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BIBLIOBUS Littérature française

L’idée fixe du Savant Cosinus (2°Partie)

 Table des matières

  • IVe Chant.
  • Cosinus solliciteur.
  • Les déboires du métier de solliciteur.
  • Chez le ministre.
  • Ve Chant.
  • Cosinus se trompe de trajectoire.
  • Fin du deuxième voyage de Cosinus.
  • VIe Chant.
  • Cosinus se prépare à un troisième voyage.
  • Complots ténébreux.
  • Cosinus part pour son troisième voyage.
  • Dans la forêt vierge.
  • Les exploits de la balle vengeresse.
  • Les responsabilités s’établissent.
  • Fin du troisième voyage de Cosinus.
  • VIIe Chant.
  • Cosinus part pour un quatrième voyage.
  • Cosinus médite quelque chose de grand.
  • Où le but mystérieux est dévoilé.
  • La résurrection de Cosinus.
  • Où il est question d’équilibre.

IVe Chant.

Cosinus intrigue et ne réussit qu’à concevoir des doutes relativement aux propriétés arithmétiques du nombre 1.

Cosinus solliciteur.

Or, un matin, Zéphirin reçoit une lettre qui le fait bondir hors de son lit. Le costume de Cosinus étant par trop primitif, nous nous voyons, par égard pour le lecteur, obligé de remplacer sa maigre silhouette, par une échappée sur la belle nature, due à l’habile crayon d’un de nos plus fameux paysagistes.

Par cette lettre on annonçait à Cosinus que ses bagages voguaient sur la mer Océane, arrimés dans la cale du Labrador.

Zéphyrin forme aussitôt le projet de les rejoindre sans bourse délier en se faisant donner une mission scientifique ou autre. À cet effet, il sollicite une audience de M. le Ministre.

Ayant obtenu son audience pour le jeudi à deux heures, Zéphyrin juge convenable de faire un brin de toilette, afin d’ajouter encore à sa distinction naturelle et native. La gravure le représente au moment où il cherche à dissimuler sa calvitie par un artifice qu’il aime à décrire mathématiquement en disant : « Je retiens un qui vaut dix. »

Puis, comme il a le temps, il fait une répétition générale de ses attitudes, devant un sujet quelconque qu’il suppose être le ministre.

— Je suis, Monsieur le Ministre, le docteur Brioché, et je viens solliciter de votre haute bienveillance une mission…

Il est beau, Monsieur le Ministre, il est très beau de savoir à propos faire des sacrifiées pour la science…

Avec laquelle j’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, votre très humble et très obéissant serviteur.

Zéphyrin, qui a fait les cent pas dans la rue pour ne pas arriver avant l’heure indiquée, pénètre à deux heures précises dans l’antichambre du ministre. Il y trouve cinquante-trois personnes, toutes également convoquées pour deux heures.

Les déboires du métier de solliciteur.

Ce jeudi-là, Zéphyrin ne vit pas le ministre. Instruit par l’expérience, il arrive le jeudi suivant à huit heures et demie du matin.

« Ah ! cette fois-ci vous avez le n° 1 », dit l’huissier.

Puis il ajoute plaisamment :

« J’espère que vous entrerez ! »

À 2 heures sonnant l’huissier appelle : « Mossieu Sautopin !

— Mais, Monsieur, dit Zéphyrin, j’ai le n° 1. Pourquoi ce monsieur entre-t-il avant moi ?

— C’est un député, et un député de l’opposition encore ! Alors vous comprenez que le ministre doit ménager sa susceptibilité !

2 h. 25 !… « Mossieu le marquis de la Roche Vaporeuse ! » scande l’huissier.

— Mais, monsieur l’huissier, insiste Cosinus, je vous fais encore remarquer que ce monsieur…

— Ça ! c’est un sénateur, et les sénateurs entrent quand ils veulent. »

3 heures !… « Monsieur Bonhommet ! » crie l’huissier.

— Mais enfin, huissier, gémit Cosinus, je vous affirme que j’ai le n° 1 et que…

— Chut !!!… C’est le maire de Breconchoux-les-Écouvottes, électeur influent du Ministre, alors vous saisissez la chose ! »

3 h. 40 !… « Monsieur Picon ! » articule l’huissier.

— Pour le coup, garçon, dit sèchement Cosinus qui veut être mordant, vous me paraissez ignorer que le n° 1 est la première de toutes les unités.

— Silence ! c’est un journaliste, des gens qu’il ne faut pas indisposer, parce que leur plume a souvent bien mauvaise langue. »

Et la petite comédie dura, uniforme et monotone, jusqu’à 5 heures.

Alors l’huissier tire sa montre et sentencieusement laisse tomber ces paroles de sa bouche d’oracle : « Monsieur le Ministre ne reçoit plus… il regrettera, sans doute ; mais si vous tenez à le voir, revenez jeudi… À l’avantage ! »

Chez le ministre.

Enfin, à force de persévérance, Cosinus finit, un beau jeudi, par pénétrer chez le ministre. Et ce fut fort heureux pour lui, Zéphyrin, car il avait fini par se persuader que ledit ministre était un mythe inventé pour faire peur aux petits enfants.

Il ne faudrait pas croire, d’après la figure ci-dessus, que Cosinus, subitement atteint de folie, s’est cru transformé en chercheur de truffes et prend le cabinet du ministre pour une forêt périgourdine… Non ! il a simplement, dans son émotion, fait un faux pas.

Le ministre l’ayant relevé par des paroles pleines de bonté et l’ayant engagé à s’asseoir, Zéphyrin, qui a pris un siège quelconque, commence par transformer en galette le chapeau n° 1 dudit ministre.

Cosinus, qui malgré son trouble a senti sous son individu quelque chose d’anormal, se relève brusquement, ce qui cause au caniche de M. le Ministre un vif désagrément, accroit l’émotion de Zéphyrin et semble modifier les intentions jusque-là bienveillantes du gouvernement.

Zéphyrin, de plus en plus troublé, s’étant vivement reculé pour dégager la queue de l’officiel quadrupède, tombe de Charybde en Scylla (Scylla était un gouffre dans lequel, au temps jadis, s’engloutirent beaucoup d’ambitions, de fortunes et d’espérances).

Enfin Cosinus a fini par s’asseoir. Mais tant d’émotions lui ont fait perdre la mémoire. Il ne sait plus bien au juste pourquoi il est là. — « Et alors, comme ça, monsieur le ministre, dit-il, vous allez bien ? Et votre dame aussi ? Et votre petit dernier ?… Allons, tant mieux ! »

Ve Chant.

Le 2e Voyage du savant Cosinus.

Où l’on verra comme quoi Cosinus ayant pris un trop rapide embonpoint, contribua à procurer à Mitouflet les moyens de faire l’achat d’une pipe turque.

Cosinus se trompe de trajectoire.

Enfin, grâce à un conseiller municipal qui s’est chargé de solliciter pour lui, Zéphyrin a fini par obtenir du ministre de l’Intérieur une mission diplomatique chez les nègres du pôle Antarctique. Aussitôt, il télégraphie à New-York : « Envoyez à Terre de Feu, contre remboursement, bagages Brioché. »

Puis, pour ne plus s’exposer à une contravention, il prend le parti de faire mettre des soufflets à ses vêtements afin de dissimuler ses armes, instruments et provisions…

Sur le palier, il rencontre Mme Belazor : « Ciel ! s’écrie-t-elle, le dentiste qui est devenu éléphant ! »

Bien décidé à arriver cette fois sans encombre au Havre où il désire toujours s’embarquer, Zéphyrin choisit un compartiment où se trouve déjà un voyageur d’aspect sympathique, qui n’est autre que notre vieille connaissance Mitouflet, fort intrigué par l’extraordinaire embonpoint du docteur.

Afin de se renseigner, Mitouflet, dont l’âme policière et l’esprit fureteur ne s’endorment jamais, profite astucieusement du sommeil dans lequel est plongé Cosinus pour procéder à une investigation minutieuse des profondeurs abdominales du docteur.

Un couteau, plongé jusqu’au manche dans…

… le sein du dormeur, ne lui ayant causé aucune douleur sensible, Mitouflet jubile intérieurement en songeant qu’il pourrait bien, en dénonçant son compagnon de voyage, toucher une prime sérieuse. Cet espoir lui permet de bâtir quelques châteaux en Espagne, ayant la forme d’une pipe turque qu’il convoite depuis quelque temps.

« Hé ! nous sommes arrivés. — Où (à ça ? au Havre ? déjà ! — Au Havre ? Mais non, à Paris. — Mais, j’en viens ! — P’faitement, vous venez de Paris-Ouest et vous arrivez à Paris-Nord, par Asnières, Colombes, Argenteuil, Sannois, Ermont, Enghien, Épinay et Saint-Denis. »

Cosinus est abasourdi… Il s’est trompé de train !

Fin du deuxième voyage de Cosinus.

Cosinus est ahuri et en même temps furieux.

— Voyons ! Monsieur, s’écrie-t-il en s’adressant à un employé à casquette blanche, mettez-vous à la place d’un mobile qui se croit animé d’un mouvement de translation rectiligne et qui s’aperçoit qu’il a décrit une trajectoire circulaire !

Mitouflet fait un pas dans la direction de sa pipe en dénonçant Cosinus comme habituel fraudeur.

Aussi, au moment de sortir de la gare, Zéphyrin est-il interpellé par un employé d’octroi qui, prévenu par Mitouflet, lui pose la question indiscrète suivante : « Vous n’avez rien à déclarer ? — Si, Monsieur, répond aussitôt Cosinus (Mitouflet, anxieux, voit fuir sa pipe turque) ; si, Monsieur, j’ai à déclarer… que je suis loin d’être satisfait ! » À ces mots Mitouflet renaît à l’espérance.

— Kekcédonkça qui dépasse ? interroge l’employé.

— Ça ! ce sont mes provisions de bouche habilement dissimulées pour ne pas éveiller la cupidité des sauvages.

— Sauvage toi-même, espèce d’enflé ! riposte l’employé qui, ignorant les projets de voyage de Zéphyrin, croit que c’est lui que le sympathique docteur désigne par ce vocable peu flatteur.

À ces mots, la colère qui grondait sourdement au fond du cœur de Zéphyrin éclate, et, d’une main sûre, il rugit :

— Ah ! je suis un sauvage ! Tiens ! en voilà du sauvage !… Ah ! je t’en donnerai du sauvage… espèce de batracien ! (allusion fine à la couleur de l’uniforme verdoyant de l’employé de l’octroi).

À cette attaque directe contre l’un d’eux, tous les autres employés d’octroi s’élancent, tant parmi ces fonctionnaires modestes la solidarité est effective !

Alors la colère de Cosinus ne connaît plus de bornes et, tirant de ses soutes les projectiles les plus variés, seul contre tous il s’élance. Tel Horatius Coclès au pont du Janicule (509 av. JC.) !

Malheureusement, ayant exécuté sur ses adversaires un tir à répétition extrêmement rapide, Cosinus se trouve bientôt à court d’armes de jet. N’ayant plus, comme dernière cartouche, qu’un hareng fumé, il est obligé de se rendre à merci. Tel François Ier à la bataille de Pavie (1525), ou tel encore le roi Jean à la bataille de Poitiers (1356) !

VIe Chant.

Le 3e Voyage du savant Cosinus.

Où l’on verra comme quoi la gare d’Orléans remplaça les ruines de la Cour des Comptes parce que Sphéroïde avait une naturelle horreur des chats.

Cosinus se prépare à un troisième voyage.

Arrêté pour contrebande manifeste et rébellion à main armée, puis mis en liberté sous caution, mais toujours muni de sa dernière cartouche, Zéphyrin rentre chez lui. Sur le palier il rencontre encore Mme Belazor.

— Ciel ! s’écrie cette excellente dame, le dentiste qui est vidé !

Selon son habitude, Cosinus, ayant demandé un bain de pieds, monologue et déclare à haute et intelligible voix qu’il est plus résolu que jamais à vaincre tous les obstacles et à faire le tour du monde, comme Fenouillard. Décision qui navre Scholastique, mais laisse parfaitement indifférent Sphéroïde, hypnotisé par la dernière cartouche.

Scholastique ayant timidement fait remarquer à son maître dans quelle singulière bassine il prend son bain de pieds, Cosinus daigne sourire de sa distraction et prie Scholastique de lui rapprocher son eau chaude. Sphéroïde profite de la circonstance pour s’emparer de la dernière cartouche, objet de ses secrètes convoitises.

Alors Zéphyrin réfléchit que tous ses malheurs proviennent de ce qu’il n’a pas pris toutes les précautions légales, et il songe à se rendre à la préfecture de police afin de s’y munir d’un port d’armes et d’un passe-debout, pièces qui lui permettront de partir équipé comme il l’entendra.

Malheureusement, quand il est préoccupé, Cosinus est généralement distrait.

C’est ce qui explique l’étrange costume sous lequel il se rend à la préfecture et en même temps l’émotion violente qu’il soulève parmi les foules sur son passage.

À la préfecture, Cosinus trouve Mme Belazor qui venait se plaindre aux autorités compétentes des inondations périodiques et répétées auxquelles elle est soumise par son voisin d’en haut. À la vue de Cosinus elle s’évanouit en criant :

— Ciel ! ce dentiste encore… !

Complots ténébreux.

Régulièrement muni, cette fois, de tous les papiers nécessaires, Cosinus télégraphie à Zanzibar, afin qu’on envoie ses bagages à Melbourne (Australie) où il ira les prendre dans un avenir prochain.

Ensuite, rentré chez lui, il démontre à Sphéroïde, au moyen de 3 théorèmes et de 4 corollaires, qu’il est indispensable que lui, Sphéroïde, accompagne son maître au Cap.

Sphéroïde paraissant convaincu, le docteur sourit en voyant dans son miroir l’étrange et nocturne coiffure sous laquelle il circule depuis le matin et il commence à comprendre l’émotion populaire.

Aussi s’empresse-t-il de se débarrasser de ladite sur un support quelconque. Puis, ayant fait sa toilette de nuit, il se couche et s’endort. Il rêve qu’il détrône Fenouillard et s’assoit à sa place dans le fauteuil présidentiel de l’Athénée somnifère de Saint-Remy-sur-Deule (Somme-Inférieure).

Or ce « support quelconque » se trouve être le fidèle Sphéroïde qui, complètement désorienté, commence par faire une chute douloureuse à laquelle succèdent des efforts désespérés, puis une tentative de suicide par apoplexie, et enfin un amer découragement consécutif à une résignation morne.

Remise de son émotion et sa plainte déposée, Mme Belazor rencontre dans les couloirs de la Préfecture l’agent Mitouflet dont elle a déjà pu apprécier les grandes qualités intellectuelles et morales. Elle le charge de veiller sur elle et de la défendre contre cet obsédant dentiste.

« Accordé à l’unanimité ! » dit Mitouflet !… puis aimablement il ajoute : « Ayez point peur, ma p’tite dame. Du jour d’aujourd’hui, je me constipue vot’ garde du porc, comme on dit, et que ce sera pour moi-z-un inaffable plaisir ! — Je me remets entre vos mains, M. Mitouflet », soupire Mme Belazor.

Cosinus part pour son troisième voyage.

Dès l’aube, Cosinus se lève et appelle Scholastique afin de lui faire admirer l’intelligence de Sphéroïde qui lui a, pendant son sommeil, subtilisé son casque à mèche pour se préserver du serein.

— « Et ce qu’il y a de plus fort, observe cette pince-sans-rire de Scholastique, c’est qu’il a eu l’attention de le remplacer par votre chapeau. »

« C’est vrai !… c’est ma foi vrai ! dit Cosinus… Scholastique, vous venez de faire une excellente remarque et j’en ferai l’objet d’un prochain mémoire intitulé : « De l’influence du chien (canis domesticus) sur le rhume de cerveau (coryza) – » Et je suis décidé à ne pas me séparer, dans mes voyages, d’un animal aussi remarquable. »

C’est pourquoi, le soir même, Cosinus se rendait par les quais à la gare d’Orléans, traînant derrière lui le fidèle Sphéroïde qui, ayant des habitudes très casanières et très pot-au-feu, paraissait manifester une certaine répugnance à courir le monde, fût-ce même pour en faire le tour ; mais heureusement pour Sphéroïde, Mitouflet veillait.

En effet Mitouflet, qui a, pour ne pas quitter Paris, des raisons particulières sur lesquelles nous n’aurons pas l’indiscrétion d’insister, et qui veut cependant exercer la surveillance promise sur le cauchemar vivant de Mme Belazor, a, comme vous pouvez le constater, trouvé un moyen élégant de retarder Cosinus et de concilier du même coup ses préférences, à lui Mitouflet, avec son devoir.

Cosinus, au bout de quelques mètres ayant senti une résistance insolite et suspecte, se retourne pour en déterminer l’origine. Quelque prévenu qu’il soit en faveur de l’intelligence de Sphéroïde, Cosinus ne peut admettre qu’il y ait eu métamorphose.

Cette opinion est d’ailleurs corroborée par des aboiements violents, mais d’un timbre familier, qui se font entendre dans la direction des ruines de la Cour des comptes. C’est en effet Sphéroïde qui manifeste son antipathie contre un représentant de la race féline.

Guidé par le son, Cosinus qui tient à ne pas se séparer de son compagnon, l’ayant vu pénétrer dans les ruines, veut y pénétrer aussi. Problème compliqué dont la solution lui est offerte par une autre de continuité dans la clôture.

Dans la forêt vierge.

À peine Cosinus a-t-il fait dix pas dans les ruines, qu’il y découvre une véritable forêt vierge et une flore abondante et variée qui lui fait complètement oublier Sphéroïde.

Puis il fait, en herborisant, d’intéressantes découvertes zoologiques pour lesquelles il oublie la botanique.

Mais il y revient à la vue d’une espèce nouvelle. « Je l’appellerai la Briocheiaparisiensis Br. », dit-il.

Après quoi, grâce à un concours fortuit de circonstances, il abandonne zoologie et botanique pour se livrer à l’étude de la chute des corps.

Enfin, s’étant retiré dans une petite Thébaïde, il prend quelques notes, résume ses impressions et coordonne ses découvertes.

Ayant résumé ses impressions et coordonné ses découvertes ; il se livre à des méditations qui peu à peu deviennent nettement crépusculaires.

Peu à peu toujours, et par degrés insensibles, de crépusculaires qu’elles étaient les méditations du savant deviennent nocturnes. Elles sont interrompues et troublées par l’apparition subite de trois individus que Zéphyrin, revenant à ses préoccupations zoologiques, classe aussitôt parmi les rapaces, également nocturnes.

Les rapaces nocturnes, qui sont des oiseaux pratiques, imaginent aussitôt un moyen simple et économique de se procurer des vêtements neufs aux dépens de cet intrus qui a osé pénétrer dans leur domicile ordinaire. L’intrus finit par n’être plus vêtu que de son caleçon et de ses chaussettes, objets superflus que méprise considérablement cette sorte d’individus.

Réduit à sa plus simple expression, Cosinus retrouve son fusil perfectionné qui a échappé à la dent des rapaces, si j’ose m’exprimer ainsi. Il tire aussitôt dans leur direction une balle vengeresse, ce qui cause la mort par anévrisme du fusil perfectionné.

Les exploits de la balle vengeresse.

Or Mitouflet, « tout entier à sa proie attaché », comme l’a dit un poète, surveillait la sortie de sa victime. La balle vengeresse, après plusieurs ricochets, vient le frapper dans ses œuvres vives. Mitouflet rugit, tandis qu’au bruit de l’explosion, une silhouette bien connue s’arrête hésitante.

Persuadé qu’un attentat vient d’être commis contre sa précieuse personne, Mitouflet se précipite avec la furie d’un ouragan vers le télégraphe voisin pour demander du renfort à la préfecture. En passant, Mitouflet-Ouragan fait mordre la poussière (métaphore hardie) à la silhouette bien connue.

Les brigades centrales elles-mêmes s’ébranlent à l’appel pressant de Mitouflet, et lentement se hâtent afin d’aller étouffer dans l’œuf l’hydre de l’anarchie dont ledit Mitouflet signale, d’une façon formelle, la présence dans les ruines jusqu’alors inviolées de la Cour des comptes.

Les éléments constitutifs primordiaux de tout attroupement parisien emboîtent aussitôt le pas aux brigades centrales.

Mais la silhouette bien connue ayant, dans sa chute, brisé la glace d’un avertisseur d’incendie, les pompiers convergent de tous côtés, avec les appareils les plus perfectionnés, vers le lieu présumé du sinistre supposé.

Les responsabilités s’établissent.

À la nouvelle du réveil de l’hydre de l’anarchie, les troupes ont été consignées dans leurs casernes.

Quant aux pompiers, ils cherchent l’incendie qu’ils ne trouvent pas ; mais, par contre, ils trouvent ce qu’ils ne cherchaient pas, à savoir le corps inanimé de Mme Belazor, qui est en même temps celui du délit, puisqu’il est étendu au pied de l’avertisseur brisé.

Pendant ce temps, Mitouflet, accompagné de deux agents et d’une lanterne, découvre l’hydre de l’anarchie, qui semble se livrer à de profonds calculs évidemment subversifs.

Mme Belazor ne se désévanouissant pas, le célèbre docteur Letuber, qui se trouvait dans la foule, offre ses services. Il détourne momentanément les engins perfectionnés de leur destination habituelle pour appliquer à sa cliente occasionnelle un traitement hydraulique dont le résultat ne se fait point attendre.

Or à ce moment, Cosinus, extrait de la forêt vierge qui lui servait de Thébaïde, reparaît intact, mais dans un primitif costume, sur l’asphalte parisien. À sa vue, Mme Belazor, qui a cessé d’être cadavre, s’écrie haletante : « Ciel, le dentiste qui est devenu sauvage ! » Et Mme Belazor se révanouit dans les bras de Mitouflet.

Deux fiacres ont été réquisitionnés : dans l’un, Mme Belazor, soutenue par le fidèle Mitouflet, regagne, toujours évanouie, son domicile. Dans l’autre, Cosinus est emmené gratis au dépôt de la Préfecture sous la prévention d’anarchisme manifeste. Quant aux pompiers, ils regagnent leurs casernes avec sérénité, et la foule s’écoule en commentant les événements dont, une heure après, 37 824 versions, toutes différentes et inexactes, circulaient dans le public.

Alors, tout étant fini, les brigades centrales apparaissent.

Fin du troisième voyage de Cosinus.

Momentanément privé de son maître qui est son tuteur naturel et dont l’exemple a jusqu’ici suffi pour le retenir dans le chemin de la vertu, Sphéroïde met lâchement à profit sa liberté pour faire de douteuses connaissances qui, par leurs perfides insinuations, leurs funestes conseils et leurs fâcheux exemples (tant est grande la néfaste influence des mauvaises compagnies), stérilisent le levain d’honnêteté que l’éducation a déposé dans son âme et y font germer la semence de l’immoralité.

Il en résulte pour Sphéroïde une série d’émotions désagréables et même violentes, accompagnées d’un délabrement stomacal causé par une trop grande irrégularité dans l’alimentation. Cette considération fait faire un retour sur lui-même.

… et dans son domicile particulier, à Sphéroïde, désormais convaincu : 1° que l’indépendance n’est pas la liberté ; 2° qu’il faut éviter les mauvaises fréquentations ; 3° qu’on ne peut être mieux qu’au sein de sa famille ; 4° qu’on devrait bien tuer le veau gras pour le retour des chiens prodigues.

Cependant Cosinus, revêtu par la charité d’un sergent de ville d’une vieille pèlerine hors d’usage, comparaît devant le juge d’instruction qui lui demande ses nom, prénoms, qualités et domicile.

Cosinus a complètement oublié ces détails sans importance, ce qui n’est pas fait pour éclairer la situation.

Puis, habilement, le juge fait à Cosinus cette insidieuse question : « Que faisiez-vous le 23 juillet 1847, à 7h 32m 27s du soir ? » À quoi Cosinus répond avec infiniment d’esprit : « Gros malin ! J’ai comme une idée que vous voulez vous payer mon occiput ! Que diriez-vous si je vous demandais le logarithme de 48 357 ? »

Tout a fini, néanmoins, par s’arranger, et le docteur s’en tire avec une amende. Son habituel bain de pieds ne profite qu’à Sphéroïde qui s’imagine qu’on lui a servi la sauce du veau gras. C’est à la suite de cette alerte violente qu’il a été décidé qu’on ferait disparaître les ruines de la Cour des comptes et qu’on les remplacerait par la gare d’Orléans.

VIIe Chant.

Le 4e Voyage du savant Cosinus qui faillit se terminer de façon tragique.

Cosinus part pour un quatrième voyage.

Après quelques heures de réflexion, Cosinus décide qu’il passera par le Sénégal (via Carthagène). Aussitôt il envoie à Melbourne, où doivent se trouver ses bagages, une dépêche au consul de France, l’invitant à expédier ses colis à Saint-Louis par le plus prochain paquebot.

Or, comme il doit traverser l’Espagne, il s’est muni de l’attirail d’un brigand calabrais, ce qui lui permettra, pense-t-il, de passer inaperçu dans la patrie de Don Quichotte, puis il se rend au plus prochain bureau afin d’y prendre un billet d’omnibus pour la gare d’Orléans.

Mais l’omnibus est un véhicule qui ressemble au royaume des cieux en ce sens qu’il y a peu d’élus, et qui en diffère en ce qu’il y a aussi fort peu d’appelés. Cosinus, à la vue du numéro 720 qui lui est échu, songe que si tous les omnibus passent complets, il a du temps devant lui.

Alors Cosinus trompe les ennuis de l’attente en empruntant un charbon à un futur membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres qui s’exerçait sur un mur voisin en y inscrivant son opinion sur les qualités de la concierge de l’endroit. Cosinus découvre quelques propriétés curieuses et même singulières du nombre 720.

Malheureusement ses études mathématiques sont interrompues par l’irruption de deux individus de sexe différent, mais d’ardeur toute semblable, qui entreprennent de lui démontrer l’inexactitude de l’appréciation formulée sur le mur et dont (tant la fureur obscurcit le jugement !) ils le croient faussement l’auteur.

« Ah ! je suis une vieille taupe ! dit l’un, et toi qu’est-ce que tu es donc, vieux chien pansé (Chimpanzé, probablement) ? » C’est ainsi que M. et Mme Périnet, concierges, se répandent en paroles amères et, comme les héros de Iliade, insultent leur ennemi terrassé qui n’y comprend rien, fort qu’il est de son innocence.

Cosinus médite quelque chose de grand.

Les idées troublées par cette agression dont la cause première leur échappe, Cosinus et Sphéroïde cherchent à déterminer la nature d’un objet informe qui gît sur le champ de bataille et qui n’est autre que le chapeau du docteur. Le fusil espagnol affecte la forme élégante de la courbe nommée sinusoïde.

N’ayant pas réussi à déterminer la nature de l’objet informe, Cosinus fait une nouvelle tentative pour prendre l’omnibus. Or en 12 minutes 3 voitures passent complètes. Cosinus admire la stupidité d’une administration dont les véhicules sont complets précisément aux heures où il y a beaucoup de monde.

Ayant admiré la stupidité de l’Administration, et exprimé en termes énergiques le mépris qu’il professe pour l’illogisme de sa manière d’agir, Cosinus s’isole pour résoudre le problème suivant : « Sachant qu’en 12 minutes il monte 0 voyageur, dans combien de temps appellera-t-on le n° 720 ? »

La solution du problème est que le n° 720 sera appelé dans un temps infini, ce que Cosinus note ainsi : t = ∞. Ce résultat provoque un mouvement de glissement chez Cosinus et un autre (mouvement) de sympathique intérêt chez Sphéroïde. Le fusil, désormais cintré, fait des siennes.

« Mais, Monsieur, dit Cosinus, c’est mon coefficient de frottement qui s’est trouvé trop faible pour détruire ma composante tangentielle… ! — J’connais pas tous ces gens-là, dit le contrôleur. C’est 12 fr. 50 que vous m’devez. Maint’nant vous pouvez les réclamer à vot’ tante Gentielle, comme vous dites ! »

Cosinus en a assez des omnibus, et il prend la résolution virile de ne plus jamais user de ce moyen suranné de locomotion… d’autant plus qu’il en connaît un autre plus moderne et plus rapide. Sphéroïde semble agité de noirs pressentiments. Quel est donc le but mystérieux vers lequel court Cosinus ?

Où le but mystérieux est dévoilé.

« Madame, je voudrais un vélocipède. — Savez-vous monter ? — Voilà, madame, une question que vous regretterez quand vous saurez que je suis le docteur Brioché, dont le grand mémoire sur l’équilibre des corps en mouvement a été couronné par l’Institut somnifère de Saint-Rémy-sur-Deule. »

Et voulant prouver son savoir-faire, Cosinus pénètre dans le manège. Malheureusement il avait compté sans Sphéroïde qui, pendant les pourparlers, avait cru devoir se livrer, sans motif sérieux, à quelques divagations indiquant évidemment un esprit inquiet et un caractère irrésolu.

Or, précisément Mme Belazor prenait, dans un costume élégant et simple, une leçon de bicyclette. Cosinus éprouve une contracture musculaire qui projette Sphéroïde dans les airs, où il décrit une trajectoire parabolique, suivant les lois immuables de la balistique.

La figure ci-dessus est la suite de la précédente : elle montre l’effet produit par la chute de Cosinus. (Cette figure, bien qu’assez confuse, nous semble, par sa confusion même, assez claire pour pouvoir se passer de commentaires. Sphéroïde est invisible ; mais on peut être sûr qu’il continue à suivre sa trajectoire.)

Or, l’agent Mitouflet, garde du corps de Mme Belazor, l’avait accompagnée au manège. C’est sur son œil droit que vient se terminer la trajectoire parabolique du chien Sphéroïde. Il y a des gens qui n’ont pas de chance ! (Cette réflexion s’applique à Mitouflet et non pas à Sphéroïde. Prière de ne pas se méprendre.)

Le célèbre docteur Letuber, appelé en toute hâte, donne ses soins éclairés à l’œil de Mitouflet.

— Qu’avez-vous reçu dans l’œil, interroge Letuber ?

— Un chien, docteur.

— Un chien ! Voilà un cas bien curieux… Dites-moi,… est-ce qu’il est ressorti ?

La résurrection de Cosinus.

Ayant restauré Mitouflet, Letuber tente ensuite de rétablir la respiration chez Cosinus et Mme Belazor évanouis. Fort heureusement pour Mme Belazor le tube de caoutchouc est crevé de son côté. Quant à Cosinus… (Voyez la figure suivante.) Le professeur de bicyclette qui a découvert le fusil espagnol, s’en fait un avertisseur à trompe.

Revenue à elle, Mme Belazor craint d’avoir été « dentisticide ». La pitié envahit son cœur et contemplant Cosinus, elle murmure : « Mais, il est très bien, ce jeune homme ! » L’œil de Mitouflet, en entendant ces mots, respire une sombre jalousie. (Image puissante, métaphore hardie qu’on est prié de ne pas imiter, l’auteur s’en réservant le Monopole.)

Transporté chez lui, Cosinus fut couvert par Letuber, lui-même, de cataplasmes brûlants et émollients. Feu Cosinus dégonfla, mais ne bougea pas !

Letuber, homme de ressources et médecin industrieux, essaya alors de l’hydrothérapie généralement si efficace.

Feu Cosinus fut inondé, mais ne bougea pas !

Letuber, un peu étonné du peu de succès de ses méthodes, appliqua alors la souveraine électrothérapie.

Feu Cosinus fut électrisé, mais ne bougea pas !

Letuber, de plus en plus étonné, eut alors recours aux grands moyens et appela à son aide la sérothérapie.

Feu Cosinus fut inoculé, mais ne bougea pas !

Letuber déconcerté imagina alors, en désespoir de cause, de rechercher si la chatouillothérapie serait plus efficace.

Feu Cosinus fut chatouillé, mais ne bougea pas !

Alors Mme Belazor survint et se précipitant aux pieds du défunt l’adjura de se désévanouir afin de lui pardonner.

Insensible à la Bélazorthérapie, feu Cosinus ne bougea pas.

Ayant perdu son latin, Letuber, par distraction et pour se donner une contenance, change un signe dans une équation algébrique écrite au tableau.

Feu Cosinus bondit. « Mais ! môsieu ! ma formule est fausse maintenant ! »

Telle fut la façon toute fortuite dont fut inventée la fameuse mathématicothérapie, qui devait rendre si célèbre le docteur Letuber.

Où il est question d’équilibre.

Au bout de 2 heures, l’hydrothérapie, jusqu’alors sans effet détermine une réaction violente.

L’électrothérapie occasionne quelques contractions évidemment salutaires, bien qu’inélégantes.

La chatouillothérapie, agissant tardivement, provoque un accès d’hilarité et de gracieuses contorsions.

Il n’est pas jusqu’à la Bélazorthérapie qui ne finisse à la longue par mettre du vague dans l’âme de Zéphyrin.

Complètement remis, Cosinus songe à reprendre ses études de cyclisme théorique et pratique, si fâcheusement interrompues par l’imprudence de Sphéroïde, vil instrument dont s’est servi la fatalité qui s’obstine à empêcher Cosinus de partir.

À cet effet, il se remet à étudier l’équilibre des corps en mouvement. Scholastique n’arrive pas à comprendre l’utilité qu’il peut y avoir à écrire des tas de choses pour arriver à mettre dans le bout : = 0. Autant vaudrait, à son avis, ne pas les écrire. Mais, en matière de sciences, l’opinion de Scholastique est négligeable.

Passant de la théorie à la pratique, Cosinus explique à Scholastique qui paraît n’y prendre qu’un intérêt médiocre, que s’il étend la jambe droite, c’est pour que son centre de gravité se déplace vers la droite et que sa verticale tombe entre les quatre pieds de la chaise, c’est-à-dire à l’intérieur de la figure de sustentation.

« En fait de tentation, dit Scholastique, je n’ai jamais vu que celle de Saint Antoine ! » Cosinus se contente de hausser les épaules et démontre aussitôt expérimentalement que s’il replie la jambe, la verticale du centre de gravité tombant en dehors de la base de sustentation, l’équilibre est incontestablement rompu.

 

 

L'idée fixe du Savant Cosinus

(3° partie)

Date de dernière mise à jour : 05/11/2022