BIBLIOBUS Littérature française

Aubigné (Théodore Agrippa d')

                Théodore Agrippa d' Aubigné
   

A l'éclair violent de ta face divine



A l'éclair violent de ta face divine,
N'étant qu'homme mortel, ta céleste beauté
Me fit goûter la mort, la mort et la ruine
Pour de nouveau venir à l'immortalité.


Ton feu divin brûla mon essence mortelle,
Ton céleste m'éprit et me ravit aux Cieux,
Ton âme était divine et la mienne fut telle :
Déesse, tu me mis au rang des autres dieux.

Ma bouche osa toucher la bouche cramoisie
Pour cueillir, sans la mort, l'immortelle beauté,
J'ai vécu de nectar, j'ai sucé l'ambroisie,
Savourant le plus doux de la divinité.

Aux yeux des Dieux jaloux, remplis de frénésie,
J'ai des autels fumants comme les autres dieux,
Et pour moi, Dieu secret, rougit la jalousie
Quand mon astre inconnu a déguisé les Cieux.

Même un Dieu contrefait, refusé de la bouche,
Venge à coups de marteaux son impuissant courroux,
Tandis que j'ai cueilli le baiser et la couche
Et le cinquième fruit du nectar le plus doux.

Ces humains aveuglés envieux me font guerre,
Dressant contre le ciel l'échelle, ils ont monté,
Mais de mon paradis je méprise leur terre
Et le ciel ne m'est rien au prix de ta beauté.




Vous qui avez écrit qu'il n'y a plus en terre
De nymphe porte-flèche errante par les bois,
De Diane chassante, ainsi comme autrefois
Elle avait fait aux cerfs une ordinaire guerre,

Voyez qui tient l'épieu ou échauffe l'enferre ?
Mon aveugle fureur, voyez qui sont ces doigts
D'albâtre ensanglantés, marquez bien le carquois,
L'arc et le dard meurtrier, et le coup qui m'atterre,

Ce maintien chaste et brave, un cheminer accort.
Vous diriez à son pas, à sa suite, à son port,
A la face, à l'habit, au croissant qu'elle porte,

A son oeil qui domptant est toujours indompté,
A sa beauté sévère, à sa douce beauté,
Que Diane me tue et qu'elle n'est pas morte.

A longs filets de sang ce lamentable corps



A longs filets de sang ce lamentable corps
Tire du lieu qu'il fuit le lien de son âme,
Et séparé du coeur qu'il a laissé dehors,
Dedans les forts liens et aux mains de sa dame,
Il s'enfuit de sa vie et cherche mille morts.

Plus les rouges destins arrachent loin du coeur
Mon estomac pillé, j'épanche mes entrailles
Par le chemin qui est marqué de ma douleur.
La beauté de Diane ainsi que des tenailles
Tirent l'un d'un côté, l'autre suit le malheur.

Qui me voudra trouver détourne par mes pas,
Par les buissons rougis, mon corps de place en place,
Comme un vaneur baissant la tête contre bas
Suit le sanglier blessé aisément à la trace,
Et le poursuit à l'oeil jusqu'au lieu du trépas.

Diane, qui voudra me poursuivre en mourant,
Qu'on écoute les rocs résonner mes querelles,
Qu'on suive pour mes pas de larmes un torrent,
Tant qu'on trouve séché de mes peines cruelles
Un coffre, ton portrait, et rien au demeurant.

Les champs sont abreuvés après moi de douleurs,
Le souci, l'encolie, et les tristes pensées
Renaissent de mon sang et vivent de mes pleurs,
Et des cieux les rigueurs contre moi courroucées
Font servir mes soupirs à éventer ses fleurs.

Un bandeau de fureur épais presse mes yeux
Qui ne discernent plus le danger ni la voie,
Mais ils vont effrayant de leur regard les lieux
Où se trame ma mort, et ma présence effraie
Ce qu'embrassent la terre et la voûte des cieux. [...]

Voici la mort du ciel...

Voici la mort du ciel en l'effort douloureux
Qui lui noircit la bouche et fait saigner les yeux.
Le ciel gémit d'ahan, tous ses nerfs se retirent,
Ses poumons près à près sans relâche respirent.
Le soleil vêt de noir le bel or de ses feux,
Le bel oeil de ce monde est privé de ses yeux ;
L'âme de tant de fleurs n'est plus épanouie,
Il n'y a plus de vie au principe de vie :
Et, comme un corps humain est tout mort terrassé
Dès que du moindre coup au coeur il est blessé,
Ainsi faut que le monde et meure et se confonde
Dès la moindre blessure au soleil, coeur du monde.
La lune perd l'argent de son teint clair et blanc,
La lune tourne en haut son visage de sang ;
Toute étoile se meurt : les prophètes fidèles
Du destin vont souffrir éclipses éternelles.
Tout se cache de peur : le feu s'enfuit dans l'air,
L'air en l'eau, l'eau en terre ; au funèbre mêler
Tout beau perd sa couleur.

(v. 913-931)

Accourez au secours de ma mort violente

Accourez au secours de ma mort violente,
Amants, nochers experts en la peine où je suis,
Vous qui avez suivi la route que je suis
Et d'amour éprouvé les flots et la tourmente.

Le pilote qui voit une nef périssante,
En l'amoureuse mer remarquant les ennuis
Qu'autrefois il risqua, tremble et lui est avis
Que d'une telle fin il ne perd que l'attente.

Ne venez point ici en espoir de pillage :
Vous ne pouvez tirer profit de mon naufrage,
Je n'ai que des soupirs, de l'espoir et des pleurs.

Pour avoir mes soupirs, les vents lèvent les armes.
Pour l'air sont mes espoirs volagers et menteurs,
La mer me fait périr pour s'enfler de mes larmes.

Usons ici le fiel de nos fâcheuses vies



... Usons ici le fiel de nos fâcheuses vies,
Horriblant de nos cris les ombres de ces bois :
Ces roches égarées, ces fontaines suivies
Par l'écho des forêts répondront à nos voix.

Les vents continuels, l'épais de ces nuages,
Ces étangs noirs remplis d'aspics, non de poissons,
Les cerfs craintifs, les ours et lézardes sauvages
Trancheront leur repos pour ouïr mes chansons.

Comme le feu cruel qui a mis en ruine
Un palais, forcenant léger de lieu en lieu,
Le malheur me dévore, et ainsi m'extermine
Le brandon de l'amour, l'impitoyable dieu.

Hélas ! Pans forestiers et vous faunes sauvages,
Ne guérissez-vous point la plaie qui me nuit,
Ne savez-vous remède aux amoureuses rages,
De tant de belles fleurs que la terre produit ?

Au secours de ma vie ou à ma mort prochaine
Accourez, déités qui habitez ces lieux,
Ou soyez médecins de ma sanglante peine,
Ou faites les témoins de ma perte vos yeux.

Relégué parmi vous, je veux qu'en ma demeure
Ne soit marqué le pied d'un délicat plaisir,
Sinon lorsqu'il faudra que consommé je meure,
Satisfait du plus beau de mon triste désir.

Le lieu de mon repos est une chambre peinte
De mil os blanchissants et de têtes de morts,
Où ma joie est plus tôt de son objet éteinte :
Un oubli gracieux ne la pousse dehors.

Sortent de là tous ceux qui ont encore envie
De semer et chercher quelque contentement,
Viennent ceux qui voudront me ressembler de vie
Pourvu que l'amour soit cause de leur tourment.

Je mire en adorant dans une anatomie
Le portrait de Diane entre les os, afin
Que voyant sa beauté ma fortune ennemie
L'environne partout de ma cruelle fin.

Dans le corps de la mort j'ai enfermé ma vie,
Et ma beauté paraît horrible entre les os.
Voilà comment ma joie est de regret suivie,
Comment de mon travail ma mort seule a repos. [...]


 

Au temps que la feille blesme

Au temps que la feille blesme
Pourrist languissante à bas,
J'allois esgarant mes pas
Pensif, honteux de moy mesme,
Pressant du pois de mon chef
Mon menton sur ma poitrine,
Comme abatu de ruine
Ou d'un horrible meschef.

Après, je haussois ma veuë,
Voiant, ce qui me deplaist,
Gemir la triste forest
Qui languissoit toute nuë,
Veufve de tant de beautez
Que les venteuses tempestes
Briserent depuis les festes
Jusqu'aux piedz acraventez.

Où sont ces chesnes superbes,
Ces grands cedres hault montez
Quy pourrissent leurs beautez
Parmy les petites herbes ?
Où est ce riche ornement,
Où sont ces espais ombrages
Qui n'ont sçeu porter les rages
D'un automne seulement ?

Ce n'est pas la rude escorce
Qui tient les trons verdissans :
Les meilleurs, non plus puissans,
Ont plus de vie et de force,
Tesmoin le chaste laurier
Qui seul en ce temps verdoie
Et n'a pas esté la proie
D'un yver fascheux et fier.

Quant aussi je considere
Un jardin veuf de ses fleurs,
Où sont ses belles couleurs
Qui y florissoient naguere,
Où si bien estoient choisis
Les bouquets de fleurs my escloses,
Où sont ses vermeilles rozes
Et ses oillets cramoisis ?

J'ai bien veu qu'aux fleurs nouvelles,
Quant la rose ouvre son sein,
Le barbot le plus villain
Ne ronge que les plus belles :
N'ay je pas veu les teins vers,
La fleur de meilleure eslitte,
Le lys et la margueritte,
Se ronger de mille vers ?

Mais du myrthe verd la feuille
Vit tousjours et ne luy chault
De vent, de froit, ny de chault,
De ver barbot, ny abeille
Tousjours on le peut cuillir
Au printemps de sa jeunesse,
Ou quant l'yver qui le laisse
Fait les autres envieillir.

Entre un milion de perles
Dont les carquans sont bornez
Et dont les chefz sont ornez
De nos nimphes les plus belles,
Une seulle j'ai trouvé
Qui n'a tache, ne jaunisse,
Ne obscurité, ne vice,
Ni un gendarme engravé.

J'ay veu parmi nostre France
Mille fontaines d'argent,
Où les nimphes vont nageant
Et y font leur demourance ;
Mille chatouilleux zephirs
De mille plis les font rire :
Là on trompe son martire
D'un milion de plaisirs.

Mais un aspit y barbouille,
Ou le boire y est fiebvreux,
Ou le crapault venimeux
Y vit avecq' la grenoille.
Ô mal assise beauté !
Beauté comme mise en vente,
Quand chascun qui se presente
Y peut estre contenté !

J'ay veu la claire fontaine
Où ces vices ne sont pas,
Et qui en riant en bas
Les clairs diamens fontaine :
Le moucheron seulement
Jamais n'a peu boire en elle,
Aussi sa gloire immortelle
Florist immortellement.

J'ai veu tant de fortes villes
Dont les clochers orguilleux
Percent la nuë et les cieux
De piramides subtiles,
La terreur de l'univers,
Braves de gendarmerie,
Superbes d'artillerie,
Furieuses en boulevers :

Mais deux ou trois fois la fouldre
Du canon des ennemis
A ses forteresses mis
Les piedz contremont en pouldre :
Trois fois le soldat vengeant
L'yre des Dieux alumée,
Horrible en sang, en fumée,
La foulla, la sacageant.

Là n'a flory la justice,
Là le meurtre ensanglanté
Et la rouge cruauté
Ont heu le nom de justice,
Là on a brisé les droitz,
Et la rage envenimée
De la populace armée
A mis soubz les pieds les loix.

Mais toy, cité bien heureuse
Dont le palais favory
A la justice cheri,
Tu regne victorieuse :
Par toy ceux là sont domtez
Qui en l'impudique guerre
Ont tant prosterné à terre
De renoms et de beautez.

Tu vains la gloire de gloire,
Les plus grandes de pouvoir,
Les plus doctes de savoir,
Et les vaincueurs de victoire,
Les plus belles de beauté,
La liberté par la crainte,
L'amour par l'amitié sainte,
Par ton nom l'eternité.

Au tribunal d'amour, après mon dernier jour



Au tribunal d'amour, après mon dernier jour,
Mon coeur sera porté diffamé de brûlures,
Il sera exposé, on verra ses blessures,
Pour connaître qui fit un si étrange tour,

A la face et aux yeux de la Céleste Cour
Où se prennent les mains innocentes ou pures ;
Il saignera sur toi, et complaignant d'injures
Il demandera justice au juge aveugle Amour :

Tu diras : C'est Vénus qui l'a fait par ses ruses,
Ou bien Amour, son fils : en vain telles excuses !
N'accuse point Vénus de ses mortels brandons,

Car tu les as fournis de mèches et flammèches,
Et pour les coups de trait qu'on donne aux Cupidons
Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flèches.

 

Auprès de ce beau teint, le lys en noir se change



Auprès de ce beau teint, le lys en noir se change,
Le lait est basané auprès de ce beau teint,
Du cygne la blancheur auprès de vous s'éteint
Et celle du papier où est votre louange.

Le sucre est blanc, et lorsqu'en la bouche on le range
Le goût plait, comme fait le lustre qui le peint.
Plus blanc est l'arsenic, mais c'est un lustre feint,
Car c'est mort, c'est poison à celui qui le mange.

Votre blanc en plaisir teint ma rouge douleur,
Soyez douce du goût, comme belle en couleur,
Que mon espoir ne soit démenti par l'épreuve,

Votre blanc ne soit point d'aconite noirci,
Car ce sera ma mort, belle, si je vous trouve
Aussi blanche que neige, et froide tout ainsi.

Bien que la guerre soit âpre, fière et cruelle



Bien que la guerre soit âpre, fière et cruelle
Et qu'un douteux combat dérobe la douceur,
Que de deux camps mêlés l'une et l'autre fureur
Perde son espérance, et puis la renouvelle,

Enfin, lors que le champ par les plombs d'une grêle
Fume d'âmes en haut, ensanglanté d'horreur,
Le soldat déconfit s'humilie au vainqueur,
Forçant à jointes mains une rage mortelle.

Je suis porté par terre, et ta douce beauté
Ne me peut faire croire en toi la cruauté
Que je sens au frapper de ta force ennemie :

Quand je te crie merci, je me mets à raison,
Tu ne veux me tuer, ni m'ôter de prison
Ni prendre ma rançon, ni me donner la vie.

Ce doux hiver qui égale ses jours



Ce doux hiver qui égale ses jours
A un printemps, tant il est aimable,
Bien qu'il soit beau, ne m'est pas agréable,
J'en crains la queue, et le succès toujours.

J'ai bien appris que les chaudes amours,
Qui au premier vous servent une table
Pleine de sucre et de mets délectable,
Gardent au fruit leur amer et leurs tours.

Je vois déjà les arbres qui boutonnent
En mille noeuds, et ses beautés m'étonnent,
En une nuit ce printemps est glacé,

Ainsi l'amour qui trop serein s'avance,
Nous rit, nous ouvre une belle apparence,
Est né bien tôt bien tôt effacé.

 

Ne lisez pas ces vers, si mieux vous n'aimez lire

 

Ne lisez pas ces vers, si mieux vous n'aimez lire
Les escrits de mon coeur, les feux de mon martyre :
Non, ne les lisez pas, mais regardez aux Cieux,
voyez comme ils ont joint leurs larmes à mes larmes,
Oyez comme les vents pour moy levent les armes,
A ce sacré papier ne refusez vos yeux.

Boute-feux dont l'ardeur incessamment me tuë,
Plus n'est ma triste voix digne if estre entenduë :
Amours, venez crier de vos piteuses voix
Ô amours esperdus, causes de ma folie,
Ô enfans insensés, prodigues de ma vie,
Tordez vos petits bras, mordez vos petits doigts.

Vous accusez mon feu, vous en estes l'amorce,
Vous m'accusez d'effort, et je n'ay point de force,
Vous vous plaignez de moy, et de vous je me plains,
Vous accusez la main, et le coeur luy commande,
L'amour plus grand au coeur, et vous encor plus grande,
Commandez à l'amour, et au coeur et aux mains.

Mon peché fut la cause , et non pas l'entreprendre;
Vaincu, j'ay voulu vaincre, et pris j'ay voulu prendre.
Telle fut la fureur de Scevole Romain :
Il mit la main au feu qui faillit à l'ouvrage,
Brave en son desespoir, et plus brave en sa rage,
Brusloit bien plus son coeur qu'il ne brusloit sa main.

Mon coeur a trop voulu, ô superbe entreprise,
Ma bouche d'un baiser à la vostre s'est prise,
Ma main a bien osé toucher à vostre sein,
Qu'eust -il après laissé ce grand coeur d 'entreprendre,
Ma bouche vouloit l'ame à vostre bouche rendre,
Ma main sechoit mon coeur au lieu de vostre sein.

N'est-ce point sans raison que ces champis désirent

 

N'est-ce point sans raison que ces champis désirent
Etre sur les humains respectés en tous lieux,
Car ils sont demi-dieux, puisque leurs pères tirent
Leur louable excrément de substance des Dieux.

Et si vous adorez un ciboire pour être
Logis de votre Dieu, vous devez, sans mentir,
Adorer ou le ventre ou bien le cul d'un Prêtre,
Quand ce Dieu même y loge et est prêt d'en sortir.

Tout ce que tient le Prêtre en sa poche, en sa manche,
En sa braguette est saint et de plus je vous dis
Qu'en ayant déjeuné de son Dieu le dimanche,
Vous devez adorer son étron du lundi.

Trouvez-vous cette phrase et dure et messéante ?
Le prophète Esaïe en traitant de ce point
En usait, appelant vos Dieux Dieux de fiente,
Or digérez le tout et ne m'en laissez point.


Dans le parc de Thalcy, j'ai dressé deux plançons



Dans le parc de Thalcy, j'ai dressé deux plançons
Sur qui le temps faucheur ni l'ennuyeuse estorse*
Des filles de la nuit jamais n'aura de force,
Et non plus que mes vers n'éteindra leurs renoms.

J'ai engravé dessus deux chiffres nourrissons
D'une ferme union qui, avec leur écorce,
Prend croissance et vigueur, et avecq'eux s'efforce
D'accroître l'amitié comme croissent les noms.

Croissez, arbres heureux, arbres en qui j'ai mis
Ces noms, et mon serment, et mon amour promis.
Auprès de mon serment, je mets cette prière :

" Vous, nymphes qui mouillez leurs pieds si doucement,
Accroissez ses rameaux comme croît ma misère,
Faites croître ses noms ainsi que mon tourment. "


(*) attaque

Diane, ta coutume est de tout déchirer



Diane, ta coutume est de tout déchirer,
Enflammer, débriser, ruiner, mettre en pièces,
Entreprises, desseins, espérances, finesses,
Changeant en désespoir ce qui fait espérer.

Tu vois fuir mon heur, mon ardeur empirer,
Tu m'as sevré du lait, du miel de tes caresses,
Tu resondes les coups dont le coeur tu me blesses,
Et n'as autre plaisir qu'à me faire endurer.

Tu fais brûler mes vers lors que je t'idolâtre,
Tu leur fais avoir part à mon plus grand désastre :
" Va au feu, mon mignon, et non pas à la mort,

Tu es égal à moi, et seras tel par elle ".
Diane repens-toi, pense que tu as tort
Donner la mort à ceux qui te font immortelle.

En mieux il tournera l'usage des cinq sens



En mieux il tournera l'usage des cinq sens.
Veut-il suave odeur ? il respire l'encens
Qu'offrit jésus en croix, qui en donnant sa vie
Fut le prêtre, l'autel et le temple et l'hostie.
Faut-il des sons ? le Grec qui jadis s'est vanté
D'avoir ouï les cieux, sur l'Olympe monté,
Serait ravi plus haut quand cieux, orbes et pôles
Servent aux voix des saints de luths et de violes.
Pour le plaisir de voir les yeux n'ont point ailleurs
Vu pareilles beautés ni si vives couleurs.
Le goût, qui fit chercher des viandes étranges,
Aux noces de l'Agneau trouve le goût des anges,
Nos mets délicieux toujours prêts sans apprêts,
L'eau du rocher d'Oreb et le Man toujours frais :
Notre goût, qui à soi est si souvent contraire,
Ne goûtra l'amer doux ni la douceur amère.
Et quel toucher peut être en ce monde estimé
Au prix des doux baisers de ce Fils bien-aimé ?
Ainsi dedans la vie immortelle et seconde
Nous aurons bien les sens que nous eûmes au monde,
Mais, étant d'actes purs, ils seront d'action
Et ne pourront souffrir infirme passion :
Purs en sujets très purs, en Dieu ils iront prendre
Le voir, l'odeur, le goût, le toucher et l'entendre.
Au visage de Dieu seront nos saints plaisirs,
Dans le sein d'Abraham fleuriront nos désirs,
Désirs, parfaits amours, hauts désirs sans absence,
Car les fruits et les fleurs n'y font qu'une naissance.

Chétif, je ne puis plus approcher de mon oeil
L'oeil du ciel ; je ne puis supporter le soleil.
Encor tout ébloui, en raisons je me fonde
Pour de mon âme voir la grande âme du monde,
Savoir ce qu'on ne sait et qu'on ne peut savoir,
Ce que n'a ouï l'oreille et que l'oeil n'a pu voir ;
Mes sens n'ont plus de sens, l'esprit de moi s'envole,
Le coeur ravi se tait, ma bouche est sans parole :
Tout meurt, l'âme s'enfuit, et reprenant son lieu
Extatique se pâme au giron de son Dieu.

(v. 1181-1218)


En un petit esquif éperdu, malheureux



En un petit esquif éperdu, malheureux,
Exposé à l'horreur de la mer enragée,
Je disputais le sort de ma vie engagée
Avec les tourbillons des bises outrageux.

Tout accourt à ma mort : Orion pluvieux
Crève un déluge épais, et ma barque chargée
De flots avec ma vie était mi-submergée
N'ayant autre secours que mon cri vers les cieux.

Aussitôt mon vaisseau de peur et d'ondes vide
Reçut à mon secours le couple Tyndaride !
Secours en désespoir, opportun en détresse.

En la mer de mes pleurs porté d'un frêle corps,
Au vent de mes soupirs pressé de mille morts,
J'ai vu l'astre besson des yeux de ma maîtresse.


Est-il donc vrai qu'il faut que ma vue enchantée



Est-il donc vrai qu'il faut que ma vue enchantée
Allume dans mon sein l'homicide désir
Qui fait haïr ma vie, et pour elle choisir
L'aisé saccagement de ma force domptée !

Puis-je.voir sans pleurer ma raison surmontée.
Laisser mon sens captif par la flamme périr ?
Puis-je voir la beauté qui me contraint mourir
Se rire en sa blancheur de moi ensanglantée ?

Je maudis les fiertés, les beautés et les cieux,
Je maudis mon vouloir, mon désir et mes yeux,
Je louerais les beautés, cieux et persévérance,

Si sa beauté voulait animer sa pitié,
Si les cieux inclinaient sur moi son amitié,
La dure fermeté, si elle était constance.

Extase



Ainsi l'amour du Ciel ravit en ces hauts lieux
Mon âme sans la mort, et le corps en ce monde
Va soupirant çà bas à liberté seconde
De soupirs poursuivant l'âme jusques aux Cieux.

Vous courtisez le Ciel, faibles et tristes yeux,
Quand votre âme n'est plus en cette terre ronde :
Dévale, corps lassé, dans la fosse profonde,
Vole en ton paradis, esprit victorieux.

Ô la faible espérance, inutile souci,
Aussi loin de raison que du Ciel jusqu'ici,
Sur les ailes de foi délivre tout le reste.

Céleste amour, qui as mon esprit emporté,
Je me vois dans le sein de la Divinité,
Il ne faut que mourir pour être tout céleste.

J'ouvre mon estomac, une tombe sanglante



J'ouvre mon estomac, une tombe sanglante
De maux ensevelis. Pour Dieu, tourne tes yeux,
Diane, et vois au fond mon coeur parti en deux,
Et mes poumons gravés d'une ardeur violente,

Vois mon sang écumeux tout noirci par la flamme,
Mes os secs de langueurs en pitoyable point
Mais considère aussi ce que tu ne vois point,
Le reste des malheurs qui saccagent mon âme.

Tu me brûles et au four de ma flamme meurtrière
Tu chauffes ta froideur : tes délicates mains
Attisent mon brasier et tes yeux inhumains
Pleurent, non de pitié, mais flambants de colère.

À ce feu dévorant de ton ire allumée
Ton oeil enflé gémit, tu pleures à ma mort,
Mais ce n'est pas mon mal qui te déplait si fort
Rien n'attendrit tes yeux que mon aigre fumée.

Au moins après ma fin que ton âme apaisée
Brûlant le coeur, le corps, hostie à ton courroux,
Prenne sur mon esprit un supplice plus doux,
Étant d'ire en ma vie en un coup épuisée.

Je brûle avec mon âme et mon sang rougissant



Je brûle avec mon âme et mon sang rougissant
Cent amoureux sonnets donnés pour mon martyre,
Si peu de mes langueurs qu'il m'est permis d'écrire
Soupirant un Hécate, et mon mal gémissant.

Pour ces justes raisons, j'ai observé les cent :
A moins de cent taureaux on ne fait cesser l'ire
De Diane en courroux, et Diane retire
Cent ans hors de l'enfer les corps sans monument.

Mais quoi ? puis-je connaître au creux de mes hosties,
A

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021