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Discours de réception de Georges Brassens à l'Académie française

 

Discours de réception de Georges Brassens à l'Académie française (imaginé et rédigé par Yvan Audouard et publié dans Le Canard enchaîné du 14 juin 1967.)

 

 

Messieurs,

 

Désireux de me conformer en tout point à vos usages, je commencerai par une citation. Et soucieux également de respecter la tradition d'impertinence de bon aloi, qui est de rigueur dans les discours académiques, ce ne sera pas une citation du dictionnaire de l'Académie, mais du bon vieux Larousse. Vous y trouverez, à la fin de la notice consacrée à mon éminent confrère, le poète Alfred de Musset, les phrases suivantes : "En 1857, le poète est usé par l'alcool, la maladie et les excès de toutes sortes. Il entre alors à l'Académie". (Rires dans l'hémicycle. M. Wladimir d'Ormesson se réveille en sursaut). Je crois avoir compris votre façon d'agir avec ceux qui ne sont pas académiens de naissance. Vous attendez qu'ils soient gâteux ou que, saisis par la vanité frénétique des vieillards, ils s'abandonnent à vos séductions et tombent dans le piège que vous avez creusé sous leurs pas chancelants. (Sourires d'inquiétude sur plusieurs bancs. Le récipiendaire ne serait-il pas en train de dépasser les limites de la bienséance ? M. Wladimir d'Ormesson s'est rendormi). Et là-dessus, vous me demandez de prononcer l'éloge d'un cureton que j'ai jamais vu de ma vie. Moi, des curés j'en ai jamais fréquenté, à part le révérend père Duval, la calotte chantante. II me laisse dire merde, moi, je lui laisse dire amen, Et j'ai bien l'intention d'en rester là. (Les sourires se sont figés sur tous les visages. Les "copains", dans les tribunes, entonnent le "De Profundis Morpionibus". M. Wladimir d'Ormesson s'agite dans son fauteuil et gémit : "Contanum… contanum ")Je me demande si, au fond, vous n'êtes pas de vrais fumiers. Vous vous êtes dit : "Brassens, en ce moment, il a des ennuis avec ses rognons. Il a plus tout à fait sa tête à lui. Et puis il est si brave. Il osera pas dire non". (Un espoir timide reparaît sur certains visages). Eh bien, messieurs, j'estime que la plaisanterie a assez duré et que, dans l'ensemble, vous m'avez pris pour un autre. Cela fait un quart d'heure à peine que je suis parmi vous. Et je m'emmerde déjà comme jamais je me suis emmerdé de ma vie. Je vous remercie, néanmoins, de m'avoir accueilli parmi vous. Vous m'avez fourni le sujet d'une chanson :Les copains entonnent :

 Si par hasard,

Sur l'pont des Arts,

Tu vois Marcel, Marcel Achard,

Prudenc' prends garde à ce vieillard.

(Le secrétaire perpétuel s'apprête à lever la séance. Brassens fait un geste. Les académiciens se rassoient.) Un mot encore, messieurs. Je ne voudrais pas que vous vous soyez dérangés pour rien. Je vous quitte. Mais je laisse volontiers ma place au grand poète Alain Bosquet qui a, beaucoup plus que moi, le genre de la maison. Et cela m'étonnerait qu'il refuse, les miracles n'arrivent qu'une fois. (Alain Bosquet monte aussitôt à la tribune. Brassens s'éponge. Les copains entonnent la Marseillaise… Wladimir d'Ormesson se met au garde à vous).

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021