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- Chaussures à son pied - Eugène Labiche
Chaussures à son pied - Eugène Labiche
(Scène III extraite de : Les petits oiseaux )
Blandinet , Henriette, Léonce, Mizabran.
Blandinet. Entrez donc, M. Mizabran . . . entrez .
Mizabran (accent allemand). Oh ! pardon ... je dérange monsieur et madame, je reviendrai . . .
Blandinet. Non ! restez ! je prends mon café et je suis à vous . . . Tenez ! asseyez-vous !
Mizabran (regardant à sa gauche et ne voyant pas de siège, il pose son chapeau à terre). Oh! je ne suis pas fatigué . . .
Blandinet. Eh bien ! quoi de nouveau ? Vos affaires reprennent-elles un peu ?
Mizabran (tirant sa mesure de sa poche). Oh ! oh ! mes affaires . . . (Il se met à genoux à côté de Blandinet et lui prend mesure.)
Blandinet (sans le voir). Je me suis pourtant laissé dire ... (L'apercevant.) Eh bien que faites-vous donc?
Mizabran. J'ai pensé qu'à l'occasion du terme ... (Il se te relève.)
Henriette (bas à Blandinet). Toujours la même chanson !
Léonce (bas). Soixante et unième couplet!
Blandinet (bas). Je vais lui parler ... ça devient un abus ! (Haut, et se levant.) Monsieur Mizabran, j'espère que vous ne prendrez pas en mauvaise part ce que je vais vous dire . . . mais je vous avoue . . . qu'aujourd'hui . . , (regardant Henriette et élevant la voix) j'espérais un peu d'argent . . .
Mizabran. Croyez que . . .
Blandinet (baissant la voix). Pas tout ... mais un peu . . .
Mizabran. Ce n'est pas ma faute, Monsieur Blandinet ... et certainement si je le pouvais . . . car, je le disais encore ce matin à ma femme, il n'y a pas de plus grand bonheur que de payer son terme !
Blandinet. Très-bien . . . ces sentiments vous honorent . . .
Mizabran. Mais la chaussure ne va pas . . . c'est la guerre d'Amérique qui en est cause ... Je n’y peux rien, moi!
Blandinet (à sa femme et à son fils, en se s’asseyant à table). Le fait est qu'il n'y peut rien . . .
Mizabran. Sans compter que ma femme est malade et que mon petit dernier a la coqueluche ... H tousse à fendre vos plafonds . . .
Blandinet. Ah çà ! mais . . .
Mizabran (vivement). Mais on y prend garde...
Blandinet. Je vous en remercie . . .
Mizabran. Même que nous ne pouvons pas faire de feu dans la chambre.
Blandinet. Pourquoi ?
Mizabran. Ça fume à vous manger les yeux . . .
Blandinet. C'est la suie . . . Avez-vous fait ramoner?
Mizabran. Oh ! monsieur . . . deux fois par an . . .
Blandinet. Alors, c'est la cheminée . . .
Mizabran. Probablement ... et si c'était un effet de votre bonté de nous faire poser une petite trappe et une petite ventouse . . .
Blandinet (Henriette). Le fait est que . . . (Henriette lui fait un signe. Se récriant.) Ah ! permettez ! Vous me demandez des réparations . . .
Mizabran. Moi, monsieur? je ne demande rien... Monsieur est trop juste pour qu'on lui demande quelque chose ... Si monsieur l'exige . . . nous continuerons à ne pas allumer de feu . . .
Blandinet. Je ne dis pas cela.
Mizabran. Ce qui ne m'empêchera pas de faire ramoner la cheminée ! . . . parce que je suis un bon locataire . . .
Blandinet. Je le sais ... je le sais . . .
Mizabran. Croyez bien que si mon petit dernier n'avait pas la coqueluche ... et ma femme une fluxion . . .
Blandinet (à part) Pauvres gens! (Haut.) Voyons une trappe et une ventouse ... ça ne doit pas être une grosse allaire . . .
Mizabran. Oh ! rien du tout ! c'est-à-dire qu'avec un méchant maçon, un fumiste et un petit architecte ... ça sera fait tout de suite !
Blandinet. C'est bien . . . soyez tranquille ... je vais écrire à mon petit . . . (Se reprenant.) A mon architecte.
Mizabran. Oh ! merci, monsieur — C’ est égal, vous m'avez fait du chagrin . . .
Blandinet. Moi ?
Mizabran. Oui . , . vous avez eu l'air de croire que je ne voulais pas payer mon terme . . .
Blandinet (vivement). Je n'ai pas dit ça ! vous vous êtes mépris, Monsieur Mizabran ! . . . vous vous êtes mépris (Il se lève.)
Mizabran. (pleurnichant). C'est bien pénible, quand on est honnête homme ... et qu'on a une femme malade . . .
Blandinet. Voyons ! du courage ! tout ça s'arrangera !
Mizabran. Oh ! je n'ai pas de chance, moi . . . adieu, monsieur . . .
Blandinet. (Le retenant et bas). Eh bien ! faites m'en deux ou trois paires . . . sans le dire à ma femme !
Mizabran. Bien, monsieur ... Je ferai observer à monsieur que son pied a grossi . .
Blandinet. Ah !
Mizabran. Ce n'est pas pour vous augmenter que je dis ça ! . . .
Blandinet. Cependant ... si ça prend des proportions par trop grandes . . .
Mizabran. Non, monsieur! on n'augmente pas ses vieilles pratiques.
Blandinet (à part). Ah! c'est bien!... il a de ça ! . . . (Haut.) Allons ! adieu, Mizabran !
Mizabran (saluant). Monsieur . . . Madame . . .
Blandinet (raccompagnant). Du courage ! du courage!
Mizabran. Ah ! monsieur, sans l'Amérique 1
Blandinet. Ça s'arrangera ! ça s'arrangera ! (Mizabran sort.)
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021