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BIBLIOBUS Littérature

1868

 

 

 

À sa tante.

30 juillet 18682

 

Très chère tante Sophie,

Comment allez-vous, ainsi que l'oncle? Hier, nous avions des tableaux vivants: le premier tableau représentait les quatre saisons: Dina représentait l'Hiver; moi, le Printemps; Sophie Kavérine, l'Automne; Mlle Élise l'Été. Dans le second tableau prenaient part Dina et Catherine, sœur de Sophie. Dina représentait la Psyché regardant l'Amour endormi, et Catherine, l'Amour. Dina avait les cheveux épars; c'était très joli. Dans le troisième tableau, moi et Paul: j'étais la Déesse des fleurs et Paul le Dieu des fruits. Dans le quatrième tableau, Dina seule en Naïade, robe blanche, assise dans le jonc; dans les mains et sous les pieds elle avait l'herbe des rivières et le jonc, toute la robe parsemée de perles en cristal blanc, qui ressemblaient beaucoup aux gouttes d'eau, avec les cheveux épars, sur les cheveux parsemés des perles en cristal. Venez chez nous, à Tcherniakovka; vous nous manquez. Tout le monde va bien et tout le monde vous embrasse.

Votre nièce,

Moussia Bashkirtseff.

Note 2: (retour)

Marie Bashkirtseff n'avait pas encore huit ans. Elle est née le 11 novembre 1860.

 

 

À son cousin.

20 février 1870, Tcherniakovka.

 

Cher Étienne,

Je te remercie pour le dessin et pour la lettre. Mes leçons vont assez bien. Je t'envoie mon dessin, seulement ne le montre à personne, parce que c'est mal fait. Après ton départ j'ai fait beaucoup de dessins et il y en a qui sont bien. À l'étranger, je crois que nous n'irons pas bien vite, peut-être pourtant un de ces jours; maman a dit dans une semaine.

Ma tante est allée dans ses terres avec Paul, voilà pourquoi Paul ne t'écrit pas. Ta sœur Dina t'embrasse; mais, selon sa coutume, elle n'écrit rien, mais elle pense à ta commission. Je t'apporterai de l'étranger un porte-fusil, ou mieux, écris-moi ce qu'il faut t'apporter? Mais dépêche-toi, car dans deux semaines, tout au plus, nous partons. Écris-moi absolument qu'est-ce qu'il faut t'apporter de l'étranger; si nous ne partons pas, je t'écrirai encore. Pardonne-moi le mauvais papier. Maman t'envoie trois roubles et te prie de bien travailler à l'école.

Ta cousine dévouée.

 

 

À Mademoiselle H...

4 septembre 1873.

 

Chère amie,

J'ai pour la première fois parlé l'italien aujourd'hui. Le pauvre Micheletty, (mon professeur,) faillit tomber évanoui ou se jeter par la fenêtre de la joie de m'entendre parler italien. Je puis dire maintenant que je parle le russe, le français, l'anglais, l'italien; j'apprends l'allemand et le latin, j'étudie sérieusement.

Avant-hier, j'ai eu ma première leçon de physique.

Ah! comme je suis satisfaite de moi!

Quel grand bonheur est celui-là!!

Comment vont tes leçons? Écris-moi, je t'en prie.

J'ai reçu le Derby: les courses à Bade! Comme je voudrais y être! mais non, je ne veux pas, je dois étudier et, le cœur serré, je lis les courses de chevaux de X. Je me calme avec grand peine et je me console en disant: Étudions, étudions, notre tour viendra. Si Dieu le veut!

C'est l'heure du déjeuner, la seule libre, et c'est généralement pendant ce temps qu'on me taquine avec X..., et je rougis, pour tous; maman me soutient, en disant: «Qu'est-ce que tous la taquinez toujours avec ce X...»

Maman est bien gentille aujourd'hui, je finirai vraiment par devenir son amie.

Elle cause, nous raconte des histoires du temps où elle avait seize ans, récite des poésies en riant.

Hier, à la leçon de français, j'ai lu l'Histoire Sainte, les dix commandements de Dieu. Il dit qu'il ne faut pas se faire des images de ce qui est dans les cieux. Les Latins et les Grecs ont tort, ce sont des idolâtres, qui adorent des statues et des peintures. Aussi, moi, je suis loin de suivre cette méthode. Je crois en Dieu, notre Sauveur, la Vierge, et j'honore quelques saints, pas tous, car il y en a de fabriqués, comme les plumcakes.

Que Dieu me pardonne ce raisonnement s'il est injuste, mais dans mon simple esprit les choses sont ainsi et je ne puis dire autrement.

Es-tu contente de ma lettre?

Au revoir.

 

 

À sa tante.

Spa, dimanche 5 juillet 1874.

 

Chère tante,

Je vous ai promis d'écrire et me voici. Je sors toujours au bras de ma mère. Hier soir, je chantais chez moi et tous accoururent du Casino. Paul m'a dit qu'il m'entend de l'hôtel de Flandre.

Pourquoi y a-t-il des gens qu'on déteste? J'étais tranquille, mais P.... vient avec sa mère et j'ai envie de fuir. Ils sont bons, aimables, pas bêtes, mais je ne peux pas les supporter.

Nous allons voir la grotte à Spa; je ne puis pas bien vous la décrire et pourtant cela me ferait un tel plaisir plus tard de trouver une juste description (je noterai tout dans mon journal) de ce que j'ai vu! je sais que j'ai beaucoup admiré. Mais je suis sûre qu'il y a des grottes bien plus belles aux environs, sans parler d'autres pays, où il y a des merveilles auprès desquelles la grotte d'ici ne paraîtrait que comme rien. D'ailleurs, c'est humilier les œuvres souveraines que de leur imposer notre approbation.

Je marche avec M. G.... malgré une petite pluie; je suis mouillée et crottée, maman est au désespoir....

Le retour a été admirable; dans un village, G.... a tiré d'un lit une couverture blanche et du plancher un tapis. On donne le tapis aux autres et on enveloppe de la couverture.... moi. Je riais et admirais l'intrépidité de G....; il riait aussi et nous comparait à Paul et à Virginie.

On nous a présenté le comte Doenhoff, le petit B. K...., et nous allons aux courses, le comte D. Basilevsky, frère de la princesse Souvaroff, maman, moi et Dina. Nous sommes dans la meilleure tribune; le comte D... reste avec nous. On dit qu'il admire maman, et tu sais, chère tante, ce qu'il a dit! Il a dit: La fille ne sera pas mal, mais on ne pourra jamais la comparer â la mère.—Maman ne fait que parler de moi; elle raconte les mots de mon enfance, tu sais, toujours la même chose; elle ne peut pas oublier que quand elle arrivait de la Crimée (j'avais deux ans), elle me dit pour je ne sais quelle espièglerie: Marie est bête. —Marthe, dis-je à ma nourrice (car, comme tu sais, jusqu'à trois ans et demi je prenais de la nourriture naturelle), Marthe, allons-nous-en, maman n'a pas reconnu Marie.... Au revoir, je vous embrasse tous, je suis rose et blanche et me porte très bien.

 

 

 

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