BIBLIOBUS Littérature française

Catéchisme des Normands composé par un Docteur de Paris.



A PARIS
Chez VAUQUELIN, Libraire, quai des
Augustins, n°11
_____
1817

 

 

Demande. Etes-vous Normand ?

Réponse. Oui par la grâce de ma naissance, et par la grâce de mon intrigue.

D. Qui est celui qu’on doit appeller Normand ?

R. C’est celui, lequel étant ne d’un père Normand, naturellement intriguant, fait profession exacte d'une intrigue dissimulée ?

D. Qu'est-ce que l'intrigue dissimulée ?

R.
C'est celle que le Normand a appris des ses ancêtres, et qui se communique de père en fils.

D. Est-il necessaire à un Normand d'avoir cette intrigue dissimulée ?

R.
Oui, s'il ne veut agir contre l'inclination naturelle de la nation Normande.

Du Signe du Normand.


D. Quel est le signe du Normand ?

R.
C'est d'être toujours prêt â faire de faux sermens en faveur de celui qui lui donne le plus d'argent.

D. Comment fait-il le signe ?

R.
En tenant ses mains dessus sa tête, pour affirmer plus hardiment le faux serment qu'il fait pour vil prix, et les rabaissant lorsqu'on lui fait offre de plus d'argent qu'il n'en a reçu pour les lever, afin d'affirmer effrontément le contraire de son premier serment.

D. Pourquoi fait-il le signe de la sorte ?

R.
Pour tromper et décevoir ceux qui ont confiance en ce signe, auquel il prend plaisir.

D. Quand le Normand fait-il ce signe ?

R.
Depuis son berceau jusques au dernier soupir de sa vie.

De la Fin du Normand.


D. Quelle est la fin du Normand.

R.
C'est de trahir ses plus grands amis.

D. En quoi consiste le dessein du Normand ?

R.
Il consiste à établir sa fortune aux dépens du bien d'autrui et de l'honneur du prochain, sans épargner ni sacré ni profane.

Des Moyens de parvenir à cette Fin.


D.  Par quels moyens parvient-il à cette fin ?

R.
Par quatre moyens, savoir : Infidélité, tromperie, haine &et méchantes actions.

D. Qu'entendez-vous par infidélité ?

R.
J'entends que le Normand ne garde jamais la parole qu'il a donnée.

D. Que devons nous croire du Normand ?

R.
Que c'est le plus grand fourbe du monde.

D. Expliquez nous ce mot de fourbe ?

R.
C'est-à-dire qu'il est naturellement trompeur.

D. Comment trompeur ?

R.
C'est en proférant des paroles contraires aux pensées de son coeur, louant par paroles ceux qu'il blâme en lui-même, flattant et caressant ceux qu'il aime le moins, baisant ceux qu'il déchire par ses fausses impostures comme un Judas, applaudissant les discours d'autrui afin d'en tirer une méchante conséquence.

D. Vous dites que le Normand parvient à sa fin par haine ?

R.
Oui ; mais il faut entendre comment, parce que quand le Normand hait quelqu'un, il ne lui découvre pas sa haine ouvertement, au contraire il la dissimule et retient en son coeur, il flatte et loue celui qu'il hait le plus, et le baiser du Normand est un véritable signe de la haine qu'il a dans son âme.

D. Si le Normand retient sa haîne dans son âme, il ne fait aucune méchante action au dehors pour parvenir à sa fin ?

R.
Pardonnez moi, car les mauvaises actions du Normand ne paraissent au dehors, que lorsqu'il s'apperçoit que facilement elles pourraient servir à son dessein.

D. Le Normand manifeste donc ses mauvaises actions ?

R.
Il les manifeste le moins qu'il peut, car il les commet toujours avec bonne intention, disant qu'il ne cherche que la gloire de Dieu, que le profit et l'utilité spirituelle de son prochain, et que tout ce qu'il fait provient de son grand zéle seulement.

D. Comment fait-il ses mauvaises actions par ces moyens là ?

R.
C'est que, quand il a proferé des paroles indiscrètes et calomnieuses, et qu'il fait de méchantes actions, il les impute à des personnes innocentes ; et pour les faire croire véritables, il solicite par promesses et argent.

De l'Espérance du Normand.


D. Quelle est l'espérance du Normand ?

R.
C'est de s'élever au dessus des autres.

D. Comment ?

R.
En paraissant au dehors homme de bien, dévot, sincère, obligeant, doux comme un agneau, quoiqu'il soit au dedans un loup ravissant, ingrat, fourbe, indévot, méchant ; en un mot, un très-grand hypocrite, et un sepulcre blanchi.

D. Comment ?

R.
C'est en imposant des faux crimes à ceux qui occupent les charges, étant amis, ausquelles ils aspirent, faisant des fausses attestations, certificats et autres pièces d'écritures qu'ils font signer par des faux témoins, pour faire entendre que ce qu'il disent est véritable.

D. Comment le connaissez-vous ?

R.
Je le connais en ce qu'il a beaucoup d'amour pour sa personne et à ses propres intérêts, et point du tout pour son prochain.

Les Bonnes Œuvres du Normand.


D. Si le Normand n'a point de charité pour son prochain, il ne fait aucune bonne oeuvre à l'égard de son prochain ?

R.
Aucunes à la vérité ; mais toutes méchantes conformément aux huit Commandemens qu'il a appris de ses ancêtres.

D. Quels sont ces huit commandemens ?

R.
Les voici :

Tes intérêts tu garderas
ET attireras parfaitement.

Dieu en vain tu jureras,
Pour affirmer un faux serment.

L'argent d'autrui tu n'épargneras,
Ni son honneur pareillement.

Le bien d'autrui tu ne rendras,
Et garderas à ton escient.

Faux temoignage tu diras,
Et mentiras adroitement.

L'oeuvre des mains tu n'oublieras,
Pour dérober finement.

Les biens d'autrui tu connaîtras,
Pour les avoir injustement.

L'oeuvre de chair tu désireras
Et accompliras avec le temps.

Des Œuvres de Miséricordes du Normand.


D. Combien le Normand a-t-il d'oeuvres de misericordes ?

R.
Sept, savoir : Trahison, flatterie, gourmandise, larcin, mensonge, envie et imposture.

D. Si le Normand n'observe ces huit commandemens, et ne fait ces oeuvres de misericorde, qu'en sera-t-il ?

R.
Il contreviendra aux maximes et aux inclinations de la nation Normanique, aux habitudes naturelles de ces ancêtres, et méritera d'être estimé honnête homme.

D. Si tout ce que nous venons de dire est vrai, on ne peut avoir de confiance du Normand ?

R.
Nullement du monde ; car enfin confiez-vous en lui, il vous trahit ; louez-le, il vous méprise, il vous abhore ; et après tout, c'est un lion à ceux qui le craignent, et une vraie poule aux généreux.

Je prie Dieu qu'il inspire au Lecteur des sentimens contraires aux pensées de ce catéchisme.

N.B. La lecture de ce catéchisme a fait une si forte impression sur les Normands, que depuis plus d'un siècle ils se sont tellement corrigés, qu'ils ne cèdent en rien aux plus vertueux des autres provinces du royaume ; et s'il y en a encore quelques-uns qui suivent les maximes de leurs trisaïeuls, c'est le petit nombre, et, Dieu aidant, le bon exemple de leurs compatriotes les retirera de la voie de perdition.

 

____________________________
De l'Imprimerie de P. GUEFFIER, rue
Guénégaud, n°31.