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BIBLIOBUS Littérature française

Calinot : Légendes d’artistes - Edmond et Jules de Goncourt



 

 

Enfant, Calinot, en revenant de l’école, se bat avec un camarade, et attrape une grande écorchure au front. Au dîner, son père lui dit :

-Qu’est-ce que tu as là ?

-Papa, j’ai rien.

-Mais si, tu as quelque chose.

-Je me suis mordu au front !

-Imbécile ! est-ce qu’on se mord au front ?

-Tiens ! je suis monté sur une chaise.

 

 

 

 

Moi, j’aime bien mieux la lune que le soleil. Le soleil, à quoi ça sert ? Il vient quand il fait jour, ce feignant-là ! Au lieu que la lune, ça sert à quelque chose : ça éclaire.

 

 

Camille. - Veux-tu me mesurer ce tableau ?

Calinot. - Avec quoi ?

Camille. - Prends le mètre, il est sur la table.

Calinot, mesurant. – Un mètre… heu…. heu…

Camille. - Eh bien ! combien a-t-il ?

Calinot. - J’sais pas : le mètre n’est pas assez long.

 

 

« Monsieur,

 

« Envoyez-moi les deux Boissieu que je vous ai demandés… »

Ici le marchand de tableau meurt. Calinot finit la lettre : « Je vous écris le reste par la main de Calinot, mon premier commis, vu que je viens de mourir d’une attaque d’apoplexie. »

 

 

« Quand j’étais à bord de la Tremblante, je laisse tomber ma montre. Nous étions dans le Groënland. Je me jette, je retrouve ma montre. V’là que, quand je remonte, la glace s’était refermée. Je crie d’une voix de Centaure : Passez-moi une scie ! On m’en passe une. Je me mets à scier la glace ; mais la sciure me tombait dans les yeux. »

 

 

Calinot voit un merle dans le jardin de Camille ; il l’ajuste. Il n’était pas bien pour le tirer ; il remonte l’escalier à pas de loup ; il ouvre bien doucement la porte de Camille, bien doucement la fenêtre de Camille qui dormait.

Pan !

Camille, se réveillant en sursaut. - Hé ?… hein ? quoi ?

Calinot. - Ah ! mon cher, je n’ai presque pas fait de bruit.

 

 

Moi d’abord, je n’aime pas les lâchetés. Quand j’écris une lettre anonyme, je la signe toujours.

 

 

« À M. le maître d’hôtel du Cheval Blanc, à Rouen (Seine-Inférieure).

« Monsieur,

« Je vous prie de me renvoyer mon couteau-poignard que j’ai oublié sous mon traversin dans la chambre n° 23.

« Votre dévoué, « Calinot. »

En cachetant la lettre, Calinot retrouve son couteau-poignard.

« Post-scriptum. – Ne vous donnez pas la peine de chercher mon couteau-poignard ; je l’ai retrouvé. »

Camille. - Tu es bête !… puisque tu l’as retrouvé…

Calinot. - C’est trop fort ! Tu veux donc que cet homme s’échigne à chercher mon couteau-poignard.

 

 

Sont-ils bêtes ces gens qui donnent une lettre à un commissionnaire ! ils se figurent qu’il la porte ; il ne la porte jamais. Moi, quand je veux être sûr, je vais toujours avec le commissionnaire.

 

 

J’ai été demeurer rue J.-J. Rousseau, vois-tu, parce que comme ça je ne paierai plus de ports de lettres. Qu’est-ce que ça leur coûte de traverser la rue pour m’apporter mes lettres ?



On proposait un parti à Calinot :

Que diable veux-tu que je l’épouse, elle a le double de mon âge !

Camille. - Qu’est-ce que ça te fait ?

Calinot. - Songe donc ! quand j’aurai cinquante ans, elle en aura cent.


 

Camille. - Tâche donc de me rapporter des allumettes qui aillent.

Calinot remonte avec des allumettes.

Camille. - Cré mâlin ! elles ne vont pas tes allumettes !

Calinot. - C’est bien drôle, ça ; je les ai toutes essayées.



Calinot, logeur.

– Oh ! monsieur, à tous les prix : dix, quinze, vingt-cinq. Voyez : la chambre est bien ; c’est propre ; il y a des rideaux, une table de nuit.

-Qu’est-ce que c’est que ça ?

-C’est une truelle.

-Et ça ?

-Du plâtre et du verre pilé.

-Tiens ! pourquoi donc ?

-C’est très commode. Figurez-vous, monsieur, que la maison est infestée de rats. Quand vous en voyez un, vous sautez sur la truelle et vous bouchez le trou. Dans les chambres à 15 francs, ils vous mangeraient le nez : on vous donne un masque en verre.

 

 

Dans son jardin de Romainville, Calinot avait un tas de gravois.

Camille. - Fais un trou ; tu mettras ça dedans.

Calinot n’avait plus de gravois ; mais il avait un tas de terre. « C’est que je ne l’ai pas fait assez grand ! »

 

 

Calinot, garde national, était de faction après le 24 février. – Un élève de l’École polytechnique, aide-de-camp, arrive au Pont-au-Change, tombe de cheval, se contusionne, et est obligé de prendre un cabriolet pour continuer sa ronde-major. Il se fait ainsi reconnaître de Calinot. Un omnibus arrive quelques instants après. Calinot croise la baïonnette, et crie : Aux armes ! Le caporal sort : – Mais enfin, qu’est-ce que vous avez donc, factionnaire ? – Eh ben ! quoi ? Les rondes-majors viennent en cabriolet : les patrouilles peuvent bien venir en omnibus.

 

 

Calinot, capitaine instructeur : Eh ! là-bas, qu’est ce qui lève les deux jambes ?

 

 

Calinot, aux journées de juin : Si je fais arriver mes hommes tous de front, les malheureux, ils vont tous être mitraillés ?… Si je faisais tête de colonne à droite, tête de colonne à gauche ? – Il commande : Tour droite ! tour gauche ! Tout le monde fait tour complet. Une fusillade terrible part de la barricade. La compagnie de Calinot est criblée. Le général arrive bride abattue : Imbécile ! vous faites tuer vos hommes ! – Ah ! taisez-vous donc ! ça fait bien moins de mal que dans la poitrine !

 

 

Calinot, chef de bataillon d’une légion de la banlieue : Attention ! Garde à vous ! bataillon !.. heu… heu… Mettez-vous comme vous étiez dimanche dernier.

 

 

Calinot était à deviner un rebus de Charivari dans un café. – Le gazier sonne pour prévenir qu’il va éteindre. Au bout de cinq minutes, Calinot, toujours à son rébus, dit : Eh ben ! a-t-il éteint, cet imbécile ?

 

 

Calinot. - Je viens de rendre service à un vieux camarade de la Tremblante. Ce pauvre diable ! il n’avait pas mangé depuis deux jours. Je l’ai fait entrer dans une allée ; je lui ai donné mes bottes.

Camille. - Et toi, comment t’es-tu en allé ?

Calinot. - Ah ! tu demandes toujours des explications.

 

 

Camille. - Mon escalier est noir comme le diable. Prends ce bout de bougie.

Calinot, au bas de l’escalier. - Les artistes sont si pauvres ! Il en reste encore un grand bout. – Calinot remonte la bougie.

 

 

Calinot au salon. - Ducornet….. né sans bras…..Qu’eque ça fait, s’il a des mains ?

 

 

Camille. - Eh bien ! tu ne viens pas à l’enterrement de Mlle Mars ?

Tous les artistes y seront.

Calinot. - Je ne vais à l’enterrement des gens que quand ils viennent au mien.

 

 

Camille donne à Calinot une canne avec une très-belle pomme en Saxe. La canne est trop grande pour Calinot. – Calinot la rogne de la pomme.

Camille. - Pourquoi ne l’as-tu pas rognée du bas ?

Calinot. - C’était en haut qu’elle me gênait.

 

 

Je ne crains pas le choléra, d’abord ! C’est un mauvais air qui passe dans la rue ; – et je loge sur la cour.

 

 

Calinot, mourant du choléra. - Je meurs comme le Christ, à quarante-trois ans. Camille. - Tu te trompes, mon ami, il est mort à trente-trois ans.

Calinot. - Eh ben ! il est mort dix ans trop tôt.

 

 

Edmond et Jules de Goncourt.

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021