BIBLIOBUS Littérature française

Albert Mérat.

 

 

 

LES VIOLETTES

Une habitude longue et douce lui faisait
Aimer pendant l’hiver les violettes blanches ;
A l’agrafe du châle un peu court sur les hanches
Son doigt fin, sentant bon comme elles, les posait.

Un jour que le soleil piquant et clair grisait
Les moineaux francs criant par terre et dans les branches,
Elle me proposa d’aller tous les dimanches
Cueillir avec l’amour la fleur qui lui plaisait.

A présent, ce bouquet est tout ce que j’ai d’elle ;
Mais j’y trouve toujours, pénétrant et fidèle,
Un vivace parfum émané de mon cœur.

Tel le verre vidé qu’un souvenir colore :
Le regret du buveur pensif l’embaume encore
Et la lèvre y croit boire un reste de liqueur.

 

 

SONNETS

PAYSAGE

A l’abri de l’hiver qui jetait vaguement
Sa clameur, dans la chambre étroite et bien fermée
Où mourait un bouquet fait de ta fleur aimée,
Parmi les visions de l’étourdissement ;

Pendant qu’avec la joie extrême d’un amant
Je froissais d’un cœur las et d’une main pâmée
L’étoffe frémissante et la chair embaumée,
Mon sang montait plus lourd à chaque battement.

J’avais le souvenir d’un ancien paysage :
Je revoyais, le front penché sur ton visage,
La source pure et claire au milieu des roseaux ;

Et, dans l’ombre où veillait la lampe en porcelaine,
S’ouvraient à la chaleur tiède de mon haleine
Tes froids regards pareils aux larges fleurs des eaux.

 

 

 

LUNE D’HIVER

A travers le réseau des branches que l’hiver
Trace avec la vigueur des dessins à la plume,
La lune, comme un feu qui dans le ciel s’allume,
Montait, luisant au bord du bois couleur de fer.

Tu manquais à mon bras, mignonne, et ton pied cher
A qui marcher fait mal et qui n’a pas coutume
D’aller loin, sur la bande étroite du bitume
Ne faisait pas crier le sable fin et clair.

Pourtant lent et distrait, sous cette grande allée,
Où le bruit de mes pas fait partir la volée
Des rêves vers le sourd abîme de l’azur,

Je crus qu’auprès de moi palpitait quelque chose,
Et, me tournant pour voir rire ta bouche rose,
Je vis mon ombre longue et triste sur le mur.

 

 

L’IMAGE

Comme la main distraite et qui n’a pas de thème
Précis, par la vertu secrète d’un aimant,
Décrit, sans y songer et machinalement,
Un contour au hasard jeté, toujours le même ;

Ainsi va ma pensée, et l’éternel problème
De l’amour la ramène à tracer constamment
Dans le cadre naïf d’un ovale charmant
Un sourire indécis et les chers yeux que j’aime.


Et souvent, dans l’azur profond des soirs d’hiver,
Lorsque la lune au front du paysage clair
Pose comme un décor sa lueur métallique,

Seul, dans l’apaisement des soirs silencieux,
Suivant l’éclosion lente et mélancolique
Des étoiles, j’ai pu reconnaître ses yeux.

 

 

LA BERGE

Malgré le froid, le ciel est en fête, et l’azur,
Pâle encore, adoucit la lumière adorable ;
Penché sur l’horizon, le soleil favorable
Se répand et ne laisse aucun détail obscur.

La colline montrant au loin sur un fond pur
Le profil dépouillé d’un saule ou d’un érable,
Abrite des maisons blanches, et sur le sable
De la grève un vieux banc se chauffe près d’un mur.

Le jour clair, les coteaux courant comme des ondes,
Et les blanches maisons, et les tonnelles rondes,
Se fondent en accords comme dans un concert :

Un concert où, tenant le devant de la scène,
Entre les joncs fredonne à petit bruit la Seine
Un de ces airs légers que l’on chante au dessert.

 

 

LE CARREAU

Derrière l’épaisseur lucide du carreau
Un paysage grêle, une miniature,
Fait voir chaque détail plus petit que nature
Et tient entre les quatre arêtes du barreau.

Ce transparent posé d’aplomb sur le tableau
Montre un ciel triste encore et d’une couleur dure,
Des gens qui vont, les champs, des arbres en bordure
Et les flaques de pluie où l’azur luit dans l’eau.

Il semble qu’un burin très-aigu n’ait qu’à suivre
Le trait fin des maisons, les branchages de cuivre
Où le pâle soleil glisse un regard sournois.

Décalque compliqué comme une broderie,
Dont le caprice peut tenter la rêverie
D’un poète amoureux ou d’un peintre chinois.

 

 

L’ARCHE

Le grand cintre de l’arche encadre un clair tableau.
En attendant Avril et pour la bienvenue
Des fleurs, le ciel sourit et le froid s’atténue.
Au premier plan, la rive en pente douce, et l’eau.

Peinte légèrement du bout d’un fin pinceau,
Profilant sur l’azur sa silhouette nue,
Une île, avec des airs de baigneuse ingénue,
Sort du fleuve, et les joncs lui font un frais berceau


Le froid soleil d’hiver, qui ne fait rien éclore,
Glisse sur les coteaux dans sa pourpre incolore,
Comme un hôte ennuyé prompt à gagner le seuil.

Mais la tonnelle semble attendre sur la grève,
Et j’entends clairement pétiller dans l’auberge
La friture dorée et le vin d’Argenteuil.

 

 

LE GRAND ARBRE

Dans un parc oublié dont le silence amorce
Les rêveurs, sentinelle ancienne du seuil,
Le grand arbre muet isole son orgueil,
Et vers le ciel étend ses branches avec force.

Son tronc noir se raidit musculeux comme un torse,
Et son cœur dépouillé ferait un bon cercueil.
Il a l’air de porter l’empreinte d’un long deuil,
Et l’âge a sillonné profondément l’écorce.

Il sent qu’il n’est pas fait pour prêter aux amants
L’ombre dont le secret rassure les serments
Et les baisers, concert matériel des rêves.

Inutile à l’amour trop vulgaire pour lui,
Âpre et dur, il attend venir avec ennui
La fermentation violente des sèves.

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021