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A mon père - Max Elskamp (1862 – 1931)

 


 

Mon Père Louis, Jean, François,

Avec vos prénoms de navires,

Mon Père mien, mon Père à moi,

Et dont les yeux couleur de myrrhe,

 

Disaient une âme vraie et sûre,

En sa douceur et sa bonté,

Où s'avérait noble droiture,

Et qui luisait comme un été,

 

Mon Père avec qui j'ai vécu

Et dans une ferveur amie,

Depuis l'enfance où j'étais nu,

Jusqu'en la vieillesse où je suis.

 

*

 

Mon Père, amour m'était en vous,

Que j'ai gardé toute ma vie,

Ainsi qu'une lumière luie

En moi, et qui vous disait tout ;

 

Mon père qui étiez ma foi

Toute de clarté souriante,

Dont la parole m'était loi

Consentie par mon âme aimante,

 

Mon Père doux à mes erreurs,

Et qui me pardonniez mes fautes,

Aux jours où trop souvent mon coeur

De sagesse n'était plus l'hôte,

 

Mon Père ainsi je vous ai su

Dans les heures comme elles viennent

Du ciel ou d'enfer descendues,

Apportant la joie ou la peine.

 

*

 

Or paix et qui était en vous

En l'amour du monde et des choses,

Alors que mon coeur un peu fou

Les voyait eux, parfois moins roses,

 

C'était vous lors qui m'apportiez

Foi en eux qui n'était en moi,

Lorsque si doux vous souriiez

À mes craintes ou mon émoi,

 

Et vous étiez alors mon Dieu,

Et qui me donniez en silence,

Et rien que par votre présence

Espoir en le bonheur qu'on veut.

 

Pour mieux accepter en l'attente

L'instant qui est, le jour qui vient,

Et sans que doute les démente

Croire aux joies dans les lendemains.

 

*

 

Ô mon Père, vous qui m'aimiez

Autant que je vous ai aimé,

Mon Père vous et qui saviez

Ce que je pensais ou rêvais,

 

Un jour où j'avais cru trouver

Celle qui eut orné ma vie,

À qui je m'étais tout donné,

Mais qui las ! ne m'a pas suivi,

 

Alors et comme je pleurais,

C'est vous si doux qui m'avez dit

Rien n'est perdu et tout renaît

Il est plus haut des paradis,

 

Et c'est épreuve pour ta chair

Sans plus mais d'âme un autre jour,

Tu trouveras le vrai amour

Eternel comme est la lumière,

 

Et pars et va sur les navires

Pour oublier ici ta peine,

Que c'est ce que tu désires,

Et bien que ce soit chose vaine,

 

Va, mon fils, je suis avec toi

Tu ne seras seul sous les voiles,

Va, pars et surtout garde foi,

Dans la vie et dans ton étoile.

 

*

 

Or des jours alors ont passé

De nuit, de brume ou d'or vêtus,

Et puis des mois et des années

Qu'ensemble nous avons vécus

 

Mon Père et moi d'heures sincères,

Où nous était de tous les jours

La vie ou douce, ou bien amère,

Ainsi qu'elle est et tour à tour,

 

Et puis en un matin d'avril

Les anges noirs eux, sont venus,

Et comme il tombait du grésil

Sur les arbres encore nus,

 

C'est vous mon Père bien aimé,

Qui m'avez dit adieu tout bas,

Vos yeux dans les miens comme entrés

Qui êtes mort entre mes bras.

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021