BIBLIOBUS Littérature française

Bluette et Coquelicot - Maurice Barr

  

Conte instructif pour les enfants

1897.

I- La fée Prévoyante

Au milieu d’un beau champ de blé jaune comme l’or, s’épanouissaient au soleil d’été la petite Bluette et le large Coquelicot.

En ce moment ils causaient, car la fée des Moissons, leur souveraine, leur avait accordé ce don merveilleux.

Bluette tournait de tous côtés sa jolie tête, encadrée d’une fraîche collerette bleue brodée de petits points blancs.

Elle regardait, la coquette, si personne ne traversait le champ, et elle soupirait en songeant que sa tige élancée, son joli chaperon bleu, sa corolle délicate n’étaient vus que de Coquelicot, son frère, un paysan comme elle.

« Hélas ! soupira-t-elle, personne ne s’arrête devant ce grand vilain champ de blé qui nous cache et nous étouffe !

– J’ai beau lever ma tête, redresser ma taille, fit à son tour Coquelicot ; j’ai beau étaler mes larges pétales éclatants de pourpre, et agiter ma calotte de velours noir, on ne fait pas attention à moi !

– Le monde est injuste, Coquelicot ! Vois-tu, ils ont de belles fleurs odorantes dans leurs jardins, et ils se soucient peu des fleurs des champs.

« Et pourtant ma jolie couleur bleue s’harmonise si heureusement avec la chevelure blonde des enfants ! Elle éclaire si délicatement la peau fine et blanche des jeunes filles !

– Oui, mais tu ne produis pas assez d’effet. Le bleu, c’est fade ; tandis que le rouge est éclatant et se voit de loin.

– Prétendrais-tu être plus beau que moi, parce que ta tige est plus haute que la mienne et que ta couleur attire les yeux ?... Mais, mon cher Coquelicot, je suis bien mieux faite que toi !

« Admire un peu mes petites étamines pointillées de blanc et de noir, et ma verte collerette découpée comme une ruche de ruban ! Toi, tu es bâti tout uniment.

– Va, ma chère, repartit Coquelicot un peu froissé, tu auras beau faire, tu ne seras jamais qu’une fleur des champs, une paysanne enfin ! et, quoi que tu dises, tes fleurs bleues, dont tu es si fière, deviennent grises quand le soleil est trop vif.

– Tu es un jaloux ! » s’écria Bluette, prête à pleurer.

Mais elle s’arrêta en voyant les épis de blé se mouvoir et se courber sous une pression inusitée.

Au milieu du sillon une créature singulière s’avançait vers eux.

Elle semblait vêtue d’un nuage, tant les draperies grises qui enveloppaient son corps étaient diaphanes et délicatement tissées.

Elle portait à la main une branche de tilleul toute chargée de feuilles et de fleurs odorantes.

« Bluette, dit-elle d’une voix douce et triste en s’arrêtant devant celle-ci, tu es mécontente de ton sort, tu murmures, tu te plains, et te voilà malheureuse.

« Toi aussi, Coquelicot, tu es jaloux des autres fleurs, et tu envies leur sort.

« Que vous manque-t-il cependant ?

– La liberté ! s’écria Coquelicot.

– L’espace, le mouvement, le monde nouveau ! continua Bluette.

– Je suis la fée Prévoyante, reprit la jolie petite créature. Mon devoir est d’accourir près de tous les êtres qui se plaignent et qui ne se trouvent pas heureux.

– Ah ! si vous êtes une fée, exaucez notre vœu ! s’écria de nouveau Coquelicot avec feu. Accordez-nous le pouvoir de quitter ce champ de blé, et d’aller chercher un sort plus prospère, une destinée plus brillante !

– Coquelicot, tu es bien imprudent et bien ingrat. Tu as ici tout ce qu’il te faut pour être heureux. Chaque matin, la rosée bienfaisante te baigne de sa fraîche ondée, le zéphir te berce et t’apporte les parfums de la campagne, le soleil te réchauffe et t’éclaire ; la terre enfin t’envoie le plus pur, le plus précieux de son sang, pour te vivifier et te faire resplendir.

« Ta destinée est plus brillante encore que tu ne le crois.

« Ainsi que ta sœur Bluette, tu fais l’ornement de ce champ de blé.

« Tu es le rubis de cet or pur qui t’environne, comme Bluette en est le saphir !...

– J’aimerais mieux être le rubis d’une belle dame et briller à son doigt, murmura Coquelicot.

– J’aimerais mieux être un joli saphir dont chacun admirerait la limpidité, fit Bluette.

– Eh bien ! dit la fée Prévoyante en soupirant, soyez donc satisfaits.

« Vous verrez tous les mondes qui vous sont inconnus.

« Mais j’y mets une condition.

– Laquelle ? demandèrent ils en même temps.

– C’est que vous me trouviez un être humble et modeste, complètement satisfait de sa destinée.

– Il me semble, dit Coquelicot, que ce ne sera pas bien difficile.

« Il y a tant d’êtres plus heureux que nous !

– T’engages-tu à me le chercher ? demanda la fée.

– Je m’y engage.

– Et toi, Bluette ?

– Moi aussi, bonne fée Prévoyante.

– Eh bien ! donc, qu’il soit fait selon votre désir ! dit-elle en leur présentant la branche de tilleul.

« Prenez ceci. C’est un talisman précieux qui vous guidera et vous rendra invisibles.

« Mais souvenez-vous que si dans quinze jours vous n’avez pas trouvé ce que je vous demande, vous redeviendrez Bluette et Coquelicot comme devant, dans votre champ de blé, mais fanés et vieillis.

« Et comme vous aurez démérité de la Prévoyance, jamais aucune fée ne viendra plus à votre secours. Adieu ! »

Et elle s’envola, montée sur un char enveloppé d’un nuage gris qui la déroba bientôt à leurs yeux étonnés.

En même temps ils ressentirent une grande secousse, et ils se regardèrent tout surpris.

Bluette n’était plus fleur.

C’était une jolie petite paysanne qui portait un jupon bleu rayé de blanc et de noir, un corsage bleu clair, de mignons sabots et une cornette blanche dont les ailes s’envolaient au vent.

Coquelicot était un jeune paysan fort avenant et d’une tournure très agréable, vêtu d’une veste rouge et d’un gilet noir croisé sur sa poitrine. Une belle culotte rayée noir et rouge, des bas verts, comme ceux de Bluette, et enfin un chapeau noir à larges bords et des sabots élégamment taillés complétaient son costume.

La nouveauté de cette forme, la fraîcheur de leur costume, l’éblouissante jeunesse de leurs visages, tout cela les charma.

Ils s’admirèrent, franchement enchantés et heureux.

« Et maintenant, s’écria Coquelicot en mettant la branche de tilleul à son chapeau, puisque nous sommes libres d’aller où bon nous semblera, allons admirer ces mondes merveilleux que nous étions condamnés à ne jamais connaître !...

– Et n’oublions pas surtout de chercher ce que la fée Prévoyante nous a demandé », ajouta Bluette en suivant son compagnon.

II- Bataille des quatre Éléments et coup d’air qui s’ensuivit

Nos deux voyageurs à la recherche de l’inconnu s’avancèrent d’abord sur une route unie, bordée à droite de bois verts et touffus, et à gauche de plaines fertiles parsemées d’habitations neuves et riantes.

Le soleil dardait ses mille flèches d’or ; les insectes bruissaient et bourdonnaient au milieu des herbes et des fleurs épanouies ; les oiseaux emplissaient l’air de leurs chants harmonieux.

La campagne était en joie.

Les deux enfants, le cœur ouvert à toutes les magies de cette fête de la nature, couraient à la poursuite des papillons aux ailes diaprées, s’arrêtaient devant les petites sources murmurantes du vallon, pour se rafraîchir, et amassaient une gerbe de mignonnes fleurettes qu’ils n’avaient jamais vues.

Mais voilà que bientôt la campagne devint moins gaie, les habitants devinrent plus rares, les arbres moins verts et moins nombreux.

Aux herbes épaisses et drues semées de fleurs avaient succédé les mousses jaunies, les lichens grisâtres, les immortelles aux ombelles safranées, les buis au feuillage triste...

Plus ils avançaient, plus le paysage s’assombrissait.

Maintenant c’étaient de grands vilains rochers gris et dénudés qui bordaient la route ; c’étaient des arbres aux troncs noirs, aux branchages desséchés, qui se dressaient comme des ombres aux grands bras menaçants...

Enfin ils virent en face d’eux, barrant le chemin, une énorme montagne au flanc noir garni d’un échafaudage de roches granitiques entassées pêle-mêle dans un désordre effrayant, et s’élevant jusqu’au ciel.

Au pied de la montagne s’élargissait une ouverture plus sombre que la bouche d’un tunnel des Vosges ou que l’entrée de l’enfer.

Ils étaient sérieusement inquiets, lorsqu’ils virent au-dessus de l’ouverture ces mots écrits en grandes lettres bleues et rouges :

Si vous êtes vêtus de ces deux couleurs, entrez ; sinon, retournez sur vos pas.

La lecture de cette sorte d’enseigne les rassura.

Coquelicot raffermit sur son chapeau la branche de tilleul qui devait les rendre invisibles, et ils franchirent le seuil de l’entrée d’un pas assez hardi, la curiosité les poussant en avant.

Mais bientôt ils s’arrêtèrent au milieu d’une vaste enceinte, antichambre de la sombre caverne, autour de laquelle s’ouvraient quatre portes rondes largement béantes.

Laquelle devaient-ils prendre ?

Comme ils se posaient cette question, ils virent sortir de chaque porte un personnage si étrange et si singulier, qu’ils reculèrent stupéfaits.

Le premier semblait une masse de feu. Des flammes brillantes couronnaient son visage ardent et rouge comme le brasier d’un haut fourneau.

Des charbons incandescents formaient sa ceinture, des bûches et des fagots flambants composaient sa longue robe ; enfin une écharpe de feu électrique voltigeait autour de lui comme une auréole.

Autant cet être singulier était brillant, autant le second était terne, laid et triste.

Imaginez une grosse boule de terre mouvante. Il est vrai que cette boule était accompagnée de deux grands bras et supportée par deux longues jambes informes.

Le petit œil noir de sa large figure pétillait de malice en regardant avec dédain les trois brillants personnages qui l’entouraient.

Le troisième paraissait tellement léger et diaphane (surtout à côté de la motte de terre), qu’il devenait parfois insaisissable à l’œil.

Bluette et Coquelicot remarquèrent qu’il venait beaucoup d’air de la porte d’où il était sorti.

Enfin le quatrième était charmant.

Son costume se fondait en eau verte, bleue et argentée.

Ses cheveux semblaient de petites vagues qui bruissaient le long de son cou.

Sa robe bleue ondulait en nappe transparente, terminée par une frange d’écume neigeuse.

Le costume des quatre personnages disait assez ce qu’ils étaient.

Bluette et Coquelicot avaient, en effet, devant eux les quatre éléments personnifiés : Le Feu, la Terre, l’Air et l’Eau.

« Ah ! vous voilà, madame la Terre ; comment va votre santé ? demanda le Feu.

– Mais fort bien, sans doute, fit le personnage nuageux, car madame engraisse de jour en jour.

– Quand cette rotondité croissante s’arrêtera-t-elle ? » ajouta l’être flambant d’un air de dédain.

La grosse boule brune les regarda en souriant et leur dit :

« La terre est faite pour être ronde. C’est la nourrice du monde entier et de tout le genre humain. Moquez-vous de moi à votre aise, mes chers compagnons ; je suis encore plus forte, plus utile et plus précieuse que vous.

« Feu, mon ami, vous êtes un ingrat, car non seulement je vous recèle et vous nourris dans mes entrailles, mais encore je vous supporte patiemment sur ma surface.

« Sans moi existeriez-vous ? N’est-ce pas moi qui produis et fais croître le bois des buissons et des arbres, ce bois précieux qui vous alimente ?

« Jeune Eau, ma chère, ne soyez pas si fière de votre transparente beauté !

« Je ne suis pas si vive et si mouvante que vous, mais je produis mille trésors plus précieux que ceux que vous gardez si avaricieusement tout au fond de vos entrailles.

« Ce n’est qu’avec des peines infinies que l’on va chercher chez vous les coraux et les perles. La mort s’ensuit souvent. Vous êtes aussi perfide que séduisante.

« Moi, je suis bonne femme et je me mets rarement en colère. Je ne demande qu’un peu de travail à ceux qui vivent du plus pur de mon sang : le blé, la vigne...

« Je ne veux pas vous humilier, Air orgueilleux, en vous énumérant tous les trésors que je possède au fond de mon cœur, l’or, l’argent et tant d’autres.

« Souvent vous êtes jaloux de mes fruits délicieux, des fleurs ravissantes dont je me pare.

« Vous arrivez comme un sournois, vous effeuillez mes fleurs, vous arrachez de leur tige ces fruits que j’enflais à plaisir, vous brisez ces arbres que j’avais eu tant de peine à faire naître et grandir ; vous soufflez, méchant Air, de toute la rage de vos colères.

« Tenez, je suis le meilleur comme le plus utile des éléments.

– Ne dirait-on pas, s’écria l’Air, que madame la Terre fait à elle seule la vie et le bonheur des humains ?

« Je vous demande un peu si l’on vivrait sans air !

« Et ces fleurs dont elle parlait tout à l’heure, à qui doivent-elles leurs belles couleurs ? À moi, il me semble, à moi, qui pour cette œuvre m’unis au Soleil, mon simple collaborateur.

« C’est moi qui les caresse de ma brise douce et vivifiante, qui transporte à travers l’espace le pollen qui permet à ces fleurs de porter des fruits.

« C’est moi qui dépose sur le vieux mur des masures ces graines qui bientôt égayent les pierres noirâtres de giroflées jaunes ou de résédas odorants, – le jardin du pauvre.

« N’est-ce pas moi, charmante Eau, qui gonfle les voiles de ces gros navires que vous portez, et qui les envoie d’un continent à l’autre ?...

« Je ne suis pas fier, du reste ; car je souffle aussi bien pour le petit navire que l’enfant dépose sur le bassin des Tuileries ou du Luxembourg, que pour le grand trois-mâts que l’homme charge de transporter ses lourdes marchandises à travers les océans.

« La joie des enfants, la joie des hommes.

« Et l’élégant cerf-volant de l’écolier en vacances ! et le gigantesque ballon de Nadar !

« Ah ! la conquête de l’air est la conquête la plus enviée des hommes.

« C’est leur aveu, et cet aveu n’est-il pas le témoignage certain de ma supériorité sur vous tous ?

« Enfin, qui soutient et fait vivre tout le monde des oiseaux, le plus joli petit peuple vivant ?...

– Après les hommes, toujours ! murmura la Terre.

– Et moi, s’écria la petite Eau bleue avec vivacité, interrompant ce discours emphatique et vide comme une bulle... d’air, pour quoi me comptez-vous ?

« Voilà madame la Terre qui se vante de porter les hommes et de les nourrir !

« Voilà l’Air qui crie bien haut qu’il les enlève dans son inaccessible empire !

« Je ne suis peut-être pas forte et puissante, moi qui soulève sur mes flots, aussi légèrement que des plumes ou des fétus de paille, de lourdes machines, d’énormes vaisseaux chargés de canons et cuirassés de fer !

– Vous oubliez que la surface de mon empire est sillonnée de chemins de fer, s’écria la Terre avec orgueil, et que les wagons, bien plus vite que vos vaisseaux, réunissent les peuples.

– Eh là ! ma mie, se récria le Feu, rouge de colère, ce n’est pas vous qui faites mouvoir les wagons ; c’est moi.

« Sans feu point de vapeur, sans vapeur point de chemins de fer ni de bateaux. Les bateaux, en effet, se passent fort bien de Sa Majesté l’Air. Il souffle si maladroitement dans les voiles, que les hommes ont supprimé son aide.

– Mais, interrompit la Terre, j’ajouterai : Sans charbon de terre pas de vapeur ; et où trouve-t-on le charbon de terre ? Il porte assez mon nom, il me semble, pour qu’on sache qu’il sort de mes entrailles.

– La belle utilité que votre charbon tout noir, si le feu n’y est pas ! Le feu, mais c’est le plus utile des quatre Éléments !

« Est-ce que l’hiver on peut vivre sans moi ? Je réchauffe tout le monde, et Dieu sait si l’on fait cas de moi, là-bas, dans les bons pays de la Russie et de la Sibérie !

– Bons pays, murmura tristement la Terre, où la neige me glace ou me cache !

– Rien n’est si bon et si beau qu’un bon feu, reprit l’orgueilleux personnage ; et vous pourriez donner aux humains des légumes, des fruits et du gibier, madame la Terre, et vous quelques maigres oiseaux, monsieur l’Air ; vous, enfin, des poissons et des coquillages : si les hommes n’avaient pas le feu pour faire cuire tout cela, ils ne sauraient user des dons que vous êtes si fiers de leur offrir.

– Qu’oses-tu dire ! s’écria l’Eau. Tu sais bien que je t’éteins et te fais mourir !

– L’Eau, l’Air et le Feu dépendent de la Terre, s’écria cette dernière. La Terre est toute-puissante.

« Elle porte l’Eau et le Feu ; elle résiste aux intempéries de l’Air.

– Ah ! tu crois cela, souffla violemment celui-ci ; mais si je le voulais, ma chère, non seulement je briserais tes dons, mais encore je t’éparpillerais miette à miette par la puissance de mon haleine !

– Oh ! le vilain Air ! à mort ! à mort ! » s’écria la Terre, furieuse de cette menace.

Et voilà les quatre Éléments qui fondent l’un sur l’autre avec une telle furie, que les humains durent trembler d’inquiétude et de frayeur.

« Sauvons-nous, dit Coquelicot, qui n’était pas très brave ; il pourrait nous arriver quelque mésaventure.

« Ces êtres-là sont très forts et très puissants, sais-tu ! Ce sont les premiers du monde.

– Bah ! dit Bluette, nous sommes invisibles.

Mais c’est égal, partons, car ce n’est pas ici que nous trouverons l’être doux et humble que nous cherchons. »

Et comme ils se prenaient par la main pour s’enfuir bien vite hors de la grotte, voilà qu’ils aperçurent l’Air qui accourait en soufflant derrière eux, et qu’ils se sentirent brusquement emportés.

Ils fermèrent les yeux, croyant être à leur dernière heure.

Mais, ne sentant aucun mal, ils se hasardèrent à les rouvrir.

Ils virent alors qu’ils voguaient dans l’espace entre le ciel et la terre.

C’était l’Air qui, sorti de la grotte pour aller respirer un peu au dehors, les avait par mégarde emportés avec lui.

 

III- Grande assemblée des oiseaux

L’Air, qui se ressentait encore de sa grande colère contre ses compagnons, soufflait avec violence, et Bluette et Coquelicot avançaient fort vite.

Coquelicot goûtait assez cette manière de voyager, car il ne fallait remuer ni bras ni jambes, ni s’arrêter à aucune station.

Mais, si sa paresse était satisfaite, sa curiosité n’était pas flattée.

Il avait beau regarder au-dessous de lui, il ne voyait rien.

La terre était cachée par un voile épais.

« Le pays de l’Air est un peu monotone, dit-il à sa compagne.

– Sois tranquille, répondit celle-ci, si nous ne voyons pas le paysage au-dessous de nos pieds, nous allons sans doute assister à quelque chose d’intéressant au-dessus de notre tête, car c’est probablement pour cela que le coup d’air nous a enlevés. »

Elle n’avait pas fini de parler, qu’ils entendirent un grand bruit d’ailes au-dessus de leur tête.

Et ils aperçurent alors une si grande quantité d’oiseaux, que le ciel disparaissait derrière l’épaisse nuée qu’ils formaient.

Il y en avait de toutes les grandeurs, de toutes les couleurs, de toutes les formes ; et ils tournaient, tournaient si vite, que Coquelicot et Bluette en eurent le vertige.

Un aigle magnifique agitait ses larges ailes déployées.

L’oiseau royal semblait fort irrité, et plusieurs petits oisillons se cachaient derrière lui, tout en criant et sifflant plus fort que les autres oiseaux.

Un vautour, un milan et un épervier, haussaient leurs ailes et semblaient narguer l’aigle.

L’oiseau du paradis et l’oiseau-mouche criaient au-dessous d’eux.

Le perroquet racontait ses prouesses au merle, qui le sifflait.

Le geai était furieux de voir le paon faire la roue.

Enfin le rossignol, la fauvette, le chardonneret et le serin, chantaient à plein gosier pour couvrir les cris rauques et les sifflements des plus gros oiseaux.

Tout à coup la voix puissante de l’aigle éclata, pleine de fureur impatiente : « Vous tairez-vous enfin, vils misérables oisillons ! Vous abusez de ma patiente bonté. Rangez-vous sur-le-champ, ou je vous chasse d’un coup d’aile !...

« Puisque vous vous mêlez d’avoir des débats, et puisque vous m’avez choisi pour vous juger, paraissez d’abord devant moi, oiseaux carnassiers qui osez prétendre être plus forts et plus voraces que moi.

« Milan, vautour et épervier, je vous méprise et vous dédaigne !...

« Oh ! je vous connais bien. Souvent vous me disputez les débris de la proie que j’ai choisie.

« Mais je suis le plus fort, le plus grand, le plus noble de vous tous.

« Je suis l’oiseau royal qui porte le tonnerre. Mon image a orné le drapeau de la France.

« Fuis, lâche vautour, qui dévores les cadavres ; fuyez, épervier et milan, fuyez vers ces noirs rochers qui vous servent de repaires, moi j’habite leur cime, et mes yeux osent regarder fixement le soleil.

« Et vous, oiseaux chanteurs, chantez ; oiseaux aux couleurs éclatantes, montrez-vous, afin que je proclame celui d’entre vous qui réunit au plus haut degré ces deux merveilleuses qualités : la beauté du plumage et la beauté du ramage. »

Tous les oiseaux formèrent un vaste cercle autour de l’aigle, qui, posé sur un nuage, semblait un roi sur son trône.

Et voici qu’au milieu de ce cercle, le paon s’avança traînant sa longue queue, la relevant, l’arrondissant à petites secousses qui faisaient bruire ses plumes, et enfin étalant d’un air fier ses mille yeux d’or, d’émeraude et d’azur.

« Grand aigle, dit-il d’une voix rauque et stridente, si tu possédais les merveilleuses plumes dont je suis paré, à la place de ta vilaine fourrure fauve, il ne te manquerait rien.

– Insolent ! s’écria l’aigle, si tu avais une voix douce et mélodieuse, tu serais un oiseau parfait ; mais ta voix est désagréable et ta fierté insupportable. Sors de ma présence. »

Le paon se retira en baissant la queue, et le perroquet s’avança gravement à sa place.

« Ca ca rako ! j’ai la voix séduisante, j’ai le plumage éclatant, que me manque-t-il ?

– Eh ! dit un geai qui se mit à siffler, tu parles du nez ; mais ce n’est pas étonnant, tu l’as si gros ! »

Le perroquet s’enfuit, tout penaud de cette juste remarque.

Et voilà que le rossignol se mit à faire entendre une mélodie si nouvelle, si pure, si suave, que chacun demeura ravi.

« Où es-tu, demanda l’aigle, toi qui chantes si bien ?

– Me voici, répondit un petit oiseau brun à l’allure lourde et gauche.

– Mon pauvre ami, il faudrait seulement t’entendre, reprit le geai, qui faisait l’office de critique. Quand on te voit, adieu le charme.

« Il faut charmer à la fois l’oreille et les yeux. »

D’autres oiseaux s’avancèrent.

Un joli serin des Canaries, jaune comme de l’or, se mit à faire entendre son petit ramage.

« Je suis joli, je plais et je chante : que faut-il de plus ?

– Un peu plus d’intelligence et d’esprit, mon ami, reprit le geai.

« Tu chantes, c’est vrai ; tu es joli, c’est encore vrai ; mais, sorti de là, tu ne pourrais pas seulement te bâtir un nid.

« Ah ! si tu avais mon esprit, tu serais le roi des petits oiseaux. »

Bluette poussa le coude à Coquelicot.

« Sont-ils orgueilleux et vaniteux ! murmura-t-elle. Tu verras que pas un n’avouera franchement qu’il lui manque quelque chose.

– Mais si, dit Coquelicot. Tiens, vois cette jolie hirondelle noire et blanche. Elle est bien modeste, elle ne réclame rien. Je gage que nous pourrons la présenter à la fée Prévoyante comme le petit être doux et humble qu’elle nous a ordonné de lui amener. »

« Tiritruiz, tiritruitz, tiritruitz, grasseya la petite hirondelle en volant devant l’aigle.

« Seigneur, vous êtes grand, et je suis petite.

« Mais je suis d’une légèreté admirable.

« Rien de plus fin et de plus élégant que mes ailes allongées, dont le vol rapide est devenu célèbre.

« Tout grand que vous êtes, vos plumes sont d’une triste et monotone couleur.

« Y a-t-il rien au monde de plus joli que ma blanche poitrine et que ma tête de velours noir-bleu ?

« Vous êtes fort, monseigneur l’aigle ; mais je suis plus adroite que vous.

« Car c’est en me jouant dans l’air que je happe au vol les insectes dont je me nourris.

« Je ne me rue pas gauchement comme vous sur ma proie.

« L’aigle enlevant un mouton a toujours paru gauche et empêtré.

« Rien n’est gracieux comme l’hirondelle fondant sur une vilaine mouche.

« Enfin, seigneur, à quoi servez-vous ? à quoi êtes-vous utile ?

« Vous vous vantez d’avoir orné le drapeau de la France.

« Eh bien ! puisque cela vous enorgueillit si fort, je vous dirai que l’on m’aime et que l’on me choie bien plus que vous dans ce beau pays.

« Quand l’hiver fuit, je reviens bien vite vers ce doux climat où l’on m’appelle, où l’on m’attend comme la messagère du printemps.

– Quelle bavarde ! fit Coquelicot. Qu’on lui donne tout de suite le premier grand prix de langue, et que cela finisse !

– Les poètes, continuait avec acharnement l’hirondelle, les poètes m’ont chantée sur tous les rythmes ; les romanciers ne parlent jamais de deux amoureux sans me mettre de la partie.

« Enfin mon doux nid, chef-d’œuvre de maçonnerie, est le seul en France qui soit respecté, et qui soit trouvé digne d’orner les corniches d’un palais de souverain tel que le Louvre, et d’un palais de savants tel que l’Institut.

« Je rends tant de services en détruisant les insectes et les mouches tant détestées !

« Outre ma beauté, ma grâce et mon élégance...

– Et allez donc ! s’écria Coquelicot en riant et en faisant le geste d’un homme qui bat la grosse caisse et les cymbales.

– ... Outre mon habileté et mon intelligence, j’ai l’âme bonne et j’aime mes compagnes.

« J’aide les plus faibles, et je ne me dispute jamais avec les plus fortes, ainsi que le moineau pillard, effronté, batailleur, que je vois ricaner là-bas.

« Le paon est inutile, le serin stupide, le pinson et le chardonneret ridicules en leur prétention... ; le reste ne vaut pas la peine qu’on en parle.

« Le pigeon voyageur est un pauvre mendiant qui meurt de faim, ou que les enfants tuent avec leur fronde.

« Vous, monsieur le faisan, qui élevez votre voix flûtée, malgré vos plumes d’or et d’azur, on ne vous estime que lorsque vous êtes bien gras.

Alors on vous tue, et même on ne vous mange que lorsque vous êtes à moitié pourri !...

– Mais c’est une affreuse commère que cette hirondelle ! dit Bluette en se bouchant les oreilles.

– Ouf ! faisait en même temps Coquelicot, j’en ai assez, j’en ai trop. Je suis étourdi ! C’est madame de Longue-Haleine qu’il faut appeler cette babillarde infatigable.

– Partons, Coquelicot, reprit Bluette ; laissons nous emporter par ce vent qui souffle. Il ne fera pas bon rester ici tout à l’heure. Ces oiseaux vont se batailler comme les quatre Éléments.

– Tu as raison, répondit Coquelicot ; ce discours va se terminer par une horrible plumée... Gare aux coups de bec à aiguille ! Cette hirondelle qui paraissait si modeste !... Ah ! qu’il ne faut point se fier aux apparences !... »

Un gros nuage qui passait l’empêcha de continuer.

Il saisit vivement la main de Bluette, et le nuage les emporta comme dans un tourbillon.

IV- Bluette et Coquelicot soupent avec la Lune

À mesure qu’ils avançaient, ils devenaient inquiets.

Où allaient-ils ainsi ?

Coquelicot, malgré ses instincts de curiosité et son attitude un peu fanfaronne, n’eût pas été fâché, au fond, de sentir sous ses pieds le plancher des vaches.

Bluette ne disait rien, mais son petit estomac criait bien fort, car on n’avait rien mangé depuis le matin.

De plus, la nuit venait rapidement, et cela les effrayait encore davantage.

« Est-ce que ce gros nuage va nous traîner toute la nuit par les airs ? dit Coquelicot.

« Ce n’est pas que je sois fatigué, puisque je ne bouge pas ; mais je m’assiérais volontiers un peu.

– Surtout devant une table confortablement garnie, ajouta Bluette. Bien sûr, nous ne dînerons pas aujourd’hui, car voici déjà les étoiles qui paraissent.

– Nous souperons peut-être !... Ah ! mon Dieu ! mais ce nuage se trompe... Il monte au lieu de descendre !...

– Mais non, dit Bluette en riant. Les nuages sont faits pour être au ciel, et non sur la terre.

– Alors nous allons dans le ciel, répliqua Coquelicot peu rassuré.

– J’en ai grand-peur ! C’est qu’il monte, monte toujours. Vois comme les étoiles se rapprochent.

Décidément nous voilà bien loin de la terre, et loin du dîner aussi.

– Ah ! les singulières étoiles ! Y en a-t-il, Bluette, y en a-t-il !... »

Comme ils regardaient de tous leurs yeux, ils furent éblouis tout à coup par une grande lumière argentée qui se répandait au milieu du ciel sombre.

« C’est la Lune, dit Coquelicot en essayant de rouvrir ses yeux avides et curieux. Oh ! qu’elle est belle ! »

Le nuage les déposa sur la voûte étoilée, et ils virent alors de très près une chose merveilleuse.

La Lune, vêtue d’une robe de moire d’argent, était étendue sur un divan de velours bleu sombre.

Sa figure large et pleine avait une expression de mécontentement.

Les coins de sa bouche s’abaissaient, et ses regards étaient fixés au loin.

Autour d’elle s’empressaient une foule de charmantes étoiles.

Les plus grandes disposaient au-dessus de sa tête un dais de velours noir et bleu.

Les plus petites préparaient une table élégamment servie.

Bluette et Coquelicot, après avoir regardé la Lune et les étoiles, contemplèrent alors, avec toute l’admiration d’estomacs affamés, les mets dont la table était garnie :

Des volailles froides nageant dans une gelée de jus ;

Deux grands gâteaux glacés en forme de croissant ;

Et deux gelées rondes qui tremblaient sur leur base, et envoyaient à leurs narines ouvertes un parfum de fraise et d’ananas digne d’un empereur.

« Madame la Lune, dit doucement une petite étoile, vous êtes servie.

– C’est bien, petite ; appelle ma confidente. »

L’étoile du berger, brillante de toilette et de beauté, accourut aussitôt et se jeta à ses pieds.

« Qu’a donc ma chère maîtresse ? demanda-t-elle, je vois des nuages sur son front.

– Ah ! mignonne, que je suis irritée contre ce vilain Soleil !

« N’ai-je pas été obligée de paraître toute la journée dans cet affreux ciel pâle !

« N’ai-je pas été écrasée par ce maudit astre d’or !

« Aussi personne n’a fait attention à moi, personne ne m’a vue.

« Je n’ai pas recueilli dans mon triste voyage une seule pièce de vers ; pas le moindre sonnet, pas la plus petite ballade.

« Tu sais cependant si les poètes de la terre préfèrent à cet affreux soleil étincelant l’astre d’argent à la douce lumière !

« Eh bien ! mesdemoiselles les étoiles, quand vous serez là à me regarder avec vos grands yeux bêtes !... Sortez de ma présence, je n’ai plus besoin de vous ! »

Et d’un geste dédaigneux la Lune congédia ses suivantes.

« Voyons, mangez un peu pour vous remettre, dit câlinement l’étoile du berger. Toutes les fois que vous êtes obligée de paraître dans la journée, vous êtes malade de fatigue.

– Ou de dépit et de jalousie », murmura Bluette à l’oreille de Coquelicot, qui songeait.

« Dis donc, ma petite Bluette, fit celui-ci en lui poussant le coude, puisque nous sommes invisibles, nous pourrions bien, il me semble, nous asseoir là, à cette table, et goûter à cette bonne volaille enfouie dans la gelée.

– Hum ! tu crois ! dit Bluette.

– Essayons. La Lune en a bien de trop pour elle, et puis elle ne me paraît pas avoir grand appétit. »

Ils firent un pas en avant, puis deux, puis trois, et finirent par s’asseoir sur le banc de velours capitonné placé devant la table en face de la Lune.

Celle-ci, quoi qu’en eût dit Coquelicot, mangeait d’un fort bon appétit, tout en continuant à se lamenter.

Chaque plainte était accompagnée d’un coup de dent.

L’étoile restée seule auprès d’elle avait fort à faire à la servir.

« Quand je pense que je suis la première des planètes, la plus grande, la plus belle, et que je suis obligée de courir autour de la terre comme une esclave autour de sa maîtresse !

– Esclave, non, observa l’étoile ; vous êtes son satellite, comme disent les savants.

– Le nom est moins humiliant ; mais je n’en joue pas moins un rôle de suivante.

– Oh ! reprit l’étoile, une suivante à distance ; et la distance est si grande, que vous n’êtes en réalité que sa représentante, son ambassadrice auprès des autres mondes.

– Au fait, dit la Lune, dont la large face s’épanouit de satisfaction à ce petit compliment, la distance n’a jamais été moindre de quatre-vingt-cinq mille lieues.

« Ah ! si je n’étais pas quarante-neuf fois plus petite qu’elle !...

– Une chose bien injuste, fit l’étoile d’un air hypocritement indigné, c’est que les petits subissent toujours la loi des grands.

– Je me résignerais volontiers, reprit la Lune en absorbant un magnifique blanc de volaille garni de gelée, à parcourir régulièrement, en vingt-sept jours, ma course immense autour de la terre, si je pouvais chaque nuit me montrer dans toute ma splendeur.

« Tiens, mignonne, je mène une pâle et triste vie !

« Croirais-tu que la Grande-Ourse se ligue avec la Voie lactée pour conspirer contre moi ?

– Que craignez-vous ? vous êtes toute-puissante.

– Oui, mais la Voie lactée a des combattantes plus nombreuses que les grains de sable de la mer..., et rien n’est plus remuant que ces petites étoiles.

« Qu’une éclipse m’arrive avec cela, je suis une Lune perdue ; car, pendant que je serai cachée, ces misérables étoiles profiteront de mon éclipse pour faire une révolution.

« Aussi, vois, je suis malade d’inquiétude, et j’en perds l’appétit. »

En disant cela, la Lune continuait à manger à belles dents, et Coquelicot et Bluette, grâce à leur invisibilité, se rassasiaient des miettes du festin.

« Je ne m’étonne plus si la Lune est si grasse et si transparente, remarqua Coquelicot la bouche pleine ; quand on se nourrit de ces excellentes gelées !

– Tu sais bien que la Lune est forte pour les gelées, reprit Bluette, qui avait toujours le mot pour rire.

« Mais dépêche-toi un peu, car il ne s’agit pas de nous endormir ici.

« Nous sommes renseignés sur la modestie de la Lune, il faut aller voir un peu ces petites étoiles là-bas.

« Je pense toujours à la recommandation de la fée, moi.

« Songe à la menace qu’elle nous a faite si nous ne trouvons pas ce qu’elle nous demande !

– Bah ! dit Coquelicot en se levant, il y a bien d’autres mondes que ceux que nous avons vus.

Nous avons tout le temps.

« En attendant, profitons des merveilles qui sont offertes à nos yeux.

– Allons voir les étoiles », dit Bluette en l’entraînant.

Mesdemoiselles les étoiles caquetaient à qui mieux mieux, et quêtaient l’admiration et les compliments des planètes.

Jupiter, Mercure, Saturne et Uranus, conspirant contre la Lune, cherchaient à les attirer dans leur parti par des douceurs et de petits cadeaux.

Bluette et Coquelicot, ne trouvant pas là ce qu’ils cherchaient, avisèrent alors la Voie lactée, où grouillaient une multitude de petites étoiles qui à distance ne semblaient pas plus grosses que des pointes d’aiguille.

« Ce doivent être les paysannes du ciel, dit Coquelicot, et elles ne seront pas fières, j’en suis sûr.

« Tiens ! elles bavardent. Écoutons leur conversation. »

Une fois de plus ils acquirent la conviction que les absents ont toujours tort.

Les paysannes de la Voie lactée, la plupart nourrices et bonnes d’enfants de mesdames les étoiles et de messieurs les satellites, s’en donnaient à cœur joie, tandis que les maîtres conspiraient.

D’abord la Lune était une grosse sotte qui méritait bien ce qui lui arrivait.

L’étoile du berger n’était qu’une flatteuse, un plat courtisan qui pour plaire à la Lune se montrait toujours en même temps qu’elle.

Ensuite Mercure, Jupiter et les autres étaient des ingrats, des orgueilleux, qui ne se souvenaient d’elles que lorsqu’ils en avaient besoin.

Les étoiles étaient des coquettes, des pimbêches, qui faisaient de folles dépenses en éclairage et en diamants.

Tout ce monde-là, enfin, avait certes grand tort de compter sur elles.

Quand elles se révolteraient, ce serait pour leur propre compte.

Elles renverseront la Lune, les satellites et les étoiles.

Car, si elles ne sont pas grosses, elles sont nombreuses, et elles sont tout aussi bien capables de gouverner et d’éclairer que tous ces aristocrates vieillis et usés.

Bluette et Coquelicot n’en entendirent pas davantage.

Découragés et fatigués, ils se laissèrent tomber sur un lit de nuages, et le sommeil, un des valets de la Lune, vint semer sur leur front des pavots de toutes les couleurs.

V- Comment Bluette et Coquelicot déjeunèrent au fin fond de la mer.

Le lendemain ils se réveillèrent au grand jour, et furent tout étonnés de se trouver dans l’air mouvant.

Ils ne voyaient plus rien au-dessus de leur tête ; mais cette fois ils apercevaient distinctement la terre au-dessous d’eux.

Ils éprouvèrent une grande joie en distinguant de vertes prairies, de hautes montagnes, des villes magnifiques.

« Enfin ! dit Coquelicot, nous allons donc voir une ville et des hommes.

« Je t’avoue que j’ai encore mal aux yeux d’avoir regardé toutes ces étoiles brillantes.

– Et moi j’ai les oreilles blessées de leurs jalouses et orgueilleuses paroles.

– Oh ! le beau lac ! s’écria Coquelicot en regardant à ses pieds. Pour sûr, voilà un beau lac. On dirait un morceau de miroir.

– Ah ! voici quelque chose de bien plus beau que ton lac.

« Vois cette mer couverte de navires et de petits bateaux.

– Elle paraît tantôt bleue, tantôt verte, tantôt grise. C’est vrai, c’est plus beau encore.

« Mais il me semble que nous descendons droit vers la mer. »

Ils n’étaient plus, en effet, qu’à une certaine distance de la surface.

« Tu plaisantes ! la fée a trop de prévoyance pour vouloir nous noyer au milieu de notre voyage !...

« Tiens, regarde plutôt ce singulier oiseau qui voltige devant nous.

– On dirait un poisson qui vole, car son corps a des nageoires longues comme des ailes.

« Qu’est-ce qu’il a donc à tournoyer ainsi ?

– Ne vois-tu pas qu’il est inquiet de ce gros oiseau blanc qui arrive là-bas à droite de toute la vitesse de son vol ?

– En effet, le voilà qui fond sur lui.

– Oui, mais le poisson se replonge dans l’eau.

– Ah ! pauvre poisson, voilà un de ses compagnons, bien plus gros que lui, qui se précipite à sa poursuite et l’attaque. »

Coquelicot et Bluette constatèrent alors qu’ils suivaient le même chemin que le poisson volant, qu’une grosse dorade dévorait en ce moment, tandis que l’albatros désappointé s’envolait en poussant un cri aigu.

Nos deux voyageurs n’eurent pas le temps de s’apitoyer sur le sort du pauvre poisson volant, qui, oiseau ou poisson, soit qu’il vole, soit qu’il nage, ne trouve partout autour de lui qu’ennemis puissants dont il devient la proie facile.

« Bluette, Bluette, s’écria Coquelicot, nous sommes perdus, nous allons nous noyer ! »

En effet, leurs pieds touchaient les vagues.

Ils regardèrent rapidement autour d’eux, en jetant des cris de détresse.

Pas un navire, pas un bateau à l’horizon.

Alors ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, et se laissèrent couler dans l’eau en fermant les yeux.

Au bout de quelques minutes, Bluette rouvrit les yeux la première, et fut grandement étonnée de se sentir encore vivante.

« Coquelicot, demanda-t-elle tout bas, es-tu mort ?

– Non, répondit celui-ci ouvrant les yeux à son tour, et, ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que je ne suis même pas mouillé.

– Tiens, moi non plus, s’écria Bluette à demi rassurée. Nous sommes cependant bien dans la mer.

– Hélas ! oui, s’écria Coquelicot, puisque voici un gros poisson qui va nous manger.

– Hé non, bêta ! tu sais bien que nous sommes invisibles.

– Quelle bonne fée que cette fée Prévoyante ! elle prévoit tout, dit Coquelicot attendri en essuyant une larme de joie.

« Pourvu qu’un navire ne nous écrase pas en passant ! ajouta-t-il en soupirant.

– Nous descendons trop vite pour cela. Tout à l’heure nous allons être au fin fond de la mer.

« Coquelicot, tiens-moi bien afin que nous ne soyons pas séparés. »

Tout d’un coup ils sentirent un grand choc, et s’arrêtèrent dans leur mouvement de descente.

Leurs pieds venaient de toucher le sable.

Leur premier soin fut de reconnaître le lieu où ils se trouvaient.

Certes, ils étaient favorisés.

Le paysage qu’ils avaient sous les yeux était aussi pittoresque que nouveau.

Ils se trouvaient placés sur le versant d’une colline de sable, à l’entrée d’une grotte de rocailles naturelles formée d’un rocher surplombant, creusé à sa base.

À gauche s’étendait une vaste prairie d’herbes vertes parsemées de sortes de fleurs de toutes les couleurs.

On eût dit un champ immense planté de marguerites-reines multicolores.

En face une autre colline très accidentée, avec d’énormes roches superposées le long desquelles pendaient des lianes ; puis çà et là s’épanouissaient, sur les flancs, des étoiles rouges, roses, violettes.

Plus loin toute une forêt purpurine de corail avec des ramifications à l’infini, foret branchue sans feuillages, dont les rameaux étaient voilés de distance en distance par des mousses vert clair d’une incomparable légèreté.

À droite la colline sablonneuse s’allongeait à perte de vue, parsemée d’une multitude de coquillages aussi variés de couleur que de formes.

À leurs pieds le fond de la vallée, où grouillaient de petits vers aux anneaux bariolés, des espèces de serpents et de reptiles au corps plat comme de minces rubans, s’enroulant autour d’une corde qui n’était autre que le câble électrique posé récemment par le vaisseau le Great-Eastern entre l’Angleterre et l’Amérique.

Après un instant de contemplation donné à ce magnifique tableau, ils s’assirent sur un banc naturel de roche moussue, moelleuse comme un divan de velours ; ils prêtèrent leur attention aux objets environnants.

Leurs regards furent attirés d’abord vers une huître placée tout près d’eux.

Elle entrouvrait sa grosse coquille grise pour happer au passage les imprudents insectes qui s’aventuraient de son côté.

Au même instant, une moule voisine ayant ouvert sa longue coquille noire, ils virent très bien sa figure jaune faire la grimace à l’huître blanche et grasse.

« Voyez un peu cette grosse sotte qui empêche les insectes de passer près de moi ! dit-elle en jaunissant de dépit.

– En voilà déjà une qui n’est pas contente, et qui jalouse sa voisine », murmura Bluette.

Un petit bruit de voix flûtées leur fit retourner la tête.

C’étaient le pétoncle et la clovisse qui prétendaient chacun être le meilleur coquillage.

L’huître et la moule soulevaient leurs coquilles de pitié.

Au plus fort de la dispute survint un gros homard bleuâtre qui les guettait, sournoisement caché sous une pierre.

Coquelicot jeta un cri, et se recula à la vue de ses deux énormes pinces.

Mais les deux grosses pinces, sans se soucier de Coquelicot, saisirent le pétoncle et la clovisse, les écrasèrent fort proprement et les portèrent à une sorte d’ouverture qui les avala sur-le-champ.

« C’est bien fait ! » dit l’huître, qui referma prudemment sa coquille en entendant un petit clapotement suspect.

Bluette et Coquelicot, qui avaient aussi entendu ce bruit, en connurent bientôt la cause.

Il était produit par la bataille d’un barbarin et d’une sole, qui s’allongeaient de grands coups de bec.

Le barbarin, sans doute, avait été trop vaniteux de sa couleur rouge ; et la sole, d’aspect sale et gris, avait voulu se venger de ses railleries.

Le bon matois de homard, toujours en embuscade comme un voleur de grand chemin, se précipita au milieu de la bataille, et une seconde fois les formidables pinces saisirent le barbarin de la droite, et la sole de la gauche.

Il les serrait si fort, qu’il manqua les couper en deux.

Mais, comme il fuyait pour cacher son butin dans le sable, un énorme crabe lui barra le chemin.

La proie à demi écrasée que le homard emportait le tenta sans doute beaucoup, car il se mit à donner de grands coups de carapace.

Il était plus large que le homard, et ses pinces étaient pour le moins aussi fortes.

Aussi eut-il bientôt remporté l’avantage sur son ennemi, qui, à moitié brisé, se laissa tomber sur le sable.

Le crabe, triomphant, s’en retournait allègrement dans son trou, quand il aperçut plusieurs petites crevettes grises qui jouaient et dansaient parmi les herbes.

Le crabe, très friand de ces jolies petites bêtes, déposa pour un instant sa proie certaine, et s’avança lentement vers les crevettes.

Sur son chemin il rencontra une grosse et large coquille, celle qu’on appelle coquille de Saint-Jacques, ou la pèlerine.

Il s’arrêta une seconde ; mais la vue des petites crevettes qui dansaient devant lui et semblaient le narguer lui donna du courage.

Il voulut passer par-dessus la coquille de Saint-Jacques ; mais celle-ci saisit une de ses pattes et referma vivement ses valves, comme les deux lèvres de fer d’un puissant étau.

De sorte que le crabe écloppé s’enfuit en toute hâte et se réfugia dans son trou, laissant sa patte entre les coquilles de son ennemie.

La coquille de Saint-Jacques devait donner, en ce moment, une assez mauvaise opinion de sa tempérance au grand patron des pèlerins.

Elle ouvrait et refermait alternativement ses deux larges coquilles rayées, et s’efforçait de briser les pattes du vaincu.

Les deux enfants regardaient de tous leurs yeux le spectacle de cette sorte de mastication, quand il se fit autour d’eux un grand mouvement.

De tous côtés accouraient des poissons rouges, roses, violets, teintés d’or, d’azur et d’émeraude.

Comme l’ogre du Petit-Poucet, ils sentaient la chair fraîche.

La pèlerine, à leur vue, fit un bond en arrière pour emporter la patte du crabe objet de leur convoitise.

Bluette et Coquelicot, qui n’étaient que de petits paysans, ne connaissaient pas le nom de tous ces poissons.

Il y avait un gros rouget ; une petite coquette toute vermillonnée et violettée ; deux jarretières ressemblant à deux longs serpents d’argent ; quatre ou cinq zées, dont le corps paraissait brodé sur toutes les coutures ; une dorade argent et or, – celle peut-être qui avait happé le pauvre petit poisson volant ; – une grosse alose, deux raies, une morue énorme.

Tous ces poissons se mirent à l’envi à tirer la malheureuse patte, et à faire de violents efforts pour obliger la coquille pèlerine à lâcher prise.

Celle-ci, travaillée en tous sens, fut enfin contrainte d’abandonner sa proie, et se tint immobile et fermée.

La patte du crabe, à demi mutilée, fut dépecée en un clin d’œil, et les poissons combattirent à qui aurait le plus gros morceau.

Au milieu de la lutte, une petite sardine fraîche et pimpante, le hareng, son frère, et l’anchois, leur cousin, se glissèrent au-dessous des combattants afin d’attraper les menus débris du festin.

Il est probable que les coquilles éparses sur le sol aux alentours recueillirent ensuite les miettes de la sardine, du hareng et de l’anchois qui tombaient sur le sable, car Bluette et Coquelicot remarquèrent qu’elles ouvraient très vivement les auvents de leur maison.

On peut penser à quel point Bluette et Coquelicot s’amusaient de toutes les scènes si variées de ce spectacle nouveau et étrange.

Assis sur le tertre de sable, ils étaient aussi agréablement placés que dans la première loge d’un théâtre de féeries, et ils voyaient se dérouler sous leurs yeux les épisodes souvent tragiques de ce monde bizarre.

Plusieurs poissons s’éloignèrent, cherchant d’autres proies.

D’autres restèrent immobiles devant les deux enfants, soulevés de temps en temps par l’eau mouvante et paraissant digérer tranquillement leur repas.

L’attention de nos petits voyageurs se porta alors vers la forêt de polypiers qui se trouvait à leur gauche.

Ces bizarres arbustes-animaux, ces fleurs réellement vivantes, agitaient sans cesse leurs pétales comme autant de petits bras, et saisissaient au passage un petit insecte, un petit ver, un petit poisson.

Rien n’était plus curieux que de voir ces victimes sans défense, saisies, entortillées, garrottées par les mille fils actifs et voraces de leurs étranges ennemis.

« Vois donc la belle fleur qui s’étale sur cette pierre, dit Coquelicot en poussant le coude de Bluette ; elle porte mes couleurs.

– Elle est plus délicate que toi, fit Bluette ; elle est ornée de légers pétales allongés, roses comme le sainfoin des champs, et son cœur est noir avec des raies d’or. »

Ce que Bluette appelait un cœur était tout simplement une bouche.

Et ces pétales fins et roses n’étaient autre chose que des bras qui se mirent en mouvement pour saisir un imprudent petit poisson qui passait à leur portée.

En un clin d’œil, l’anémone, – cette fleur était une anémone, – eut avalé sa proie ; et tandis que Bluette poussait une exclamation d’étonnement, un second petit poisson, le frère sans doute du premier, fut de nouveau saisi par les pétales de l’anémone, et allait être englouti, quand une petite crevette vint bondir contre l’anémone, saisit la queue du poisson qui sortait de la bouche de cette dernière, et s’efforça de lui arracher cette proie.

L’anémone tenait bon, la crevette aussi.

Laquelle des deux allait avoir le poisson ?

L’anémone se raidit de toutes ses forces et lança ses mille petits bras sur le corps de la crevette, qui fut cramponnée, garrottée, et qui disparut avec le poisson dans la bouche insatiable de son ennemie.

« Est-il possible ! s’écria Bluette. Une si jolie fleur qui dévore tout ce qui l’approche !... »

La jolie fleur, d’un air très satisfait, refermait tout doucement ses pétales, et, repue et immobile, s’endormit, présentant la forme d’un gros bouton de marguerite.

Coquelicot et Bluette furent tirés de leur attention par un petit bruit de voix fraîches et voilées qui se faisaient entendre à quelques pas d’eux.

Ils reconnurent bientôt que c’était la morue, le hareng et la sardine en grande conversation.

La morue, tout en lorgnant le hareng et pensant qu’on en ferait un excellent repas, regardait la sardine d’un air méprisant.

Celle-ci ne semblait guère s’en soucier, et se redressait toute frétillante en disant d’une voix argentine :

« Vous avez beau faire et beau dire, morue ma mie, vous serez sèche, plate et dure, et c’est pour cela, sans doute, que vous êtes le régal des pauvres gens.

– Et vous donc ! riposta la morue.

– Moi, ma chair est si délicate et si ronde, que l’on me conserve dans de la bonne huile d’olive, et que l’on me sert ainsi sur la table des riches.

« Toute petite que je suis, on construit pour moi de grandes usines à hautes cheminées rouges, et je sors de là bien préparée, enfermée dans une jolie boîte qui semble d’argent.

« Tandis que vous, ma pauvre morue, on vous suspend en plein air sur un bâton, et... sèche si tu peux !

« Quant au hareng, mon confrère, c’est bien une autre affaire. On le fume comme un jambon, et on l’enferme ensuite, comme vous, dans de vilaines tonnes en bois, où je ne voudrais pas me trouver pour tout au monde.

– Vous êtes une jalouse ! reprit la morue. Pourriez-vous donc vous vanter de rendre la santé aux malades ? L’huile de foie de morue, – vous l’ignorez sans doute, – est le moyen sûr de la guérison pour les poitrines délicates.

« La pêche de la morue, à Terre-Neuve, est la plus importante de toutes les pêches.

– Après celle du hareng, interrompit celui-ci. Un pêcheur a sa fortune faite quand il rencontre un précieux banc de harengs. Nous sommes si nombreux, si serrés les uns contre les autres, que nous résistons à l’attaque des plus gros poissons.

– Vous devez être bien à votre aise, pauvres poissons ! aussi l’on dit : Serrés comme des harengs. Et tu t’en vantes ! s’écria la morue. Attends, je vais te punir de ta présomption. »

Et elle sauta sur le hareng à l’improviste et le déchira à belles dents, en ayant l’air de le trouver excellent.

Comme elle finissait de le dévorer, un énorme rascar, qui la regardait depuis un instant, bondit sur elle et l’avala d’un seul coup de langue.

Car ce gros poisson fait aux morues une chasse à outrance.

La sardine, comme on le pense, s’enfuit effarouchée.

Bluette et Coquelicot étaient devenus songeurs en voyant tous les êtres de la mer, depuis le plus grand jusqu’au plus petit, se jalouser et se combattre, aussi bien que les habitants de l’air et du ciel, et même mieux, car ils se mangeaient les uns les autres avec une ardeur sans égale.

L’heure du déjeuner était proche, et ils se disaient que si les poissons qu’ils voyaient étaient cuits, ils ne se feraient aucun scrupule d’en manger un morceau.

Comme ils faisaient cette réflexion, voilà que l’eau de la mer, si verte et si claire, s’assombrit, et qu’une certaine agitation, qui devait être énorme à la surface des flots, se fit sentir dans le milieu calme et paisible du fond où ils se trouvaient.

Bientôt la lumière du soleil disparut sans doute tout à fait, car leurs yeux ne distinguaient rien.

En même temps ils entendirent le roulement prolongé et assourdi du tonnerre.

Il faut bien avouer qu’ils éprouvèrent une grande frayeur à se trouver au fond de la mer pendant une tempête.

Ils se tinrent quelque temps muets et immobiles.

Puis la mer se calma peu à peu, l’onde redevint transparente et pure, et, comme ils levaient les yeux pour constater ce changement, ils virent assez distinctement la coque d’un navire ballotté par les vagues.

Presque au même instant tombèrent à leurs pieds des barils, des coffres, des objets de toute sorte, et jusqu’à des comestibles, des jambons, des saucissons, des bouteilles de vin.

Coquelicot s’arrangea fort bien de ces victuailles, qui semblaient tomber du ciel exprès pour leur déjeuner.

Armé d’une grosse pierre, il eut bientôt fait sauter le couvercle d’un petit tonneau.

Et ils en retirèrent des biscuits de mer frais et intacts.

Ils déjeunèrent alors de grand appétit, tout en se demandant s’ils allaient rester longtemps en compagnie des poissons, lesquels ne se gênaient pas pour venir happer les miettes de biscuit et les bribes de jambon qui tombaient sur le sable.

Or, malgré le déjeuner qu’ils prenaient assis moelleusement sur le sable doux et fin, malgré le spectacle animé et curieux qui se mouvait devant leurs yeux, nos deux petits voyageurs éprouvèrent bientôt le désir de changer de place et de voir du nouveau.

Ils se levèrent donc, et, se prenant par la main, ils se mirent à marcher devant eux sans trop savoir pourtant où ils allaient.

Parfois ils s’arrêtaient devant une large coquille, rose et blanche comme les pétales d’une marguerite-reine ou d’un dahlia.

Tantôt ils mesuraient leur petite taille contre les hauts polypiers, les branches arborescentes du corail rose, les tiges élancées aux feuilles ténues des plantes diverses qui croissent au fond de la mer.

Tantôt ils s’extasiaient devant la multiplicité des poissons de toutes formes et de toutes tailles qui circulaient de chaque côté de leur route, depuis la baleine ou le cachalot énorme jusqu’à la pieuvre, fameuse aujourd’hui, dont les cent bras, allongés et remuants comme autant de serpents, cherchaient à se cramponner à tout ce qui se trouvait à leur portée.

Ils remarquèrent bientôt que le terrain sur lequel ils marchaient s’élevait très sensiblement.

Les plantes marines, les coquillages et les poissons devinrent plus rares.

Ils aperçurent plus distinctement l’émail bleu du ciel, les rayons brillants du soleil qui se réfractaient dans l’eau.

Enfin ils s’avancèrent sur une jolie colline de sable blanc, et au bout de cent pas Coquelicot, le premier, respira fortement en mettant sa tête hors de l’eau.

Bluette, quoique plus petite, n’en eut bientôt plus que jusqu’à la ceinture.

D’un bond, se tenant par la main, ils s’élancèrent sur le rivage, et s’arrêtèrent en se regardant avec étonnement.

Non seulement ils n’étaient pas mouillés, mais pas une seule goutte d’eau, pas une perle liquide ne constellait leurs vêtements, aussi frais, aussi intacts que s’ils venaient de faire une simple promenade sur le boulevard des Italiens, sans boue et sans poussière, – ce qui est fort rare.

IV- La retraite des simples et l’arbre qui marche.

Bluette et Coquelicot, après quelques  instants de contemplation pour la vaste mer qui s’étendait au loin devant eux, et dont les dernières vagues venaient mourir en écumant à leurs pieds, se retournèrent vers la terre.

À peu de distance s’élevait une grande forêt aux arbres verts et touffus, d’un aspect d’autant plus attrayant que le miroitement de la mer et l’éclat des pépites brillantes du sable brûlaient les yeux.

En outre, l’heure de midi approchait, et le soleil était très ardent.

Les deux enfants s’acheminèrent donc sans retard vers les arbres pour y chercher un peu de fraîcheur.

« Ne verrons-nous donc jamais une ville ? disait Coquelicot en soupirant.

– Certes, il me tarde, aussi bien qu’à toi, de voir la demeure de ces belles dames si bien habillées qui venaient parfois dans les blés.

« Mais songes-y bien, mon cher Coquelicot, n’est-ce pas plutôt parmi les habitants des campagnes que nous trouverons un être doux et humble ?

« Sais-tu que voilà déjà trois jours de passés ?

– Bah ! nous avons bien le temps, répondit Coquelicot.

« Marchons d’abord bien vite pour nous asseoir à l’ombre.

« Ce soleil me grille !

– Il est certain qu’il faisait bien plus frais au fond de la mer », ajouta Bluette en riant.

Ils arrivèrent sur la lisière du bois ; mais là ils furent fort désappointés.

Les arbres, garnis de ronces et d’épines, étaient si serrés et si drus, qu’ils formaient comme un mur de verdure infranchissable.

Coquelicot fit une triste mine.

Lui qui aimait tant ses aises, allait-il subir le supplice de Tantale ?

Le soleil lui semblait maintenant bien plus chaud, d’autant plus chaud qu’à deux pas les arbres verts gardaient précieusement sous leur dôme opaque une fraîcheur exquise.

Que faire devant l’obstacle insurmontable ?

Il allait s’emporter et frapper du pied, quand Bluette enleva lestement la branche de tilleul du chapeau de son frère.

« Bonne fée prévoyante, vous qui prévoyez tout, faites que nous puissions nous reposer dans ce bois ! »

Et en disant ces mots elle inclina la branche vers les arbres, qui s’ouvrirent devant elle plus rapidement qu’un décor du théâtre du Châtelet.

« Tu vois bien, dit-elle à Coquelicot stupéfait, cela vaut mieux que de se mettre en colère. »

Et ils pénétrèrent joyeux et confiants dans la forêt.

Un énorme tilleul, dont les branches fort basses semblaient s’étendre sur le sol comme pour le protéger, attira d’abord leur attention.

Ce bel arbre était d’un vert admirable, et si amplement garni de fleurs épanouies et parfumées, qu’il répandait une délicieuse odeur dans toute la forêt.

Comme les deux enfants étaient en admiration devant ce beau tilleul, ils entendirent un petit murmure de voix flûtées qui paraissait venir de dessous les branches.

« Asseyons-nous sur ce tapis de gazon, dit Bluette. Je crois que nous allons entendre quelque chose d’intéressant. »

Mais Coquelicot, plus curieux et plus hardi, s’approcha de l’arbre et écarta ses branches protectrices.

À son exclamation Bluette s’approcha, et ils virent, serrées les unes contre les autres, une multitude d’herbes et de petites fleurettes de toutes couleurs dont les têtes semblaient animées comme autant de petites figures intelligentes.

C’était la modeste violette, qui montrait son capuchon pointé de jaune et qui répandait dans l’air son parfum délicat.

C’était le houblon, dont la verte guirlande émaillée de grappes blanches s’enroulait autour du tilleul.

C’était encore le millepertuis aux manipules d’or pur ressortant sur l’émeraude de son feuillage.

C’était la délicate fleur de mauve, et la blanche guimauve, sa sœur aînée, qui s’inclinait vers elle.

C’était enfin le pavot éclatant, fier de sa haute taille ;

La bourrache, l’absinthe et le chiendent ;

La valériane et la gentiane, qui avaient l’air de se confier un grand secret ;

Et plusieurs autres encore que Bluette et Coquelicot ne connaissaient pas.

« Oui, disait la violette, ce sera magnifique ! De longtemps on n’aura vu pareille fête. Mais, hélas ! mes sœurs, à quoi bon nous entretenir de toutes ces splendeurs ? Nous sommes ignorées et solitaires, et les fêtes ne sont pas faites pour nous. »

À ces paroles, le cœur de la petite Bluette se mit à battre d’espoir.

Elle avait entendu dire bien souvent que la violette était la plus modeste de toutes les fleurs ; qu’humblement elle se cachait toujours sous le gazon, et elle pensait que cette douce violette serait digne d’être présentée à la fée Prévoyante.

La voix aigre de l’absinthe l’arracha à ses réflexions.

« Les fêtes ne sont point faites pour nous, cela se peut ; mais nous avons, ma chère, des qualités et des vertus qui valent bien celles de ces grands arbres qui s’amusent à nos dépens.

– Oui, ajouta le pavot d’une grosse voix rogue : à quoi sont-ils bons, ces géants incommodes, ces êtres pétris d’orgueil et de méchanceté, ces grands vilains arbres qui accaparent pour eux seuls l’espace et l’air ?...

– Ils ne possèdent seulement pas la plus petite des vertus qui nous distinguent, reprit le millepertuis en haussant ses petites fleurs jaunes d’un air de dédain.

– Quelles sont donc vos grandes vertus, mes chères sœurs ? demanda la violette.

– Comment ! s’écria la guimauve en se redressant sur sa tige, depuis quand ne savez-vous pas que la guimauve rend d’immenses services aux malades ?

« Mes feuilles, mes fleurs, ma racine, tout est précieux en moi.

« J’ai mes entrées dans tous les hôpitaux de France, et il n’y a pas de pharmacie possible sans moi.

– Un instant ! ma chère sœur, dit la petite mauve. Je possède les mêmes vertus que vous, et j’ai en outre l’avantage d’être meilleure au goût et plus agréable à l’œil.

« La mauve est bien plus élégante que la guimauve, c’est connu.

– Ne dirait-on pas qu’il n’y a que ces deux plantes fadasses pour guérir tout le genre humain ? murmura le millepertuis.

« N’ai-je pas, moi aussi, de jolies fleurs coquettes et de la plus jolie couleur qu’on puisse imaginer ? la couleur de l’or, c’est tout dire.

« Guimauve, ma mie, vous guérissez peut-être les rhumes, mais moi je guéris les coupures et les blessures des petits enfants imprudents ; les mamans me bénissent.

– Elle est folle, s’écria le pavot, se mettant à l’unisson du millepertuis, aussi folle que la guimauve et sa sœur. On a bien raison de dire que vous êtes des ignorantes, puisque vous ne savez pas que je suis le premier simple du monde.

– Ça, je crois que c’est vrai, dit Coquelicot à Bluette : le pavot est un peu mon cousin ; il a des vertus. »

Le pavot ne lui donna pas le temps d’achever son propre panégyrique.

« Oui, le premier simple, s’écria-t-il ; je possède les mêmes vertus que le chiendent, que la violette et que la mauve, et de plus j’ai l’avantage immense de calmer et d’endormir le malade qui boit une décoction de mon écorce.

« Un malade qui dort et qui repose cesse de souffrir, et le malade qui cesse de souffrir est aux trois quarts guéri.

« Mes feuilles si larges, si variées de couleur, sont excellentes. Enfin, dans un pays éloigné qu’on appelle la Chine, on fend ma tige à une certaine époque, et il en découle une liqueur qui fait la fortune de deux grands États.

– Oui, murmura le chiendent, une liqueur qui endort, qui rend fou et qui tue.

– Le chiendent est un envieux qui rampe ! s’écria le pavot.

– L’opium donne la mort, s’écria l’absinthe, tandis que mes feuilles vertes, qui ont un goût délicieux, donnent l’appétit et en même temps la vie.

– Ah çà ! je vous admire, dit à son tour le houblon. Vous ne parlez que de vous : il me semble cependant que je suis une plante autrement précieuse et élégante que vous toutes.

« N’est-ce pas moi qui régénère et purifie le sang ? Je donne à ceux qui me boivent bien plus d’appétit que l’absinthe, et l’on peut faire abus de moi sans que je me venge comme elle.

– Un joli goût que celui du houblon !... amer comme chicotin ! murmura l’absinthe.

– N’est-ce pas encore moi qui produis cette boisson allemande, la bière, si goûtée des hommes de tous les pays en général, et de ceux du Nord en particulier ?

« J’ai d’autres vertus, à mon avis, que celles d’une simple tisane.

« Quant à ma beauté et à mon élégance, on ne me les contestera point, je l’espère. Les plus jolis berceaux des jardins sont abrités par le houblon grimpant.

– La pauvre petite violette ne dit rien », murmura Bluette.

Plusieurs autres simples se mirent à parler avec beaucoup de vivacité.

Chacun d’eux voulait prouver qu’il était le meilleur, le plus joli, le préféré à tous les autres.

Au milieu du tumulte et de la confusion, on entendit tout à coup la voix étouffée de la violette qui s’efforçait de sortir de l’herbe pour mieux se faire entendre :

« Quelle est donc celle de vous qui puisse se flatter de répandre un plus délicieux parfum que moi ? Quelle est celle qui possède une couleur aussi franche, aussi pure que la mienne, une forme aussi gracieuse ?...

« Vous me faites rire quand vous vantez vos qualités hygiéniques.

« Je les partage. Mon goût est aussi délicieux que mon parfum.

« Dans le beau pays de France, c’est mon suave arome qu’on demande pour les pommades exquises et les eaux de toilette.

« Les pâtes et les bonbons m’emploient à l’envi.

« Mes fleurs charmantes forment le plus joli bouquet d’automne, et font ressortir les froids camélias de l’hiver.

« La grande dame et l’ouvrière me soignent de leurs mains délicates et me préfèrent à toutes les fleurs.

« Qui ne connaît, qui n’aime, qui n’a vanté et chanté la violette ?...

« J’ai été la fleur chérie d’une reine adorée, célèbre par ses vertus et sa beauté, et dont le fils a été le souverain de la France.

« Eh bien ! y a-t-il parmi vous une simple fleur qui réunisse autant de qualités brillantes et de titres de gloire ?...

« Je défie ces arbres vains et inutiles de m’égaler jamais !... »

En entendant ces paroles, la pauvre Bluette fut bien étonnée.

Mais elle faillit jeter un cri de frayeur à la vue du tilleul, qui agitait ses branches avec colère en disant de sa formidable voix :

« Taisez-vous, petites orgueilleuses, et cachez vos têtes folles, ou je vous étouffe sous le poids de mes branches !

« Vous m’avez demandé un abri, vous vous êtes réfugiés à mon ombre tutélaire, et maintenant, dans vos jalouses rivalités, non contentes de vous déchirer, vous voulez encore vous attaquer au mérite et à la supériorité de mes frères !...

« Que deviendriez-vous si vous n’aviez pas les arbres pour vous garantir du froid, de la pluie, de l’orage et des rayons brûlants du soleil ?

« Allez !... je ne veux pas parler de mes fleurs délicieuses, mille fois plus odorantes, mille fois plus délicates et plus belles que les vôtres.

« La fée Prévoyante m’a doué d’un peu plus de sagesse que vous.

« Mais pour vous punir, ce soir, je vous abandonne, je vous laisse, et m’en vais assister à la fête que le cèdre du Liban donne à tous les arbres de la forêt.

« Bonsoir. Tâchez de vous préserver de la froide rosée de la nuit et de la visite des bêtes féroces ! »

Bluette et Coquelicot firent un bond en arrière, car le tilleul s’ébranlait ; et déjà ils ouvraient de grands yeux en voyant que l’arbre énorme allait marcher ; mais tout à coup ils entendirent une voix douce sortir de ses branches :

« Vous qui portez la branche de tilleul, montez sans crainte sur l’arbre duquel elle a été détachée. »

Ils reconnurent la voix de la fée Prévoyante, et s’approchèrent du tilleul, qui abaissa aussitôt ses rameaux avec beaucoup de grâce et d’obligeance.

Dès qu’ils furent installés commodément sur la plus grosse branche et appuyés contre le tronc, l’arbre se mit à courir de toute sa force, qui n’était pas mince, et si vite, si vite, qu’on l’eût dit chaussé des bottes de sept lieues du Petit-Poucet.

Ah ! c’était un arbre autrement habile à la course que ceux de ses confrères que nous voyons parfois se promener lentement dans la rue de Rivoli et sur le boulevard Sébastopol, traînés par des camions qui les transportent à leur destination.

VII- Fête donnée par le cèdre du Liban

Avec un pareil train express, ils ne pouvaient manquer d’arriver bientôt au terme de leur voyage.

Quand le tilleul se fut arrêté, les deux enfants se laissèrent glisser le long de ses branches jusqu’à terre.

Nous n’essayerons pas de peindre leur stupéfaction à la vue du nouveau spectacle auquel ils assistèrent.

Sous leurs yeux une véritable forêt se mouvait en tous sens.

C’était vraiment un coup d’œil magique et bizarre que celui de tous ces arbres.

On entendait le froissement de leurs branches et le bruit éclatant de leurs voix.

Les plus grands et les plus vieux formaient des groupes détachés et causaient sérieusement, tandis que les jeunes chênes et les ormeaux naissants, livrés aux ébats qui conviennent à la jeunesse, dansaient au loin en faisant entendre les éclats de leur gaieté.

Un grand nombre de longs roseaux, perchés sur une haute estrade, jouaient sur la flûte les airs de danses les plus variés.

La nuit commençait à venir, et un spectacle merveilleux s’offrit bientôt aux regards.

Une multitude de petits diamants lumineux scintillaient dans l’air et sur l’herbe sombre.

C’étaient tous les vers luisants et toutes les lucioles du pays que le cèdre du Liban avait loués à grands frais pour éclairer sa fête.

Ce magnifique personnage était le plus riche de tous les arbres de la contrée, et il excitait beaucoup de jalousies, ainsi que Bluette et Coquelicot purent s’en convaincre.

Le peuplier, le chêne, l’acajou, le platane, le saule, le bouleau, le noyer et le marronnier, les notables arbres du pays, entouraient le cèdre et le félicitaient hautement du bon goût et de la belle ordonnance de sa fête.

Mais, comme l’amphitryon s’éloignait pour ordonner qu’on servît des rafraîchissements, ils se rapprochèrent les uns des autres, et, ainsi qu’il arrive souvent dans le monde, ils se mirent à blâmer tout bas celui qu’ils flattaient bien haut un instant auparavant.

« C’est un orgueilleux, murmura le chêne.

– Comme tous les parvenus, ajouta le peuplier, il cherche à nous écraser par son luxe et sa splendeur ; mais on sait d’où il vient, on connaît son origine.

– Il est venu en France pas plus haut que ma plus petite branche, ajouta un gros bouleau.

– Planté dans un chapeau d’homme, reprit le noyer, et, sans les soins de cet honnête homme qui s’appelait M. de Jussieu, nous ne l’aurions jamais vu.

– On dit, bavarda l’ormeau, que ce M. de Jussieu, tandis qu’il était à bord d’un navire, faisait la charité de son eau douce à ce misérable cèdre, qui sans cela serait mort d’inanition.

– Ce serait donc un mendiant enrichi ?

– Pas autre chose !

– Il n’y a pas là de quoi faire tant d’embarras.

– Ni de quoi nous éclabousser !

– À quoi sert-il cet être-là ?... il encombre la terre, et on devrait l’abattre..., il n’est bon qu’à faire du feu.

– On dit que c’est un bois précieux, cependant.

– Précieux ?... en quoi donc ? fit un sapin qui arrivait. Allez, mon cher, il a beau être grand, épais et fort, il ne possède pas la millième des qualités qui me distinguent, tout sapin que je suis.

– Le sapin n’est déjà pas si merveilleux non plus, dit le chêne, vexé de la prétention de son collègue ; c’est le bois le plus commun, le moins solide, et partant le plus mauvais.

– Oui, murmura le noyer, c’est dans le sapin qu’on enterre les pauvres gens.

– C’est dans de beaux cercueils en chêne que l’on met le corps des riches.

– Beau triomphe ! s’écria l’acajou, qui n’avait encore rien dit. Je vous conseille de vous vanter de cet emploi. Moi je préfère être agréable aux vivants. Mon bois rouge, plein de moirures, est d’une couleur incomparable, et fait les plus jolis meubles de notre époque.

– Taisez-vous donc ! fit le chêne d’un air de pitié. Vous êtes passé de mode, mon cher.

« On a reconnu la mesquinerie de votre bois d’acajou, que l’on collait en lames minces comme du papier sur un simple bois blanc.

« L’acajou est devenu le meuble des portiers.

« Mais, par exemple, le chêne fait fureur à Paris.

« On en fabrique les plus belles bibliothèques, les plus beaux dressoirs, les lits à colonnes les plus magnifiques, que les artistes aiment à sculpter et à ornementer de leurs plus ingénieux motifs, de leurs plus riches compositions.

« Le bois de chêne vaut la peine d’être travaillé. Il est le plus durable, et peut être égalé au bronze dont parle un poète latin.

« Mon nom est inscrit dans l’histoire des rois et des peuples.

« C’est sous un chêne que le roi saint Louis rendait la justice, et le plus populaire des chansonniers français, Béranger, m’a consacré sa plus admirable chanson.

– Ne faites pas tant l’important, répliqua le noyer ; je possède les mêmes qualités que vous, et de plus je produis un fruit agréable qui se conserve très bien l’hiver, et qui donne une huile excellente.

« Votre fruit, à vous, mon pauvre vieux chêne, c’est le gland, le gland qui sert à nourrir les vils pourceaux. »

Le marronnier, à ces mots, agita ses branches avec dépit.

« Messieurs, vous oubliez, je crois, le marronnier, le plus bel arbre de France, qui donne des feuilles admirables, des quenouilles fleuries, et le fruit le plus savoureux et le plus nourrissant du monde.

« Les journaux parlent beaucoup de ma personne, et j’ai un frère à Paris dont la célébrité ne le cède à personne : le marronnier du 20 mars, le premier qui verdisse parmi les arbres du jardin des Tuileries.

– C’est un courtisan, s’écria le peuplier en redressant sa tête jusqu’au ciel : à bas les flatteurs ! L’arbre le plus élancé, le plus haut, le plus élégant, c’est le peuplier.

« Le chêne a parlé de l’histoire des peuples.

Malheureusement je ne lui ai pas laissé de place à y prendre, car c’est moi que le peuple a choisi pour personnifier la liberté.

– L’abominable républicain ! s’écrièrent à la fois le saule et le platane. Fi ! l’horreur ! Éloignez-vous, mon cher, car nous sommes des arbres comme il faut, nous ne voyons que des gens riches et distingués. C’est nous qui ornons les jardins et les parcs anglais.

– Moi, gronda le bouleau, je ne suis qu’un gros paysan, mais je fais marcher tous mes semblables. C’est dans mon bois qu’ils taillent les sabots qui les chaussent. »

Le cèdre du Liban s’était approché doucement.

Il causait avec l’arbre de Judée, son meilleur ami.

Mais il s’arrêta en entendant cette conversation.

Il regarda dédaigneusement ces pauvres arbres, qui lui venaient à la ceinture, et, sans daigner leur disputer la victoire, il leur tourna le dos d’un air de défi et d’orgueil, imité en cela par l’arbre de Judée.

Il est fort probable que chacun de ces deux intéressants personnages avait une haute estime de lui-même.

Aussi Bluette et Coquelicot s’éloignèrent-ils doucement en se dirigeant du côté du buffet dressé pour les convives et couvert de fruits exquis.

Là, grâce à la branche de tilleul qui les rendait invisibles, ils soupèrent de fort bon appétit, et s’endormirent ensuite sous les branches épaisses du tilleul protecteur.

VIII- Le palais des métaux envahi par les pierres précieuses.

Quand ils se réveillèrent le lendemain, la scène avait bien changé.

Tous les vestiges de la brillante fête de la nuit précédente avaient disparu, et quelques arbres baissant tristement leurs rameaux parlaient bas, et jetaient autour d’eux des regards inquiets.

Bluette et Coquelicot entendirent aussitôt un bruit de pas et de voix humaines, et involontairement ils se serrèrent l’un contre l’autre en apercevant quatre hommes qui s’avançaient dans la forêt.

Les deux premiers regardaient attentivement les arbres et mesuraient la circonférence de leur tronc.

Ils désignèrent ensuite un vieux chêne aux deux autres hommes, qui découvrirent alors deux haches énormes, aiguisées et brillantes comme de l’argent, et qui se mirent à frapper de toutes leurs forces le pauvre arbre condamné à périr.

Sous leurs coups redoublés, il gémit de douleur et tomba lentement en faisant entendre un grand bruit de branches brisées.

Les deux enfants virent ensuite arriver une longue charrette traînée par deux vigoureux chevaux et conduite par plusieurs bûcherons, qui se hâtèrent de couper les branches du vieux chêne.

Car, selon le proverbe, « quand un arbre tombe, chacun se jette aux branches ». Et comme ils réunissaient tous leurs efforts pour le hisser sur la charrette à l’aide de grosses cordes, l’un des deux hommes qui avaient mesuré l’arbre s’écria : « Allons, mes amis, du courage ! et dépêchons-nous ; il faut que vous soyez rendus à la ville sur le coup de midi. » Bluette et Coquelicot envièrent alors le sort du vieux chêne qu’ils plaignaient tout à l’heure.

Il allait à la ville !

À la ville, objet de leur ardente curiosité et de tous leurs désirs !

Il vint à Bluette une idée superbe.

« Si nous grimpions dans la charrette ? dit-elle à Coquelicot ; personne ne nous verra, puisque nous sommes invisibles. »

Coquelicot, plein d’admiration pour la présence d’esprit de sa sœur, s’élança sans hésiter sur la charrette et s’assit sur le tronc d’arbre inanimé et étendu comme un long cadavre.

Bluette grimpa à son tour, et il était grand temps, car aussitôt l’attelage se mit en mouvement.

Ils voyageaient depuis une heure bien tranquillement assis, devisant tout bas, quand tout à coup ils entendirent une exclamation de surprise et de colère, et en même temps ils virent le conducteur de la charrette s’approcher d’eux en les regardant durement.

« Voulez-vous bien descendre, petits vagabonds ! leur cria-t-il d’une voix rude. J’ai bien autre chose à faire qu’à conduire tous les mendiants du chemin ! »

Coquelicot, muet de saisissement et de chagrin, porta aussitôt la main à son chapeau, et s’aperçut qu’il avait perdu la précieuse branche de tilleul !

Il se hâta de descendre et d’aider sa sœur à en faire autant.

Et le chariot s’éloigna, les laissant seuls sur la route, bien embarrassés et bien penauds.

Leurs jolis vêtements avaient disparu en même temps que le talisman, et, quand ils se virent couverts de haillons sales et troués, ils comprirent pourquoi le charretier les avait traités de « mendiants ».

Les voilà donc bien malheureux !

Il leur fallait maintenant marcher vers la ville, et y arriver sous ces vêtements misérables à la vue de tous !

Bluette soupira, et un moment elle regretta son champ de blé.

Ils marchèrent longtemps, et aucune habitation ne s’offrit à leurs regards.

Le soleil était brûlant ; aucune petite source ne faisait entendre son murmure rafraîchissant.

Ils avaient soif, et ils étaient bien las, quand leurs yeux furent éblouis par quelque chose de brillant qui resplendissait au loin sous les ardents rayons du soleil.

À cet aspect ils sentirent leur courage revenir en même temps que leurs forces, et se remirent en marche avec une activité nouvelle.

Au bout d’un quart d’heure ils atteignirent le but.

Devant eux se dressait un palais magnifique comme on n’en verra jamais un pareil.

Le toit était en plomb tout neuf, incrusté çà et là d’étoiles de cuivre brillantes.

Les murs étaient de bronze, percés partout de nombreuses fenêtres dont l’encadrement et le rebord étaient d’argent.

La façade, splendidement ornée de sculptures, de cariatides, de bas-reliefs, chefs-d’œuvre de l’art, s’étendait sur une cour spacieuse pavée d’acier brillant, fermée par une haute grille d’or massif.

Mais ce qui frappa surtout le regard des deux enfants, ce qui le charma souverainement, c’était un vase d’or qui se dressait au milieu de la cour sur un tronçon de colonne.

De ce vase d’or s’élançait, fraîche et fleurie, la branche de tilleul qu’ils avaient perdue.

Debout, devant les barreaux de la grille fermée, ils la dévoraient des yeux.

Comment faire pour la reprendre ?

Coquelicot essaya alors d’ébranler la grille de ses deux petites mains.

Ô bonheur ! ô surprise ! la grille s’ouvrit d’elle-même toute grande, et ils entrèrent.

Bluette, plus vive que Coquelicot, courut à la branche, qu’elle enleva triomphalement.

À peine l’eut-elle saisie, que tous deux se retrouvèrent, comme par enchantement, revêtus de leur joli costume de la veille.

Cette fois, Bluette assujettit solidement la branche fleurie à son corsage, et ils s’avancèrent vers le palais avec l’espoir de s’y reposer et de s’y rafraîchir.

Après avoir franchi les degrés du perron et traversé une belle antichambre, ils pénétrèrent dans un salon qui leur parut bien singulier.

Les murailles étaient ornées d’une étrange tapisserie composée de bandes de cuivre rouge et de bandes d’argent alternées ; ce qui produisait un effet merveilleux.

Le parquet était en acier, le plafond en zinc coupé par de petits morceaux de glace.

Une magnifique cheminée de fer artistement travaillé attira leurs regards. Car au-dessus de cette cheminée étaient écrits ces mots en lettres d’or :

Si vous portez la branche de tilleul, parlez, vous serez satisfaits.

« Eh bien ! s’écria Coquelicot, nous avons soif et nous avons faim.

– Donc nous voulons boire et manger », ajouta Bluette.

À peine eut-elle fini de parler que le parquet d’acier s’ouvrit, et qu’une table servie se dressa devant eux.

Les assiettes d’argent et les plats d’or étaient remplis de viandes et de fruits délicieux.

La nappe était d’amiante ; le moutardier, les huiliers et les couverts, en bronze d’aluminium ; les couteaux, en acier fin ; les chaises elles-mêmes étaient de bronze.

Heureusement, si les sièges manquaient de moelleux, le repas servi sur la table était excellent.

Ils en étaient au dessert, quand un bruit inusité qui se faisait dans la cour frappa leurs oreilles.

Ils s’approchèrent de la fenêtre un peu inquiets, mais ils reculèrent aussitôt presque aveuglés.

Une multitude de petites pierres de toutes couleurs entrait par la grille d’or, et se mouvait au milieu de la cour d’acier rayonnant de mille feux sous l’éclat du soleil.

Toute la troupe, qui se composait du rubis, de la topaze, de l’émeraude, du saphir, de l’opale, du grenat, de l’améthyste, de l’aigue-marine, de la perle fine et de beaucoup d’autres, était conduite par un personnage plus beau et plus brillant que toutes les autres pierres :

Le diamant.

Il s’avança vers le perron comme s’il voulait pénétrer dans les appartements, lorsque tout à coup une voix vibrante, qui avait un son de cloche, s’écria :

« Où allez-vous ? c’est ici le palais des métaux, et...

– Et c’est justement pour cela que nous voulons y entrer, interrompit le diamant d’un ton fier et arrogant. Les métaux sont trop heureux de nous recevoir et de nous héberger ! »

En disant ces mots, il fit un signe à sa troupe, et, s’élançant vers la porte, il pénétra dans le palais, puis dans la salle où le repas était servi.

Bluette et Coquelicot assistèrent alors à une scène des plus curieuses.

L’acier du parquet, le zinc du plafond, le fer de la cheminée, l’argent et le cuivre rouge de la tenture, et jusqu’aux plats d’or de la table et aux couverts de bronze d’aluminium, se mirent à parler tous à la fois.

Ce qui fit un vacarme si retentissant, que les deux enfants sautèrent sur leurs sièges en se bouchant les oreilles.

« Sortez ! criait l’or, vous n’êtes pas ici chez vous.

– Impudentes ! orgueilleuses ! murmurait le fer, de quel droit entrez-vous dans le palais des métaux ?

– Du droit des plus belles et des plus précieuses choses que renferme le sein de la terre. Ne vous fâchez pas, messieurs les métaux, vous savez que vous avez besoin de nous bien souvent.

– Et depuis quand l’or a-t-il besoin de toi pour briller ? dit un plat d’or.

– Si tu étais bague au lieu d’être plat, fit le diamant avec dédain, tu parlerais autrement. Quel mérite, en effet, aurait un simple jonc d’or si le diamant ne venait l’enrichir ? Et l’argent, ce pauvre argent, il n’est bon qu’à mettre en pièces...

– L’acier se moque de toi ! cria une petite voix perçante. Il est assez fort, assez éclatant pour ne briller que par lui-même. Il suffit qu’on me taille pour qu’aussitôt je resplendisse à l’égal du diamant. Il n’y a pas longtemps j’étais fort à la mode comme bijou : toutes les dames élégantes se couvraient d’acier, non pas de la même façon, mais tout autant que les preux chevaliers du moyen âge : à leurs oreilles, à leur cou, dans leurs cheveux, à leur ceinture, sur toutes les coutures de leurs corsages et de leurs jupes, jusqu’à leurs souliers et au buse de leur corset.

« Mon cher diamant, tu ne sers qu’à une chose : briller. Ah ! j’oubliais, tu coupes le verre, dont tu es jaloux. Moi je brille et je sers.

« Il me suffira, pour donner une idée de la haute faveur dont je jouis parmi les hommes, de citer un musée de Paris, la première ville du monde, le musée d’Artillerie au palais du Louvre, où j’occupe une place splendide.

– Et moi ! s’écria le fer.

– Et moi ! s’écria le plomb.

– Vous n’êtes que des meurtriers, des assassins, dit le cuivre. L’acier, le plomb, le fer, se réunissent pour tuer les hommes dans les batailles. Moi je les sers dans leurs transports. Les locomotives et les machines des bateaux à vapeur les plus renommées et les plus belles sont en cuivre.

« Fi du luxe des pierres prétendues précieuses ! l’utile est préférable.

« C’est avec le cuivre que l’on construit ces chaudières qui distillent l’eau-de-vie et les liqueurs délicieuses, avec le cuivre que l’on fabrique ces casseroles et ces bassins dans lesquels on fait de si bonnes confitures et de si bons ragoûts.

– C’est bien mesquin, gronda une chaise de bronze. Moi je suis plus noble que cela. Mon métal sert à fondre ces canons rayés, la première arme du monde, la plus terrible, la seule qui puisse donner la victoire dans une bataille.

« Je puis aussi m’enorgueillir de former ces belles cloches sonores, la gloire et la vie des églises.

« C’est par moi que le sculpteur voit ses œuvres devenir impérissables. Les statues des grands hommes de la terre sont coulées en bronze et ornent les places des plus belles villes du monde. Avez-vous entendu parler de la colonne Vendôme ? elle est en bronze. »

Le plat d’or sauta sur la chaise qui parlait.

« D’un seul mot je vais rabattre toutes vos prétentions, mon cher confrère : c’est l’or qui fait aller le monde. »

Pendant cette discussion, les pierres précieuses s’étaient installées dans le salon, et comme elles narguaient l’argent et le cuivre, ceux-ci s’élancèrent de toutes parts et voulurent les chasser.

Le zinc du plafond descendit vivement pour aider ses confrères ; l’or attaqua le diamant ; enfin le fer de la cheminée, fort et lourd, écrasa le brillant rubis qui se moquait de sa couleur terne.

Ce fut le signal du combat.

Tous les métaux et les pierreries en vinrent aux prises et se choquèrent avec une telle furie et un tel fracas, que Bluette et Coquelicot sautèrent par la fenêtre basse et s’enfuirent épouvantés hors du palais.

IX- Chez un jardinier

Ils marchèrent allègrement pendant plusieurs heures, car ils étaient rafraîchis et reposés.

De plus ils avaient retrouvé la branche de tilleul, ce qui leur donnait du courage et leur faisait espérer qu’ils arriveraient bientôt à cette ville voisine dont avaient parlé les bûcherons.

Elle ne pouvait être bien loin.

Maintenant les rayons du soleil devenaient moins vifs, et des champs cultivés, des vignes, des bois taillés, s’étendant de chaque côté de la route qu’ils parcouraient, leur annonçaient la présence des hommes.

Enfin la flèche d’une église pointa à l’horizon ; puis une ville tout entière, aux maisons blanches, ne tarda pas à se montrer.

Coquelicot alors ralentit son pas, et devint triste et songeur.

« Il y a plusieurs jours, dit-il, que nous cherchons en vain ce que la fée nous a demandé.

C’est donc là, dans cette ville, que réside notre dernière espérance. Penses-tu, Bluette, au triste sort qui nous attend si nous ne réussissons pas ?

– Il ne faut pas désespérer, répondit Bluette.

Le temps qui nous reste est bien court ; mais dans un jour, mon cher Coquelicot, on fait bien des choses.

« Reprends courage ! J’aperçois là-bas une jolie maison entourée d’un beau jardin. Entrons-y : nous verrons quels sont les habitants d’une demeure bâtie par les hommes. »

Par une petite porte à claire-voie, fermée seulement au loquet, ils virent dans tout son éclat un jardin rempli de fleurs au milieu duquel s’élevait une jolie serre ronde.

Cette serre était entretenue avec un soin si minutieux, qu’à travers les vitres claires et nettes on distinguait facilement les fleurs les plus rares et les plus précieuses.

« Voilà donc des fleurs de ville ! s’écria Coquelicot. Quelles brillantes couleurs ! Vois cette rose, vois ces œillets de mille nuances !

« Et ces fleurs merveilleuses et inconnues, comme elles sont bien soignées ! Comme elles sont bien abritées sous ces vitres polies !

– Et comme elles doivent être admirées chaque jour par les nombreux visiteurs de la ville ! ajouta Bluette en soupirant.

« Ah ! Coquelicot, elles sont bien heureuses, les fleurs des jardins ! »

Elle avait à peine achevé ces mots, qu’un homme parut dans le jardin, portant à la main un sécateur et une serpette.

Les deux enfants entrèrent alors dans la serre, poussés par la curiosité.

Et l’homme, qui était le maître en même temps que le jardinier de ce beau jardin, y pénétra derrière eux.

Alors, avec une surprise pleine d’inquiétude et de chagrin, ils virent le sécateur et la serpette faire leur office.

Le jardinier taillait, rognait, ébranchait à plaisir.

Et les feuilles, les fleurs, les boutons eux-mêmes, tombaient mutilés sur le sol.

Après ce massacre, que Bluette et Coquelicot contemplaient d’un œil désolé, le jardinier se retira en fredonnant le refrain d’une chanson.

Alors ils entendirent des soupirs étouffés et de petites voix plaintives qui sortaient du feuillage et des fleurs odorantes.

« J’étais si bien ! murmura un camélia blanc splendidement épanoui et gisant à terre. J’espérais passer encore quelques jours avec mes frères bien-aimés, et voilà que, ce soir, je vais être obligé de paraître au bal de la préfecture !...

« Quel supplice de passer une nuit entière sur les cheveux noirs d’une femme, par cette insupportable chaleur, au milieu de ces mille lumières qui vont brûler mes feuilles !

« Ah ! il en coûte cher pour briller en ce monde ! et mon titre de fleur de luxe, ma beauté splendide entre toutes les fleurs, m’imposent de grandes douleurs !

– Voudriez-vous nous faire croire que c’est une douleur que de briller ? dit un cactus d’un rouge magnifique. Moi je suis plus franc que vous, et j’avoue que je suis le plus heureux des êtres quand j’orne les grands vases d’un salon.

– Et moi aussi, dit une petite branche de fuchsia.

– Fleurs orgueilleuses et froides, dit la douce voix dédaigneuse de l’héliotrope, pourquoi vous vanter si haut ? Si vos couleurs criardes forcent l’œil à vous regarder, mon doux parfum attire, pénètre et charme.

– Tu n’as pas ma beauté ni mon élégance, interrompit une fleur de jasmin. Tu es terne et insignifiante ; mes étoiles blanches, semées dans un élégant feuillage, ont un parfum plus pénétrant que le tien.

– Allons, dit Bluette en soupirant, elles sont toutes jalouses les unes des autres.

– La rose thé est la plus distinguée et la plus délicatement odorante de toutes les fleurs, reprit une petite voix flûtée.

– Et l’œillet que vous oubliez ? fit une voix ferme et sèche ; l’œillet panaché, aux nuances si riches, manque-t-il donc de parfum, de beauté et de célébrité ?...

« J’ai fait les délices d’un illustre guerrier de la France, qui s’appelait le grand Condé. Écoutez plutôt, mesdames les orgueilleuses, ce quatrain composé en mon honneur par Mlle de Scudéri :

En voyant ces œillets qu’un illustre guerrier

Arrosa d’une main qui gagna les batailles,

Souviens-toi qu’Apollon bâtissait des murailles,

Et ne t’étonne plus si Mars est jardinier.

– Bah ! s’écria la rose, si je voulais citer tous les vers que j’ai inspirés aux poètes, et à de meilleurs poètes que Mlle de Scudéri, je n’en finirais pas.

– Et vous nous endormiriez peut-être, interrompit dédaigneusement l’héliotrope. Mes titres sont supérieurs aux vôtres : je suis la fleur du soleil, et ma branche fleurie, plus éloquente que vous toutes, dit : « Je vous aime. »

– Vous me faites pitié ; fadaises que tout cela ! s’écria une tulipe élancée d’une admirable beauté.

On sait bien que la fleur la plus précieuse de toutes, c’est la tulipe. Dans la riche Hollande on fait un si grand cas de ma fleur, qu’on s’arrache à prix d’or mes oignons et mes plus petits caïeux. Des familles entières se sont ruinées pour moi, car j’inspire une passion sans borne à ceux qui me cultivent.

« Avez-vous jamais lu, mesdames, le roman du célèbre Alexandre Dumas intitulé la Tulipe noire ? voilà un livre intéressant !

– Vous n’avez pas le moindre parfum, dit insolemment une julienne blanche, et pas le moindre esprit ; on dit : Bête comme une tulipe.

– Oh ! vous êtes de la famille des giroflées, de pauvres fleurs, des sortes de bohémiennes qui poussent où elles peuvent, dans les jardins des pauvres et jusque sur les vieilles masures.

– Les giroflées sont aussi célèbres que vous, et si M. Dumas a fait la Tulipe noire, Saintine, un écrivain de grand talent, a raconté l’histoire touchante d’une giroflée, qu’il appelle Picciola. »

Une jeune femme parut à la porte de la serre, et les voix cessèrent de se faire entendre.

Elle tenait par la main un petit enfant aux cheveux blonds bouclés, aux yeux bleus, aux lèvres roses et fraîches, et qui semblait apporter avec lui le bonheur et la joie.

Tandis que sa mère s’asseyait devant une table rustique dressée au milieu de la serre, l’enfant se mit à ramasser les fleurs éparses et les branches de verdure qui jonchaient le sol.

Puis il les apportait devant la jeune femme, qui se mit à les grouper avec un goût et un art si exquis, que Bluette et Coquelicot en demeurèrent ravis.

X- Les animaux de la maison

Bluette tira bientôt Coquelicot de sa contemplation.

« Si nous visitions la maison ? dit-elle. C’est aujourd’hui notre dernier jour de recherche, et nous n’avons pas de temps à perdre. »

Le chant d’une poule qui venait de pondre les attira d’abord du côté opposé au jardin.

Ils virent alors une grande cour, au milieu de laquelle s’élevait un tas énorme de fumier sur lequel des poules et des oies picoraient à l’envi.

Tout autour s’étendaient de spacieuses écuries et des étables, séparées par de minces cloisons en planches.

Dans la première se trouvaient un cheval et un âne.

Dans la seconde, une vache était couchée près de son petit veau.

Dans la troisième, il y avait un beau mouton à l’épaisse toison et une chèvre blanche marquée de noir.

Dans le quatrième compartiment, contre lequel était adossé le toit des poules, se trouvait un certain personnage gros et gras, habillé de longues soies rudes, et qui fourrait son groin cerclé de fer dans une auge pleine de lait caillé.

Ces différentes écuries étaient entretenues avec plus de soin et plus de propreté qu’on n’en remarque généralement dans les fermes.

Il est vrai que le jardinier était intelligent et instruit. Il aimait les bêtes et savait les soigner.

Du reste, la vache et la chèvre avaient nourri son fils, ce joli petit garçon de cinq ans que nous avons vu tout à l’heure ramasser avec tant de vivacité les fleurs coupées.

Le cheval et l’âne transportaient tous les jours à la ville les pots de fleurs, les bouquets, les arbustes qui étaient achetés.

Les poules donnaient des œufs qui alimentaient la cuisine.

Et tous ces animaux si utiles produisaient en outre cet excellent fumier si précieux pour le jardin et la serre.

Un domestique s’occupait de ranger soigneusement sur une charrette couverte d’une toile blanche des pots de fleurs et des arbustes fraîchement déterrés dont les racines, garnies de terre, étaient enveloppées d’herbes et de paille.

Il alla chercher le cheval et l’attela à la charrette.

Puis il s’éloigna pour aller prendre les bouquets terminés.

À peine eut-il disparu, que le cheval secoua rudement la charrette en manifestant hautement sa mauvaise humeur.

« C’est encore moi qu’on attelle aujourd’hui à la place de ce vilain baudet ! hennit-il d’un ton aigre. Toutes les fois qu’il y a beaucoup de marchandises, c’est moi qui suis obligé de les porter !

« Il faut que mon maître ait perdu l’esprit pour me faire traîner une ignoble charrette, à moi le cheval, le plus noble animal de la création ! »

La porte de l’écurie était toute grande ouverte, et les deux enfants virent l’âne se tourner vers le cheval en agitant ses longues oreilles.

« Ne vous plaignez pas tant, mon camarade ; car, si je n’étais pas ici, vous feriez bien plus de besogne encore.

« Bien souvent je porte des pots et des arbustes d’un côté, et la fille de basse-cour de l’autre. Ces jours-là, vous êtes bien tranquillement à vous reposer sur la paille fraîche. Chacun son tour.

– Tu n’es qu’un âne ! s’écria le cheval, vexé de ce bon raisonnement ; âne, c’est-à-dire le type de la bêtise et de l’ignorance.

– Il est vrai qu’on s’est moqué de moi bien souvent et qu’on s’en moquera encore, reprit l’âne en soupirant ; mais j’ai des qualités qui font compensation.

– Tais-toi, braillard ! s’écria le cheval. Rien que ta voix stupide m’agace et m’irrite. Braire et manger des chardons, voilà à quoi tu es bon.

– Ma peau est dure, et tes injures glissent sur moi sans m’atteindre. Je rends les mêmes services que toi tout en faisant moins d’embarras.

« Mort, je suis encore utile : ma chair, ferme et rouge, sert à fabriquer d’excellents saucissons qui ont fait la réputation d’Arles et de Lyon.

« Ma peau..., toi qui hennis et piaffes si orgueilleusement à la tête d’un régiment, tu l’as entendue résonner à ton oreille, sur les tambours, et plus d’une fois elle t’a inspiré la terreur.

« Mais je ne me glorifierai pas de tout ce bruit ; j’aime mieux me prévaloir du privilège dont les savants m’ont honoré, celui de fournir le parchemin des manuscrits précieux, des livres rares, des bibles merveilleuses.

« Enfin, mon cher camarade, il y eut autrefois un fabuliste inimitable qui m’a fait l’honneur de me mettre dans ses écrits.

– Oui, pour se moquer de toi, ricana le cheval : – l’Âne chargé de reliques, et qui croit que c’est lui qu’on honore, – l’Âne et le petit Chien, – l’Âne qui joue de la flûte, – l’Âne chargé d’éponges, – toujours et partout tu es le type de l’entêtement, de la sottise et du ridicule !

– Tu oublies une fable intitulée : l’Âne et le Cheval. Là on te montre comme un mauvais compagnon que tu es, et on te punit de ton égoïsme.

– Tais-toi ! répliqua le cheval en piaffant avec colère. Aussi bien, je suis trop bon de causer avec toi.

« Le cheval est un être instruit, intelligent et noble, digne d’être l’ami et le compagnon de l’homme. Ôte-toi de l’idée, méchant baudet, que tu es le mien.

« Je tiens le premier rang parmi les animaux domestiques.

« Le cheval est la plus belle conquête de l’homme.

« Qui donc conduit les brillants équipages de la cour, les voitures des bourgeois et les omnibus populaires ?

« Je suis brave, car je vois la fumée du canon et j’entends la mitraille sans broncher.

« Un de mes aïeux est justement célèbre : Pégase, le divin Pégase.

« A-t-on jamais représenté un guerrier célèbre sans son cheval ?

« Enfin j’ai eu mon peintre ordinaire.

« Carle Vernet ne peignait que des chevaux.

– Ah ! pardine, parce qu’il ne savait pas peindre autre chose, beugla la vache, qui écoutait cette discussion.

« Il n’y a pas de quoi tant se prévaloir, monsieur le cheval.

« Nous aussi nous avons notre peintre ordinaire, une femme célèbre, qui peint aussi bien les vaches et les bœufs que les moutons et les chèvres, une femme qui porte un nom aussi merveilleux que son talent.

« On la nomme Rosa Bonheur, et la souveraine de la France a attaché sur sa poitrine la croix de la Légion d’honneur.

« Vous ne saviez pas cela, âne ignorant qui vantez votre chair rouge et vos saucissons. Vous m’oubliez !

« Le bœuf donne à toute la France le pot-au-feu national. C’est lui qui laboure ces champs si verdoyants l’hiver et si jaunes l’été, comme dit la chanson de M. Dupont, notre poète :

C’est par leurs soins qu’on voit la plaine

Verte l’hiver, jaune l’été.

Ils gagnent dans une semaine

Plus d’argent qu’ils n’en ont coûté.

« Ce n’est pas moi qui le lui fais dire, vous voyez.

– Quelle bavarde commère ! murmura la chèvre.

– Il n’y en a que pour elle, bêla le mouton.

– Crois-tu que je céderai à un imbécile comme toi ? mugit la vache.

– Un imbécile ? bêla de nouveau avec irritation le porte-laine, humilié de cette grosse injure.

– Mon Dieu, oui, hennit le cheval. La Fontaine l’a dit, et les moutons de Panurge l’ont prouvé.

– Pauvres moutons, ah ! vous avez beau faire, toujours on vous tondra, ricana l’âne.

– Et vous vous laissez faire, pauvre gent moutonnière ! dit la vache.

– Oui, reprit le mouton, dont le cerveau étroit venait d’être traversé par une idée ; mais cette laine vaut une toison d’or ; elle forme des tissus beaux comme la soie. Demandez-en des nouvelles à notre maîtresse : voyez comme elle est fière quand elle va à la ville vêtue de sa robe de mérinos. »

La chèvre ne le laissa pas continuer.

« Vous ne rendrez jamais à nos maîtres des services comparables aux miens. C’est moi, s’écria-t-elle en se dressant fièrement tout debout contre la cloison grillagée, c’est moi seule qui ai nourri de mon lait l’enfant de la maison. N’est-il pas à moitié mon fils ? Je n’en veux pas d’autre preuve de ma supériorité sur vous tous. »

À ces mots, le cheval frappa le sol des quatre pieds à la fois, l’âne se mit à braire bruyamment, le mouton bêla, la vache beugla.

Tous firent un tel vacarme, que le domestique accourut et leur distribua le repas du soir avant de partir pour la ville.

Le calme et le silence se rétablirent aussitôt. Quand on a la bouche pleine...

Bluette et Coquelicot profitèrent de la porte ouverte pour se faufiler dans la maison.

XI- Le petit enfant

Ils visitèrent d’abord la salle à manger, qui était d’une propreté scrupuleuse.

Le couvert mis attendait les maîtres, et autour de la table un chien et un chat tournaient en se regardant de travers.

Bluette et Coquelicot auraient pu profiter du repas sain et abondant qu’ils voyaient se préparer par la porte ouverte de la cuisine ; mais ils étaient préoccupés et tristes, et l’appétit était loin.

Bientôt le chien gronda sourdement, et le chat lui allongea un coup de patte.

« Sournois ! aboya le chien, que viens-tu faire ici ? Va-t’en te cacher à la cave ou au grenier. C’est ici ma place ; moi je suis le gardien de la maison de mon maître, et j’ai droit à l’os de sa table. »

Entendant du bruit, les deux enfants montèrent lentement le petit escalier tournant qui conduisait à l’étage supérieur.

Ils sentaient le besoin de causer librement, afin de soulager leur esprit inquiet et leur cœur oppressé.

Ils pénétrèrent dans une petite chambre claire et fraîche, ornée d’une tapisserie grise sur laquelle se détachaient de vives et brillantes images.

Un petit lit blanc, tout bordé de franges, attira leur attention.

Ils s’assirent à côté sur deux petites chaises basses qui semblaient être appropriées à leur taille.

« Hélas ! fit Bluette en soupirant, nous voici bien loin maintenant de notre pays et du champ de blé où nous sommes nés, bien loin aussi du but de notre voyage... Que va dire la fée Prévoyante ?

– Comme tous ces êtres sont ingrats envers Celui qui les a créés, et envieux les uns des autres, et contents d’eux-mêmes ! dit amèrement Coquelicot. Jusqu’aux plus petits, jusqu’au chien et au chat qui se disputent et se jalousent.

– Hélas ! nous sommes perdus ! s’écria Bluette en pleurant. Demain il nous faudra retourner au champ, fleurs fanées et vieillies.

– Et la marguerite et le bouton d’or se moqueront de nous.

– Et les épis rougiront de honte à nous voir ainsi déparer le champ.

– Que nous sommes malheureux ! Quelle humiliation et quel triste sort nous attendent ! »

Accablés et le cœur serré, ils gardèrent longtemps le silence.

Des éclats de rire frais et sonores se firent entendre dans le jardin et les tirèrent de leurs tristes réflexions.

Ils s’approchèrent de la fenêtre et se prirent à admirer l’enfant du jardinier, qui courait en jouant à travers les allées bordées de fleurs.

« Il est bien heureux, le beau petit enfant ! » murmura Coquelicot.

Au bout d’un instant, la voix de la mère l’appela.

« Allons, Louis, allons, mon petit ange, tu as assez joué ; il faut aller dormir.

– Oui, bonne mère », répondit la voix du petit Louis.

Et il courut embrasser son père.

« Bonsoir et bonne nuit, cher papa. Oh ! je vais bien dormir, car je suis fatigué. J’ai tant joué ce soir ! »

Et Bluette et Coquelicot entendirent de petits pas légers résonner sur l’escalier, et bientôt ils virent entrer l’enfant suivi de sa mère.

Elle commença à le déshabiller, et il se laissait faire le plus gentiment du monde, lui jetant à chaque instant ses deux bras autour du cou pour l’embrasser tendrement.

Comme elle finissait de lui ôter ses petits bas, la voix du père l’appela dans une pièce voisine.

Elle mit l’enfant dans son petit lit blanc, et, l’embrassant une dernière fois, elle se rendit à l’appel de son mari.

Bluette et Coquelicot regardaient tristement la tête blonde du petit Louis s’enfoncer paresseusement dans l’oreiller douillet.

Bientôt ses yeux fatigués battirent de la paupière, et ils allaient se fermer définitivement, quand un léger coup fut frappé contre la cloison de la chambre voisine.

« Louis, petit Louis, dit la voix de la mère, et ta prière que j’ai oubliée ! Lève-toi, mon enfant, et dis-la tout haut comme à l’ordinaire. »

Et l’enfant obéissant s’agenouilla sur son lit, fit le signe de la croix et murmura ces mots :

« Mon Dieu, je vous remercie de la bonne journée que vous m’avez accordée, et de tous les bienfaits dont vous m’avez comblé. Conservez-moi ma bonne mère et mon bon père, sans lesquels je serais bien malheureux ! Car je ne suis rien qu’un tout petit enfant inutile et faible, qui donne bien du mal à ceux qui m’entourent.

« Faites donc que je devienne obéissant et sage, afin qu’on soit toujours satisfait de moi. Mon Dieu, je vous aime et je vous bénis ! »

Puis il laissa tomber doucement sa jolie tête sur son épaule ronde, et ses paupières se baissèrent tout à fait cette fois.

Bluette et Coquelicot, les yeux mouillés de douces larmes, étaient tombés à genoux près du petit ange endormi.

Ils joignaient les mains et l’admiraient en silence.

Leurs cœurs émus, remplis de reconnaissance, de joie et d’amour, s’élançaient vers l’Être suprême, vers ce créateur de toutes choses qu’un petit enfant leur faisait connaître.

« Ô bonne fée Prévoyante ! s’écria Bluette en se relevant, venez près de nous, car nous avons trouvé enfin le petit être doux et bon, confiant, modeste et heureux de son sort, que vous nous avez dit de chercher. »

La fenêtre s’ouvrit doucement, et un nuage blanc se glissa dans la chambre, portant sur sa surface brillante la fée Prévoyante, qui tenait à la main une branche de tilleul.

« Relevez-vous, dit-elle aux enfants, qui s’étaient prosternés devant elle.

« Vos épreuves sont finies, votre destinée est fixée, et vous n’avez plus qu’à choisir :

« Ou rester ici parmi les hommes, travailler avec eux, et tâcher de devenir bons et honnêtes.

« Ou bien retourner dans votre humble champ de blé, et redevenir un bluet et un coquelicot, comme auparavant. »

Ils pleuraient tous deux, touchés de la bonté de la fée Prévoyante, et repentants de s’être plaints du sort que Dieu leur avait fait.

« Ô fée Prévoyante, murmura enfin Bluette en étendant ses mains vers elle, pardonnez-nous d’avoir voulu quitter la place qui nous était marquée.

« Grâce à vous, nous avons compris notre erreur et notre injustice. Nous avons vu que dans le monde la moindre créature a son rôle tracé, son devoir à remplir.

– Et nous vous promettons de remplir le nôtre, s’écria Coquelicot très ému. Nous avons eu tant d’exemples sous les yeux !

« Faites-nous revenir dans notre champ.

« Je serai toujours modeste et content, et pourvu que le beau petit enfant vienne un jour tresser des couronnes avec les fleurs de ma famille, je me trouverai la plus heureuse de toutes les fleurs des champs.

– Et moi aussi, dit Bluette.

– Soyez contents », dit la fée Prévoyante en étendant sur leurs fronts la branche du tilleul.

Et les deux enfants sentirent un léger choc ébranler tout leur être, et ils se retrouvèrent coquelicot et bluet dans un champ de blé jaune et mûr.

Leurs deux fleurs s’élevaient au milieu de toutes les autres, épanouies et brillantes de beauté, de jeunesse et de bonheur.

Conclusion

Chers petits amis pour lesquels j’écris ce conte, quand vous irez dans les blés, cueillez doucement, sans les froisser, le coquelicot pourpre et le bluet d’azur ; formez-en de fraîches couronnes.

C’est pour égayer vos yeux que Dieu fait épanouir ces jolies fleurs des champs ;

Pour charmer vos oreilles que les insectes bourdonnent et chantent dans les prés, que la brise fait entendre ses mélodies dans le feuillage des bois.

C’est pour vous nourrir que le blé mûrit, que les fruits se dorent et s’empourprent, que les poissons se meuvent au fond de la mer, que les animaux paissent dans la plaine.

Mais songez que Dieu, pour tous les dons qu’il vous offre, tous les plaisirs, toutes les joies dont il vous comble, vous impose en retour un devoir, le devoir le plus doux et le plus facile à remplir : Aimer vos bons parents et leur obéir. - FIN

Date de dernière mise à jour : 26/12/2022