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Le château des Trois Loups - Jean-François Bladé (1827 – 1900)

 

Jean-François Bladé est le pseudonyme de  Jean François Marie Zéphyrin Bladé, né à Lectoure (Gers) le 15 novembre 1827 et mort à Paris, le 30 avril ou le 30 juin 1900. C’était un magistrat, un historien et folkloriste français. Son œuvre majeure est sa collecte des traditions orales de la Gascogne.

 

 

 

Il y avait, une fois, un homme et une femme qui avaient un chat, un coq, une oie et un bélier.

Un jour, l’homme dit à la femme :

« Femme, c’est demain carnaval. Il faut tuer le Coq. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il alla trouver le Coq.

« Compère, va vite te cacher dehors, derrière la meule de paille. Je viens d’entendre l’homme dire à la femme : « Femme, c’est demain carnaval. Il faut tuer le Coq. »

Le Coq s’en alla donc vite dehors se cacher derrière la meule de paille. La femme le chercha longtemps, longtemps.

« Homme, je ne trouve pas le Coq.

– Eh bien, femme, il faut tuer l’Oie. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il alla trouver l’Oie.

« Commère Oie, va vite te cacher dehors, avec le Coq, derrière la meule de paille. Je viens d’entendre la femme dire à l’homme : « Homme, je ne trouve pas le Coq. » Alors, l’homme a répondu : « Eh bien, femme, il faut tuer l’Oie. »

L’Oie s’en alla donc vite dehors se cacher avec le Coq derrière la meule de paille. La femme chercha longtemps, longtemps.

« Homme, je ne trouve pas l’Oie.

– Eh bien, femme, il faut tuer le Bélier. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il alla trouver le Bélier.

« Compère Bélier, va vite te cacher dehors derrière la meule de paille. Je viens d’entendre la femme dire à l’homme : « Homme, je ne trouve pas l’Oie. » Alors, l’homme a répondu : « Eh bien, femme, il faut tuer le Bélier. »

Le Bélier s’en alla donc vite dehors se cacher avec le Coq et l’Oie derrière la meule de paille. La femme chercha longtemps, longtemps.

« Homme, je ne trouve pas le Bélier. »

– Eh bien, femme, il faut tuer le Chat. »

Le Chat écoutait, accroupi près du foyer. Aussitôt, il s’en alla dehors trouver le Coq, l’Oie et le Bélier derrière la meule de paille.

« Mes amis, dit-il, je viens d’entendre la femme dire à l’homme : « Homme, je ne trouve pas le Bélier. » Alors, l’homme a répondu : « Eh bien, femme, il faut tuer le Chat. » Mes amis, il ne fait pas bon ici pour nous. Décampons, et allons voir du pays.

– Tu as raison, compère Chat. »

Tous les quatre décampèrent aussitôt, ils s’en allèrent loin, loin, loin. Enfin, la nuit les surprit au milieu de la forêt du Ramier. Le Coq, l’Oie, le Bélier et le Chat marchèrent encore longtemps, sans jamais pouvoir retrouver leur chemin.

Alors, le Coq monta sur un grand chêne, pour tâcher de regarder au loin. Mais il ne put atteindre la cime. En quatre sauts, le Chat fit mieux que le Coq.

« Mes amis, j’aperçois là-bas, là-bas, une lumière à travers le bois. »

Le Chat descendit du grand chêne, et tous quatre repartirent.

Ils marchèrent longtemps, longtemps, longtemps. Enfin, ils arrivèrent au château des Trois Loups.

Toutes les portes, tous les contrevents étaient ouverts, toutes les chambres éclairées. Pourtant, il n’y avait personne au château. Les Trois Loups s’en étaient allés au bal, dans le bois de Réjaumont.

Que firent alors les quatre amis ? Ils s’attablèrent et ne se laissèrent manquer de rien. Cela fait, ils éteignirent les lumières et fermèrent tous les contrevents et toutes les portes, sauf la grande. Puis, le Coq alla se jucher sur la plus haute cheminée du château. L’Oie se cacha dans l’évier de la cuisine, le Bélier dans le lit de l’aîné des Trois Loups. Le Chat s’accroupit près du foyer.

Une heure avant la pointe de l’aube, les quatre amis entendirent un grand tapage. C’était les Trois Loups qui rentraient du bal du bois de Réjaumont.

Devant la grande porte ouverte du château, les Trois Loups s’assirent pour tenir conseil.

« Tous les contrevents, disaient-ils, toutes les portes du château, sauf la grande, sont fermés. Toutes les lumières sont éteintes. Il y a là de quoi nous méfier. »

Alors, l’aîné des Trois Loups dit au plus jeune :

« Frère, c’est à toi de marcher devant. Pars, et reviens vite nous conter ce qui se passe. »

Le plus jeune des Trois Loups obéit. En tâtonnant, il arriva, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, comme il s’était fort échauffé à danser au bal du bois de Réjaumont, il voulut d’abord aller boire à la cruche.

Alors, l’Oie, cachée dans l’évier, lui allongea trois grands coups de bec sur la tête.

« Cââc ! cââc ! cââc ! »

Le plus jeune des Trois Loups s’enfuit épouvanté.

« Frères, frères, à mon secours ! Je n’en puis plus. Figurez-vous qu’en tâtonnant, j’étais arrivé, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, j’ai voulu d’abord aller boire à la cruche. Mais, dans l’évier, se cache un menuisier, qui m’a allongé trois grands coups de maillet sur la tête.

– Imbécile, il fallait d’abord allumer la chandelle.

– Vous avez raison. Mais je n’en puis plus. Fouille le château qui voudra. »

Alors, l’aîné des Trois Loups dit à son cadet :

« Frère, c’est à toi de marcher devant. Pars, et reviens vite nous conter ce qui se passe. Gare-toi du menuisier caché dans l’évier, et allume d’abord la chandelle au foyer. »

Le cadet des Trois Loups obéit. En tâtonnant, il arriva, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, il chercha la cheminée pour avoir du feu, et allumer d’abord la chandelle.

Alors, le Chat, accroupi près du foyer, lui campa trois coups de griffe, qui lui mirent le museau tout en sang.

« Miaou ! miaou ! miaou ! »

Le cadet des Trois Loups s’enfuit épouvanté.

« Frères, frères, à mon secours. Je n’en puis plus. Figurez-vous qu’en tâtonnant j’étais arrivé, dans l’obscurité, jusqu’à la cuisine. Là, j’ai cherché la cheminée pour avoir du feu, et allumer d’abord la chandelle. Mais un cardeur, accroupi près du foyer, m’a lancé trois coups de peigne de fer, qui m’ont mis le museau tout en sang.

– Imbécile, il fallait tenir bon, et souffler sur les cendres chaudes.

– Vous avez raison. Mais je n’en puis plus. Fouille le château qui voudra. »

Alors, les deux Loups cadets dirent à leur frère aîné :

« Frère, c’est à toi de marcher devant. Pars, et reviens ensuite nous conter ce qui se passe. Gare-toi du menuisier caché dans l’évier et du cardeur accroupi près du foyer. »

L’aîné des Trois Loups obéit. En tâtonnant, il arriva, dans l’obscurité, jusqu’à son lit.

Alors, le Bélier bondit et lui porta, dans le ventre, trois grands coups de tête, à lui faire vomir les tripes.

« Bêê ! bêê ! bêê ! »

L’aîné des Trois Loups s’enfuit épouvanté.

« Frères, frères, à mon secours. Je n’en puis plus. Figurez-vous qu’en tâtonnant, j’étais arrivé, dans l’obscurité, jusqu’à mon lit. Mais un forgeron couché dedans a bondi, et m’a porté, dans le ventre, trois coups de marteau à me faire vomir les tripes.

– Imbécile, il fallait prendre son marteau.

– Vous avez raison. Mais je n’en puis plus. Fouille le château qui voudra. »

À ce moment, le Coq, juché sur la plus haute cheminée du château, chanta trois fois.

« Coucouroucou ! coucouroucou ! coucouroucou ! »

À ce bruit, les Trois Loups décampèrent pour toujours. Le Coq, l’Oie, le Bélier et le Chat demeurèrent maîtres au château, et ils y vécurent longtemps heureux. (10 contes de loups)

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021