BIBLIOBUS Littérature française

L’idée fixe du Savant Cosinus (4° PARTIE)

Table des matières

  • IXème Chant (suite)
  • Ce qu’on nomme courage du bas de l’escalier.
  • Où Sphéroïde étonne le monde.
  • Sidi-Cosinus.
  • Il est joliment en colère, M. Fenouillard.
  • Pleurez, mes tristes yeux !
  • Xème Chant.
  • Le septième voyage de feu Cosinus.
  • La Cosinusomyomachie (ou le combat de Cosinus contre les rats).
  • De l’utilité des instruments de précision.
  • Cosinus tombe sous le glaive des lois.
  • XIème Chant.
  • Où l’auteur mène tout de front.
  • Où de front, l’auteur tout mène.
  • Où tout, de front, mène l’auteur.
  • Où l’auteur, de front, mène tout.
  • Cosinus songe à fixer sa destinée.
  • Mme Belazor donne sa main à Cosinus.
  • Où presque tout le monde est sensiblement heureux et approximativement satisfait.
  • Les comptes des voyages de Cosinus

IXème Chant (suite)

Ce qu’on nomme courage du bas de l’escalier.

La trajectoire décrite dans l’espace par l’illustre voyageur passant par un point remarquable qui est la fenêtre de Jenny l’ouvrière, Cosinus-bolide cause une vive frayeur à cette jeune personne et des dégâts importants dans l’immeuble que son propriétaire s’est engagé à tenir clos et couvert.

Au bas de l’escalier, Jenny l’ouvrière, très émue, rencontre un trio de penseurs profonds, à savoir le concierge Jolicœur, le valet de chambre Baptiste et le jeune Hercule, garçon épicier en disponibilité, fort occupés à étudier les réformes urgentes à apporter dans la société.

Mis par Jenny l’ouvrière au courant des événements, le trio s’indigne, puis, muni d’armes offensives, se rue dans l’escalier avec l’irrésistible furie d’un escadron lancé au galop de charge. « Pas de sang, je vous en supplie ! crie Jenny l’ouvrière qui a bon cœur, ayez pitié de lui ! »

Il semble que, dès le deuxième étage, l’escadron a perdu de sa furie. L’allure est moins vive, les physionomies sont moins féroces, les yeux brillent d’une ardeur moins guerrière. Les cœurs des trois héros seraient-ils sensibles à la pitié ?

Au sixième, le trio semble vouloir passer de l’offensive à la défensive. N’allez pas croire, au moins, que ces cœurs vaillants soient accessibles à la crainte. Ce serait pure calomnie ! Leurs âmes romaines sont impavides…

… Seulement M. Jolicœur vient brusquement de se rappeler qu’il a oublié de fermer sa loge ; Baptiste qu’il a à faire les souliers de Monsieur, et Hercule qu’il a un rendez-vous important au point de vue de son avenir dans l’épicerie nationale.

Où Sphéroïde étonne le monde.

Abandonnée à elle-même, Jenny l’ouvrière se décide à rentrer chez elle où elle se trouve face à face avec un loqueteux qui lui est totalement inconnu, mais dont les discours incohérents et l’air égaré prouvent avec la dernière évidence qu’il est parfaitement idiot. Il a d’ailleurs l’air inoffensif.

C’est Cosinus qui, étant tombé sur le lit, a conservé juste assez de présence d’esprit pour s’introduire dedans et rétablir par un sommeil réparateur, sous l’œil maternel de son hôtesse occasionnelle, l’ordre de ses facultés intellectuelles troublées par tant d’émotions violentes et successives.

Pendant ce temps, M. Fenouillard, accompagné de sa famille, va, respectueux des lois de son pays, déclarer le décès, « par immersion dans l’onde perfide, de son cousin l’illustre docteur Cosinus, membre de plusieurs sociétés savantes et autres ». C’est ainsi que s’exprime M. Fenouillard.

Puis, en règle avec le code, toute la famille regagne la maison mortuaire où elle se livre à un inventaire minutieux des biens mobiliers du défunt : « Voilà, dit Mme Fenouillard, des chemises encore excellentes, qui feront bien l’affaire de mon gendre Polydore ! »

Ces simples mots ayant eu pour effet de soulever d’amères récriminations de la part d’Artémise dont le mari s’appelle Anatole, M. Fenouillard rétablit le calme par quelques paroles conciliatrices. Mme Fenouillard, qui en a vu bien d’autres, ne s’émeut pas.

Quant à Sphéroïde qui, laissé sans surveillance, en profite lâchement pour se mal conduire, il a voulu, lui aussi, inventorier une cuve chez le teinturier voisin. Aussi provoque-t-il, à son retour, l’admiration de M. Fenouillard qui croit qu’il a volontairement pris le deuil de son maître.

Sidi-Cosinus.

Le lendemain, un sombre cortège se déroulait dans les rues de la capitale : c’était le pseudo-Zéphyrin que l’on conduisait en grande pompe à sa dernière demeure, sous les yeux d’une foule émue. M. Fenouillard et ses gendres, Anatole et Polydore Mauve, conduisaient le deuil, suivis de délégations de l’Institut (Académie des Sciences), de l’Université (Faculté des Idem), du Touring-club et autres sociétés savantes. Le Doyen de la Faculté fit, d’une voix calme, un magnifique discours commençant par ces mots : « Messieurs, c’est avec une émotion profonde… » finissant par ceux-ci : « Adieu, cher et illustre ami, ou plutôt…, au revoir ! »

Cependant le vrai Zéphyrin, s’étant enfin réveillé, achevait de retrouver son aplomb grâce à l’absorption de substances alimentaires succulentes, dues à la générosité de Jenny l’ouvrière au cœur large et pitoyable. C’était au moment précis où M. le Doyen faisait son beau discours.

Puis ayant reçu en prêt une couverture presque toute neuve, il songe à réintégrer son domicile, non sans avoir affirmé à sa gracieuse hôtesse qu’il compte, par reconnaissance, lui dédier son prochain travail sur « le lieu géométrique de l’intersection des cercles imaginaires à centre indéterminé ».

Au bas de l’escalier il rencontre le concierge Jolicœur dont l’attitude lui semble incompréhensible, quoique respectueuse. C’est que Jolicœur a pris Cosinus pour un ancien député. Il lui offre aussitôt un bain de pieds. « C’est une idée, ça, d’ailleurs, j’y pensais », dit Cosinus…

Et c’est en effet la première chose qu’il demande, en rentrant chez lui, à Scholastique, en proie à une superstitieuse terreur, et qui croit que son maître revient de l’autre monde tout exprès pour lui reprocher de n’avoir pas versé assez de larmes sur sa dépouille mortelle.

Il est joliment en colère, M. Fenouillard.

Tout à coup la porte s’ouvre. « Tiens ! Fenouillard ! dit Cosinus, et par quel hasard ? Quel bon vent t’amène ? » À cette apparition inattendue du cadavre qu’il vient de conduire à sa dernière demeure, M. Fenouillard demeure stupide. Sa famille frissonne et Scholastique tombe en déliquescence.

Mais les hommes de la trempe de M. Fenouillard se ressaisissent vite. « Que signifie, s’écrie-t-il, cette plaisanterie de mauvais goût ? Larve ! je te brave ! Spectre ! je te défie ! Sont-ce des prières que tu désires ? on t’en dira ! mais je t’ordonne de retourner chez les ombres. »

« Ah ! mais… dis donc, tu m’ennuies, dit Cosinus ; si tu as besoin d’une douche, il faut le dire ; tiens, la voilà ! » M. Fenouillard ne répond rien ; on prétend même que, pour le moment, il n’en pense pas davantage. Les dames s’évanouissent et ces messieurs s’éclipsent.

Convaincu par cet argument sans réplique de la réalité de l’existence de son cousin, M. Fenouillard balbutie : « Mais !… Comment cela se fait-il ?… Tu n’es donc pas mort ? — Mais tu vois, pas que je sache ! — J’en suis charmé, Zéphyrin ! Tu m’en vois charmé », gémit M. Fenouillard.

Puis il supplie sa famille de se désévanouir pour prendre le train, qui doit les ramener Grosjean comme devant à Saint-Remy-sur-Deule.

Quant à Cosinus, il trouve le soir en se couchant que son lit est humide. Il émet diverses hypothèses sur la cause de cette humidité.

Et le lendemain il est réveillé par un employé des pompes funèbres qui lui présente une note de 2 310 francs, pour frais de sa propre inhumation ! Cosinus paye, non sans remarquer que 2 310 est le produit des 5 premiers nombres premiers. Ainsi se termina son sixième voyage.

Pleurez, mes tristes yeux !

Revenons à Mme Belazor et à son cavalier servant qui, malgré quelques fâcheux contretemps, roulent vers le midi à la poursuite d’un cycliste que les renseignements pris en cours de route, leur montrent toujours comme les précédant…

… Attendu que quelle que soit la direction qu’un cycliste prenne, il peut être sûr d’être toujours précédé par un autre cycliste.

Mme Belazor trouve que les côtes se gravissent avec assez de facilité.

Mais où cela va particulièrement bien, c’est aux descentes. Mitouflet a avoué depuis que les descentes lui paraissaient incomparablement moins fatigantes que les montées. Mme Belazor n’y voyait aucune différence…

… à moins toutefois qu’un obstacle imprévu ne vienne à se dresser en travers de la route du tandem lancé à toute vitesse.

Nos voyageurs arrivèrent ainsi à Marseille, enfilèrent les allées de Noailles, descendirent à fond de train la fameuse Cannebière, au bout de laquelle…

… en vertu de la vitesse acquise, ils disparurent dans cette mixture qu’avec leur tendance habituelle à l’exagération, les Marseillais appellent « l’eau du vieux port ».

Xème Chant.

Où il sera établi que Sphéroïde se fût trouvé fort embarrassé si, dès cette époque, l’orifice asniérois du grand collecteur avait été fermé.

Le septième voyage de feu Cosinus.

— « Tiens ! Brioché !… mais je vous croyais mort, mon savant ami. — Si peu mort, illustre collègue, que je repars. Je viens de télégraphier au Sénégal qu’on envoie mes bagages à Téhéran, car je m’en vais par l’Est, cette fois ; c’est bien décidé. »

« Oui parfaitement, par l’Est,… entendez-vous bien ?… L’Ouest et le Sud ne m’ont pas réussi… La Providence, mon illustre collègue, a probablement sur moi des vues qui font que je dois passer par l’Est… J’obéis aux vues de la Providence ! »

Et voilà pourquoi, un beau matin, Scholastique pénétrant dans la chambre de son maître, le trouva en train d’essayer un costume turc destiné à lui permettre de passer inaperçu au milieu des sectateurs de Mahomet.

C’est ainsi costumé que feu Cosinus fit ses adieux à la domesticité de sa maison et partit, suivi de Sphéroïde toujours nègre, et de plus, muni d’un chapeau que son maître avait payé 0 fr. 30 pour le préserver des chaleurs torrides des plateaux de l’Asie.

Après une heure de marche, feu Cosinus aperçoit la Porte dorée : Enfin ! s’écrie-t-il, je vais sortir de Paris… Est-ce que le sort se serait lassé de me poursuivre ? Béni soit le ciel ! » et feu Cosinus s’élance…

… Et feu Cosinus disparait dans un abime qu’il n’avait pas vu et que le Sort (Fatum, en latin), toujours jaloux des lauriers qu’il allait sans doute conquérir, avait creusé sous ses pas… que Sphéroïde emboîte sans hésitation ni murmure.

La Cosinusomyomachie
(ou le combat de Cosinus contre les rats).

Tout cela cause une certaine surprise à feu Cosinus dont la chute a été amortie, mais dont les appels désespérés restent sans écho, malgré l’aide vigoureuse que leur fournissent les hurlements de Sphéroïde.

Cosinus s’étant souvenu du proverbe : « Aide-toi et le ciel t’aidera », s’est décidé à chercher une issue ; mais il fait de fâcheuses rencontres et se heurte à une avant-garde dont Sphéroïde affamé tire immédiatement parti.

Par malheur, le gros de l’armée, suivi d’une réserve considérable, ayant dessiné une attaque de vive force sur les intrus qui ont envahi son domaine, Cosinus et Sphéroïde n’hésitent pas à prendre courageusement la fuite.

Zéphyrin a trouvé un refuge étroit et provisoire dans une anfractuosité de la muraille, d’où il essaie de repêcher son sac à provisions submergé sous un flot de rats. Cosinus conteste l’utilité de pareils animaux, qu’il appelle « stupide engeance et race également stupide ».

Malheureusement l’anfractuosité correspond à un regard donnant sur la rue et par lequel se précipite tout à coup un Niagara d’une violence extrême et d’une odeur extrême aussi. Cosinus, projeté sur le sol, conteste l’opportunité du Niagara. Le Niagara lave complètement le deuil de Sphéroïde.

Cosinus trempé, mais débarrassé des agressifs rongeurs, ne conteste plus rien et se remet à errer mélancoliquement dans la nuit. Le chapeau de Sphéroïde s’étant déplacé, la silhouette du sympathique animal rappelle vaguement celle d’un chameau qui serait bas sur pattes.

De l’utilité des instruments de précision.

Arrivé à un endroit où quelque lumière filtre, Cosinus tire sa boussole de poche pour s’orienter. Sphéroïde observe les mouvements de l’aiguille qui lui paraissent mystérieux et même incompréhensibles.

Mais voilà que Sphéroïde, arraché à ses études magnétiques, donne de la voix. Qu’est-ce ? une lumière… une étoile peut-être ! Cosinus, qui sait profiter des moindres circonstances, tire son sextant de poche pour faire le point.

Cosinus découvre en faisant ses calculs qu’il doit être par 72° 27’ 54” de longitude Est et 18° 32’ de latitude Nord. Ce résultat ne laisse pas que de le surprendre, car alors il se trouverait dans les environs de Bombay.

Or l’étoile n’était autre que la lampe d’un égoutier en tournée d’inspection. « Tiens ! Un zouave ! » interjecte cet homme aquatique. Puis il ajoute aussitôt : Dites, m’sieu l’zouave, est-ce que vous avez une permission, pour vous balader dans les égouts ? »

Cosinus avoue « qu’ayant pénétré d’une façon fortuite, imprévue et verticale dans ce qu’un fameux poète a appelé l’intestin du Léviathan, il n’a pas eu le temps de se munir d’une permission ». L’égoutier déclare aussitôt à Cosinus qu’il va le conduire où l’attend le nommé Lévy dont il parle.

Quant à Sphéroïde qui, lâchement, a abandonné son maître dans le danger, il a filé droit devant lui et a fini par arriver, décoloré, à Asnières où débouche le grand égout collecteur. Là, il lie connaissance avec quelques individus de son espèce et fait un mauvais usage de sa liberté.

Cosinus tombe sous le glaive des lois.

Conduit devant la justice de son pays représentée par le commissaire de police, Cosinus est mis en demeure de donner l’adresse de ce Lévy, que, de son propre aveu, il devait rejoindre et qui ne peut être, comme lui, qu’un anarchiste dangereux.

Cosinus ne comprenant rien à cette question, qu’il qualifie irrévérencieusement de saugrenue, et ayant affirmé qu’il ne connaît aucun Lévy, le commissaire procède aussitôt à l’inventaire méthodique des pièces à conviction.

Or les pièces à conviction étaient habitées par une arrière-garde de rats d’égout dont l’un, s’étant adressé au nez du greffier, périt foudroyé par une absorption exagérée de nicotine. Cosinus propose aussitôt de payer de ses deniers le vétérinaire.

Cette offre ayant paru blessante pour les agents de l’autorité, Cosinus est absous, faute de preuves, du crime d’anarchisme, mais condamné à une amende de 30 fr. 54 pour insulte au greffier, accrue d’une indemnité de 43 francs octroyée audit greffier pour la restauration, devenue urgente, de son appareil olfactif.

Nous avons laissé Mme Belazor et Mitouflet au fond du port de Marseille. On les en a retirés avant que l’asphyxie ne fût complète et nous assistons à leur embarquement motivé par un renseignement qu’on leur a donné et duquel il résulte qu’un bicycliste est parti la veille pour le Sud oranais : « Plus de doute ! C’est lui ! il nous fuit ! » dit Mme Belazor.

Je ne sais si vous êtes de mon avis ; mais il m’a toujours semblé que le tangage et le roulis avaient dû être inventés par les marins pour vexer les pauvres terriens habitués à l’élément solide, et qui, prenant sur l’élément liquide des attitudes abandonnées, offrent ainsi à MM. les marins un spectacle gratuit et réjouissant.

XIème Chant.

Où l’on verra comment Cosinus, après avoir fait beaucoup d’autres tentatives, finit par fixer sa destinée.

Où l’auteur mène tout de front.

Nous ne pouvons suivre Cosinus dans toutes ses tentatives ultérieures pour remplir sa mission civilisatrice et ministérielle ; disons seulement qu’on le vit prendre le bateau-mouche avec Sphéroïde récalcitrant,…

… Et qu’arrivé au Point du jour, le bateau mal dirigé heurta une pile du viaduc et sombra ; ce qui procura à Cosinus l’occasion de donner un touchant exemple de cynophilie (de κυνων chien, φιλος, ami).

On vit aussi Mme Belazor, accompagnée de Mitouflet, s’enquérir auprès des enfants des douars (appellation plaisante due à Mme Belazor) de la question de savoir si l’on n’aurait pas vu passer dans le voisinage un monsieur à bicyclette.

On les vit, renseignés par l’enfant susdit, s’enfoncer dans le désert du Sahara où l’on signalait la présence d’un bicycliste se dirigeant vers le lac Tchad.

Pendant ce temps le dentiste Max (Hilaire), devenu parfaitement fou, songeait dans le silence du cabinet aux moyens pratiques de plomber la Dent du Midi.

On vit enfin Cosinus, sauvé des eaux, refuser pour la première fois de sa vie, sous prétexte qu’il sortait d’en prendre, un bain de pieds que lui offrait la prévoyante Scholastique.

Où de front, l’auteur tout mène.

On le vit en teuf-teuf automobile dévorer l’espace et empoisonner l’atmosphère d’une odeur nauséabonde de pétrole brûlé. Sphéroïde, calme et serein, semble goûter fort ce genre de locomotion. Cette fois, Cosinus touche au but !

Malheureusement, près de la porte d’Orléans, un coup de guidon inopportun ayant été donné par Cosinus, chauffeur novice, il se produit un cataclysme qui permet à Cosinus de mesurer le coefficient de résistance des glaces de devanture.

On vit Mme Belazor et Mitouflet, à l’aspect de quelques individus suspects dont la menaçante silhouette apparaît à l’horizon, rebrousser chemin avec précipitation et tourner obstinément le dos au lac Tchad.

Ce qui ne les empêche pas d’être vivement appréhendés par les Touaregs, dont les chameaux courent infiniment plus vite que de vulgaires bipèdes.

On vit le dentiste Max (Hilaire) décider après mûre réflexion, que le meilleur moyen de plomber la Dent du Midi, c’est d’employer à cette opération le Plomb du Cantal.

On vit enfin Cosinus et Sphéroïde rentrer chez eux fort déconfits, après un pansement sommaire. Leur aspect cause à Scholastique une émotion bien légitime.

Où tout, de front, mène l’auteur.

On vit Cosinus promettre 0 fr. 50 de pourboire à un automédon parisien, s’il arrivait à le faire sortir de Paris par n’importe quelle porte, chose qui ne paraît pas audit automédon au-dessus de ses moyens.

Résultat : l’automédon qui, comme tous ses congénères, a horreur de se déranger pour d’autres véhicules, entre, place de l’Étoile, en contact direct avec l’omnibus qui conduit de l’Hôtel-de-Ville à la Porte-Maillot.

La figure ci-dessus est une figure toute théorique, destinée à montrer au lecteur l’aspect intérieur du fiacre et le désordre de son contenu, après son contact direct avec l’omnibus Hôtel-de-Ville-Porte-Maillot.

On vit Mitouflet et Mme Belazor, échappés par miracle aux Touaregs, fuir au galop d’un chameau rapide, vers des régions plus hospitalières où, d’ailleurs, on leur a signalé un bicycliste.

NOTA. – Qu’on ne s’étonne pas de voir des bicyclistes dans le désert, la région des neiges éternelles étant la seule dans laquelle ce mammifère à roulettes n’ait pas encore pénétré.

On vit le dentiste Max (Hilaire) étrangler presque un inoffensif client qui lui avait paru douter de la possibilité de poser un râtelier aux bouches du Rhône. À la suite de cette tentative homicide, le dentiste Max (Hilaire) disparut de la circulation. On dit qu’il est en Carie, pays où il se livre à la recherche du lieu d’origine du Leptothrix buccalis (microbe des maux de dents, comme chacun sait).

On vit enfin Scholastique plongée dans un ahurissement profond à la vue de son maître dont un séjour par trop prolongé dans la voiture renversée avait déplacé le centre de gravité. C’est du moins l’explication qu’il donne de sa bizarre attitude. Scholastique se déclare à elle-même que le centre du docteur a peut-être été déplacé, mais qu’à coup sûr il a perdu sa gravité professionnelle.

Où l’auteur, de front, mène tout.

On vit Cosinus, se souvenant de sa polytechnicienne jeunesse, partir sur un cheval fougueux…

… et en descendre en abandonnant ses bottes vernies dans les étriers.

Après quoi, malgré les sommations indignées du docteur, le cheval rentre seul à l’écurie.

Pendant ce temps, Mitouflet et Mme Belazor sondaient les abîmes des monts Altaï et les grottes de l’Himalaya.

… Ridaient de leurs rames légères, la surface azurée des grands lacs de l’Amérique septentrionale ou autres régions subtropicales,…

… Provoquaient l’enthousiasme des Papous en quête d’un grand Ghi-Ghi-Bat-i-Fol depuis la déposition de Fenouillard.

Cosinus songe à fixer sa destinée.

Enfin, découragé par tant de tentatives infructueuses, Cosinus devient rêveur. Il constate que malgré tous ses efforts, malgré les combinaisons les plus audacieuses, il n’a pu arriver à sortir de Paris et que ses insuccès lui coûtent 73 446 fr. 64 (voir aux pièces justificatives). Il pense que quelque Dieu est jaloux de sa gloire, et que les Grecs qui avaient déifié la Fatalité, n’avaient peut-être pas tort. Sphéroïde aussi est mélancolique.

Évidemment, se dit-il, je ne suis pas créé pour les longs voyages. Eh bien, résignons-nous ! et fondons un établissement fixe en même temps que durable. Il me semble que si je me mariais, avec quelque femme intelligente… mais où la trouver ?...

Tout à coup Cosinus interrompit ses réflexions pour faire : « Tiens ! Tiens !! Tiens !!! » et par deux fois il répéta « Tiens ! Tiens !! Tiens !!! »

Aussitôt se précipitant à son bureau il écrivit : « Madame, je suis assez bien de ma personne, et membre de plusieurs sociétés savantes. Je suis un mobile qui cherche à se fixer. Voulez-vous être le cercle dont je serai le centre, l’hyperbole dont je serai le foyer, le tétraèdre dont je serai le sommet, la strophoïde dont je serai l’asymptote ? En un mot voulez-vous de moi pour époux ?

« Zéphyrin Brioché (étage au-dessus). R.S.V.P. »

Cela fait, Zéphyrin, muni d’un instrument perforant de premier choix acheté chez le quincailler du coin du quai,…

… pratiqua dans le plancher une ouverture suffisante pour donner passage à son billet…

… puis, heureux et satisfait, il prit une position commode et horizontale pour méditer sur les événements et les attendre.

Mme Belazor donne sa main à Cosinus.

Deux ans se sont écoulés. Cosinus et Sphéroïde attendent toujours. Mme Belazor a fait le tour du monde sans rejoindre son héros. Rentrant chez elle désappointée, elle y trouve une forêt cryptogamique due à l’humidité causée par les nombreux bains de pieds de l’illustre Cosinus.

Puis, en furetant, elle découvre sous le chapeau d’un tricholoma nudum, le billet enflammé qui depuis deux ans attend une réponse. Son cœur lui dit qu’après tant d’orages, elle a enfin trouvé le port sous l’aile duquel elle pourra désormais braver la tempête.

Aussi, rougissante et émue, sans se donner le temps d’ajouter à ses charmes intrinsèques quelques ornements extrinsèques, se rend-elle aussitôt à l’étage supérieur où elle se présente à Cosinus surpris en lui disant ces simples mots : « Monsieur ! J’apporte la réponse ! »

Or Cosinus venait précisément de télégraphier à Paramaribo afin d’avoir des nouvelles de ses bagages. Admirant la rapidité des communications, il offre généreusement à celle qu’il suppose être un commissionnaire un pourboire de 0 fr. 10.

Que l’on juge de la stupéfaction de Cosinus obligé par les faits de reconnaître que la commissionnaire est incorruptible. Mme Belazor s’étant donc fâchée, Cosinus la compare à Hippocrate refusant les présents d’Artaxerxés (400, av. J. C.)

Mme Belazor, exige impérieusement une réparation de l’injure que Cosinus lui a faite par son offre insultante. Et voilà pourquoi Zéphyrin, s’étant rendu à la mairie pour faire publier ses bans, y apprend qu’il est décédé depuis deux ans et demi.

Où presque tout le monde est sensiblement heureux et approximativement satisfait.

Nous ferons grâce au lecteur des démarches multiples que dut faire Cosinus pour obtenir un nouvel état civil. Ses démarches ayant réussi, le 12 mai 19… il épousa solennellement Flore-Aglaé-Coralie Badoutremer, femme de lettres, veuve en premières noces de Polyeucte Belazor, pharmacien de première classe.

Les noces de Cosinus furent malheureusement troublées par un bien triste et bien douloureux événement : le fidèle Sphéroïde, n’ayant pas su mettre une sourdine à ses appétits gloutons, éclata. Empaillé par un homme de l’art, il fait le plus bel ornement de la glorieuse cheminée de son glorieux maître.

Quant à Mitouflet qui a perdu en route son chef de file (c’est de Mme Belazor qu’il s’agit) et qui n’a rejoint qu’après le mariage, il a été engagé par Cosinus afin de soigner la champignonnière que, pour utiliser la fin de son bail, Mme Brioché a établie dans son ancien domicile. Ce n’est pas là ce que Mitouflet, âme sensible, avait rêvé.

Scholastique ayant, pour cause d’omelettes aux champignons, des rapports fréquents avec Mitouflet et étant d’ailleurs guérie de ses idées de grandeur, n’est pas sourde aux éloges qu’à chaque rencontre lui décerne l’ex-agent. Ces deux nobles cœurs se sont compris, et tout fait prévoir, là aussi, un prochain mariage.

Cosinus, de son côté, se vit bientôt père de deux jumelles : les jeunes Sécante et Cosécante, qu’il berce et endort au son harmonieux de la seule chanson qu’il connaisse, son éducation musicale ayant été très négligée. C’est lui qui est spécialement chargé du service de nuit.

La naissance des jeunes Brioché a fait une autre victime : c’est ce pauvre M. Fenouillard qui, avant cet événement, était le seul héritier de son cousin Cosinus, avantage qu’il avait eu soin de faire valoir, lorsqu’il s’était agi de marier ses filles.

Morale : Ne vendez pas la peau de l’ours avant d’être sûr qu’il mourra sans postérité.

Les comptes des voyages de Cosinus

(Pièce justificative.)

FIN

 

 

 

Date de dernière mise à jour : 05/11/2022