BIBLIOBUS Littérature française

Armand Renaud.

 

 

 

 

 

 

 

BARCAROLLE

Claire est la nuit, limpide est l’onde ;
Les astres, faisant leur miroir
De la nappe large et profonde,
Y sont encor plus doux à voir.

Un bois entr’ouvre sur la rive
Des clairières pour les élus ;
Trop tôt quelque laideur arrive.
O les rameurs, ne ramez plus.

Le ciel verse la somnolence,
La terre la boit à longs traits ;
La brise même fait silence
Dans le feuillage des forêts.

C’est l’extase du calme étrange,
Tous les mots y sont superflus,
Le moindre murmure y dérange.
O rossignols, ne chantez plus.

L’étoile n’a peur d’aucun gouffre,
La barque ne craint nul écueil ;
Je veux oublier que l’on souffre,
Reposer avant le cercueil.

Sans désir de l’heure future,
Sans regret des jours révolus,
Perds tes fièvres dans la nature,
O mon cœur, ne me brûle plus !

  

 

?

 Près de moi se tenait une femme si douce
Que moins doux est un nid fait de plume et de mousse.
Le sourire dormait sur sa lèvre ; ses mains
Caressantes avaient des senteurs de jasmins ;
Ses bras semblaient promettre une étreinte profonde.
Elle était pâle avec la chevelure blonde.
Ni mouvement ni souffle. Un charme plein d’effroi
Tombait de son visage énigmatique et froid
Dont le calme regard eût dompté des athlètes.
Sur ses cheveux mouraient d’amour des violettes.
Je sentais s’abîmer tous mes fiévreux desseins
Dans l’espoir de dormir au tombeau de ses seins
Éternellement, sans rien rêver ni rien croire.
Dans sa coupe d’ébène elle m’offrait à boire ;
Et je ne savais plus, tant mon trouble était fort,
Si c’était ma maîtresse ou si c’était la Mort.

  

 

IVRESSE DOUCE

 Échanson, couronne mon verre
De fleurs aux aromes divers.
Boire en silence est trop sévère ;
Prends ta lyre et dis-moi des vers.

Vertige et cadence ! J’adore
Les parfums dans la coupe d’or.
Lorsque résonne ta mandore,
Un rêve plus moelleux m’endort.

En ce monde tout est futile,
Quoi que l’on dise de subtil,
Hors la coupe d’or qui scintille,
Le tendre accord, le frais pistil.

Verse tout cela sans mesure,
Que de m’enivrer je sois sûr,
Et qu’au moins, par une embrasure,
Mon âme monte vers l’azur.

 

  

SONGE D’OPIUM

 Je suis étendu dans la boue,
Incapable de faire un pas ;
Il viendrait la plus lourde roue
Que je ne me bougerais pas.

Contre un poteau mon front s’appuie ;
En haut un homme est empalé.
Mordant mes haillons, une truie
Pousse un grognement désolé.

De l’eau tombe, froide et gluante,
D’un ciel noir comme le remords ;
Une vermine remuante
Ronge mon corps pareil aux morts.

Cependant, couverte d’un voile
Qui l’enroule en plis gracieux,
Jetant une lueur d’étoile,
Une forme sort de mes yeux.

Avec lenteur elle s’allonge,
Elle s’éloigne lentement,
Vers la fange où mon corps se plonge
Tournant la tête par moment.

A l’horizon quand elle arrive,
Voici que le noir horizon
D’une immense lueur s’avive,
S’épanouit en floraison.

Parmi les lys à tige fière,
Les jasmins, les rosiers moussus,
Serpente une large rivière ;
Une barque ondule dessus.

Barque à courbure égyptienne
Avec figures aux deux bouts ;
En poupe, une musicienne
Tient sa harpe sur les genoux.

La forme aux blanches draperies
Sur la barque vient se dresser ;
Parmi les lointaines féeries,
Celle-ci se met à glisser ;

Et l’être couvert de mystère,
Au firmament oriental,
S’évapore, loin de la terre,
Sous des portiques de cristal.

Quand la vision est en fuite,
Je soulève mes membres lourds,
Je fais des mouvements sans suite,
Je laisse échapper des cris sourds ;

Mais en vain je me romps la tête
Pour réfléchir n’importe à quoi.
Je sens bien vivre en moi la bête ;
Mais mon âme n’est plus en moi.

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021