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BIBLIOBUS Littérature française

L'institution des enfants, ou conseils d'un père à son fils - Nicolas François de Neufchâteau (1750 – 1828)

 

 

L'institution des enfants, ou conseils d'un père à son fils imités des vers que Muret a écrits en latin, pour l'usage  de son neveu, et qui peuvent servir à tous les jeunes écoliers - Nicolas François de Neufchâteau (1750 – 1828)

 

A PARIS, 

De l'imprimerie du cit. H. Agasse, rue des Poitevins, no. 13. -  An VI de la République Française. 

 

L'auteur de ces quatrains ne s'est point proposé de rendre la précision, mais le sens et le sentiment des distiques latins du célèbre Muret. Occupé d'un ouvrage intitulé: Leçons des Ecoles primaires, il en a détaché ce morceau, qui pourra servir également dans les classes latines et dans les écoles françaises. Il avait publié, dès 1783, l'Anthologie morale, recueil du même genre, qui a eu du succès, et qui doit reparaître corrigé avec soin.

 

 

 

M. ANTONII MURETI INSTITUTIO PUERILIS,

Comprehensa versibus ad captum Puerulorum, qui primis litteris imbuuntur, accommodatis.

Ad M. Antonium Fratris Filium.

 

 

 

NOTE : S’agissant d’un texte à l’usage des jeunes, enfants et adolescents, j’ai cru bon de réactualiser l’orthographe et d’adopter l’orthographe moderne ; et aussi, de supprimer, purement et simplement, les vers en latin.

 

 

 

1.

Mon fils, pour être heureux, comment faut-il s'y prendre?

Si tu veux l'écouter, ton père t'en instruit.

Retiens bien sa leçon; mais c'est peu de l'apprendre:

Il faut que ta conduite en exprime le fruit.

 

 

2.

Avant tout, rends hommage au Créateur suprême.

Après Dieu, de tes jours révère les auteurs.

Honore tes parents. Dans tes maîtres, de même,

Vois tes premiers amis et tes vrais bienfaiteurs.

 

 

3.

Garde-toi de mentir: cette habitude est vile.

Elle aggrave les torts qu'elle veut déguiser.

 La fraude est toujours basse et n'est jamais utile,

Au lieu qu'un franc aveu peut tout faire excuser.

 

 

4.

Chaque jour, sans manquer, exerce ta mémoire.

Est-il rien de plus doux que de beaucoup savoir?

L'étude peut donner la fortune et la gloire;

La science est encore au-dessus du pouvoir.

 

 

5.

Si quelqu'un d'une faute a daigné te reprendre,

Rends-lui grâce, et surtout tâche de profiter

Du service amical qu'il a voulu te rendre,

En ne l'exposant pas à te le répéter.

 

 

6.

Ne crois pas, en aveugle, à la feinte caresse

De celui qui te flatte, et qui veut te trahir.

On corrige un enfant, quand il nous intéresse:

Ménager ses défauts, mon fils, c'est le haïr.

 

 

7.

Mais l'adulation tend des pièges qu'on aime,

Qu'une fois on y tombe, on n'en peut échapper.

L'art des flatteurs n'est rien, sans notre faible extrême;

Ils ne trompent que ceux qui se laissent tromper.

 

 

8.

Un misanthrope aigri ne se fie à personne;

Un fou croit tout le monde. Ils ont tort tous les deux.

Le soupçonneux mérite aussi qu'on le soupçonne,

Et le sort du crédule est toujours hasardeux.

 

 

9.

Si tu commets le mal, seulement en idée,

Songe de quels regards tu dois être apperçu.

La vigilance humaine est, en vain, éludée:

Dieu voit tout; l'œil de Dieu ne peut être déçu.

 

 

10.

D'un secret confié respecte le mystère.

Des amis éprouvés ont sur toi du crédit;

Tu leur ouvres ton cœur; mais, toi-même il faut taire

Ce que tu ne veux pas qui puisse être redit.

 

 

11.

Garde ta vue, afin de garder ta pensée.

Des objets indécents ne sois pas curieux.

Lorsque l'honnêteté d'un spectacle est blessée,

Le cœur des spectateurs se corrompt par leurs yeux.

 

 

12.

A tout discours impur ferme aussi ton oreille,

Et de qui s'en amuse évite l'entretien.

Quand la pudeur s'endort, la débauche s'éveille;

Jamais son style affreux ne doit être le tien.

 

 

13.

C'est l'étude, ô mon fils! qu'il faut que tu préfères.

Combien de ses trésors tu dois être jaloux? S

es racines, d'abord, te sembleront amères;

Mais, dans peu, tu verras que les fruits en sont doux.

 

 

14.

As-tu joué?.... du tems c'est un abus frivole;

Que t'en reste-t-il? Rien; peut-être des regrets.

As-tu lu?.... de l'emploi de ce tems qui s'envole,

L'utile souvenir ne s'efface jamais.

 

 

 

15.

On ne peut pas toujours se livrer à l'étude;

Un repos ménagé remonte nos ressorts;

 Mais son excès produit une autre lassitude

Qui ruine l'esprit, en énervant le corps.

 

 

16.

Mon fils, les soins d'autrui se règlent sur les nôtres,

Et l'on fait son bonheur, en faisant des heureux.

Tu ne peux être aimé, si tu n'aimes les autres.

Veux-tu qu'ils soient pour toi? montre-toi donc pour eux.

 

 

17.

Du méchant, quelquefois, la fortune est prospère;

Mais son éclat ne peut éblouir ton regard.

Sois sûr qu'au fond du cœur, il porte une vipère

Qui le ronge, et qui doit l'étouffer tôt ou tard.

 

 

18.

Aimes-tu le repos, travaille en ta jeunesse;

De ton loisir futur jette les fondements.

Ce laurier respectable ombrage la vieillesse,

Quand on l'a cultivé dès les premiers moments.

 

 

19.

Lorsque dans un miroir tu trouves ta figure,

Des dons extérieurs si tu peux t'applaudir,

Songe que la vertu doit être leur parure;

O mon fils! par tes mœurs trembles de t'enlaidir.

 

 

20.

Si la nature ingrate, en formant ton visage,

Ne t'a pas des dehors accordé l'agrément,

Embellis ton esprit, polis tes mœurs, sois sage;

Répare, par le fonds, le défaut d'ornement.

 

 

21.

Ce dont tu peux rougir, tu ne dois pas le faire,

Le mal, même secret, en existe-t-il moins?

A soi-même, jamais on ne peut se soustraire,

Et, dans sa conscience, on a mille témoins.

 

 

22.

Nous n'avons qu'une bouche, et notre oreille est double.

En nous formant ainsi, quel fut le but de Dieu?

L'homme, pour éviter la discorde et le trouble,

Doit écouter beaucoup, et doit parler très peu.

 

 

23.

Mon fils, sois attentif, soigneux en toute chose:

Il faut revoir souvent ce qu'on veut conserver.

Vigilant sur ses biens, l'œil du maître s'oppose

A ce que des voleurs les viennent enlever.

 

 

24.

La paresse, d'abord, nous séduit et nous flatte;

Elle avilit bientôt qui s'en laisse enivrer.

Du pénible travail l'apparence est ingrate;

Mais il comble d'honneurs, quand on veut s'y livrer.

 

 

25.

Sois sobre; la sagesse, à tout âge, l'ordonne;

Mais, au tien, point de vin, s'il n'est noyé dans l'eau.

Au nectar de Bacchus, l'enfant qui s'abandonne,

Dans un brasier ardent jette un brasier nouveau.

 

 

26.

Joindre un air de douceur, avec un ton modeste,

C'est le moyen de plaire et d'avoir des amis.

On chérit la candeur; mais l'orgueil, qu'on déteste,

Gâte les plus beaux dons qu'en nous le ciel a mis.

 

 

27.

L'amour de l'or, mon fils, est d'une âme commune;

C'est l'amour des vertus que tu dois embrasser.

Elles peuvent toujours remplacer la fortune;

La fortune, jamais, ne peut les remplacer.

 

 

28.

De ce qu'on veut savoir la trace ineffaçable,

Quand on lit avec fruit, reste dans le cerveau:

Si tu lis en courant, tu graves sur le sable,

Ou tu veux, dans un crible, aller puiser de l'eau.

 

 

29.

Evite la colère, abhorre la vengeance,

Haineuses passions dont la honte est le prix.

Souvent ce qui nous fâche, est digne d'indulgence;

A l'injure il est beau d'opposer le mépris.

 

 

30.

Sur les monts élevés, l'aquilon brise, arrache,

Déracine les pins, les chênes, les ormeaux;

Dans le creux du vallon, l'arbrisseau qui se cache,

 Voit fleurir, à l'abri, ses paisibles rameaux.

 

 

31.

L'ambition, de même, exposée aux tempêtes,

A de plus grands périls condamne la grandeur.

Des Pénates obscurs protègent mieux nos têtes,

Et la sécurité vaut mieux que la splendeur.

 

 

32.

Un enfant ne doit pas usurper la parole:

Son lot est d'écouter, de répondre à propos.

On connaît la sottise à son babil frivole,

Le véritable esprit s'explique en peu de mots.

 

 

33.

Veux-tu savoir, mon fils, le chemin de la gloire,

 De celle qui, du moins, tente un esprit bien fait?

Aux hommes, garde-toi d'en vouloir faire accroire;

Ce que tu veux paraître, il faut l'être en effet.

 

 

34.

A son maître, l'enfant qui tremble de déplaire,

Ne craint pas de souffrir un honteux châtiment.

Mais s'il ose braver une juste colère,

La rigueur, à regret, supplée au sentiment.

 

 

35.

Heureux le jeune élève animé d'un beau zèle,

En qui la vertu brille et devance les ans!

De tous ses compagnons, c'est le digne modèle,

L'honneur de son logis, l'amour de ses parents:

 

 

36.

On le recherche, on l'aime, à le voir on s'empresse,

Et par les vœux publics, il se voit seconder.

Mais pour le lâche enfant qu'enchaîne la paresse,

En lui parlant, hélas! on croit se dégrader.

 

 

37.

Malheureux, par sa faute, on le fuit, on le chasse.

Il est bientôt l'objet d'un mépris éternel;

Et son pere lui-même, (ô comble de disgrâce!)

Ne le voit presque plus d'un regard paternel.

 

 

38.

Une chute première entraîne une autre chute;

Si l'on ne se corrige, on s'habitue au mal.

Mon fils, dès le principe, il faut qu'on s'exécute,

Ou l'on ne peut plus vaincre un penchant trop fatal.

 

 

39.

Mais ce n'est pas assez que d'être exempt de vice.

Quelques difficultés dont on soit combattu,

Rien ne doit écarter, d'un cœur jeune et novice,

Le désir, le besoin, le goût de la vertu.

 

 

40.

Du bien que l'on t'a fait, conserve la mémoire;

En toute occasion, tu dois le relever.

Mais du bien que tu fais ne tire point de gloire;

Laisse à d'autres que toi le soin de l'observer.

 

 

41.

S'il faut te décider, quand l'honnête et l'utile,

Paraissant opposés, te tiennent en arrêt,

Ta regle est dans ton cœur, c'est ton premier mobile;

L'honneur, sans balancer, doit vaincre l'intérêt.

 

 

42.

Je ne veux pas lasser ton oreille attentive;

Je m'arrête. C'est peu que ces premiers avis;

Mais, mon fils, que ton cœur s'en pénetre et les suive;

Mes yeux, de tes progrès, seront bientôt ravis.

 

 

43.

Commence seulement, commence avec courage;

Des obstacles, enfin, tu seras triomphant.

Obtiens que l'Eternel bénisse ton ouvrage;

Offre à Dieu tes efforts, et deviens son enfant.

 

 

44.

Le matin, quand du lit tu sors avec l'aurore,

Le soir, quand le besoin t'invite au doux sommeil,

Dis-lui, du fond du cœur: «Dieu bon, Dieu que j'adore, »

Dirige mon travail, mon repos, mon réveil.»

 

 

45.

Ah! si ton cœur est pur, si ton zele est sincère,

Le ciel, n'en doute pas, exaucera tes vœux.

Oui, mon fils; l'Eternel, touché de ta prière,

T'enverra le bonheur des enfants vertueux.

 

 

46.

Dieu sait ce qu'il te faut beaucoup mieux que toi-même;

Il te préservera de tout mauvais penchant,

Si tu te souviens bien que ce juge suprême

Doit couronner le juste et punir le méchant.

 

 

 

Extrait de l'anthologie morale.

 

1. D'un plan de vie.

Prescris-toi pour toujours une regle certaine,

Un plan fixe et constant qui te serve de loi;

Qui te suive au-dehors, quand le monde t'entraîne,

Et, quand tu restes seul, qui demeure avec toi.

 

 

2. Pour qui sommes-nous nés?

Ce n'est pas à nous seuls qu'appartient notre vie.

De ces moments si courts il faut faire trois parts:

La première, en tribut, se doit à la Patrie;

Une autre à l'Amitié, la troisième aux Beaux-arts.

 

 

3. De l'Amitié.

L'homme veut partager sa joie et sa tristesse;

Son cœur cherche un ami, surtout dans le malheur;

Et le besoin d'aimer est, après la Sagesse,

Ce que Dieu même à l'homme a donné de meilleur.

 

 

4. La vraie grandeur.

Adorons un seul Dieu. Chérissons tous les hommes.

Servons la République. Honorons nos parents.

Sachons faire du bien dans la sphère où nous sommes.

Soyons justes surtout. Nous serons assez grands.

 

 

5. Examen de chaque journée.

Je suis plus vieux d'un jour. En quoi suis-je plus sage?

Quel bien ai-je produit? quel mal ai-je évité?

Du jour qui vient de fuir ai-je fait quelque usage,

Et puis-je m'endormir avec sécurité?

 

 

6. De la Conscience.

Contre la Conscience il n'est point de refuge:

Elle parle en nos cœurs. Rien n'étouffe sa voix,

Et de nos actions elle est, tout à-la-fois, La Loi,

l'Accusateur, le Témoin et le Juge.

 

FIN

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021