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BIBLIOBUS Littérature

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 (Après le catalogue, la déposition se poursuit en ces termes :)

… Que tous les nègres dormaient sur le pont, comme il est coutumier dans la traite, et ne portaient point de fers, le propriétaire, son ami Aranda, lui ayant dit qu’ils étaient tous dociles ; … que le septième jour après avoir quitté le port, à trois heures du matin, tous les Espagnols étant endormis sauf les deux officiers de quart, le maître d’équipage Juan Robles, le maître charpentier Juan Bautista Gayete, l’homme de barre et son aide, les nègres se révoltèrent soudainement, blessèrent grièvement le maître d’équipage et le maître charpentier, et tuèrent successivement dix-huit des hommes qui dormaient sur le pont, les uns à coups d’anspect et de hachette, les autres en les jetant vivants par-dessus bord après les avoir liés ; que des Espagnols qui se trouvaient sur le pont, ils laissèrent environ sept matelots vivants et liés pour la manœuvre du navire, auxquels il convient d’ajouter trois ou quatre hommes qui se cachèrent et restèrent également en vie. Que, bien que les nègres se fussent au cours de la révolte rendus maîtres de l’écoutille, six ou sept hommes dangereusement atteints l’empruntèrent pour se rendre au poste des blessés, sans aucun empêchement de leur part ; que le second, et une autre personne dont il ne se rappelle point le nom, tentèrent de monter par l’écoutille, mais qu’ayant été blessés aussitôt, ils furent obligés de regagner la cabine ; que le déposant résolut à l’aube de monter jusqu’au dôme, où se trouvaient le nègre Babo, meneur de la mutinerie, et Atufal, son assistant ; qu’il leur parla, les exhortant à cesser de commettre de telles atrocités, et leur demandant en même temps ce qu’ils voulaient et ce qu’ils avaient l’intention de faire, ajoutant qu’il était prêt à obéir à leurs ordres ; que malgré ceci, ils jetèrent en sa présence par-dessus bord trois hommes vivants et liés ; qu’ils dirent au déposant de monter sur le pont, en l’assurant qu’ils ne le tueraient point ; qu’il le fit ; que le nègre Babo lui demanda s’il se trouvait dans ces mers quelque pays noir où ils pussent être transportés ; qu’il répondit : non ; que le nègre Babo lui ordonna ensuite de les mener au Sénégal ou aux îles voisines de Saint-Nicolas ; qu’il répondit que la chose était impossible vu la grande distance, la nécessité de doubler le Cap Horn, la mauvaise condition du vaisseau, le manque de provisions, de voiles et d’eau ; mais que le nègre Babo lui répliqua qu’il devrait les y conduire en tout cas ; qu’ils agiraient en tous points conformément aux instructions du déposant sur les rations d’eau et de vivres ; qu’après une longue conférence, étant absolument contraint de les satisfaire, car ils menaçaient de tuer tous les blancs si on ne les menait point au Sénégal, le déposant leur dit que la première chose nécessaire au voyage était l’eau ; qu’ils gagneraient d’abord le rivage pour s’en procurer, et qu’ensuite ils poursuivraient leur route ; que le nègre Babo acquiesça ; que le déposant mit le cap sur les ports intermédiaires, dans l’espoir de rencontrer quelque vaisseau espagnol ou étranger qui les pût sauver ; qu’au bout de dix ou onze jours ils arrivèrent en vue de terre, et continuèrent leur course en longeant la côte dans le voisinage de Nasca ; que le déposant observa alors des signes d’agitation et de rébellion chez les nègres, parce qu’il différait de faire le plein d’eau ; que le nègre Babo ayant exigé avec des menaces que ceci fût fait sans faute le jour suivant, il lui dit qu’il voyait clairement que le rivage était escarpé, et qu’il ne trouvait point les rivières désignées sur la carte, avec d’autres raisons adaptées aux circonstances ; que le mieux serait d’aller à l’île déserte de Santa Maria, où ils trouveraient aisément de l’eau et des vivres, comme faisaient les étrangers ; que le déposant n’alla point à Pisco, qui était proche, ni à tout autre port de la côte, parce que le nègre Babo lui avait signifié à plusieurs reprises qu’il tuerait tous les blancs s’il apercevait une cité, un village ou un établissement quelconque sur les rivages vers lesquels ils vogueraient ; qu’ayant déterminé de gagner l’île de Santa Maria, comme le déposant l’avait projeté, afin de tenter soit de rencontrer pendant la traversée ou dans l’île elle-même un vaisseau qui pût les secourir, soit de s’en échapper en canot et d’atteindre la côte voisine d’Arruco, pour adopter les mesures nécessaires, il changea immédiatement de route et gouverna sur l’île ; que les nègres Babo et Atufal tenaient des conférences journalières, disputant s’il était nécessaire pour leur retour au Sénégal de tuer tous les Espagnols, et particulièrement le déposant ; que huit jours après avoir quitté la côte de Nasca, le déposant étant de quart aux premières heures de l’aube, et peu après que les nègres eussent tenu conseil, le nègre Babo vint trouver le déposant pour lui dire qu’il avait résolu de tuer son maître, Don Alexandro Aranda, parce qu’autrement lui et ses compagnons ne seraient point assurés de leur liberté, et aussi parce qu’il entendait maintenir les marins dans la sujétion en les avertissant du chemin qu’on leur ferait prendre si quelqu’un d’entre eux lui résistait ; qu’enfin cet avertissement ne pouvait être mieux donné que par la mort de Don Alexandro ; que le déposant ne comprit point alors – et qu’il n’eût pu comprendre – ce que signifiait cette dernière phrase, sinon que la mort de Don Alexandro était projetée ; que le nègre Babo proposa ensuite au déposant d’appeler le second, Raneds, qui dormait dans la cabine, avant que le meurtre ne fût perpétré, de crainte que cet homme, qui était bon marin, ne fût tué avec Don Alexandro et les autres ; que le déposant, qui était l’ami de jeunesse de Don Alexandro, pria et conjura, mais en vain ; que le nègre Babo lui répondit que la chose était inévitable, et que tous les Espagnols risqueraient la mort s’ils essayaient de frustrer sa volonté sur ce point ou sur tout autre ; qu’en présence de ce dilemme, le déposant appela le second, Raneds, qui fut contraint de rester à l’écart, et qu’immédiatement le nègre Babo ordonna à l’Achanti Martinqui et à l’Achanti Lecbe d’aller commettre le meurtre ; que les deux hommes, armés de hachettes, descendirent à la couchette de Don Alexandro ; qu’ils le traînèrent sur le pont, ensanglanté et encore vivant ; qu’ils allaient le jeter dans cet état par-dessus bord, lorsque le nègre Babo les arrêta, leur ordonnant d’achever le meurtre sur le pont devant lui ; ce qui fut fait ; que sur ses directions, le corps fut transporté en bas, à l’avant ; que le déposant ne le vit plus pendant trois jours ; … que Don Alonzo Sidonia, vieillard résidant depuis longtemps à Valparaiso et récemment appointé à un poste civil au Pérou, ce pourquoi il s’était embarqué sur le San Dominick, dormait alors sur la couchette opposée à celle de Don Alexandre ; qu’éveillé par ses cris saisissants et voyant les nègres armés de hachettes sanglantes, il se jeta à la mer par une fenêtre proche, et se noya, sans qu’il fût possible au déposant de l’assister ou de le ramener à bord ; … que, peu de temps après avoir tué Aranda, ils amenèrent sur le pont son cousin germain, Don Francisco Masa, de Mendoza, et le jeune Don Joaquin, Marques de Aramboalaza, récemment venu d’Espagne, ainsi que son serviteur espagnol Ponce et les trois jeunes secrétaires d’Aranda, José Mozairi, Lorenzo Bargas et Hermenegildo Gandix, tous de Cadix ; qu’à Don Joaquin et à Hermenegildo Gandix le nègre Babo laissa la vie pour des motifs qui apparaîtront postérieurement ; mais que Don Francisco Masa, José Mozairi, Lorenzo Bargas et le serviteur Ponce, ainsi que le maître d’équipage Juan Robles, ses seconds Manuel Viscaya et Roderigo Hurta, et quatre marins, furent sur son ordre jetés vivants à la mer, bien qu’ils ne fissent point de résistance et qu’ils ne demandassent rien sinon d’être épargnés ; que le maître d’équipage, Juan Robles, qui savait nager, resta le plus longtemps sur l’eau, faisant des actes de contrition et, dans les dernières paroles qu’il prononça, chargeant le déposant de faire dire la messe pour son âme à Notre-Dame du Secours ; … que, durant les trois jours qui suivirent, le déposant, ne sachant ce qu’il était advenu des restes de Don Alexandro, demanda fréquemment au nègre Babo où ils se trouvaient, le suppliant s’ils étaient encore à bord, d’ordonner qu’ils fussent conservés afin de les enterrer sur le rivage ; que le nègre Babo ne répondit rien jusqu’au troisième jour ; mais qu’à l’aube du quatrième, comme le déposant montait sur le pont, le nègre Babo lui montra un squelette qu’il avait substitué à la figure de proue du navire, l’image de Christophe Colomb par qui fut découvert le Nouveau Monde ; que le nègre Babo lui demanda quel était ce squelette, et si, à voir sa blancheur, il ne croyait pas que ce fût celui d’un blanc ; qu’il se couvrit le visage, et que le nègre Babo, s’approchant tout contre lui, prononça des paroles à cet effet : « Sois fidèle aux noirs d’ici jusqu’au Sénégal, ou ton âme suivra ton chef comme ton corps le suit à présent, » avec un geste vers la proue ; … que le même matin le nègre Babo mena successivement chacun des Espagnols à l’avant, lui demandant quel était ce squelette et si, à voir sa blancheur, il ne croyait pas que ce fût celui d’un blanc ; que chacun des Espagnols se couvrit le visage ; qu’à chacun le nègre Babo répéta les paroles qu’il avait adressées d’abord au déposant ; … qu’ils (les Espagnols) étant alors rassemblés à l’arrière, le nègre Babo les harangua, disant qu’il avait achevé à présent ce qu’il voulait faire, que le déposant (en qualité de pilote des nègres) pouvait poursuivre sa route, l’avertissant lui et tous les autres, qu’ils suivraient, âme et corps, le chemin de Don Alexandro s’il les voyait (les Espagnols) parler ou comploter contre eux (les nègres), menace qui fut répétée chaque jour ; qu’avant les événements qui viennent d’être mentionnés, ils avaient ligoté le cuisinier pour le jeter par-dessus bord, à cause de quelque parole qu’ils lui avaient entendu prononcer, mais que finalement le nègre Babo lui laissa la vie sauve à la requête du déposant ; que quelques jours plus tard, le déposant, afin de ne rien omettre pour protéger la vie du reste des blancs, exhorta les nègres à la paix et à la tranquillité ; qu’il consentit en outre à dresser un papier, signé par le déposant et par les marins qui savaient écrire, ainsi que par le nègre Babo en son nom propre et aux noms de tous les noirs, dans lequel le déposant s’engageait, sous la condition qu’ils cessassent de tuer les blancs, à les transporter au Sénégal et à leur céder formellement navire et cargaison, – dispositions qui les satisfirent et les tranquillisèrent temporairement ;… mais que le lendemain, afin de prévenir plus sûrement toute évasion des blancs, le nègre Babo ordonna de détruire tous les canots à l’exception de la chaloupe, qui n’était plus navigable, et d’un cutter en bonne condition qu’il savait devoir être nécessaire pour transporter les barils d’eau, et qu’il fit descendre dans la cale.

(Suivent diverses circonstances du voyage mouvementé et prolongé qu’ils entreprirent alors, ainsi que les incidents d’une désastreuse accalmie ; de cette partie de la relation est extrait le présent passage) :

… Que le cinquième jour de l’accalmie, tous les hommes du bord souffrant grandement de la chaleur et du manque d’eau, et cinq d’entre eux étant morts dans des accès de démence, les nègres devinrent irritables ; que Raneds qui maniait un compas ayant fait à l’adresse du déposant un geste accidentel qui leur parut suspect, bien qu’il fût inoffensif, ils le tuèrent ; mais qu’ils le regrettèrent ensuite, le second étant avec le déposant le seul pilote qui restât à bord.

… Qu’omettant d’autres événements, qui se produisirent journellement, et qui ne feraient qu’évoquer vainement des infortunes et des conflits passés, après soixante-treize jours de navigation, comptés depuis le départ de Nasca, pendant lesquels ils endurèrent les calmes déjà mentionnés et firent usage d’une ration d’eau très réduite, ils arrivèrent enfin à l’île de Santa Maria le dix-septième jour du mois d’août, vers six heures de l’après-midi, heure à laquelle ils jetèrent l’ancre tout près du navire américain, le Bachelor’s Delight, qui mouillait dans la même baie sous le commandement du généreux capitaine Amasa Delano ; mais qu’à six heures du matin ils s’étaient déjà trouvés en vue du port, et que les nègres s’étaient montrés inquiets dès l’instant qu’ils avaient aperçu le navire, ne s’attendant point à trouver quelqu’un dans les parages ; que le nègre Babo les apaisa, les assurant qu’il n’y avait rien à craindre ; qu’il ordonna sur-le-champ de couvrir la figure de proue d’une toile, comme si elle eût été en réparation, et de mettre quelque ordre sur les ponts ; que le nègre Babo et le nègre Atufal tinrent conseil un moment ; que le nègre Atufal était d’avis de s’éloigner, mais que le nègre Babo s’y refusa et décida de lui-même de la conduite à tenir ; qu’il s’en fut enfin trouver le déposant, lui proposant de dire et de faire tout ce que le déposant déclare avoir dit et fait en présence du capitaine américain ; … que le nègre Babo l’avertit que, s’il s’écartait en aucune façon de ses instructions, prononçait une seule parole ou se permettait un seul regard qui pût laisser deviner le moins du monde les événements passés ou la situation présente, il le tuerait instantanément, – lui montrant une dague qu’il tenait cachée et lui certifiant que ladite dague serait aussi alerte que son œil ; que le nègre Babo exposa alors le plan à tous ses compagnons, et qu’il leur plut ; qu’afin de mieux déguiser la vérité, le nègre Babo imagina un grand nombre d’expédients, dont certains unissaient le souci de la défense à celui de la tromperie ; que de ce nombre était le stratagème des six Achanti susnommés qui agissaient comme ses bravos ; qu’il les posta au bord de la poupe, comme pour nettoyer des hachettes (contenues dans des caisses qui faisaient partie du chargement), mais en réalité pour s’en servir et les distribuer le cas échéant s’il venait à prononcer un certain mot, qu’il leur indiqua ; qu’un autre expédient fut de présenter Atufal, son principal auxiliaire, enchaîné, mais de telle sorte que les chaînes pussent être rejetées en un moment ; que dans les moindres détails il informa le déposant du rôle qu’il devait jouer à propos de chaque expédient, et des propos qu’il devait tenir à chaque occasion, le menaçant toujours d’une mort instantanée s’il s’en écartait aucunement : que, sachant qu’un grand nombre de nègres ne manqueraient pas d’être turbulents, le nègre Babo chargea les quatre nègres âgés qui étaient calfats, de maintenir l’ordre sur les ponts autant qu’ils le pourraient ; qu’à mainte et mainte reprise il harangua les Espagnols et ses compagnons, les informant de son plan, de ses expédients, et de l’histoire fictive que le déposant devait raconter, afin qu’aucun d’eux ne s’en écartât ; que ces dispositions furent prises et mûries pendant les deux ou trois heures qui s’écoulèrent entre l’instant qu’ils aperçurent le navire pour la première fois et l’arrivée à bord du capitaine Amasa Delano ; que celle-ci eut lieu vers sept heures et demie du matin, le capitaine Amasa Delano arrivant dans sa chaloupe, et tous le recevant avec joie ; que le déposant joua le rôle de propriétaire principal et de libre capitaine du navire dans la mesure où il se put contraindre ; qu’il déclara au capitaine Delano, lorsqu’il fut invité à le faire, qu’il venait de Buenos-Ayres et qu’il se rendait à Lima avec trois cents nègres ; qu’au large du Cap Horn, et dans une épidémie subséquente, un grand nombre de nègres étaient morts ; que, pour des causes similaires, tous les officiers et la plus grande partie de l’équipage étaient morts également.

(La déposition se poursuit ainsi, relatant en détails l’histoire fictive dictée au déposant par Babo, et imposée au capitaine Delano par l’intermédiaire du déposant ; donnant compte en outre des offres amicales du capitaine Delano, ainsi que d’autres incidents, tout cela étant omis ici. Après l’étrange récit imaginaire, la déposition continue :)

… Que le généreux capitaine Amasa Delano resta à bord tout le jour et ne quitta le navire au mouillage qu’à six heures du soir, le déposant ne cessant de l’entretenir de ses prétendues infortunes selon les instructions mentionnées plus haut, et sans qu’il eût été en son pouvoir de dire le moindre mot ou de risquer la moindre suggestion pour le mettre au fait du véritable état de choses ; car le nègre Babo, en jouant le rôle d’un serviteur zélé avec toute la soumission qui convient à un humble esclave, ne quittait pas le déposant un instant, afin d’observer ses gestes et ses paroles, le nègre Babo sachant fort bien l’espagnol ; qu’en outre, d’autres nègres, qui savaient également l’espagnol, restaient dans son voisinage pour le guetter continuellement ; … qu’une fois, comme le déposant conversait sur le pont avec Amasa Delano, le nègre Babo lui fit signe secrètement d’aller avec lui à l’écart, l’initiative du geste semblant venir du déposant ; qu’ils se retirèrent en effet, et que le nègre Babo lui proposa alors d’obtenir d’Amasa Delano toutes les précisions possibles au sujet du navire, de l’équipage et des armes ; que le déposant lui demanda « Pourquoi ? » ; que le nègre Babo lui répondit qu’il le pouvait imaginer ; qu’affligé par la perspective du danger qui menaçait le généreux capitaine Amasa Delano, le déposant refusa d’abord de lui poser les questions désirées et mit tout en œuvre pour inciter le nègre Babo à renoncer à ce nouveau dessein ; que le nègre Babo montra la pointe de sa dague ; qu’après avoir obtenu les informations, le nègre Babo l’attira de nouveau à l’écart, lui déclarant que dans la nuit il (le déposant) se trouverait commander deux vaisseaux au lieu d’un, car la plus grande partie de l’équipage de l’Américain serait alors à la pêche, et les six Achanti prendraient aisément le navire à eux seuls ; qu’avant l’arrivée à bord d’Amasa Delano, il n’avait été fait aucune allusion à la capture du navire américain ; que le déposant était impuissant à contrecarrer ce projet ; … qu’à certains égards sa mémoire est confuse et qu’il ne peut se rappeler distinctement chaque incident ; … qu’aussitôt après avoir jeté l’ancre à six heures du soir, comme il a été déclaré plus haut, le capitaine américain prit congé pour regagner son propre vaisseau ; qu’obéissant à une impulsion soudaine que le déposant croit devoir à Dieu et à ses anges, après avoir dit adieu au capitaine Delano, il le suivit jusqu’à la coupée où il demeura, sous prétexte de prendre congé, jusqu’à ce qu’Amasa Delano eût pris place dans sa chaloupe ; qu’à l’instant où elle poussait au large, le déposant sauta de la coupée et tomba dans la chaloupe, il ne sait comment, sous la sauvegarde de Dieu ; que…

(Ici, dans l’original, suit la relation de ce qui se passa au moment de l’évasion, de la façon dont le San Dominick fut repris, et du voyage jusqu’à la côte ; avec un grand nombre d’expressions d’« éternelle gratitude » envers le « généreux capitaine Amasa Delano » La déposition procède alors à quelques remarques récapitulatives et au dénombrement partiel des nègres, en déterminant le rôle individuel qu’ils avaient joué dans les événements passés, afin d’établir, selon les instructions de la Cour, les données sur lesquelles fonder le prononcé des sentences criminelles. De cette partie sont extraits les passages suivants :)

… Qu’il croit que tous les nègres, sans avoir eu connaissance dès l’abord du projet de révolte, l’approuvèrent quand il eut été accompli… Que le nègre José, âgé de dix-huit ans, et au service personnel de Don Alexandro, fut celui qui informa le nègre Babo de l’état de choses qui régnait dans la cabine avant la révolte ; que ceci peut être inféré du fait que, les nuits précédentes, il quittait sa couchette, laquelle se trouvait dans la cabine située au-dessous de celle de son maître, pour monter sur le pont et rejoindre le meneur et ses acolytes ; qu’il eut en outre des entretiens secrets avec le nègre Babo, entretiens au cours desquels il fut surpris plusieurs fois par le second ; qu’une nuit le second le renvoya à deux reprises ; … que ce même nègre José, sans agir sur l’ordre du nègre Babo comme le firent Lecbe et Martinqui, poignarda son maître Don Alexandro, alors qu’on le traînait à demi mort sur le pont ; … que le stewart mulâtre Francesco faisait partie du premier groupe de rebelles, qu’il fut en toutes choses la créature et l’outil du nègre Babo ; que, pour faire sa cour, il proposa au nègre Babo, juste avant le repas dans la cabine, d’empoisonner un plat à l’intention du généreux capitaine Amasa Delano ; que ce fait est connu, parce que les nègres l’ont rapporté mais que le nègre Babo, ayant d’autres desseins, le défendit à Francesco ; … que l’Achanti Lecbe était l’un des pires caractères ; que le jour où le navire fut repris, il participa à sa défense en brandissant une hachette dans chaque main, et blessa à la poitrine le second d’Amasa Delano quand celui-ci s’efforça de monter à bord ; que tout le monde savait cela ; qu’en présence du déposant, Lecbe frappa d’une hachette Don Francisco Masa, tout en l’entraînant, sur les ordres du nègre Babo, pour le jeter vivant par-dessus bord ; qu’il avait en outre trempé dans le meurtre de Don Alexandro Aranda et d’autres passagers de cabine ; qu’en raison de la fureur avec laquelle les Achanti combattirent lors de l’engagement avec la chaloupe, Lecbe et Yan furent les seuls survivants ; que Yan était aussi pervers que Lecbe ; que ce fut lui qui, sur les ordres de Babo, mais de son plein gré, prépara le squelette de Don Alexandro d’une manière que les nègres dévoilèrent dans la suite au déposant, mais que lui-même, aussi longtemps qu’il sera en possession de sa raison, se refusera à divulguer ; que ce furent Yan et Lecbe qui, la nuit, pendant une accalmie, rivèrent le squelette à la proue ; que cela aussi lui fut dit par les nègres ; que ce fut le nègre Babo qui traça l’inscription au-dessous du squelette ; que le nègre Babo fut le meneur de la sédition du commencement jusqu’à la fin ; qu’il ordonna chaque meurtre, et qu’il fut comme le gouvernail et la quille de la révolte ; qu’Atufal fut son lieutenant en tout ; mais qu’Atufal ne commit point de meurtre de sa propre main ; et non plus le nègre Babo ; … qu’Atufal fut tué d’un coup de mousquet dans le combat avec les chaloupes, avant l’abordage ; … que les négresses, toutes majeures, avaient connaissance de la révolte, et qu’elles se montrèrent satisfaites de la mort de leur maître, Don Alexandre ; que, si les nègres ne les en avaient empêchées, elles eussent torturé à mort, au lieu de tuer simplement, les Espagnols exécutés sur les ordres du nègre Babo ; que les négresses usèrent de toute leur influence pour que le déposant fût mis à mort ; que pendant les différents meurtres, elles chantaient des chansons et dansaient – non pas gaiement, mais solennellement ; et qu’avant l’engagement avec les chaloupes aussi bien que durant l’action, elles chantèrent aux nègres des chants mélancoliques, et que ce ton mélancolique était plus excitant que tout autre eût pu l’être, et voulu tel ; que tout ceci est supposé vrai, parce que les nègres l’ont dit.

Que des trente-six hommes de l’équipage – à l’exclusion des passagers (tous morts à présent) dont le déposant avait connaissance – six seulement survécurent en outre de quatre garçons de cabine et mousses qui n’étaient pas inclus dans l’équipage ; … que les nègres cassèrent le bras d’un des garçons de cabine et qu’ils le frappèrent à coups de hachette.

(Viennent alors un certain nombre de révélations ayant trait à des périodes diverses. D’où les extraits suivants :)

Que, pendant la présence du capitaine Amasa Delano à bord, plusieurs tentatives furent faites par les matelots, et notamment par Hermenegildo Gandix, pour lui suggérer le véritable état de choses ; mais que ces tentatives furent infructueuses en raison du danger mortel qu’elles comportaient, et surtout en raison des expédients qui venaient contredire le véritable état de choses, ainsi que de la générosité et de la piété du capitaine Delano, incapable de sonder une telle méchanceté ; … que Luys Galgo, un matelot âgé de soixante ans environ et appartenant anciennement à la flotte royale, fut l’un de ceux qui essayèrent de fournir des indices au capitaine Amasa Delano ; mais que son intention ayant été soupçonnée, sinon découverte, il fut entraîné à l’écart sous un prétexte quelconque, amené dans la cale et assassiné. Que ceci fut rapporté dans la suite par les nègres ; … que l’un des mousses nourrissant quelques espoirs d’évasion inspirés par la présence du capitaine Amasa Delano, laissa imprudemment tomber un mot qui trahissait son attente, lequel mot étant entendu et compris par un esclave avec lequel il partageait son repas, ce dernier le frappa à la tête de son couteau, lui infligeant une mauvaise blessure dont le garçon est pourtant en train de se remettre ; que de même, peu après que le navire eut été amené au mouillage, l’un des matelots qui était à la barre se mit dans un mauvais cas en trahissant inconsciemment par sa contenance un espoir provoqué par la raison déjà mentionnée ; mais que ce matelot, grâce à la prudence dont il fit preuve ensuite, s’en tira indemne ; … que ces déclarations ont pour but de montrer à la Cour que depuis le commencement jusqu’à la fin de la révolte, il fut impossible au déposant et à ses hommes d’agir autrement qu’ils ne firent ; … que le troisième commis, Hermenegildo Gandix, qui d’abord avait été forcé de vivre parmi les matelots, portant leur habit et apparaissant à tous égards comme l’un d’eux ; que ledit Gandix fut tué par une balle de mousquet tirée par erreur de l’une des chaloupes américaines avant l’abordage ; car, montant dans sa frayeur jusqu’au gréement de misaine, il avait crié aux chaloupes : « N’abordez pas, » de crainte que les nègres ne le tuassent à leur approche ; que ceci induisant les Américains à croire qu’il favorisait de quelque manière la cause des nègres, ils tirèrent sur lui à deux reprises, en sorte qu’il tomba, blessé, du gréement et se noya dans la mer ; … que le jeune Don Joaquin, Marques de Aramboalaza, de même qu’Hermenegildo Gandix, le troisième commis, fut abaissé à la fonction et à l’apparence extérieure d’un commun matelot ; qu’en une certaine occasion, comme Don Joaquin montrait quelque répugnance, le nègre Babo ordonna à l’Achanti Lecbe de prendre du goudron, de le chauffer et de le verser sur les mains de Don Joaquin ; … que Don Joaquin fut tué par le fait d’une autre méprise des Américains, méprise d’ailleurs impossible à éviter, car à l’approche des chaloupes, Don Joaquin fut forcé par les nègres d’apparaître sur les pavois avec une hachette attachée à sa main de telle sorte qu’elle eût le tranchant à l’extérieur et parût brandie ; sur quoi, vu les armes à la main dans une attitude douteuse, il fut pris pour un matelot renégat et tué ; … que sur la personne de Don Joaquin fut trouvé un bijou qui, comme le prouvent les papiers découverts, était destiné à la châsse de Notre-Dame de la Miséricorde à Lima ; offrande votive préparée à l’avance et gardée depuis lors, par laquelle il voulait attester sa gratitude, en débarquant au Pérou, sa destination dernière, pour l’heureuse conclusion de tout le voyage accompli depuis son départ d’Espagne ; … que le bijou, ainsi que les autres effets du défunt Don Joaquin, est en la garde des frères de l’Hospital de Sacerdotes, attendant la décision de l’honorable Cour ; … qu’en conséquence de l’état du déposant, aussi bien que de la hâte avec laquelle les chaloupes étaient parties à l’attaque, les Américains ne furent pas avertis du fait que parmi l’équipage apparent se trouvaient un passager et l’un des commis déguisés par le nègre Babo ; … qu’en outre des nègres tués au cours de l’action, quelques-uns le furent après la capture et le mouillage, pendant la nuit, alors qu’ils étaient enchaînés aux anneaux du pont ; que ces meurtres furent exécutés par les matelots avant qu’il ne fût possible de les en empêcher. Qu’aussitôt qu’il en eut été informé, le capitaine Amasa Delano usa de toute son autorité, et en particulier jeta à terre de sa propre main Martinez Gola qui, ayant trouvé un rasoir dans la poche d’une vieille jaquette qui lui appartenait, mais qui se trouvait à présent sur le dos d’un des nègres enchaînés, visait avec ledit rasoir la gorge du nègre ; que le noble capitaine Amasa Delano arracha également de la main de Bartholomé Barlo une dague dissimulée au temps du massacre des blancs, et dont il poignardait un nègre enchaîné qui, le même jour, avec l’assistance d’un autre nègre, l’avait jeté à terre et trépigné ; … que de tous les événements qui se sont produits pendant la longue période durant laquelle le navire était aux mains du nègre Babo, il ne peut ici rendre compte ; mais qu’il a donné la substance de tout ce qu’il se rappelle présentement, et qu’il a parlé véridiquement selon le serment prêté ; déclaration qu’il confirma et ratifia après qu’on lui en eut fait lecture.

Il déclara qu’il était âgé de vingt-neuf ans, et brisé de corps et d’esprit ; que, lorsqu’il aurait été définitivement renvoyé par la cour, il ne s’en retournerait point chez lui au Chili, mais entrerait au monastère du Mont Agonia ; sur quoi il signa ainsi que Son Excellence, fit le signe de la croix, et partit comme il était venu, sur sa litière, avec le moine Infelez, pour se rendre à l’Hospital de Sacerdotes.

BENITO CERENO.

DOCTOR ROZAS.

Si la déposition de Benito Cereno a pu servir de clef pour forcer les rouages compliqués qui l’avaient précédée, comme un caveau dont le vantail est soudain rejeté, la coque du San Dominick est à présent ouverte.

Jusqu’ici la nature de ce récit a non seulement rendu inévitables les enchevêtrements du début, mais encore exigé qu’un grand nombre de choses, au lieu d’être narrées dans l’ordre où elles s’étaient passées, fussent rétrospectivement ou irrégulièrement présentées ; ce dernier cas est celui des passages suivants, qui concluront la relation.

Au cours du long et paisible voyage vers Lima, il y eut, comme on l’a déjà mentionné, une période pendant laquelle Don Benito recouvra quelque peu sa santé ou, du moins en partie, sa tranquillité. Avant la rechute marquée qui vint ensuite, les deux capitaines eurent maintes conversations cordiales, leur fraternelle absence de réserve contrastant singulièrement avec les anciennes réticences.

L’Espagnol répétait sans cesse combien il lui avait été pénible de jouer le rôle imposé par Babo.

« Ah, mon cher Don Amasa, » dit une fois Don Benito « en ces instants où vous me trouviez si morose et si ingrat – où même, comme vous l’admettez à présent, vous pensiez presque que je complotais votre assassinat – en ces instants, mon cœur était glacé ; je ne pouvais vous regarder lorsque je songeais à la menace qui, à bord de ce navire aussi bien que du vôtre, était suspendue au-dessus de mon cher bienfaiteur. Et aussi vrai que Dieu existe, Don Amasa, je ne sais si le seul souci de ma propre sécurité m’eût donné le nerf de sauter dans votre chaloupe, n’eût été la pensée que si vous regagniez votre navire en gardant votre ignorance, vous, mon meilleur ami, et tous ceux qui vous entouraient, surpris cette nuit dans vos hamacs, ne vous seriez plus jamais éveillés en ce monde. Songez comme vous avez arpenté ce pont, comme vous vous êtes assis dans cette cabine, alors que chaque pouce de terrain était miné sous vous ainsi qu’un rayon de miel. Si j’avais hasardé la moindre suggestion, fait le moindre pas dans le sens de l’éclaircissement, la mort, une mort explosive – et la vôtre comme la mienne – eût terminé la scène.

« C’est vrai, c’est vrai, » s’écria le capitaine Delano en sursautant. « Vous avez sauvé ma vie, Don Benito, plus que je n’ai sauvé la vôtre ; et vous l’avez sauvée à mon insu et contre ma volonté. »

« Non, mon ami, » reprit l’Espagnol, courtois jusqu’en matière de religion ; « Dieu a charmé votre vie, mais vous avez sauvé la mienne. Quand je pense à certaines choses que vous fîtes – vos sourires et vos chuchotements, vos gestes et votre mimique téméraire ! Pour moins que cela, ils ont assassiné mon second, Raneds ; mais le Prince du Ciel vous guidait sûrement à travers toutes les embuscades. »

« Oui, tout est l’œuvre de la Providence, je le sais ; mais j’étais ce matin-là d’une humeur particulièrement plaisante, et le spectacle de tant de souffrances – plus apparentes que réelles – ajoutèrent à mon bon naturel la compassion et la charité, les entrelaçant fort heureusement toutes trois. S’il en eût été autrement, il n’est pas douteux, comme vous le laissez entendre, que certaines de mes interventions auprès des noirs se fussent terminées assez malencontreusement. En outre, les sentiments dont je parlais me permirent de surmonter ma défiance momentanée en des circonstances où plus de pénétration m’eût coûté la vie sans sauver celle d’autrui. Ce n’est qu’à la fin que mes soupçons l’emportèrent, et vous savez combien ils étaient alors loin du but. »

« Bien loin, en vérité, » dit tristement Don Benito. « Vous aviez passé avec moi tout le jour, me parlant, me regardant, marchant avec moi, assis près de moi, mangeant et buvant avec moi ; et pourtant, votre dernier geste fut d’empoigner comme un scélérat non seulement un innocent, mais le plus pitoyable de tous les hommes. Tant les expédients et les machinations malignes parviennent à en imposer ; tant les meilleurs des hommes peuvent errer en jugeant la conduite d’autrui, si les réalités profondes de sa condition lui sont inconnues. Mais vous étiez forcé de juger ainsi, et vous avez été détrompé à temps. Plût à Dieu qu’il en fût toujours de même, et avec tous les hommes. »

« Je crois vous comprendre ; vous généralisez, Don Benito, et de façon assez lugubre. Mais le passé est passé ; pourquoi moraliser à son endroit ? Oubliez-le. Voyez, ce brillant soleil a tout oublié, et la mer bleue, et le ciel bleu ; ils ont tourné de nouvelles pages. »

« C’est qu’ils n’ont pas de mémoire, » répondit-il avec abattement ; « c’est qu’ils ne sont pas humains. »

Mais ces souffles d’alizés qui éventent doucement votre joue, Don Benito, ne viennent-ils pas vers vous avec l’apaisement d’une caresse humaine ? Ce sont des amis chaleureux, des amis constants que les alizés. »

« Leur constance ne fait que me pousser vers ma tombe, Señor, » fut la réponse prophétique.

« Vous êtes sauvé, Don Benito, » s’écria le capitaine Delano, de plus en plus surpris et peiné ; « vous êtes sauvé ; qu’est-ce donc qui a jeté une telle ombre sur vous ? »

« Le nègre. »

Il y eut un silence, pendant lequel l’hypocondre s’enveloppa lentement et inconsciemment de son manteau comme d’un linceul.

Ils ne conversèrent point davantage ce jour-là.

Mais si parfois la mélancolie de l’Espagnol finissait par tomber dans le mutisme lorsqu’on abordait des sujets comme le précédent, il en était d’autres à propos desquels il ne parlait jamais et retrouvait toutes ses anciennes réserves. Passons sur le pire et, par souci de clarté, citons seulement quelques exemples : l’habit si recherché et si coûteux qu’il portait le jour où se déroulèrent les événements relatés, il ne l’avait pas endossé de son plein gré ; et pour l’épée à monture d’argent, symbole apparent de pouvoir despotique, ce n’était en vérité qu’un fantôme d’épée. Le fourreau, artificiellement raidi, était vide.

Quant au noir – dont le cerveau, non le corps, avait imaginé et conduit le complot de révolte – sa frêle charpente, disproportionnée à son contenu, avait aussitôt cédé, dans la chaloupe, à la force musculaire supérieure qui l’étreignait. Voyant que tout était fini, il n’émit pas un son, et ne put y être forcé. Son expression semblait dire : puisque je ne puis agir, je ne parlerai point. Mis aux fers dans la cale avec les autres, il fut transporté à Lima. Pendant la traversée, Don Benito n’alla pas lui rendre visite. Ni alors, ni dans la suite, il ne consentit à le regarder. Devant le tribunal, il refusa. Pressé par les juges, il défaillit. Sur le seul témoignage des matelots reposa l’identité légale de Babo. Et cependant, comme on l’a vu, l’Espagnol faisait occasionnellement allusion au nègre ; mais porter son regard sur lui, il ne le voulait ou ne le pouvait pas.

Quelques mois plus tard, traîné vers le gibet à la queue d’une mule, le noir connut une fin silencieuse. Le corps fut réduit en cendres ; mais pendant de longs jours, la tête, cette ruche de subtilité, fixée sur une perche dans la Plaza, soutint, indomptée, le regard des blancs ; les yeux tournés, par delà la Plaza, vers l’église Saint-Bartholomé dans les caveaux de laquelle dormaient alors, comme à présent, les os recouvrés d’Aranda ; et, par delà le Pont Rimac, vers le monastère du Mont Agonia où, trois mois après avoir été congédié par la cour, Benito Cereno, porté sur la bière, suivit vraiment son chef.

 

FIN

 

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