BIBLIOBUS Littérature française

Chapitre 9 - Prisonniers !

 


 

 

 

 

 

On eût dit de ces lueurs erratiques que l’on voit courir la nuit au-dessus des endroits marécageux et des cimetières… Les flammes qui nous environnaient, en bondissant comme des serpents, avaient l’aspect de langues de feu vacillantes terminées par une aigrette lumineuse rappelant vaguement la couronne d’une grenade.

Le docteur, avec une adresse merveilleuse, dirigeait le Cosmos entre ces flambées inquiétantes et parvenait toujours à les éviter ; c’est à peine si deux ou trois arrivèrent à lécher l’enveloppe de notre véhicule… Cependant, cette situation ne pouvait se prolonger ; il fallait à tout prix sortir de ce cercle ardent.

Au loin, dans l’obscurité, brillaient des étoiles rouges, des disques d’un bleu électrique qui semblaient tourner avec rapidité au milieu d’une pluie d’étincelles…

À n’en pas douter, c’étaient quelques engins formidables imaginés par les Martiens civilisés, des machines puissantes et compliquées dont il était imprudent de s’approcher, surtout la nuit…

Qu’allions-nous faire ?

Avancer, c’était courir au-devant d’une mort certaine… reculer c’était retomber dans les flammes que nous voulions éviter et dont le nombre semblait croître à vue d’œil.

Le docteur jeta un rapide coup d’œil par le hublot d’arrière et s’écria d’une voix rauque en saisissant son volant à deux mains :

– Avançons !…

Ce simple mot avait, en cet instant, quelque chose de terrifiant et de lugubre… Avancer c’était courir vers un inconnu peut-être plus affreux que nous ne le supposions… C’était nous exposer à être coupés, broyés par ces disques étranges qui tourbillonnaient toujours… à quelques centaines de mètres…

Notre phare ne nous était plus utile, car une clarté pareille à celle d’un énorme incendie ensanglantait la plaine…

Bientôt, sur l’horizon, se dessinèrent nettement de grands ponts métalliques, des échafaudages gigantesques… Des ruisseaux bouillonnants d’où montait une fumée blanche couraient en serpentant à droite de la route que nous suivions…

Au fur et à mesure que nous approchions, le bruit confus qui avait tout d’abord frappé nos oreilles se transformait en un assourdissant vacarme produit, à n’en pas douter, par des milliers de marteaux tombant et retombant sur des pièces de fer…

L’industrieuse activité des Martiens ne faiblissait pas une seconde…

Maintenant, nous distinguions parfaitement, au milieu de l’enchevêtrement des poutrelles, des charpentes et des croisillons de cette ville en travail, de petits gnomes noirs et difformes qui allaient et venaient avec rapidité, tels des rats affolés par le feu…

Le docteur Oméga avait enfin arrêté le Cosmos, incertain de la route qu’il devait suivre et déjà il avait commencé à nous consulter, quand, tout à coup, une lueur intense nous aveugla, en même temps qu’une température intolérable se faisait sentir dans l’intérieur de notre véhicule…

Si nous avions eu encore notre enveloppe de répulsite nous aurions pu braver cette chaleur qui devait être bien inférieure à celle provoquée par le passage du bolide, mais on sait que les cloisons de notre automobile étaient maintenant en tôle… Bientôt nous commençâmes à respirer difficilement…

Le docteur voulut mettre le véhicule en marche, mais il s’aperçut qu’une sorte de barricade faite de poutres et de plaques métalliques nous barrait la route… À droite et à gauche couraient des ruisseaux remplis d’eau en ébullition…

Il nous restait encore une ressource : virer brusquement et reprendre le chemin que nous venions de parcourir…

Mais hélas ! il n’y fallait plus songer… il était sillonné de grandes flammes bleues… on eût dit que les Martiens venaient soudain de mettre le feu à un punch gigantesque…

À l’intérieur du Cosmos, la chaleur redoublait ; le thermomètre marquait maintenant 62°… et la lumière ardente braquée sur notre pauvre véhicule semblait, de seconde en seconde, croître en intensité.

Il était évident que MM. les Martiens voulaient tout simplement nous flamber comme des poulets.

– Il faut sortir ! rugit le docteur…

– Sortir !… m’exclamai-je…

– Aimez-vous mieux être brûlé vif… vous ne comprenez donc point que nous n’avons plus que cette ressource ?…

– Oui… murmurai-je… C’en est fait de nous… il n’y a plus qu’à choisir entre l’incinération ou…, quelque torture peut-être plus épouvantable…

– Ah ! crédié, hurla Fred… je vous promets qu’on se défendra…

Et il s’empara d’un grand levier de fer… son arme favorite. Quant à moi, j’empoignai mon Winchester…

Le docteur prit un revolver Browning à balles explosibles et ouvrit précipitamment le hublot d’arrière…

D’un bond, Fred fut dehors, et commença avec son levier à exécuter de terribles moulinets… Quand nous le rejoignîmes, il avait déjà fait plus de vingt victimes et, tout en frappant à tour de bras, il monologuait de sa grosse voix de basse :

– Tiens ! attrape !… à toi, vilain macaque !… Ah ! les affreux singes, ils voulaient me cerner !… Ça ne prend pas… mes bichons !… Vous ne vous êtes pas levés assez matin pour cela… Tenez !… parez celui-là… et encore celui-là… et puis cet autre-ci !…

Et chacune de ses phrases était suivie d’un bruit indiquant que le levier avait touché juste…

Trois nains, noirs comme des Cafres, s’étaient jetés sur le docteur et allaient le percer à l’aide de lames effilées.

Mais le savant les avait prévenus et trois balles explosibles firent voler en éclats les têtes de ces agresseurs trop osés… De mon côté, avec mon Winchester, je fis une sérieuse trouée dans le flot serré des Martiens…

Déjà, nous chantions victoire, croyant nos ennemis en déroute, et nous nous apprêtions même à regagner le Cosmos avec la dignité sereine de dieux olympiens, quand nous trébuchâmes soudain et fûmes précipités sur le sol… Nous tentâmes de nous relever, mais des lacs menus nous entourèrent les membres et plus nous faisions d’efforts pour nous dégager, plus nous nous empêtrions dans l’espèce de filet métallique que les Martiens déroulaient sous nos pas… Bientôt nous fûmes pris comme de pauvres mouches dans la toile d’une araignée et nos bras et nos jambes se trouvèrent immobilisés…

Tout cela s’était passé si rapidement que nous n’avions même pas eu le temps de nous rendre compte de ce qui nous arrivait…

Quand nous fûmes réduits à l’impuissance, les Martiens se rapprochèrent et nous les entendîmes frapper le sol avec frénésie… M’étant alors retourné sur le côté, je vis qu’ils plantaient en terre des piquets de fer autour desquels ils enroulaient de nouveaux fils qui ne tardèrent pas à former comme une cage au dessus de nous !…

Cette fois c’en était fait… nous étions prisonniers !…

Un espoir me restait. J’avais conservé ma carabine et je comptais bien dépêcher encore quelques-uns de ces horribles gnomes vers ce que nous appelons sur terre l’autre monde, lorsque je ressentis à la main droite une brûlure si douloureuse que je lâchai mon arme et les Martiens l’attirèrent à eux au moyen de crochets de fer… J’étais perdu… Une rage folle m’envahit et je me mis à hurler comme un fauve.

Effrayés par le bruit de ma voix qui dut leur paraître formidable, nos ennemis s’enfuirent dans toutes les directions… Mais cette panique ne dura qu’un instant et ils revinrent bientôt près de nous… Je les entendais glisser sur la terre… et ils poussaient un petit cri lugubre assez semblable à celui du chat-huant… Parfois ce cri s’atténuait et devenait alors une sorte de modulation confuse qui avait quelque chose d’impressionnant… Cela tenait à la fois d’un râle et d’un ricanement…

Fred et le docteur étaient étendus à quelques mètres de moi… De la façon dont j’étais placé, j’apercevais le crâne du savant qui luisait comme une petite lune sous les feux des Martiens…

– Docteur… docteur… m’écriai-je… avez-vous toujours votre revolver ?…

– Oui… me répondit-il, mais je ne puis m’en servir, j’ai les mains entravées.

Je poussai un juron formidable… puis, une réaction subite s’opéra en moi et je me mis à pleurer… oui, à pleurer comme un enfant…

Le docteur essaya de me consoler, mais je l’invectivai avec la dernière violence. Je lui reprochai de nous avoir ainsi exposés à la plus affreuse des morts… et tout cela… pour satisfaire une ridicule curiosité…

– Voilà, grinçai-je… où nous ont conduits vos stupides inventions… Vous vous croyez un grand savant… mais vous êtes aussi borné qu’un mollusque… Quand on entreprend un voyage comme celui-ci, on doit avoir au moins les moyens de repousser les ennemis que l’on peut rencontrer… Ainsi, à cause de vous, nous allons périr dans les tortures… ces Martiens sont capables de tous les raffinements… ils vont certainement nous rôtir à petit feu…

Un sanglot de Fred me répondit…

– Courage ! murmura le docteur.

– Ah ! cela vous est facile à dire… hurlai-je écumant… courage… je sais bien qu’il en faut du courage… si encore… je pouvais me loger une balle dans la tête… mais non… je n’ai même pas cette suprême ressource… Ah ! misérable docteur… soyez maudit… oui… maudit… vous entendez !…

Le vieux savant poussa un profond soupir. Je vis sa tête chauve osciller à ras du sol… et j’entendis ces mots qu’il prononça très bas :

– Pardonnez-moi, monsieur Borel !

Cela avait été dit d’une voix si douloureuse que je regrettai de m’être montré aussi dur envers un vieillard qui, somme toute, ne m’avait pas forcé à l’accompagner dans l’autre monde… J’étais libre de refuser de lui servir de second… quelle stupide fatalité m’avait poussé à prendre part à cette affreuse expédition !

Toute la nuit nous restâmes rivés au sol…

Quand le jour parut, une grande agitation se manifesta parmi les Martiens… Ce fut un trépignement formidable… un vacarme ininterrompu…

Nous devinâmes qu’une foule avide se pressait pour nous voir… De temps à autre, on percevait un roulement comparable à celui d’un chariot évoluant sur un plancher de bois, puis des sifflets aigus et le bruit de roues qui tournaient avec un ronflement sonore…

Enfin, nous sentîmes que nos liens se desserraient peu à peu…

Les fils qui nous retenaient ne nous fixaient plus à terre comme précédemment. Nous remarquâmes même que ceux qui entouraient notre corps avaient été enlevés… seuls nos bras et nos jambes étaient toujours étroitement ligotés…

Au prix d’efforts inouïs nous parvînmes à nous asseoir…

Alors… le spectacle qui s’offrit à mes yeux demeurera éternellement gravé dans mon esprit…

À perte de vue c’était une mer humaine… un véritable océan de têtes… Il y avait là des milliers d’êtres étranges qui ne ressemblaient en rien à ceux que nous avions rencontrés dans les régions glaciaires.

Bien qu’ils fussent petits et malingres, ils étaient cependant beaucoup mieux conformés que leurs frères polaires. Ils pouvaient mesurer de la tête aux pieds entre quarante et quarante-cinq centimètres ; leur figure, d’une couleur de chair jaunâtre, parcheminée, était bleutée autour de la bouche et du nez comme chez les orangs-outangs. Leur corps était, pour sa petitesse, assez volumineux et donnait à l’ensemble de l’individu une apparence de rotondité singulièrement cocasse. Ils avaient de gros yeux ronds sans paupières et leur nez prodigieusement retroussé laissait voir deux narines sanguinolentes.

On devinait toutefois que ces êtres grotesques ne devaient pas être dépourvus d’intelligence ; leur front était vaste, très bien conformé et leur regard avait quelque chose d’ironique…

En avant de la foule se tenaient quatre Martiens qui, à en juger par le respect dont on les entourait, devaient être des chefs… Ils nous montraient au peuple et faisaient des signes bizarres auxquels les petits hommes répondaient par des cris variés…

– Notre sort se règle en ce moment, dis-je au docteur…

– Oui, fit-il sourdement…

– Que vont-ils décider ?

– Il est à peu près certain qu’ils ne nous tueront pas tout de suite…

– Vous croyez ?…

– J’en suis persuadé… Voyez avec quel intérêt ils nous regardent ; avant de nous mettre à mal ils ne se feront pas faute de nous examiner en détail…

Le docteur avait vu juste.

Les quatre Martiens, qui paraissaient avoir sur la foule une grande autorité, s’approchèrent de nous, non sans effroi, et nous considérèrent avec une curiosité évidente qui se traduisait par de petits cris aigus et des gestes rapides.

À un moment, un des quatre nains s’approcha de moi et, avec une audace qui stupéfia ses camarades, me toucha la tête… puis il fit un bond en arrière… en répétant par trois fois :

Oyaou !… oyaou !… oyaou !…

C’était la première fois que je parvenais à saisir un mot martien…

Imitant la petite voix flûtée de nos ennemis, je répétai :

– « Oyaou !… oyaou !… »

L’effet fut prodigieux…

Les Martiens poussèrent de petits gloussements de poussins et leur cercle se rétrécit à tel point que les quatre chefs, refoulés par le nombre, faillirent être précipités sur nous…

Mais le docteur ayant fait un mouvement, la foule recula terrifiée…

Les chefs en profitèrent pour donner des ordres et, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, une solide barrière de métal nous sépara des curieux.

Comment ce barrage avait-il pu être si rapidement établi ? Par quel procédé mécanique avait-il été mis en mouvement ? En regardant bien, j’aperçus des treuils roulants qui remontaient vers un grand échafaudage ayant un peu la forme, en plus petit, de notre Tour Eiffel… Décidément les Martiens étaient des constructeurs consommés…

Tout chez eux était actionné par des moteurs invisibles… Ces nains difformes et débiles savaient commander à la force…

Il était impossible que des êtres aussi intelligents eussent la cruauté des Caraïbes ou des Canaques.

J’en étais là de mes réflexions quand je vis la multitude qui nous environnait s’écarter précipitamment, comme une bande de manifestants à l’approche de la police, et presque aussitôt un bruit comparable à celui d’un tuyau d’arrosage roulant sur ses galets attira mon attention…

– Avez-vous idée de ce que cela peut être ? demandai-je au docteur avec inquiétude.

– Regardez… fit-il.

– Je ne vois rien…

– Et ces plates-formes ?

En effet, j’aperçus, glissant à ras du sol, des masses brillantes qui avançaient insensiblement vers nous.

– Mon Dieu, ils veulent nous écraser, s’écria Fred…

– Non… Tranquillise-toi, du moins pour le moment dit le docteur Oméga… Ce sont nos voitures que l’on fait avancer…

De petites explosions sortaient du sol, des battements saccadés comme ceux d’une bielle en action se mêlaient à un roulement continu qui rappelait aussi, mais en plus faible, celui d’un trottoir roulant.

Puis le silence se fit tout à coup…

Les plates-formes n’étaient qu’à quelques mètres de nous.

Les chefs martiens paraissaient perplexes… leurs gros yeux roulaient avec vivacité…

Enfin l’un d’eux – un ingénieur sans doute – s’approcha d’une équipe de nains et leur dit quelques mots.

Maintenant je comprenais la manœuvre à laquelle allaient procéder nos ennemis.

Ils voulaient nous placer sur ces plates-formes roulantes pour nous emmener sans doute au centre de la ville…

J’attendais, non sans émotion, le résultat de ces préparatifs, quand, ayant par hasard levé les yeux, j’aperçus au-dessus de ma tête une sorte de griffe de fer qui se balançait avec la régularité d’une pendule…

On allait nous soulever à l’aide d’une grue et nous placer sur les plates-formes.

Les fils qui m’entouraient furent subitement tirés, la griffe me saisit absolument comme l’eût fait une grande main humaine et je me sentis enlevé de terre.

Quand je repris pied ou, pour parler plus exactement, quand je reposai sur la plaque qui devait me servir de voiture, je fus aussitôt ligoté automatiquement sans que j’eusse pu me rendre compte du moyen que les Martiens employaient pour ce ficelage d’un nouveau genre…

Quelques minutes après, je roulais, couché sur le dos, à une allure qui me sembla des plus rapides…

Notre voyage dura environ une heure… peut-être plus… puis le chariot s’arrêta.

– Docteur !… docteur ! criai-je ! êtes-vous là ?

Aucune voix ne me répondit.

– Docteur !… Fred !… Mes amis ! hurlai-je désespérément…

Je n’entendis qu’un grand murmure… une sorte de bourdonnement, puis un câble grinça et je me sentis descendre comme si j’eusse été jeté dans un ascenseur.

Peu à peu le jour s’atténua, puis un léger choc m’avertit que j’étais arrivé à destination.

Tant que j’avais été en plein air, entouré du docteur et de Fred, j’avais encore conservé une lueur d’espoir… Maintenant que j’étais seul, cloué sur mon chariot comme Damiens sur son lit de douleur, tout courage m’abandonna…

Cette fois… je le pressentais… c’était la fin…

Je regardai autour de moi ; je ne vis qu’une muraille unie sur laquelle couraient par instants des filets de lumière violette. Le trou par lequel j’étais descendu s’était refermé et j’apercevais au-dessus de moi un grand plafond convexe. L’atmosphère était considérablement lourde. Je ne sais pourquoi, j’avais l’idée que ce plafond, qui semblait de plomb, allait s’affaisser subitement pour m’écraser… Cela devint même une obsession et, à chaque minute, je m’attendais à le voir glisser vers moi.

Mais tout à coup le gouffre dans lequel je me trouvais s’éclaira insensiblement, et je vis des bandes de Martiens descendre comme des araignées le long de la muraille…

Pensant les attendrir, je murmurai très doucement, avec une inflexion de voix caressante :

Oyaoû !… oyaoû !…

Ces mots, qui n’avaient pour moi aucune signification, furent compris des affreux nains, car ils les répétèrent d’un air étonné en y ajoutant ces quatre syllabes bizarres : lo-hou-tou-zeï. Je sentis bientôt mes liens se desserrer, puis je fus soulevé de terre et transporté dans un recoin où deux chaînes m’emprisonnèrent instantanément les jambes et les poignets.

Oyaoû !… oyaoû !… répétai-je tristement…

Mais cette fois mes ennemis ne m’entendirent pas…

Une vive lumière venait d’embraser le souterrain et j’aperçus sous une voûte où flottait une buée mauve, deux Martiens qui s’avançaient suivis d’un nombreux cortège.

Ils me parurent plus grands que leurs congénères ; s’ils avaient comme eux des membres tordus et grêles, par contre leur tête était énorme… volumineuse…

Vous avez quelquefois vu dans les rébus de ces figures bizarres, représentant une citrouille supportée par une caricature de corps humain.

Les deux arrivants avaient absolument cette forme. À mesure qu’ils approchaient, je pouvais détailler leur physionomie… Ils étaient d’une laideur comique et, en toute autre circonstance, j’aurais éclaté de rire en les apercevant.

Mais à leur vue un frisson me secoua de la tête aux pieds ; quelque chose me disait que ces êtres grotesques devaient être mes juges… que de l’énorme boule qui leur servait de tête allait sortir, ou ma grâce… ou mon arrêt de mort.

Je pris une attitude des plus humbles et attendis… le cœur serré…

Arrivés à quelques pas de moi ils s’arrêtèrent et demeurèrent la bouche ouverte… sans faire un mouvement.

Il était évident que je les étonnais…

S’étant retournés vers leurs suivants, ils donnèrent quelques ordres et aussitôt la muraille à laquelle j’étais attaché, et qui était en deux parties, pivota lentement, découvrant une autre pièce dans laquelle j’aperçus, enchaînés comme moi, le docteur et Fred…

Je poussai un cri de joie…

Les deux hydrocéphales reculèrent épouvantés ; il y eut même, parmi les assistants, un commencement de panique…

Je compris que mon exclamation avait produit sur les tympans délicats des Martiens l’effet d’un coup de tonnerre…

Pour les rassurer, je pris une figure souriante et prononçai doucement :

Oyaoû !…

Les gnomes à grosse tête se rapprochèrent curieusement et eurent même la hardiesse de se camper à un mètre de moi…

Mais on leur fit sans doute remarquer combien ils étaient imprudents, car ils reculèrent de quelques pas. Puis ils se dirigèrent vers Fred et le docteur.

Celui-ci parut les étonner tout particulièrement, sans doute à cause de son crâne dénudé qui avait quelque ressemblance avec le leur…

L’un d’eux prononça ce mot bizarre :

Vuitt !…

Vuitt !… répondit le docteur…

Les « macrocéphales » se regardèrent étonnés et se cognèrent réciproquement le front, ce qui était sans doute une façon de se communiquer leurs impressions.

Ensuite ils se retournèrent vers les assistants et prononcèrent une longue phrase de laquelle je ne retins que ces mots : zioaouiotaï

Des acclamations discrètes leur répondirent…

Alors les deux Martiens à grosse tête prirent chacun une tige de fer et nous palpèrent à distance… Ils semblèrent très surpris que notre corps ne fût pas plus résistant… Ils nous prenaient sans doute pour des hommes de roc…

Leur inspection terminée, ils sortirent gravement avec leur suite et tous les assistants qui se trouvaient dans le souterrain leur firent escorte.

Quand ils eurent disparu, je me tournai vers le docteur :

– Eh bien ?… lui dis-je.

– Nous sommes perdus !… répondit-il.

– Vous avez compris ce qu’ils ont dit ?

– Non… mais j’ai deviné qu’ils veulent nous conserver comme des animaux rares.

– Nous leur échapperons alors !…

– Jamais… s’écria le docteur… jamais, entendez-vous… Nous sortirons sans doute d’ici… nous pourrons peut-être un jour ou l’autre errer librement parmi ces êtres immondes… mais pour leur échapper… jamais… Vous n’avez pas vu ce qui s’est passé tout à l’heure… vous étiez déjà parti dans le chariot… Eh bien ! à l’aide de puissants outils actionnés par une force inconnue… les Martiens ont détruit… mis en pièces le Cosmos… oui… mon ami… sous mes yeux… notre pauvre Cosmos ! mon cher Cosmos !…

 

 

Chapitre 10 - Le Grand Razaïou

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021