BIBLIOBUS Littérature française

Fables de Jean-Baptiste-Joseph Willart de Grecourt (1684 – 1743)

Abbe 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Moineau et le Léopard.  

Un franc Moineau, jeune, à la gorge noire,
Passait son tems à remplir ses désirs ;
Cependant l'amour de la gloire,
L'emportait sur tous ses plaisirs.
Le léopard, des animaux le prince,
Lui dit un jour : je suis content de toi :
Va gouverner ma plus belle province ;
A ton esprit je donne cet emploi.
Mais afin que la gloire en ces lieux te retienne ,
Je veux bien partager mes sujets avec toi.
Range une moitié sous ma loi,
Et l'autre moitié sous la tienne.

Le Temp  

Le Tems, sa faulx tranchante en main,
Du monde se disait le maître :
Il n'est sur terre aucun humain,
Aucune substance, aucun être,
Qui ne soit soumis à ma loi.
Est-il un mortel qui ne tremble ,
Dès le moment qu'il pense à moi?
Que tous mes sujets l'on rassemble,
Je verrai si quelqu'étourdi
Niera mes droits et ma puissance ;
Et bientôt, s'il est si hardi,
Il en fera l'expérience.
Sous son despotisme absolu,
Chacun plia son humble tête;
Seul, en sujet plus résolu,
Hardiment je lève la crête :
O tems ! de tout victorieux,
En vain tu te plais à détruire ;
Tant que je verrai certains yeux,
Sur mon cœur tu n'as point d'empire.

  

Yvrogne.  

Un Maître Yvrogne dans la rue,
Contre une borne se heurta:
Dans l'inslant sa colère émue,
A la vengeance le porta.
Le voilà d'estoc et de taille,
A férailler contre le mur;
Ou bien il a sa cotemaille,
Disait-il, ou bien il est dur.
En s'escrimant donc de plus belle,
Et pan et pan il avançait,
Lorsqu'il sortit une étincelle
De la pierre qu'il agaçait;
Sa valeur en fut constipée:
Oh, oh ! ceci passe le jeu,
Rengainons vite notre épée,
Le vilain porte une arme à feu.

 

Le Chèvre-feuille et l'Oeillet.  

Une nymphe jeune et charmante
Autour d'elle voyant s'empresser tous les dieux,
Usa d'une ruse innocente ,
Pour dérober ses traits aux habitans des cieux.
En vertu du pouvoir suprême
D'un brevet d'immortalité,
En Chèvre-feuille elle change elle-même,
Tous ses appas et sa beauté.
Sons cette figure étrangère,
La nymphe transformée était en sûreté,
Comptant sur sa forme ordinaire,
Quand ce serait sa volonté.
Mais le surintendant des jardins de l'Olympe,
Voyant cet aimable arbrisseau,
Qui plus haut que les, autres grimpe,
Vent qu'il serve lui seul à construire un berceau
Alors de Jupiter exécutait; les ordres
Un redoutable demi dieu ;
Tantôt, bien malgré lui, punissant les désordres,
Qui par malheur se trouvent en tout lieu,
Et plus souvent aussi, niais avec complaisance ,
Ouvrant sa libérale main.
Pour dispenser aux, bons la juste récompense
Prescrite par le souverain.
Accablé par la multitude,
Et chargé, de soins importans,
Il cherchait, pour quelques momens,
Une petite solitude,
Qui pût le soustraire aux cliens.
En œillet à son tour il se métamorphose
Et le voilà qui subito,
De crainte du soleil, bonnement se transpose
Sous la tonnelle incognito ,
S'imaginant que c'est-là qu'on repose.
Or, comme c'est son art de savoir toute chose,
Du Chèvre-feuille il découvrit presto
La plaisante métempsichose.
La nymphe de l'Œillet sut de même la cause,
Et d'amour tous deux in-petto
Aussitôt prirent bonne dose.
De part et d'autre on attaque, on défend.
Après les longs sermens de tendresse éternelle,
La belle
Se rend.
Rendue, elle est charmée et ne veut de sa vie
Rien aimer que son cher vainqueur ;
Mais à chaque moment à Jupin prend envie
De parler, d'ordonner à ce digne censeur.
Des supplians de toute espèce,
Venant d'ailleurs lui présenter sans cesse,
Et leurs requêtes et leurs voeux,
Même au sein du bonheur, le rendent malheureux.
N'est-ce donc pas un déplaisir extrême,
De pouvoir à peine en un jour
Au vif objet de son amour,
Dire, comme un éclair, une fois : je vous aime ?
L'Œillet amèrement touché ,
D'être, par son devoir, si souvent détaché
D'auprès de celle qu'il adore ,
En soupirait tendrement;
Lorsque le Chèvre-feuille, aussi brillant que
Flore, En ces termes touchans le calme et le restaure.
Console-toi, mon cher amant,
Je sais tes sentimens, j'aurais tort de me plaindre;
Tu ne me dis qu'un mot, mais j'en sens la douceur.
Ce mot, dit en courant, vient du fond de ton cœur;
Car tu n'as pas le tems de feindre.

 

Le Linotte et le Corbeau.      

Une jeune et belle Linotte
Faisait les honneurs du printems :
Les gosiers les plus éclatans
Venaient d'elle apprendre la note.
De mille agrémens rassemblés
Elle était la dépositaire ;
Aussi mille oiseaux de Cithère
D'amour se sentirent troublés.
Elle était douce, elle était bonne ;
Ce qui fit qu'un vilain corbeau
Se mit à l'aimer bien et beau.
Le voilà donc qui s'abandonne
A toute l'ardeur, de ses feux :
Il parle, il presse, il importune ;
Mais bien loin de faire fortune,
Elle chasse l'amant hideux.
Aucunement ne se rebute
L'animal hautement exclus
Et sa maîtresse encore plus
Fatigue-t-il et persécute.
Apprenez qu'un aigle jaloux,
Disait-il à l'oiseau timide,
Dans le fond de la Thébaïde
Ira bientôt jouir de vous.
Je crains encor, belle insensible,
Que ma trop grande pauvreté
N'effarouche votre bonté,
Et ne vous rende moins flexible.
Mais de beaux talens j'ai plus d'un
Que m'a départi la nature ;
Surtout, dans la magistrature,
Vous me verrez hors du commun.
D'ailleurs, un rabat une robe,
Font un magistrat bien paré :
L'emphase du bonnet carré
Toute laideur aux yeux dérobe,
Bref, si vous vous voulez dire amen
Ma reine , mon cœur, ma charmante
A jamais vous serez contente
De la suite de notre hymen.
Plus qu'à demi persuadée
Fut la pauvrette : on allait voir
Naître par-tout le désespoir,
Quand aux rivaux vint cette idée.
Vers Jupiter on députa ,
Et cet hymen illégitime,
Devant lui, fut traité de crime;
Mille raisons on apporta
Pour empêcher cette alliance.
Le sage Jupin s'y rendit ;
Aux députés il répondit,
Et prononça cette sentence :
A l'immonde il est défendu
De prétendre à cette victoire.
Qu'il aille chez la troupe noire
Exercer son art prétendu.
Mais en compagnie honorable
On voit les ris et les amours ;
Qu'il en soit banni pour toujours
Comme aninal, insociable.
Qu'à ma fable prenne intérêt
Quiconque en-soit trop se confie,
De peur qu'on ne lui signifie
Un duplicata de l'arrêt.

 

L'Amour et la Raison.      

Du tems que la Raison était dans son enfance,
C'était nouveau jeu chaque jour :
La Raison partageait alors avec l'Amour
Mille plaisirs où régnait l'innocence.
Un jour d'été , dans un bois, à l'écart,
Ils goûtaient à loisir, le charme de l'ombrage ,
Ecoutant des oiseaux le gracieux ramage ,
Quand du jeu de Colin-maillard
Amour donna l'invention première.
Tirons au sort, dit le dieu de Cythère,
Pour voir à qui de nous il écheoira
D'être bandé. Sur le champ on tira :
La courte-paille en fit l'affaire.
L'Amour perdit, il se mit en colère.
Quand il fut appaisé , la Raison le banda ;
Puis, sans faire de bruit la belle s'évada.
L'Amour têta, chercha, courut de plaine en plaine,
Afin d'obliger la Raison
De tirer ses yeux de prison ;
Mais hélas ! sa peine fut vaine:
Le dieu des cœurs depuis n'a point vu la clarté,
Et la Raison l'a toujours évité. 

 

L'Amour et la Folie.

Un jour le grand maître des cieux,
Content d'un amoureux mystère,
Et plus joyeux qu'à l'ordinaire,
Voulut régaler tous les dieux.
Il fit préparer l'ambroisie
Et les mets les plus délicats ;
Et lui-même de ce repas
Ordonna la cérémonie.
Par son ordre, de tous côtés,
Mercure porta la nouvelle
De cette fête solemnelle
A toutes les divinités.
Chacun fit d'abord sa partie
Pour y paraître des premiers.
Les dieux qui vinrent les derniers
Furent l'Amour et la Folie.
Pour la fête de ce beau jour,
Leur présence était importante ;
Car toute fête est languissante
Sans la folie et sans l'amour.
Dans une bonne intelligence
On les voyait vivre tout deux,
Et même on remarquait entr'eux
Une assez juste ressemblance.
Mais il arriva par malheur
Qu'à la porte ils se rencontrèrent,
Et que tous deux se querellèrent,
Et mirent le ciel en rumeur.
Le point d'honneur en fut la cause.
L'Amour voulut prendre le pas ;
Mais l'autre n'y consentit pas,
Et prétendit la même chose.
Tu n'entreras pas devant moi,
Dit l'Amour d'un ton de colère :
Le grand Jupiter est mon père ,
Et tous les dieux suivent ma loi.
Et moi, répartit la Folie,
Moi que tu viens chercher toujours
Que ferais-tu sans mon secours,
Si je n'étais de la partie ?
De la Folie et de l'Amour
Telle fut alors la querelle ;
Mais ce dernier en eut dans l'aile,
L'autre lui fit un vilain tour.
Comme il voulait dans sa furie
La frapper avec son carquois,
Elle à l'instant, avec ses doigts,
Lui crève les yeux. Il s'écrie,
Et de toute part on entend,
A l'aide, au meurtre, on m'assassine ,
Si fort que la troupe divine
Accourut à cet accident.
Jupiter même en diligence
Y vint, laissant là le régal.
L'Amour lui fit voir tout son mal ,
Et le pressa pour la vengeance ;
Mais la Folie aussi, de son côté,
Dit ses raisons pour se défendre.
A peine voulut-on l'entendre ,
A voir l'Amour si maltraité.
Alors vint certaine déesse,
Que toucha ce malheur nouveau,
Sur tes yeux lui mettre un bandeau ,
Lui marquant toute sa tendresse.
Cependant, malgré sa douleur,
Il avait un parti contraire ;
Car il n'est si mauvaise affaire
Qui ne trouve son défenseur.
Je veux dire qu'en ce rencontre,
Comme en tout autres différends,
On se partagea sur les rangs;
L'un était pour, l'autre était contre,
Beaucoup soutinrent que l'Amour
Devait précéder sa partie :
D'autres tenant pour la Folie,
Condamnaient l'Amour à son tour.
Enfin Jupiter, en bon père,
Pour accorder ce démêlé,
Dit au pauvre amour désolé,
Ces mots qui finirent l'affaire :
Puisqu'il faut qu'à vivre sans yeux
La Folie enfin te réduise,
Je veux qu'en tous tems, en tous lieux
Ce soit elle qui te conduise.
Ainsi dit, ainsi fait, et c'est depuis ce jour
Que toujours la Folie accompagne l'Amour.  

 

L'Amour et l'Intérêt.   

Le dieu de l'Intérêt et le dieu de l'Amour
Chez certain paysan se trouvèrent un jour.
L'aventure était rare : un même domicile
Par eux n'était guère habité
Chacun allait de son côté, L'un au plaisir, l'autre à l'utile.
Voici, dit l'Intérêt, un enfant bien nippé :
Beaux traits dorés , carquoi d'ébène.
La dupe paraît bonne, et je suis bien trompé
Si je n'en tire quelque aubaine.
Veux-tu jouer, fils de Cypris!
J'ai des bijoux à ton usage ;
Pour quelque argent prêté je les reçus en gage ;
Brasselets de cheveux entourés de rubis,
Bagues de sentiment qui couvrent un mystère :
C'est autant de trésors. A qui le dites-vous ?
Je connais, dit l'Amour, le prix de ces bijoux,
Le tarif en est à Cythère.
Çà jouons : masse un trait ; paroli ; masse trois;
Va le reste de mon carquois.
Facilement l'Amour se pique :
L'Intérêt, habile narquois,
A bientôt raflé la boutique.
L'enfant dévalisé s'envole au fond des bois
Cacher sa défaite et ses larmes.
Son empire est soumis à de nouvelles lois.
L'Intérêt règne seul, et dispose des armes
Dont l'Amour usait autrefois.  

 

L'Amour et le Respect.   

L'amour, rencontrant le Respect,
Et rebroussant à son aspect,
Lui dit : que fais-tu là, beau sire ?
Que cherches-tu dans mon empire ,
Où tous les amans sont heureux
Lorsqu'une fois une maîtresse tendre
Aux sermens les plus vifs a bien voulu se rendre ,
Le Respect aussitôt doit s'enfuir tout honteux.
Oui, répond le Respect : il en est d'une sorte
Qu'on doit laisser, comme on dit, à la porte.
Dès qu'on en vient à ce désiré jour,
Tout est permis au famélique amour.
Mais il en est d'une autre espèce,
Fruit savoureux de la délicatesse ,
Qui fait à l'œil, comme à la main,
Réserver pour le lendemain
Quelque friandise nouvelle.
L'amant gagne toujours beaucoup
A ne pas s'enivrer de plaisir tout d'un coup.
Il fait par ce moyen bonne chère éternelle.
Je t'entends, dit l'Amour , l'exquise volupté
Ne veut pas que l'on ait, auprès de son amie,
Un respect de timidité,
Mais un respect d'économie.

 

La Marguerite et la Pensée.    

Dans un parterre, au beau milieu,
La Marguerite était placée.
Par hasard dans le même lieu
Se trouva la jeune Pensée,
A qui l'autre orgueilleusement,
De sa fleur simple et méprisable,
Reprocha l'avilissement.
Je ne suis pas si méprisable,
Lui répond avec fermeté
La petite fleurette éclose.
Vois tu ce joli velouté,
Ce beau blanc, ce couleur de rose ?
Bon ! ce n'est là que du commun :
Respecte en moi la métaphore ;
Marguerite et perle n'est qu'un ,
Et je suis la perle de Flore
S'il faut sur les noms disputer,
Cela seul contre toi décide,
Et je dois ici l'emporter,
Car la Pensée à tout préside.
C'est par elle que sur ton cœur,
Belle Thémire, je domine;
Et malgré toi, je suis vainqueur
De tout ce que je m'imagine.

 

 

 

Le Moineau et l'Hirondelle.    

Un moineau dans son nid expirait une jeune Hirondelle
Fondant en pleurs, cherchant à soulager ses maux.
Un Moineau, qui l'aimait, ne bougeait d'auprès D'elle ,
Ni jour ni nuit ne prenait des repos
Pour prouver, par ses soins, sa tendresse et son zèle.
Attendri par ses feux constans,
Le destin la rend à ses larmes,
Et la malade en peu de tems
Reprit ses forces et ses charmes.
Ah! dit-elle an Moineau, je ne puis t'exprimer
Ce qu'à mon tour pour toi je voudrais faire....
Je souhaite, pour tout salaire,
Que vous puissiez un jour m'aimer
Avec la même ardeur que je cherche à vous plaire.
Par un tendre retour calmez tous mes ennuis,
Ne cesserez-vous point de m'être si cruelle ?
Hélas! répond l'insensible Hirondelle,
Tout m'en presse, et je ne le puis.
Crois-tu qu'il soit en ma puissance ,
En fait d'amour, d'écouter la raison ?
On s'enflamme aisément par inclination ,
Et jamais par reconnaissance.

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021