terminaison plurielle ;

les Corneilles sont rares sur notre parnasse, & les Cicérons dans notre barreau. Je sai bon gré à l’usage d’une distinction si délicate & si utile tout-à-la-fois.

Au reste, c’est aux grammaires particulieres de chaque langue à faire connoître les terminaisons numériques de toutes les parties d’oraison déclinables, & non à l’Encyclopédie qui doit se borner aux principes généraux & raisonnés. Je n’ai donc plus rien à ajouter sur cette matiere que deux observations de syntaxe qui peuvent appartenir à toutes les langues.

La premiere c’est qu’un verbe se met souvent au pluriel, quoiqu’il ait pour sujet un nom collectif singulier ; une infinité de gens pensent ainsi, la plûpart se laissent emporter à la coutume ; & en latin, pars mersi tenuere, Virg. C’est une syllepse qui met le verbe ou même l’adjectif en concordance avec la pluralité essentiellement comprise dans le nom collectif. De-là vient que si le nom collectif est déterminé par un nom singulier, il n’est plus censé renfermer pluralité mais simplement étendue, & alors la syllepse n’a plus lieu, & nous disons, la plûpart du monde se laisse tromper : telle est la raison de cette différence qui paroissoit bien extraordinaire à Vaugelas, rem. 47. le déterminatif indique si le nom renferme une quantité discrete ou une quantité continue, & la syntaxe varie comme les sens du nom collectif.

La seconde observation, c’est qu’au contraire après plusieurs sujets singuliers dont la collection vaut un pluriel, ou même après plusieurs sujets dont quelques uns sont pluriers, & le dernier singulier, on met quelquefois ou l’adjectif ou le verbe au singulier, ce qui semble encore contredire la loi fondamentale de la concordance : ainsi nous disons, non-seulement tous ses honneurs & toutes ses richessés, mais toute sa vertu s’évanouit, & non pas s’évanouirent (Vaugelas, rem. 340) ; & en latin, sociis & rege recepto, Virg. C’est au moyen de l’ellipse que l’on peut expliquer ces locutions, & ce sont les conjonctions qui en avertissent, parce qu’elles doivent lier des propositions. Ainsi la phrase françoise a de sous-entendu jusqu’à deux fois s’évanouirent, comme s’il y avoit, non-seulement tous ses honneurs s'évanouirent & toutes ses richésses s’évanouirent, mais toute sa vertu s’évanouit ; & la phrase latine vaut autant que s’il y avoit, sociis receptis & rege recepto. En voici la preuve dans un texte d’Horace :

O noctes coenaeque deûm, quibus ipse, meique,

Ante larem proprium vescor ;

il est certain que vescor n’a ni ne peut avoir aucun rapport à mei, & qu’il n’est relatif qu’à ipse ; il faut donc expliquer comme s’il y avoit, quibus ipse vescor, meique vescuntur, sans quoi l’on s’expose à ne pouvoir rendre aucune bonne raison du texte.

S’il se trouve quelques locutions de l’un ou de l’autre genre qui ne soient point autorisées de l’usage, qu’on pût les expliquer par les mêmes principes dans le cas où elles auroient lieu, on ne doit rien en inférer contre les explications que l’on vient de donner. Il peut y avoir différentes raisons délicates de ces exceptions : mais la plus universelle & la plus générale, c’est que les constructions figurées sont toujours des écarts qu’on ne doit se permettre que sous l’autorité de l’usage qui est libre & très libre. L’usage de notre langue ne nous permet pas de dire, le peuple romain & moi déclare & fais la guerre aux peuples de l’ancien Latium ; & l’usage de la langue latine a permis à Tite Live, & à toute la nation dont il rapporte une formule authentique, de dire, ego populusque romanus populis priscorum Latinorum bellum indico facioque : liberté de l’usage que l’on ne doit point taxer de caprice, parce que tout a sa cause lors même qu’on ne la connoît point.

Le mot de nombre est encore usité en grammaire dans un autre sens ; c’est pour distinguer entre les différentes especes de mots, ceux dont la signification renferme l’idée d’une précision numérique. Je pense qu’il n’étoit pas plus raisonnable de donner le nom de nombres à des mots qui expriment une idée individuelle de nombre, qu’il ne l’autorise d’appeller êtres, les noms propres qui expriment une idée individuelle d’être : il falloit laisser à ces mots le nom de leurs especes en y ajoutant la dénomination vague de numéral, ou une dénomination moins générale, qui auroit indiqué le sens particulier déterminé par la précision numérique dans les différens mots de la même espece.

Il y a des noms, des adjectifs, des verbes & des adverbes numéraux ; & dans la plûpart des langues, on donne le nom de nombres cardinaux aux adjectifs numéraux, qui servent à déterminer la quotité précise des individus de la signification des noms appellatifs ; un, deux, trois, quatre, &c. c’est que le matériel de ces mots est communément radical des mots numéraux correspondans dans les autres classes, & que l’idée individuelle du nombre qui est envisagée seule & d’une maniere abstraite dans ces adjectifs, est combinée avec quelqu’autre idée accessoire dans les autres mots. Je commencerai donc par les adjectifs numéraux.

1. Il y en a de quatre sortes en françois, que je nommerois volontiers adjectifs collectifs, adjectifs ordinaux, adjectifs multiplicatifs & adjectifs partitifs.

Les adjectifs collectifs, communément appellés cardinaux, sont ceux qui déterminent la quotité des individus par la précision numérique : un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, vingt, trente, &c. Les adjectifs pluriels quelques, plusieurs, tous, sont aussi collectifs ; mais ils ne sont pas numéraux, parce qu’ils ne déterminent pas numériquement la quotité des individus.

Les adjectifs ordinaux sont ceux qui déterminent l’ordre des individus avec la précision numérique : deuxieme, troisieme, quatrieme, cinquieme, sixieme, septieme, huitieme, neuvieme, dixieme, vingtieme, trentieme, &c. L’adjectif quantieme est aussi ordinal, puisqu’il détermine l’ordre des individus ; mais il n’est pas numéral, parce que la détermination est vague & n’a pas la précision numérique : dernier est aussi ordinal sans être numéral, parce que la place numérique du dernier varie d’un ordre à l’autre, dans l’un, le dernier est troisieme ; dans l’autre, centieme ; dans un autre, millieme, &c. Les adjectifs premier & second sont ordinaux essentiellement, & numéraux par la décision de l’usage seulement : ils ne sont point tirés des adjectifs collectifs numéraux, comme les autres ; on diroit unieme au lieu de premier, comme on dit quelquefois deuxieme au lieu de second. Dans la rigueur étymologique, premier veut dire qui est avant, & la préposition latine prae en est la racine ; second veut dire qui suit, du verbe latin sequor : ainsi dans un ordre de choses, chacune est premiere, dans le sens étymologique, à l’égard de celle qui est immédiatement après, la cinquieme à l’égard de la sixieme, la quinzieme à l’égard de la seizieme, &c. chacune est pareillement seconde à l’égard de celle qui précede immédiatement, la cinquieme à l’égard de la quatrieme, la quinzieme à l’égard de la quatorzieme, &c. Mais l’usage ayant attaché à ces deux adjectifs la précision numerique de l’unité & de la dualité, l’étymologie perd ses droits sur le sens.

Les adjectifs multiplicatifs sont ceux qui déterminent la quantité par une idée de multiplication avec la précision numérique : double, triple, quadruple, quintuple, sextuple, octuple, noncuple, décuple, centuple. Ce sont les seuls adjectifs multiplicatifs numéraux usités dans notre langue, & il y en a même

quelques-uns qui ne le sont encore que par les mathématiciens, mais qui passeront sans doute dans l’usage général. Multiple est aussi un adjectif multiplicatif, mais il n’est pas numéral, parce qu’il n’indique pas avec la précision numérique. L’adjectif simple, considéré comme exprimant une relation à l’unité, & conséquemment comme l’opposé de multiple, est un adjectif multiplicatif par essence, & numéral par usage : son correspondant en allemand est numéral par l’étymologie ; einfach on einfaeltig, de ein (un), comme si nous disions uniple.

Les adjectifs partitifs sont ceux qui déterminent la quantité par une idée de partition avec la précision numérique. Nous n’avons en françois aucun adjectif de cette espece, qui soit distingué des ordinaux par le matériel ; mais ils en different par le sens qu’il est toujours aisé de reconnoître : c’étoit la même chose en grec & en latin, les ordinaux y de venoient partitifs selon l’occurrence : la douzieme partie (pars duodecima) ἡ μερὶς δυοκαιδεκάτη.

2. Nous n’avons que trois sortes de noms numéraux : savoir des collectifs, comme couple, dixaine, douzaine, quinzaine, vingtaine, trentaine, quarantaine, cinquantaine, soixantaine, centaine, millier, million ; des multiplicatifs, qui pour le matériel ne different pas de l’adjectif masculin correspondant, si ce n’est qu’ils prennent l’article, comme le double, le triple, le quadruple, &c. & des partitifs, comme la moitié, le tiers, le quart, le cinquieme, le sixieme, le septieme, & ainsi des autres qui ne different de l’adjectif ordinal que par l’immutabilité du genre masculin & par l’accompagnement de l’article. Tous ces noms numéraux sont abstraits.

3. Nous n’avons en françois qu’une sorte de verbes numéraux, & ils sont multiplicatifs, comme doubler, tripler, quadrupler, & les autres formés immédiatement des adjectifs multiplicatifs usités. Biner peut encore être compris dans les verbes multiplicatifs, puisqu’il marque une seconde action, ou le double d’un acte ; biner une vigne, c’est lui donner un second labour ou doubler l’acte de labourer ; biner, parlant d’un curé, c’est dire un jour deux messes paroissiales en deux églises desservies par le même curé.

4. Notre langue reconnoît le système entier des adverbes ordinaux, qui sont premierement, secondement ou deuxiemement, troisiemement, quatriemement, &c. Mais je n’y connois que deux adverbes multiplicatifs, savoir doublement & triplement ; on remplace les autres par la préposition à avec le nom abstrait multiplicatif ; au quadruple, au centuple, & l’on dit même au double & au triple. Nuls adverbes partitifs en françois, quoiqu’il y en eût plusieurs en latin ; bifariam (en deux parties), trifariam (en trois parties), quadrifariam (en quatre parties), multifariam ou plurifariam (en plusieurs parties).

Les Latins avoient aussi un système d’adverbes numéraux que l’on peut appeller itératifs, parce qu’ils marquent répétition d’évenement ; semel, bis, ter, quater, quinquies, sexies, septies, octies, novies, decies, vicies ou vigesies, trecies ou trigesies ; &c. L’adverbe général itératif qui n’est pas numéral, c’est pluries ou multoties, ou soepe.

On auroit pû étendre ou restreindre davantage le système numéral des langues ; chacune a été déterminée par son génie propre, qui n’est que le résultat d’une infinité de circonstances dont les combinaisons peuvent varier sans fin.

M. l’abbé Girard a jugé à propos d’imaginer une partie d’oraison distincte qu’il appelle des nombres : il en admet de deux especes, les uns qu’il appelle calculatifs, & les autres qu’il nomme collectifs ; ce sont les mots que je viens de désigner comme adjectifs & comme noms collectifs. Il se fait, à la fin de son disc. X. une objection sur la nature de ses nombres collectifs, qui sont des véritables noms, ou pour parler son langage, de véritables substantifs : il avoue que la reflexion ne lui en a pas échappé, & qu’il a même été tenté de les placer dans la cathégorie des noms. Mais

« j’ai vu, dit-il, que leur essence consistoit également dans l’expression de la quotité : que d’ailleurs leur emploi, quoiqu’un peu analogique à la dénomination, portoit néanmoins un caractere différent de celui des substantifs ; ne demandant point d’articles par eux-mêmes, & ne se laissant point qualifier par les adjectifs nominaux, non plus que par les verbaux, & rarement par les autres ».

Il est vrai que l’essence des noms numéraux collectifs consiste dans l’expression de la quotité ; mais la quotité est une nature abstraite dont le nom même quotité est le nom appellatif ; couple, douzaine, vingtaine sont des noms propres ou individuels : & c’est ainsi que la nature abstraite de vertu est exprimée par le nom appellatif vertu, & par les noms propres prudence, courage, chasteté, &c.

Pour ce qui est des prétendus caracteres propres des mots que je regarde comme des noms numéraux collectifs, l’abbé Girard me paroît encore dans l’erreur. Ces noms prennent l’article comme les autres, & se laissent qualifier par toutes les especes d’adjectifs que le grammairien a distinguées : par ceux qu’il appelle nominaux ; une belle douzaine, une bonne douzaine, une douzaine semblable : par ceux qu’il nomme verbaux ; une douzaine choisie, une douzaine préferée, une douzaine rebutée : par les numéraux ; la premiere douzaine, la cinquieme douzaine, les trois douzaines : par les pronominaux ; cette douzaine, ma douzaine, quelques douzaines, chaque douzaine, &c. Si l’on allegue que ce n’est pas par eux-mêmes que ces mots requierent l’article ; c’est la même chose des noms appellatifs, puisqu’en effet on les emploie sans l’article quand on ne veut ajouter aucune idée accessoire à leur signification primitive ; parler en pere, un habit d’homme, un palais de roi, &c.

J’ajoute que si l’on a cru devoir réunir dans la même cathégorie, des mots aussi peu semblables que deux & couple, dix & dixaine, cent & centaine, par la seule raison qu’ils expriment également la quotité ; il falloit aussi y joindre, double, doubler, secondement ; bis, & bifariam, triple, triples, troisiemement, ter, & trifariam, &c. si au contraire on a trouvé quelque inconséquence dans cet assortiment en effet trop bizarre, on a dû trouver le même défaut dans le systeme que je viens d’exposer & de combattre. (B. E. R. M.)