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BIBLIOBUS Littérature

Acte II

 

 

 

SCENE PREMIERE

 

 

Le palais du roi.

 

 

VENCESLAS, LA REINE ROSEMONDE,

BOLESLAS, LADISLAS ET BOUGRELAS

 

 

LE ROI

Monsieur Bougrelas, vous avez été ce matin fort impertinent avec M. Ubu, chevalier de mes ordres et comte de Sandomir. C'est pourquoi je vous défends de paraître à ma revue.

LA REINE

Cependant, Venceslas, vous n'auriez pas trop de toute votre famille pour vous défendre.

LE ROI

Madame, je ne reviens jamais sur ce que j'ai dit. Vous me fatiguez avec vos sornettes.

LE JEUNE BOUGRELAS

Je me soumets, monsieur mon père.

LA REINE

Enfin, sire, êtes-vous toujours décidé à aller à cette revue?

LE ROI

Pourquoi non, madame?

LA REINE

Mais, encore une fois, ne l'ai-je pas vu en songe vous frappant de sa masse d'armes et vous jetant dans la Vistule, et un aigle comme celui qui figure dans les armes de Pologne lui plaçant la couronne sur la tête?

LE ROI

A qui?

LA REINE

Au Père Ubu.

LE ROI

Quelle folie. Monsieur de Ubu est un fort bon gentilhomme, qui se ferait tirer à quatre chevaux pour mon service.

LA REINE ET BOUGRELAS

Quelle erreur.

LE ROI

Taisez-vous, jeune sagouin. Et vous, madame, pour vous prouver combien je crains peu Monsieur Ubu, je vais aller à la revue comme je suis, sans arme et sans épée.

LA REINE

Fatale imprudence, je ne vous reverrai pas vivant.

LE ROI

Venez, Ladislas, venez, Boleslas.

Ils sortent. La Reine et Bougrelas vont à la fenêtre.

LA REINE ET BOUGRELAS

Que Dieu et le grand saint Nicolas vous gardent.

LA REINE

Bougrelas, venez dans la chapelle avec moi prier pour votre père et vos frères.

 

 

SCENE II

 

 

Le champ des revues.

  L'ARMEE POLONAISE, LE ROI, BOLESLAS, LADISLAS, PERE UBU, CAPITAINE BORDURE ET SES HOMMES, GIRON, PILE, COTICE.

 

 

LE ROI

Noble Père Ubu, venez près de moi avec votre suite pour inspecter les troupes.

PERE UBU, aux siens.

Attention, vous autres. (Au roi.) On y va, monsieur, on y va.

Les hommes d'Ubu entourent le roi.

LE ROI

Ah! voici le régiment des gardes à cheval de Dantzick. Ils sont fort beaux, ma foi.

PERE UBU

Vous trouvez? Ils me paraissent misérables. Regardez celui-ci. (Au soldat.) Depuis combien de temps ne t'es-tu débarbouillé, ignoble drôle?

LE ROI

Mais ce soldat est fort propre. Qu'avez-vous donc, Père Ubu?

PERE UBU

Voilà!

Il lui écrase le pied.

LE ROI

Misérable!

PERE UBU

MERDRE. A moi, mes hommes!

BORDURE

Hurrah! en avant!

Tous frappent le roi, un Palotin explose.

LE ROI

Oh! au secours! Sainte Vierge, je suis mort.

BOLESLAS, à Ladislas.

Qu'est cela! Dégainons.

PERE UBU

Ah! j'ai la couronne! Aux autres, maintenant.

CAPITAINE BORDURE

Sus aux traîtres!!!

Les fils du roi s'enfuient, tous les poursuivent.

 

 

SCENE III

 

 

LA REINE ET BOUGRELAS

 

 

LA REINE

Enfin, je commence à me rassurer.

BOUGRELAS

Vous n'avez aucun sujet de crainte.

Une effroyable clameur se fait entendre au-dehors.

BOUGRELAS

Ah! que vois-je? Mes deux frères poursuivis par le Père Ubu et ses hommes.

LA REINE

O mon Dieu! Sainte Vierge, ils perdent, ils perdent du terrain!

BOUGRELAS

Toute l'armée suit le Père Ubu. Le Roi n'est plus là. Horreur! Au secours!

LA REINE

Voilà Boleslas mort! Il a reçu une balle.

BOUGRELAS

Eh! (Ladislas se retourne.) Défends-toi! Hurrah, Ladislas.

LA REINE

Oh! Il est entouré.

BOUGRELAS

C'en est fait de lui. Bordure vient de le couper en deux comme une saucisse.

LA REINE

Ah! Hélas! Ces furieux pénètrent dans le palais, ils montent l'escalier.

La clameur augmente.

LA REINE ET BOUGRELAS, à genoux.

Mon Dieu, défendez-nous.

BOUGRELAS

Oh! ce Père Ubu! le coquin, le misérable, si je le tenais...

 

SCENE IV

 

 

LES MEMES. La porte est défoncée.

LE PERE UBU et les forcenés pénètrent.

 

 

PERE UBU

Eh! Bougrelas, que me veux-tu faire?

BOUGRELAS

Vive Dieu! je défendrai ma mère jusqu'à la mort! Le premier qui fait un pas est mort.

PERE UBU

Oh! Bordure, j'ai peur! laissez-moi m'en aller.

UN SOLDAT avance.

Rends-toi, Bougrelas!

LE JEUNE BOUGRELAS

Tiens, voyou! voilà ton compte!

Il lui fend le crâne.

LA REINE

Tiens bon, Bougrelas, tiens bon!

PLUSIEURS avancent.

Bougrelas, nous te promettons la vie sauve.

BOUGRELAS

Chenapans, sacs à vin, sagouins payés!

Il fait le moulinet avec son épée et en fait un massacre.

PERE UBU

Oh! je vais bien en venir à bout tout de même!

BOUGRELAS

Mère, sauve-toi par l'escalier secret.

LA REINE

Et toi, mon fils, et toi?

BOUGRELAS

Je te suis.

PERE UBU

Tâchez d'attraper la reine. Ah! la voilà partie. Quant à toi, misérable!...

Il s'avance vers Bougrelas.

BOUGRELAS

Ah! vive Dieu! voilà ma vengeance!

Il lui découd la boudouille d'un terrible coup d'épée.

Mère, je te suis!

Il disparaît par l'escalier secret.

 

 

SCENE V

 

 

Une caverne dans les montagnes.

 

 

Le jeune BOUGRELAS entre, suivi de ROSEMONDE

 

BOUGRELAS

Ici, nous serons en sûreté.

LA REINE

Oui, je le crois! Bougrelas, soutiens-moi!

Elle tombe sur la neige.

BOUGRELAS

Ha! qu'as-tu, ma mère?

LA REINE

Je suis bien malade, crois-moi, Bougrelas. Je n'en ai plus que pour deux heures à vivre.

BOUGRELAS

Quoi! le froid t'aurait-il saisie?

LA REINE

Comment veux-tu que je résiste à tant de coups? Le roi massacré, notre famille détruite, et toi, représentant de la plus noble race qui ait jamais porté l'épée, forcé de t'enfuir dans les montagnes comme un contrebandier.

BOUGRELAS

Et par qui, grand Dieu! par qui? Un vulgaire Père Ubu, aventurier sorti on ne sait d'où, vile crapule, vagabond honteux! Et quand je pense que mon père l'a décoré et fait comte et que le lendemain ce vilain n'a pas eu honte de porter la main sur lui.

LA REINE

O Bougrelas! Quand je me rappelle combien nous étions heureux avant l'arrivée de ce Père Ubu! Mais maintenant, hélas! tout est changé!

BOUGRELAS

Que veux-tu? Attendons avec espérance et ne renonçons jamais à nos droits.

LA REINE

Je te le souhaite, mon cher enfant, mais pour moi, je ne verrai pas cet heureux jour.

BOUGRELAS

Eh! qu'as-tu? Elle pâlit, elle tombe, au secours! Mais je suis dans un désert! Ô mon Dieu! son coeur ne bat plus. Elle est morte! Est-ce possible? Encore une victime du Père Ubu! (Il se cache la figure dans les mains et pleure.) Ô mon Dieu! qu'il est triste de se voir seul à quatorze ans avec une vengeance terrible à poursuivre!

Il tombe en proie au plus violent désespoir. Pendant ce temps, les Ames de Venceslas, de Boleslas, de Ladislas, de Rosemonde entrent dans la grotte, leurs Ancêtres les accompagnent et remplissent la grotte. Le plus vieux s'approche de Bougrelas et le réveille doucement.

BOUGRELAS

Eh! que vois-je? toute ma famille, mes ancêtres... Par quel prodige?

L'OMBRE

Apprends, Bougrelas, que j'ai été pendant ma vie le seigneur Mathias de Königsberg, le premier roi et le fondateur de la maison. Je te remets le soin de notre vengeance. (Il lui donne une grande épée.) Et que cette épée que je te donne n'ait de repos que quand elle aura frappé de mort l'usurpateur.

Tous disparaissent, et Bougrelas reste seul dans l'attitude de l'extase.

 

SCENE VI

 

 

Le palais du roi. 

PERE UBU, MERE UBU, CAPITAINE BORDURE

 

PERE UBU

Non, je ne veux pas, moi! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres?

CAPITAINE BORDURE

Mais enfin, Père Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement?

MERE UBU

Si tu ne fait pas distribuer des viandes et de l'or, tu seras renversé d'ici deux heures.

PERE UBU

Des viandes, oui! de l'or, non! Abattez trois vieux chevaux, c'est bien bon pour de tels sagouins.

MERE UBU

Sagouin toi même! Qui m'a bâti un animal de cette sorte?

PERE UBU

Encore une fois, je veux m'enrichir, je ne lâcherai pas un sou.

MERE UBU

Quand on a entre les mains tous les trésors de la Pologne.

CAPITAINE BORDURE

Oui, je sais qu'il y a dans la chapelle un immense trésor, nous le distribuerons.

PERE UBU

Misérable, si tu fais ça!

CAPITAINE BORDURE

Mais, Père Ubu, si tu ne fais pas de distributions le peuple ne voudra pas payer les impôts.

PERE UBU

Est-ce bien vrai?

MERE UBU

Oui, oui!

PERE UBU

Oh, alors je consens à tout. Réunissez trois millions, cuisez cent cinquante boeufs et moutons, d'autant plus que j'en aurai aussi!

Ils sortent.

 

SCENE VII

 

 La cour du palais pleine de Peuple.

 

PERE UBU couronné, MERE UBU,

CAPITAINE BORDURE, LARBINS chargés de viande. 

PEUPLE

Voilà le roi! Vive le roi! hurrah!

PERE UBU, jetant de l'or.

Tenez, voilà pour vous. Ca ne m'amusait guère de vous donner de l'argent, mais vous savez, c'est la Mère Ubu qui a voulu. Au moins, promettez-moi de bien payer les impôts.

TOUS

Oui, oui!

CAPITAINE BORDURE

Voyez, Mère Ubu, s'ils se disputent cet or. Quelle bataille.

MERE UBU

Il est vrai que c'est horrible. Pouah! en voilà un qui a le crâne fendu.

PERE UBU

Quel beau spectacle! Amenez d'autres caisses d'or.

CAPITAINE BORDURE

Si nous faisions une course.

PERE UBU

Oui, c'est une idée.

Au peuple.

Mes amis, vous voyez cette caisse d'or, elle contient trois cent mille nobles à la rose en or, en monnaie polonaise et de bon aloi. Que ceux qui veulent courir se mettent au bout de la cour. Vous partirez quand j'agiterai mon mouchoir et le premier arrivé aura la caisse. Quant à ceux qui ne gagneront pas, ils auront comme consolation cette autre caisse qu'on leur partagera.

TOUS

Oui! Vive le Père Ubu! Quel bon roi! On n'en voyait pas tant du temps de Venceslas.

PERE UBU, à la Mère Ubu, avec joie.

Ecoute-les!

Tout le peuple va se ranger au bout de la cour.

PERE UBU

Une, deux, trois! Y êtes-vous?

TOUS

Oui! oui!

PERE UBU:

Partez!

Ils partent en se culbutant. Cris et tumulte.

CAPITAINE BORDURE:

Ils approchent! ils approchent!

PERE UBU:

Eh! le premier perd du terrain.

MERE UBU:

Non, il regagne maintenant.

CAPITAINE BORDURE:

Oh! Il perd, il perd! fini! c'est l'autre!

Celui qui était deuxième arrive le premier.

TOUS:

Vive Michel Fédérovitch! Vive Michel Fédérovitch!

MICHEL FEDEROVITCH:

Sire, je ne sais vraiment comment remercier Votre Majesté...

PERE UBU:

Oh! mon cher ami, ce n'est rien. Emporte ta caisse chez toi, Michel; et vous, partagez-vous cette autre, prenez une pièce chacun jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus.

TOUS:

Vive Michel Fédérovitch! Vive le Père Ubu!

PERE UBU:

Et vous, mes amis, venez dîner! Je vous ouvre aujourd'hui les portes du palais, veuillez faire honneur à ma table!

PEUPLE:

Entrons! Entrons! Vive le Père Ubu! c'est le plus noble des souverains!

Ils entrent dans le palais. On entend le bruit de l'orgie qui se prolonge jusqu'au lendemain. La toile tombe.

 

...

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