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BIBLIOBUS Littérature française

André Lemoyne.

 

 

 

 

FLEURS DU CHEMIN

J’obéis aux vouloirs d’une fille aux yeux pers.
En regardant ses yeux, je pense aux mers profondes
Dont l’abîme inconnu désespère les sondes :
Si je veux lire au fond de ses yeux, je m’y perds.

Qui jamais résoudra le bizarre problème
De son cœur ?… Est-ce moi, qui ne m’explique rien
Quand je veux essayer de voir clair dans le mien,
Et qui reste une étrange énigme pour moi-même !

Sa mère était la fleur des belles d’Ouessant,
Où naufragea son père, un pêcheur de Guérande…
Leur fille vint en mer. — Sa bouche est un peu grande,
Mais j’en admire mieux son rire éblouissant.

J’ai trouvé ce bonheur dans ma vie à mi-côte. —
Si d’autres voyageurs avant moi sont venus,
Je n’en veux rien savoir : ils me sont inconnus…
Je bénis la maîtresse où je suis l’heureux hôte.

Curieux de la Cause, inquiet du Pourquoi,
J’ai battu le chemin des sèches théories ;
Je m’en vais aujourd’hui par les routes fleuries
(Un sentier de printemps reverdit devant moi) ;


Et j’aime à contempler les riches paysages
Merveilleux en peinture au fond des lacs dormants,
Sans rider le miroir de leurs bouquets charmants,
Sans remuer les eaux pour briser les images.

D’une fille aux yeux pers je fais la volonté ;
Je fais sa volonté, folâtre ou sérieuse. —
On m’a dit que j’aimais une grande oublieuse…
Qu’importe, si ma vie est un rêve enchanté ?

Je sais que plus d’un cœur est comme un palimpseste
Où le texte latin, croisant les mots hébreux,
N’offre aux plus érudits qu’un sens fort ténébreux…
Bienheureux qui retrouve un nom d’amour qui reste !

 

 

BAIGNEUSE

Si je suis reine au bal dans ma rote traînante,
Noyant mon petit pied dans un flot de velours ;
Je suis belle en sortant de mes grands cerceaux lourds.
Je n’ai rien à gagner dans leur prison gênante.

Voyant mes cheveux d’or ondoyer sur mes reins,
La Vénus à la conque aurait pâli d’envie.
Comme elle, sur les eaux, tritons et dieux marins,
Tout frémissants d’amour, longtemps m’auraient suivie.

Ingres n’a pas trouvé de plus riche dessin.
Quel merveilleux accord dans la grâce des lignes !
Ni taches, ni rousseurs… Pas de vulgaires signes
Jurant sur les tons purs de l’épaule ou du sein.


Ma bouche est un écrin meublé de perles fines.
J’ai de grands yeux plus doux que la fleur d’un bluet.
Pour me faire si blanche avec ce corps fluet,
Ma mère au fond d’un rêve a dû voir des hermines.

Que n’étais-je à la cour de France au temps jadis !
Quels sonnets m’eût chantés la Pléïade charmée !
Sous le ciel d’Italie, aux jours de Léon Dix,
Le divin Sanzio m’eût peinte et m’eût aimée !

Depuis longtemps déjà vous avez les yeux clos
(Hélas ! comme à regret je fleuris la dernière),
Diane de Poitiers, la belle Ferronnière,
Et Marion Delorme, et Ninon de Lenclos !

Ah ! dans l’ordre des temps quelles métamorphoses !
Les poëtes sont morts… les amours sont grossiers…
Adieu le gentilhomme ! — Il faut plaire aux boursiers,
Gros phalènes ventrus se vautrant sur les roses.

 

 

LA VEUVE

 

I

Le sourire est en fleur sur les lèvres des belles,
Dans la saison d’avril et des robes nouvelles. —
Salut, ô rubans clairs, guimpes et cols brodés,
Bonnets aériens !… toute la panoplie
Révélant le bon goût d’une femme accomplie
Traîne sur les fauteuils. — Les tiroirs sont vidés.


C’est la fin d’un grand deuil. — La veuve blanche et rose
Travaille avec lenteur à sa métamorphose. —
Elle est toute rêveuse en se déshabillant.
Un vague souvenir de ses douleurs passées
Mêle un papillon noir à ses riches pensées,
Essaim de pourpre d’or qui va s’éparpillant :

« Je puis donc reléguer dans le fond d’une armoire
Ce long châle funèbre, et cette robe noire
Qui me gêne le cœur depuis quatorze mois.
Si le deuil est le fard des blondes, je suis brune…
Les veuves d’aujourd’hui, j’en connais… mais pas une
Ayant porté si jeune une aussi lourde croix.

» Ah ! j’aurais préféré la haire et le cilice
Aux lois de l’étiquette, à l’irritant supplice
D’endosser tous les jours l’austère mérinos.
Dire que j’ai porté des gants de filoselle !
Que j’avais de faux airs de vieille demoiselle
Dont la chair historique a séché sur les os !

» Non, jamais Velléda, la prêtresse des Gaules,
N’a dû voir ruisseler sur ses blanches épaules
Sa grande chevelure à flots plus abondants ; —
Et, sans trop me flatter, j’ai vraiment peine à croire
Que mon piano d’Érard ait un clavier d’ivoire
D’un ordre aussi parfait que mes trente-deux dents.

» Quand je songe au défunt, c’était un galant homme
Un peu mûr, un peu chauve, érudit, mais en somme
Offrant à l’analyse un type assez banal ;
Un de ces beaux diseurs précieux et vulgaires
Écoutant leur parole, et ne se doutant guères
Qu’ils n’ont jamais pensé plus haut que leur journal.


» Ma première jeunesse était mésalliée,
Et j’ai dû vivre ainsi qu’une fleur repliée… —
Je crois, en vérité, que dix-neuf fois sur vingt,
Faire choix d’un mari dans un siècle de prose,
C’est vouloir essayer d’un piètre virtuose
Dont le doigt lourd profane un instrument divin.

» Aussi facilement qu’un chapitre d’histoire,
Son image aux deux tiers s’en va de ma mémoire :
C’est une vague estompe, un pastel affaibli ;
Et je retrouve à peine au fond de ma pensée
Un relief indécis de médaille effacée,
Un profil incertain qui se perd dans l’oubli.

» Sa demeure dernière est au Père-Lachaise,
Sous le sable peigné d’un parterre à l’anglaise.
J’y fais planter des fleurs des pays inconnus.
L’hiver comme l’été son boulingrin verdoie.
Le sophora pleureur du Japon s’y déploie…
Enfin, c’est un des morts les mieux entretenus.

 

II

» Du vêtement lugubre où j’étais enfermée,
Par un rayon d’avril je sors toute charmée :
Je romps ma chrysalide aux souffles du printemps.
J’ai le sang plus léger que du sang d’hirondelle.
J’aimerais à pouvoir m’envoler d’un coup d’aile
Dans l’éther bleu… Mon âme a la couleur du temps.

» Mes robes de satin, de soie et de barége
Ont l’aspect de brouillards, de tourbillons de neige :
Le tissu, merveilleux de richesse et d’ampleur,
Les tulles bouillonnés et les flots de malines
Donnent un vrai lyrisme aux grâces féminines :
La femme est à la fois papillon, femme et fleur.


» Mon corsage est une œuvre exquise d’élégance. —
Des jupes à longs plis j’aime l’extravagance.
(La traîne exigerait peut-être un négrillon.)
Nos grands cerceaux nous font marcher comme des reines,
A pas lents et rhythmés. — Autrefois leurs marraines
N’habillèrent pas mieux Peau-d’Ane et Cendrillon.

» A dater d’aujourd’hui je recommence à vivre.
L’air pur, le grand soleil, les roses, tout m’enivre.
Le chant des rossignols monte an ciel réjoui.
Il est juste qu’enfin mon pauvre cœur renaisse.
Il me faut, pour charmer ma seconde jeunesse,
Un amour de vingt ans tout frais épanoui.

» Je veux aimer. — J’ai soif des sources ignorées,
Et me souviens parfois des biches altérées
Soupirant, au désert de l’Ancien Testament,
Après le miroir bleu des limpides fontaines
Qui, sous les tamarins des oasis lointaines,
Entre les fleurs des eaux dorment si clairement ! »

 

 

MATIN D’OCTOBRE

Le soleil s’est levé rouge comme une sorbe
Sur un étang des bois : — il arrondit son orbe
Dans le ciel embrumé comme un astre qui dort ;
Mais le voilà qui monte en éclairant la brume,
Et le premier rayon qui brusquement s’allume
A toute la forêt donne des feuilles d’or.


Et sur les verts tapis de la grande clairière,
Ferme dans ses sabots, marche en pleine lumière
Une petite fille (elle a sept ou huit ans).
Avec un brin d’osier menant sa vache rousse,
Elle connaît déjà l’herbe fine qui pousse
Vive et drue à l’automne au bord frais des étangs.

Oubliant de brouter, parfois la grosse bête,
L’herbe aux dents, réfléchit et détourne la tête,
Et ses grands yeux naïfs rayonnants de bonté
Ont comme des lueurs d’intelligence humaine :
Elle aime à regarder cette enfant qui la mène,
Belle petite brune ignorant sa beauté.

Et rencontrant la vache et la petite fille,
Un rouge-gorge en fête à plein cœur s’égosille ;
Et ce doux rossignol de l’arrière-saison,
Ébloui des effets sans connaître les causes,
Est tout surpris de voir aux églantiers des roses
Pour la seconde fois donnant leur floraison.

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021