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Frères d’Afrique - Georges Sylvain (1866 - 1925)


 

 

 

Pour mon père.

 

 

 

Le soir, quand la pensée ouvre grande son aile

Et prend à l’horizon un essor incertain,

J’ai souvent tressailli de pitié fraternelle,

En songeant aux damnés de l’enfer africain.

 

Deux à deux, à pas lents, sous leurs charges d’ivoire

Courbant leurs dos meurtris, ils vont silencieux.

Le sang de tons vermeils marque l’épaule noire.

Et le sable brûlant met des pleurs dans les yeux.

 

Ils vont, exténués ! La lanière du guide

Arrache à leur torpeur des gémissements sourds ;

Une haleine de feu sort de leur gorge aride :

Sans entendre, sans voir, ils vont, ils vont toujours !

 

Quelquefois, espérant tromper leur agonie,

Ils exhalent en chœur un étrange concert,

Qui monte, avec l’accent d’une angoisse infinie,

Au milieu du silence effrayant du désert.

 

Combien se sont couchés sous ces rideaux de flammes,

Loin des nappes d’eau vive et des arbres ombreux

Que leur fièvre évoquait !... — Ce sont pourtant des âmes,

Et le Dieu du Calvaire est mort aussi pour eux !

 

S’ils pouvaient à loisir, par les nuits étoilées,

S’enivrer du parfum des bosquets rajeunis ;

Si l’aube les berçait parfois, dans les vallées,

Au frais gazouillement des sources et des nids,

 

Ils ne seraient pas moins savants que nous ne sommes ;

L’amour leur parlerait un langage aussi doux ;

Et nous serions surpris de voir en eux des hommes

Plus sincèrement bons que la plupart de nous !

 

Mais jusqu’à l’heure où ceux qui se disent leurs frères

— Et qui vivent loin d’eux — voudront se souvenir,

Ils vont par les chemins où sont passés nos pères,

Et pensent que leur tour est bien lent à venir !

 

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021