Et, en effet, dans la milieu de la nuit l’esclave de la lampe apporta dans la chambre d’Aladin la princesse et le fils du grand vizir. Aladin ordonna au génie d’enfermer ce dernier dans un étroit cabinet.
Il put alors s’approcher de la princesse et s’efforça de la rassurer :
— Adorable princesse, vous n’avez rien à craindre ici, le Sultan votre père m’avait promis votre main, il n’a pas tenu parole et comme je n’entends pas que vous vous mariiez à un autre, je n’ai pas hésité à vous faire enlever.
Malgré ces paroles, la princesse passa une nuit terrible.
Le lendemain matin, à la pointe du jour, le génie transporta le fils du grand vizir et la princesse de la maison d’Aladin au palais du Sultan, sans que l’un ni l’autre l’aperçut et sans qu’ils entendissent les propos qu’il échangeait avec Aladin.
La princesse Bradoulboudour avait à peine réintégré sa chambre nuptiale que le Sultan y pénétra. Elle lui raconta les étranges événements de la nuit, mais il ne voulut pas y ajouter foi.
Le soir, tout se passa absolument comme la veille. Quand elle se trouva en tête à tête avec son mari, ils furent tous deux brusquement enlevés, transportés chez Aladin où ils passèrent la nuit dans les mêmes conditions que précédemment et, de même au petit jour, ils furent rapportés au palais sans savoir par qui ni comment. Le Sultan revint visiter sa fille qui lui raconta tout ce qui lui était arrivé ; très affecté, le Sultan fit appeler son grand vizir et le mit au courant de ces faits en le priant de consulter son fils.
― Mon père, répondit celui-ci, tout ce que la princesse a dit au Sultan est parfaitement vrai et je préfère renoncer à cette union que de subir encore d’aussi cruels tourments.
Le jour même le Sultan ordonna qu’on interrompit les réjouissances, le mariage de la princesse Bradoulboudour et du fils du grand vizir étant annulé.
Aladin attendit que les trois mois fussent écoulés pour rappeler au Sultan la promesse qu’il lui avait faite. Il envoya alors sa mère au palais pour assister à l’audience.
― Seigneur, dit-elle après s’être prosternée, je me présente encore aux pieds de Votre Majesté pour lui rappeler la promesse qu’elle avait bien voulu me faire il y a trois mois.
Le Sultan en fixant ce délai avait espéré ne plus entendre parler d’Aladin. Embarrassé, il consulta son grand vizir.
― Sire, répondit celui-ci, exigez d’Aladin qu’il vous fasse présent de richesses considérables ; il ne pourra satisfaire votre désir et sa demande se trouvera tout naturellement repoussée.
Cette proposition plut au Sultan qui dit immédiatement :
— Bonne femme je suis prêt à tenir ma parole, mais pour cela il faut que votre fils m’envoie quarante grands bassins d’or massif pleins de pierreries semblables à celles que vous m’avez apportées, portés par quarante esclaves noirs, qui seront conduits par quarante esclaves blancs. Allez, j’attendrai votre réponse !
Les exigences du Sultan parurent si énormes à la mère d’Aladin qu’elle fut étonnée de voir celui-ci accueillir le résultat de sa démarche avec une évidente satisfaction. Il s’entretint aussitôt avec l’esclave de la lampe après l’avoir fait surgir par le moyen habituel.
Le génie revint bientôt accompagné de quarante esclaves blancs, ainsi que de quarante esclaves noirs portant chacun sur la tête un bassin d’or massif rempli de perles, de diamants, de rubis et d’émeraudes. Aladin pria sa mère de bien vouloir conduire ces esclaves au Sultan. Ils défilèrent alors l’un derrière l’autre, un esclave blanc suivi d’un esclave noir. En entrant dans la salle où le Sultan attendait, ils formèrent un demi-cercle autour du trône, les esclaves noirs posèrent sur le tapis le bassin d’or qu’ils portaient, puis, tous ensemble se prosternèrent.
Le Sultan était émerveillé et sans prendre d’autres renseignements sur Aladin, il dit à sa mère :
— Bonne femme, vous pouvez aller dire à votre fils que je l’attends pour lui donner la main de ma fille !
Aladin fut charmé de l’excellente nouvelle rapportée par sa mère. Il se retira immédiatement dans sa chambre pour faire ses préparatifs. C’est à sa lampe merveilleuse qu’il eut naturellement recours.
— Génie, lui dit-il, je t’ai appelé afin que tu m’apportes le vêtement le plus riche que jamais souverain ait porté et un cheval dont le harnachement vaille plus d’un million. Je voudrais aussi que tu m’envoies vingt esclaves richement vêtus pour marcher derrière moi et vingt autres pour me précéder. Il me faut enfin dix bourses de mille pièces d’or chacune !
Le tout fut promptement apporté. Aladin donna quatre bourses à sa mère et décida que les six autres seraient jetées au peuple, par poignées, sur son passage.
C’était la première fois qu’il montait à cheval, on ne s’en serait pas douté tant il avait d’aisance et de grâce en selle. Le Sultan alla au-devant de lui et après l’avoir embrassé, le conduisit dans un salon magnifique où l’on servit un superbe repas. Tout en causant, Aladin acheva de conquérir les bonnes grâces du Sultan qui fit dresser immédiatement le contrat de mariage. Il voulait même que les noces eussent lieu le jour même, mais Aladin le pria de les différer jusqu’à ce qu’il eût fait construire un palais digne de recevoir la princesse sa fille. Puis il retourna chez lui et dès qu’il fut seul, frotta la lampe pour appeler le génie.
— Je désire que tu me fasses bâtir le plus rapidement possible, lui dit-il, un palais en face de celui du Sultan et que ce palais soit une merveille comme il n’en existe nulle part au monde.
Le lendemain matin, le palais était achevé. Cette demeure fastueuse, édifiée comme par enchantement, plongea le peuple, la cour et le Sultan dans une profonde admiration.
À la tombée de la nuit, la jeune princesse fit de tendres adieux à son père et se dirigea vers le palais où l’attendait Aladin. Elle fut immédiatement charmée de son allure et de sa distinction, Aladin la conduisit dans un immense salon dont la table était servie superbement. La fête dura jusqu’à minuit. Aladin se leva alors et conduisit la princesse Bradoulboudour dans leur appartement privé.
Aladin vécut ainsi plusieurs années, entouré de la considération et de la sympathie de tous. Il aurait donc vécu jusqu’à la fin de ses jours dans la tranquillité si la nouvelle de sa fortune extraordinaire n’était parvenue aux oreilles du magicien africain, qui croyait Aladin mort dans le souterrain.
— Il a découvert le secret de la lampe, pensa-t-il.
Et, immédiatement il se mit en route vers la Chine et se livra à de mystérieux calculs pour connaître l’endroit où Aladin conservait la lampe merveilleuse. La magie lui apprit qu’elle était dans le palais même. Il s’informa et sut que le gendre du Sultan était parti à la chasse et ne reviendrait pas avant quatre ou cinq jours. Il acheta une douzaine de lampes de cuivre, les mit dans un panier et alla crier autour du palais d’Aladin :
— Qui veut échanger des vieilles lampes pour des neuves ?
On le prit pour un fou, les enfants couraient après lui… la princesse Bradoulboudour perçut le brouhaha et dit à l’une de ses femmes de descendre aux nouvelles. L’esclave revint en riant.
— C’est un pauvre fou, dit-elle, qui veut échanger de vieilles lampes pour des neuves, tous les enfants du quartier se sont mis après lui.
Un deuxième esclave fit alors remarquer à sa maîtresse qu’il y avait justement sur une corniche du salon une lampe qui paraissait bien vieille et bien usée.
Hélas ! il s’agissait de la lampe merveilleuse qu’Aladin avait placée en cet endroit avant son départ. La princesse qui en ignorait les vertus, ordonna qu’une servante descendit pour en faire l’échange. Le magicien en la voyant, ne douta pas que ce fut la lampe merveilleuse et fit choisir à l’esclave une lampe neuve dans son panier. Dès qu’il fut seul, il la frotta et le génie lui apparut.
— Je t’ordonne, lui dit le magicien d’enlever immédiatement le palais d’Aladin avec tout ce qu’il contient et de le transporter en Afrique avec moi !
Le Sultan poussa une exclamation de surprise, le matin à son réveil, en s’apercevant que le palais de son gendre avait disparu.
— Où est cet imposteur, s’écria-t-il, que je lui fasse couper la tête ? Qu’on me l’amène au plus tôt chargé de chaînes !
Trente hommes partirent aussitôt. Ils rencontrèrent Aladin à quelques lieues, l’enchaînèrent et le conduisirent au Sultan ; le bourreau tira son grand sabre, n’attendant plus que le signal.
— Sire, prononça Aladin, je supplie votre Majesté de bien vouloir me faire connaître de quel crime je suis coupable ?
— Comment ! tu oses faire l’ignorant ? Allons, mets-toi à la fenêtre et dis-moi ce qu’est devenu ton palais ?
Aladin s’aperçut de la disparition de sa demeure.
— Je puis assurer à Votre Majesté, dit-il enfin, que je ne suis pour rien dans cet événement extraordinaire. Je demande un délai de quarante jours. Et si, dans cet intervalle, je n’ai pas réussi à retrouver la princesse, je m’engage à venir vous apporter ma tête à couper !
Le Sultan lui accorda la grâce qu’il demandait et Aladin quitta la ville, sans savoir au juste où diriger ses pas.
À la tombée de la nuit, il arriva au bord d’une rivière, et comme il s’approchait pour procéder aux ablutions d’usage, il faillit tomber dans l’eau, mais se retint à temps à un bloc de roche. En faisant ce mouvement, il frotta l’anneau qu’il portait toujours au doigt, depuis l’aventure du souterrain et, instantanément, le génie qui lui avait sauvé la vie lui apparut en prononçant :
— Que veux-tu ? Moi et les autres esclaves de l’anneau nous sommes prêts à t’obéir comme tes esclaves et les esclaves de tous ceux qui ont l’anneau au doigt !
— Transporte-moi à l’endroit où se trouve mon palais et dépose-moi sous les fenêtres de mon épouse la princesse Bradoulboudour.
Cet ordre fut exécuté à l’instant même et Aladin reconnut sa demeure, il fut aperçu d’une des femmes de la princesse qui envoya ouvrir une porte secrète. Aladin fut bientôt auprès d’elle et lui demanda ce qu’était devenue la vieille lampe qu’il avait mise sur la corniche du salon.
La princesse devint blême et raconta dans quelles circonstances elle avait fait échanger la vieille lampe pour une neuve. Aladin comprit alors que l’auteur de la ruse n’était autre que le magicien africain et apprit qu’il cachait la lampe sur sa poitrine !
— Princesse, lui dit-il, quand le magicien viendra vous rendre visite, recevez-le aimablement, invitez-le à souper, mettez dans un gobelet une pincée de cette poudre, en recommandant à la femme qui vous sert à boire, de vous l’apporter pleine de vin au signal que vous lui ferez. Vous proposerez alors au magicien d’échanger votre verre contre le sien : il ne manquera pas d’accepter et quand il aura bu vous le verrez tomber mort !
Aladin se retira et son épouse se mit immédiatement en devoir de faire ses préparatifs. Le magicien africain fut charmé de l’accueil de la princesse et tout se passa selon le désir d’Aladin. Quand le misérable eut vidé le gobelet contenant la poudre, il tomba mort.
Aussitôt Aladin entra dans le salon et s’empara de la lampe merveilleuse qu’il trouva sur la poitrine du magicien, il la frotta et le génie lui apparut. Il lui donna ses ordres et le lendemain matin à l’aurore, le Sultan de Chine avait l’agréable surprise à son lever de pouvoir contempler le palais d’Aladin dans la même situation que s’il n’eût jamais bougé.
À partir de ce jour-là, Aladin et la princesse Bradoulboudour vécurent sans ennuis. À la mort du Sultan, comme il n’y avait pas d’héritiers mâles, ce fut la princesse qui lui succéda et avec elle Aladin. Leur règne fut aussi long qu’heureux et ils laissèrent une postérité qui, par la suite, devint illustre.