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BIBLIOBUS Littérature française

PREFACE

  

 

 

A Francisque SARCEY

HOMMAGE RESPECTUEUX

Ch. VIRMAITRE.

PARIS
A. CHARLES, LIBRAIRE
8, RUE MONSIEUR-LE-PRINCE, 8
1894


À MON CHER ET HONORÉ CONFRÈRE
FRANCISQUE SARCEY

Permettez-moi de vous prier d’accepter l’hommage de ce volume. Je suis persuadé que le nom du maître critique lui portera bonheur.

J’ai essayé de faire juste, sans, comme mes devanciers, écarter volontairement des termes risqués.

Je les ai écrits comme ils sont employés dans les milieux auxquels je les emprunte.

Pour écrire mes précédents ouvrages, j’ai dû vivre dans ces milieux, depuis l’atelier jusqu’aux bouges les plus infects, inconnus des chercheurs, et où, d’ailleurs, nul n’oserait s’aventurer sans danger.

C’est donc un Dictionnaire vécu, étudié sur le vif. S’il n’est pas aussi savant que ceux de MM. Jean Rigaud, Alfred Delvau et Lorédan Larchey, il a au moins le mérite de n’être pas fantaisiste; il n’est pas l’écho atténué par une pudibonderie par trop Bérengeriste des expressions en usage depuis des siècles.

Des dames à un certain bal célèbre, mirant leur chemise au vestiaire, j’ai fait comme elles, ce sera moins beau sûrement, mais c’est aussi nature.

TO BE OR NOT TO BE

Veuillez agréer, mon cher Maître, mes remerciements et l’expression de mes sentiments de confraternité.

CH. VIRMAITRE.


Mon cher Confrère,

Vous m’avez fait grand plaisir en vous souvenant du goût que j’ai toujours montré pour les études de linguistique. J’aime les locutions d’argot, dont beaucoup sont très pittoresques; au lieu de les proscrire toutes, comme font les dégoûtés, nous devrions avoir à cœur de choisir les plus expressives et de les introduire dans la conversation de la bonne compagnie, d’où elles passeraient dans le Dictionnaire de l’Académie, qui leur donnerait ainsi leurs lettres de naturalisation.

Je vous remercie et vous serre la main.

FRANCISQUE SARCEY.


PRÉFACE

Avant que les bonnes feuilles de ce Dictionnaire ne me tombassent sous les yeux, je ne connaissais guère, je dois le dire à ma honte, que l’argot de Méténier et celui de Bruant. Je dois confesser que mon éducation était incomplète. Et comme je crois que beaucoup sont dans mon cas, il est de toute évidence que ce Dictionnaire est destiné à rendre les plus grands services aux femmes du monde qui vont, au cabaret du Mirliton, quérir des émotions un peu faisandées, et qui en reviennent mélancolieuses, oh! combien! et le cœur tout en pantenne, les pauvres chères! de ce qu’elles n’ont pas goûté, n’ayant pas compris, toute la boue dont, à leur passage dans son bouge, les éclaboussa l’habile cabot-limonadier.

Quel beau livre, quel livre puissant, de quel haut intérêt, et de quelle portée morale, philosophique et sociale, il y aurait à écrire sur l’argot! Quels coins de voile il soulève sur ce monde mystérieux, inconnu, inquiétant, si loin de notre société bourgeoise, sur ce monde du crime, où le vol et l’assassinat portent cyniquement le même nom que la retape de la fillasse: le turbin! Le turbin c’est-à-dire le Travail!!!

Ah! nos lois! nos règlements! nos conventions! Ah! nos morales! nos vertus! nos devoirs! Ah! nos Codes, nos gendarmes! A quels antipodes!

Il y a dans l’argot l’histoire de tout un monde, il y a la psychique de tout un peuple qui pense, croit et agit tout contradictoirement à nous, de même qu’il parle une autre langue que nous, une langue difficile à saisir, en dépit de tous les dictionnaires, parce que sa mobilité est en raison directe des efforts faits par les profanes pour la pénétrer.

Je n’ai ni le temps, ni l’autorité qu’il siérait pour essayer d’écrire, en tête de ce livre, le Commentaire qu’il faudrait. Je ne veux, je ne puis que tenter quelques considérations sur ce qu’est l’argot, au point de vue philologique, et sur la manière dont se forme et se déforme, encore aujourd’hui, ou plutôt se transforme en se déformant ce vocabulaire d’une richesse si colorée et si sapidement et intensément pittoresque.

Les dictionnaires d’argot, publiés jusqu’à présent, n’ont pas assez, me semble-t-il, insisté sur les modes de recrutement et de transformation des vocables argotiques. Or, précisément, ce côté philologique m’a tout de suite paru, à moi, profane, comporter un intérêt de premier ordre. Je sais bien qu’il faudrait tout un livre pour écrire, expliquer et commenter la longue et si accidentée histoire [Pg xii] philologique de l’argot, dont les compétents font remonter les origines jusqu’au XIIe siècle.

Toutefois, à défaut de cette étude savante il y a tout au moins à donner la formule de la mobilité de cette langue, qui, à dix ans de distance, devient presque méconnaissable et quasi incompréhensible pour qui n’en suit pas les évolutions et n’en connaît pas le mécanisme.

L’argot est un langage artificiel, un vocabulaire de convention.

Riche d’un fond de vieux mots français, latins, ou d’importation étrangère (par le fait, par exemple, des guerres), l’argot, je le répète, est une langue essentiellement bougeante et fugace.

Cette mobilité est obtenue par divers principaux procédés, tels que: déformation de mots existants, substitution de mots, apport de suffixes divers.

Le procédé de déformation le plus curieux est celui qui consiste à remplacer la première lettre d’un mot par la lettre l, à la rejeter à la fin du mot, et à terminer le mot par un suffixe, comme oque, ique, ème, onche, uche.

C’est ainsi que le mot «fou» a produit loufoque. L’f de fou, remplacée par un l et passant à la fin du mot, a formé louf, radical auquel est venu s’ajouter le suffixe oque, soit loufoque. C’est pareillement que linvé vient de vingt, le v, remplacé par l’l, est passé à la fin du mot, et le t est disparu euphoniquement.

Quelquefois le suffixe s’intercale dans le mot. Caler, mourir, devient calancher, par l’addition du suffixe anche, qui est un suffixe courant en argot, comme ique et oque. Exemple: boutique, qui fait bouloque et boutanche.

Un autre suffixe, qu’on retrouve un peu partout, est la syllable quin. Roux = rouquin. Lance, eau, fait lancequine et lancequiner pleuvoir.

Le suffixe go entre dans la composition de beaucoup de mots: icigo pour ici, remplaçant icicaille qui est très vieux; sergot, mendigot, etc.

L’argot s’enrichit de mots nouveaux par la méthode des synonymes et par métaphores. C’est à dire, à plus exactement parler, que les choses et les gens sont désignés par une de leurs propriétés, une de leurs fonctions, la plus saillante: une montre devient une toquante, parce qu’elle fait toc, toc; un juge s’appelle un endormi, un avocat un bavard; l’avocat général l’avocat bêcheur, une corde ligottante.

Les dérivations par synonymes, donnent parfois des résultats qui déconcertent de prime abord. Comment expliquer que taupe, femme, vient de marmite, qui désigne également la femme. C’est que marmite, par substitution de finale est devenue marmotte, et que marmotte, ayant éveillé l’idée d’animal qui dort sous terre, est un terme cousin germain de taupe.

Une des conséquences à laquelle, par ce procédé, on arrive vite, est le calembourg. L’argot y a aussi recours pour se modifier. C’est ainsi que Saint-Esprit devient Sainte-Essence, le portier cloporte, les latrines le numéro 100.

Suivant cet ordre d’idée, l’expression passer à tabac, doit venir logiquement de chiquer qui en argot signifie battre; chiquer éveillant tout naturellement l’idée de tabac.

N’y aurait-il pas tout un chapitre à écrire sur la poésie de certaines expressions, telle que blanchette qui veut dire hiver, telle que brouillotte qui signifie la nuit? Et sur l’esprit de certaines locutions imagées? Coucher sur la plume de Beauce, n’est-ce pas joli pour dire «coucher sur de la paille»! Quand la fille qui fait la retape rechasse les passants (les reluque si vous voulez) pour les allumer, on dit qu’elle distribue son prospectus.

Et combien d’autres?

Ce Dictionnaire vient à son heure, il est l’expression exacte de la langue actuelle qu’on parle couramment dans les bouges. Il émane de la plume d’un qui a beaucoup retenu, après avoir beaucoup vu. Virmaître est plus qu’un écrivain documentaire, c’est le Document lui même. Il est le seul homme de Paris qui a été partout, là même, là surtout, où la police, éventée à distance, n’entre pas. Il a rapporté de cette ballade de touriste dans le tréfond de Paris, tout une œuvre d’un arôme spécial. Que si ces clichés photographiques effarouchent quelques pudeurs, au moins ont-ils pour eux d’être d’une exactitude absolue, puisqu’ils ont été pris sur le vif.

Ce Dictionnaire d’Argot fin-de-siècle, en dépit, et peut-être à cause, du cynisme de certains vocables, et du pittoresque violent de certaines locutions, n’est pas le moins curieux morceau de sa collection.

Léo Trézenik.


EXPLICATIONS

Il est inutile de chercher les origines de l’argot, car tous les auteurs qui ont essayé de les découvrir sont en parfait désaccord.

D’ailleurs, où commence l’argot, où finit-il?

Chaque jour ce langage se forme, se déforme et se transforme.

Ce qu’il faut reconnaître et simplement constater, c’est qu’il est des plus anciens. Il existe depuis la création des associations de filous, de voleurs et de mendiants; ils avaient en effet besoin d’un langage conventionnel pour se comprendre entre eux, sans que le vulgaire non initié pût saisir le véritable sens de leurs conversations.

Le mot Argot dérive-t-il du grec Argos, d’Argus emblème de la vigilance; de la vieille expression Narquot (mendiant), de Ragot, truand du XVIe siècle, du mot Argu, finesse, etc., etc?

Cela importe peu. Ce qu’il faut considérer c’est que l’usage de l’argot est passé dans nos mœurs, dans toutes les classes de la société; on en retrouve des expressions dans la langue courante.

Nous avons l’argot des voleurs, des souteneurs, des filles de la rue et du demi-monde, des ateliers, des bouchers, des coulisses, du peuple, des troupiers, des bohêmes, des gens de lettres, des saltimbanques, des joueurs, des boursiers, des typographes, des bourgeois, des musiciens, des mendiants, etc., etc.

Si les expressions employées dans ces divers milieux diffèrent sensiblement comme étymologie et comme sens, tout en signifiant la même chose, c’est que cette langue est très riche; elle est si riche que pour exprimer le mot tête, par exemple, il existe plus de vingt vocables: Trogne, caboche, bobine, fiole, caillou, bouillotte, cafetière, couache, poire, hure, sorbonne, olive, nord, baptême, trompette, globe, binette, cabéche, etc., etc.

L’étude de l’argot a tenté de grands écrivains, mais ils n’ont pu réussir à pénétrer dans les profondeurs de ce mystérieux langage.

Vidocq, le célèbre voleur, fut, dans notre siècle, le premier initiateur populaire de l’argot; il était placé pour cela, il avait vécu dans le monde des prisons, au bagne, à la Force, et pendant qu’il fut chef de la sûreté, il vit défiler devant lui tous les chefs de bandes célèbres.

Après lui sont venus MM. Alfred Delvau, Jean Rigaud et Loredan Larchey.

Je ne parle pas des auteurs qui n’ont fait qu’emprunter les expressions de nos devanciers, en commettant de grossières erreurs sur le sens et la valeur des mots, erreurs qui prouvent qu’ils n’ont rien pris sur le vif, et qu’ils se sont contentés d’employer les mots tels qu’ils les avaient entendus.

Ainsi, l’un d’eux dit cadelle pour cadenne (chaîne); brouter (manger), pour prouter (colère). C’est à l’infini.

Au XVIe siècle, l’argot avait pris une telle extension que l’on songea à modifier ce langage et à l’unifier. Ce travail fut confié aux archi-suppôts, titre que prenaient les cagoux, principaux officiers du roi des Truands.

Voici ce que dit à ce sujet Ollivier Chereau:

 «... En un mot, ce sont les plus scavants, les plus habiles marpauts de toutime l’argot, qui sont des escoliers desbauchez et quelques ratichons de ces coureurs qui enseignent le jargon à rouscailler bigorne qui ostent, retranchent, réforment l’argot, ainsi qu’ils veulent, et ont ainsi une puissance de trucher sur le toutime sans ficher floutière

La méthode suivie par mes devanciers a ceci de particulier: c’est qu’ils se sont évertués à attribuer à telles ou telles personnalités la paternité des expressions nouvelles. Cela n’est pas juste, car l’argot ne s’étudie pas dans les livres, il s’étudie dans les rues, dans les ateliers, dans les bouges, en un mot dans tous les mondes où il est la langue usuelle.

C’est le peuple qui est le véritable créateur de la langue verte, c’est lui qui trouve chaque jour des mots nouveaux pour exprimer sa pensée; ce qu’il recherche avant tout, c’est la figure qui frappe, l’image qui détermine l’objet ou la chose qu’il veut désigner, voilà la raison pour laquelle l’argot est si pittoresque, ne repose sur aucune règle fixe et n’appartient à personne parce qu’il appartient à tous, à la masse.

Dans un atelier, deux ouvriers causent, l’un dit à l’autre:

—Tu ne finiras pas ton travail?

L’autre lui répond:

—Non, c’est que je tousse.

L’apprenti qui a entendu dans les faubourgs dire d’un homme qui pète: «Il est enrhumé» transforme l’expression; au lieu de dire: c’est que je tousse, il dit: c’est que je pète.

Les deux expressions restent, la dernière complète la première, et toutes deux sont dans la circulation pour exprimer la même pensée.

À qui appartiennent-elles? à tout le monde.

Qu’importe au peuple que les étymologistes se torturent la cervelle pour prouver que gogo vient de gaudium et baragouiner du Bas-Breton?

Pour lui gogo est un imbécile, voilà tout.

Dans ce Dictionnaire d’Argot j’ai procédé d’une toute autre manière que mes prédécesseurs; je ne cite personne, parce que, je le répète, c’est le peuple qui est l’auteur de tous les mots d’argot en usage.

Depuis dix ans que je travaille à ce Dictionnaire, j’en ai étudié les expressions sur le vif, dans les prisons, dans les ateliers, dans les bas-fonds, dans le monde des filles de la rue et des filles de la haute, et ailleurs; j’ai acquis la certitude qu’attribuer à quelqu’un telles ou telles expressions c’est contraire à la vérité. Je me contente d’indiquer à la suite de chaque mot à quel argot il est emprunté et dans quel milieu il est en usage.

Certainement, j’ai employé des expressions brutales, grossières, mais je n’en suis pas cause; pour être un photographe fidèle; je ne devais pas tourner autour du pot, je ne devais pas hésiter à soulever le couvercle.

C’est ce que j’ai fait.

Le parfum du fricot ne sera peut-être pas du goût de tout le monde, je le regrette; il y en a qui aiment l’odeur de la peau d’Espagne et d’autres qui lui préfèrent celle du vidangeur.

Toutes deux sont aussi bonnes l’une que l’autre, la peau d’Espagne a fait la fortune du parfumeur, et la merde celle du vidangeur.

D’ailleurs, une expression n’est grossière que lorsqu’elle est voulue; quand elle employée pour déterminer un objet, un fait, un individu elle perd sa grossièreté pour passer à l’état d’image, et dans cinquante ans ce qui paraît brutal aujourd’hui paraîtra sûrement anodin.

Si, à l’époque où l’on poursuivait Madame Bovary on nous avait dit qu’en 1894, l’Académie française accorderait quatorze voix à l’auteur de Germinal, de Nana et de l’Assommoir, on aurait conspué l’audacieux prophète.

A tout il faut s’attendre pour ne s’étonner de rien.

Je remercie mes collaborateurs du concours qu’ils ont bien voulu me prêter pour accomplir ce travail; pour être conséquent avec mon système, je n’en nomme aucun, car il en est qui ne voudraient pas voir figurer leurs noms à côté de ceux de Gamahut, d’Abadie et d’autres célèbres voleurs et assassins qui ont été pour moi des lexicographes.

Ch. Virmaitre.


NOUVEAU
Dictionnaire d’Argot


SIGNES ABRÉVIATIFS

Les noms suivis des initiales L L donnent les explications de M. Lorédan Larchey; A D celles de M. Alfred Delvau.

Les erreurs des autres auteurs cités par ces messieurs ne valant pas la peine d’être relevées, je les passe sous silence.

Toutes les expressions nouvelles, ou celles à qui j’ai restitué leur véritable sens sont suivies de la lettre N.


A