BIBLIOBUS Littérature française

Fables de Paul Desforges-Maillard (1699 -1772)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Desforges maillard

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Singe et le Miroir.    

Un singe ayant trouvé sous, sa patte un miroir,
Ce fanfaron, que (a nature
Fit assez curieux, s'arrêta pour y voir
Comment il avoit la figure.
Mars en voyant son mufle noir,
Son front ridé, sa mine grimacière,
Ses petits yeux et son menton pointu,
Enfin tout son individu,
Aussitôt bouillant de colère:
« Qui m'empêche, insolent, dit-il,
De te mettre en cent et cent pièces?
C'est à quelque vivant, novice et moins subtil,
Aux badauds des autres espèces
Que tu peux t'adresser et leur jouer des pièces.
Mais à moi ! ventrebleu !...—Seigneur Bertrand, tout beau !
Dit le miroir d'un ton tranquille,
Ne vous échauffez pas la bile
Et ménagez votre petit cerveau.
Je ne suis point flatteur, ami, je représente
Les choses tout au naturel,
Qu'on s'en fâche ou qu'on s'en contente.
Si vous étiez gentil, chez moi vous seriez tel.
Que cet épagneul, par exemple,
Plus aimable que vous et de mine et d'humeur,
Dans ma glace un peu se contemple,
Il dira si je suis menteur.
Il s'y verra coiffé d'une paire charmante
D'oreilles faites au pinceau,
Et vêtu, sans parler de son joli museau,
D'une robe de soie avec grâce flottante.
Mais enfin je ne puis, dussiez-vous me briser,
Faire un Adonis d'un Thersite.
Sur un mérite en l'air on aime à s'abuser,
Et nul n'en croit avoir une dose petite;
Mais-qui veut qu'on le flatte avec grand soin m'évite. »
Ainsi, sous diverses couleurs;
L'ingénieuse comédie
Sans affectation copie
De l'homme en général les défauts et les mœurs.
Son sel réjouissant, sa morale ingénue
Plaît à l'esprit, l'émeut, l'instruit à chaque trait,
Et, sans qu'elle ait personne en vue,
Chacun y trouve son portrait.

 

La fille du serrurier et son frère.    

Fille d'un pauvre serrurier,
La blanchisseuse Colinette,
Jeune, à la taille fine, et toujours propre et nette,
Sut donner droit au coeur d'un opulent fermier.
Au bout de quelques mois elle alla chez son père,
Couverte de damas, galon sur le soulier,
Et magnifique en tablier.
"Ah ! dit-elle, en voyant son frère,
Mon Dieu ! que Jeannot est crasseux !
Je le méconnaissais. Quelles mains ! quelle face !
Comme il est fait ! Qu'il est hideux !"

Dans la même famille ainsi l'un se décrasse,
L'autre demeure ce qu'il est,
Et bientôt on se méconnaît.

 

Le Soleil et le Manant.    

A Monsieur Bonamy Médecin.

Appuyé, sur sa bêche, un manant dans la plaine,
Après s'être longtemps au travail exercé,
Sur le déclin du jour.prenoit un peu d'haleine,
Quand sous un voile épais le soleil éclipsé.
S'échappant du nuage, à.travers la visière .
Lui darde brusquement un trait vif de lumière.
Ébloui des couleurs dont le mobile éclat
A ses regards errants peint un nouveau combat,
Notre manant s'ébranle-en frottant,sa paupière.
Puis, élevant sa bêche au-devant-de ses yeux,
« Avec un peu d'esprit, dit-il,-tout glorieux,
On vient à bout de tout. Eh bien, mon camarade,
Je défie à présent, ô bel astre des çieux!
Ta trahison soudaine et ta fière boutade.
Cet étroit rempart, le vois-tu?
Suffit pour t'offusquer et te faire bravade.
C'est ainsi qu'en ce monde il ne faut qu'un fétu
Pour obscurcir souvent la plus grande vertu. »
Bonamy, maître expert dans l'art hippocratique,
A qui de ses secrets découvrant les trésors
La profonde nature explique Les fluides,
les sels et les obscurs ressorts,
Dont l'ensemble entretient le commerce harmonique
Des humeurs et du sang, et de l'âme et du corps,
De là vient, tu le sais, la scène variée
De nos mœurs, nos penchants et nos aversions,
Scène toujours multipliée
Au gré de nos complétions.
Toi, qui connois enfin combien mon cœur t'estime,
Sur cette fable, ami, porte ton jugement.
Mais n'y pourrions-nous pas joindre ce supplément
Que de ceux nommés Grands, si la splendeur opprime
Ceux qu'appelle Petits la folle vanité,
Ces petits, d'un brocard dans le public jeté,
Et qui de bouche en bouche en passant s'envenime,
Se revanchent souvent de leur haute fierté?

 

L'Aigle et la Pie.    

Le monarque régnant sur la gent à plumage
Voulut choisir un précepteur
A son fils, bel aiglon, déjà de certain âge.
Les plus habiles du bocage,
Devant Sa Majesté disputant cet honneur,
La pie en ce concours remporta l'avantage.
« Je possède,, dit-elle, et sais même par cœur
Les sept arts et bien davantage»
Le grand Albert, qu'on vante au plus lointain rivage,
Soit dit sans vanité, car je suis humble et sage,
N'eût été près de moi qu'un petit écolier. »
Et pour prouver son dire avec plus d'étalage,
Elle récita maint passage.
Cet oiseau, chez un savetier,
Avoit été jadis en cage.
De ce qu'on apprend jeune on se souvient longtemps.
Là de jurer à tous instants
Il avoit fait l'apprentissage.
Dans ses expressions de soldatesque usage,
L'aigle fit à la pie une admonition.
« Devant mon fils, dit-il, ne tiens plus ce langage,
Et mets à t'observer un peu d'attention. »
Mais à lui voler son fromage
Le jour suivant il la surprit.
« Oh ! pour le coup, tu m'outres de dépit.
Toi, les sept arts, sans plus attendre,
Sortez tous de ma cour, ou je vous ferai pendre.
De qui n'a point de mœurs je méprise l'esprit.»

 

Le Moineau et la Fauvette.    

Je ne parlerai point de nos amours, fauvette,
Lui disoit un moineau. La belle étoit jeunette :
Elle crut ses serments, avec lui s'exposa,
Et sur la verte épine écouta sa fleurette.
Le trompeur ne dit mot, mais il la méprisa ;
Plus n'eût fait sa langue indiscrète.

 

La Femme et la Mouche.    

Grondeuse en son vivant, babillarde sans fin,
La marquise Grognac, de chagrine mémoire,
Vit dans son cabinet comme une tache noire
Sur sa robe de blanc satin Pendue à la bergame.
A l'instant elle appelle
Sa chambrière Perronnelle Et son valet François.
« Qui de vous, grand nigaud,
Ou de vous, tête sans cervelle,
A taché mon habit? » Tous les deux aussitôt :
" Ce n'est pas moi, ni moi. — Personne ? reprit-elle.
Personne casse ma vaisselle,
Personne ouvre l'office et vient manger mon rôt,
Personne boit mon vin, dérobe ma chandelle,
Personne fait ici tout le mal." Et d'aller
Maint bon soufflet par la moustache,
Quand, lorgnant de plus près, elle voit s'envoler
Une mouche; et c'étoit tout justement la tache.
Maîtres, régents, préfets, qui ne pardonnez rien,
Ne punissez jamais sans y regarder bien.

 

Esope Phèdre et La Fontaine aux Champs-Elysées.    

La Fontaine arrivant dans les champs Élysées,
Phèdre le fabuliste, assis près d'un ruisseau,
Que bordoient mille fleurs de son onde arrosées.
Se lève, et, saluant ce confrère nouveau,
Lui dit d'un air de suffisance :
Domine, salvus sis ! est-il bien vrai qu'en France,
Vos partisans jaloux vous préfèrent à moi?
La Fontaine répond : Ma foi,
Ami du simple badinage.
J'ai suivi le penchant qui me faisoit la loi,
Et je n'en sais pas davantage.
— Vous me raillez encor, je croi,
Dit Phèdre; mais allons, en traversant la plaine,
Chez Ésope : entre nous il pourra décider.
— Qui ? moi ? J'aime la paix et ne veux point plaider,
Repart l'ingénu La Fontaine.
Va tout seul, mon ami.. Sois ce que tu voudras,
Ésope même. Ce n'est pas
De quoi mon âme est fort en peine.
En t'attendant sous ce cyprès,
Au doux bruit de cette eau, je vais prendre mon somme ;
Au retour, s'il te plaît, tu m'informeras comme
Tout se sera passé. — Tu dormiras après.
Dit Phèdre en le tirant avec impatience.
Eamus subito. Le sage Phrygien,
Pèsera nos talents dans sa juste balance :
Nous ne sommes tous deux riches que de son bien.
Il fut et mon maître et le tien :
Je m'en rapporte à sa sentence.
La Fontaine, par complaisance, Dit :
Allons donc, je le veux bien.
Ils partent à l'instant : les ombres marchent vite;
Les voilà comme un trait dans la grotte qu'habite
L'enjoué philosophe au minois sapajou.
Quand il eut ouï Phèdre : « Orgueil de l'autre vie !
Ainsi les morts sous terre emportent la manie,
Dit-il, et d'un débat qui lui sembloit si fou,
Faisant danser sa bosse, il rioit tout son soûl.
Il convient toutefois que je vous remercie.
Reprit-il poliment. Par des traits de génie,
Des tours naïfs, des vers heureux.
Vous m'avez fait honneur en m'imitant tous deux.
Mais vous voulez messieurs, que sur la préférence
De l'un sur l'autre en ce moment,
Je vous dise ce que je pense,
Sans amphibologie et sans déguisement.
Je sais fort qu'en pareille affaire.
Témoin du beau Paris le fatal jugement,
A quelqu'un, quoi qu'on fasse, on risque de déplaire.
Ah! si dans les climats du monde sublunaire.
D'où sire La Fontaine arrive en ce moment,
Les hommes pensoient sainement,
Chacun aurait, son cœur, sans autre ministère.
Pour son aréopage et pour son parlement.
Mais vous voulez enfin que ma bouche sincère
Entre vous, mes amis, décide librement.
Vous serez satisfaits. Pour cette fois Ésope,
N'ayant à s'expliquer qu'avec deux beaux esprits,
L'un et l'autre admirés dans Rome et dans Paris,
De l'apologue antique omettra l'enveloppe.
Ecoutez donc. En deux mots l'orateur
Va débuter, dire et conclure.
Toi, Phèdre, a mon avis, tu contes en docteur ;
Du langage romain réputé précepteur,
Ta diction, sans doute, est élégante et pure;
Mais ce bonhomme-là, s'exprimant sans façon,
En plaisant a l'esprit, fait au cœur la leçon,
Et conte comme la nature.

 

L'Alouette devenue veuve.    

Une alouette aimable, jeune et sage;
Et veuve depuis quelques jours,
Vivoit loin du tumulte et du bruit du bocage,
Quand un oiseau fringant, dans son tendre ramage,
Vint lui parler de ses amours.
L'objet en étoit pur : c'était du mariage.
« Votre chant, lui dit-elle, est doux et gracieux;
Vous êtes joli de corsage;
Mais laissez-moi dans, mon veuvage :
Pour une autre gardez vos sons mélodieux.
J'ai pu perdre une fois ma liberté chérie,
Ou pour suivre l'exemple, ou par une autre envie;
Mais puisque je retrouve un bien si précieux,
C'est pour le reste de ma vie. »

 

La Queue du Cheval.    

Dans la saison où la neige fondue
Change en bourbiers profonds et dangereu:
Sentiers, chemins, un procureur d'Evreux,
Friand d'écus, la volonté tendue
Vers l'intérêt, le plus grand de ses dieux,
Alloit songeant d'exploits litigieux.
Chemin faisant, son chétif quadrupède,
A l'étourdie, avec lui dans un creux
S'alla jeter; de façon que tous deux,
Pour en sortir, ne voyoient nul remède.
Un manant passe. " Hélas! dit-il, à l'aide!
Si du prochain tu prends quelque souci,
De par saint Yve, arrache-moi d'ici ! "
Le villageois, sensible à sa misère,
Pour mieux agir, se met à la légère,
Prend par la queue et tire avec'effort
Le Rossinante (il avoit bonne serre).
Il tira donc; bref, il tira si fort
Qu'à quatre pas il culbuta par terre,
Et que la queue à la main lui resta.
Par la douleur la mazette excitée,
Se travaillant, hors du bourbier sauta.
Le procureur, la voyant écourtée,
Dit qu'il étoit un lourdaud, un brutal,
Et le somma de payer son cheval.
Le paya-t-il ? Je n'ai point su la chose.
Mais je sais bien que souvent on s'expose
Au repentir quand on ne connoît pas
Les gens qu'on sert. Le monde est plein d'ingrats

 

Le Chapon et la Poulette.    

Echappé de la mue, un chapon fait au tour,
Fier de la longue et rouge crête
Qui paroit sa brillante tête,
Dressé sur ses ergots, se carroit dans la cour.
Une belle et tendre poulette,
A l'aspect du panache, eut pour lui de l'amour.
Il débuta par la fleurette ;
Le drôle avoit de l'entretien,
Ton mâle et mine fort discrète.
Jusque-là l'affaire alloit bien.
Mais au point principal il trompa la pauvrette,
Qui, pour trop espérer, n'eut rien.
Un petit-maître fait l'aimable
A l'ombre de son beau plumet;
Mais quand d'un vrai mérite il faut montrer l'effet,
Phylis donne la crête au diable.

 

Les deux Chiens.    

Patira, brave chien, gardoit la basse-cour.
Sans lui la maison même auroit été pillée ;
La martre et les voleurs en vain rodoient autour.
Sa vigilance redoublée
Ne dormoit que d'un œil.
Au contraire, Médor,
Epagneul délicat, animal inutile,
Vivoit en fainéant; et son maître imbécile
L'aimoit et le prisoit au moins son, pesant d'or.
Patira pâtissoit, et jamais la cuisine
N'offrait que du pain noir et des os à sa faim ;
Et souvent des coups de houssine
Vertement pour dessert pleuvoient sur son échine.
L'autre étoit à gogo, mangeoit du massepain,
Des morceaux de poulet, de perdrix, de lapin,
Et faisoit toujours chère fine.
Si, pendant un repas, il manquoit d'appétit,
La crainte s'emparoît des âmes désolées,
Et confitures et gelées
Trottoient pour rétablir la santé du petit.
Que conclure de ce récit?
Que bizarre en ses jeux, féconde en injustices,
La Fortune souvent traite avec cruauté
Le travail et la probité,
Quand la licence oisive, au milieu des délices,
Nage dans l'abondance et la prospérité.

 

 

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021