Créer un site internet
BIBLIOBUS Littérature française

Le Sapeur Camember (3° PARTIE)

« Le rire est un besoin physique qui dilate le parenchyme splénique et se traduit extérieurement par une contraction des muscles zygomatiques. »

Dr GUY MAUVE.

« Tout ce dont j’ai besoin en fait de facéties, je le trouve dans le Camember. »

MON ONCLE.

LES FACÉTIES DU SAPEUR CAMEMBER (FIN)

Un médicament qui se trompe d’adresse.

« Je suis drès ogupée, mossieu Gamempre. Bourriez-fous me rendre un service ?

— Avec vélocipèle, mam’selle Victoire !

— Alors, allez chercher une burge pour la golonelle, mais une burge gu’on ne la zentirait bas basser ! Fous m’endendez pien ? »

« Mossieur le Phormachien ! S’que vous n’aureriez pas une purge qu’elle serait itérative et que nonostant on ne la sentirait pas passer. — Si fait, monsieur le sapeur, donnez-vous la peine de vous asseoir… Je vais vous chercher cela. »

« Et en attendant, pour vous faire passer le temps, faites-moi le plaisir et en même temps l’honneur, monsieur le sapeur, d’accepter ce verre de sirop !

— Vous êtes bien honnête, m’sieur l’Phormachien ! »

Cinq minutes après : — « Et cette purge, mossieu le Phormachien ? — Vous n’avez donc rien senti ? — Moi ? non ! — Eh bien ! vous venez de la prendre ! ce sirop que… — Tonnerre ! hurle Camember indigné, c’était pas pour moi ! c’était pour la colonelle ! »

Le colonel : — « Alors espèce de kanguroo, tu te permets d’ingurgiter les médicaments destinés à la colonelle ! Tu vas aller trouver poliment l’adjudant-major, et tu le prieras humblement de te mettre immédiatement et pour huit jours consécutivement à l’abri du soleil. »

Livré à ses réflexions, Camember, qui se sent tout remué, monologue mélancoliquement. « — Mille millions de coupe-choux ! gémit Camember à l’ombre, en voilà une farce qu’est pas à faire ! Il aurait bien pu attendre deux ou trois jours, le colonel… ! Vrai ! »

Puissance de l’addition

« Mossieu Gamempre ! vous seriez pien aimaple t’aller à la ferme me chercher tes hommes te derre.

— Mam’selle Victoire, c’est pour moi-z-un bonheur inaffable de vous être agriable ; je vas, je vole et je reviens ! »

Malheureusement, la route étant longue et la chaleur étouffante, Camember s’affale dans la première auberge. Aussitôt l’élève Merlin demande à l’élève Batifol s’il veut savoir au juste ce que c’est que l’addition des fractions.

L’élève Batifol y ayant consenti, l’élève Merlin lui fait part de la méthode qu’il compte employer pour faire l’opération. Batifol, qui a compris, pose les premières fractions…

... auxquelles l’élève Merlin, avec un soin tout particulier et un remarquable esprit de méthode, s’empresse d’ajouter quelques nombres ou expressions également fractionnaires…

… qui s’augmentent de certaines quantités ou grandeurs de même nature apportées par l’élève Batifol, qui montre à cette occasion combien il possède l’esprit d’assimilation.

Si bien que les élèves Merlin et Batifol obtiennent à la fin une somme ou total à forme entière produisant une nouvelle fraction, ce qui est bien étonnant au point de vue arithmétique.

Une réflexion amère du sapeur.

Que faisais-tu dans le civil, Camember ?

— J’ai été cordonnier, mon colonel…

— Alors tu dois savoir peindre des volets… Donc tu vas me repeindre ceux de ma maison. »

Et voilà pourquoi notre pauvre sapeur se trouve dans la situation élevée que représente l’image.

« Petits voiseaux qui z’êtes dans le feuillaââge

Ousque murmure l’onde du clair ruisseau… »

« Chantez, chantez dedans le vert bocàââage

Le gai printemps… Le gai printemps…

Époque du rrrrrre… nouveau…

… du rrrrrenouveau… hem ! du rrrenouveau ! »

« Nom d’une bombe ! est-ce qu’il y en a encore beaucoup comme ça à faire ?… Une, deusse, troisse, quatre… ! J’arriverai jamais au bout ! Camember, mon ami, t’en as pour jusqu’au jugement dernier. Et dire que ça n’te s’rait pas arrivé si tu n’avais pas fait la bêtise de dire que t’étais cordonnier ! »

Et les hirondelles purent voir le sapeur donner les signes d’un amer découragement, et les moineaux piailleurs l’entendirent murmurer mélancoliquement : « C’est pas pour dire ! Non ! positivement c’est pas pour dire !… »

« Qu’est-ce gui n’est bas pour tire, mossieu Gamempre ! dit une voix harmonieuse.

— Tiens ! Vous étiez là, mam’selle Victoire ?

— Voui ! che vous gontemplais, mossieu Gamempre ?

— Eh bien ! c’est pas pour dire ! Mais c’qu’y d’vait s’emb… nuyer quéqu’fois, l’nommé Raphaël ! »

Une suite d’événements aussi bienheureux qu’imprévus – et difficiles à raconter – nous a mis en possession du manuscrit suivant :

Cet effort prodigieux ayant complètement tari la veine poétique de Camember, le sympathique sapeur a dû borner là sa tentative lyrique.

L’excès en tout est un défaut.

« Mam’selle Victoire, serai-je-t-y assez heureux si vous le feriez celui de me demander un service que je serais rudement satisfaisant d’vous obtempérer ? »

Si vous foulez, mossieu Gamempre, être tut à fais calant, brenez la crante passine à gonfitures et asdiguez-la gomme y faut ! »

 « Petits voiseaux qui z’êtes dans le feuillââàge

Ousque murmure l’onde du clair ruisseau,

Chantez, chantez, dedans le vert bocââââge…

Le gai printemps, époqu’ du rrrrenouveau. »

« Là ! maintenant, mam’selle Victoire, n’y a plus qu’à y mettre un peu de recul, comme y dit un peintre en bâtiments de mes amis. Paraît qu’y a rien de tel pour voir si ça fait bien ! »

L’effet produit par le recul ! Nous supposons la figure assez claire par elle-même et nos lecteurs assez intelligents pour ne pas avoir besoin qu’on leur donne de plus amples explications.

« Eh ! pien, mossieu Ga… Ga… atchouh ! mempre… C’est ce que fous ap… atchin ! pelez du recul !

— J’en… j’en… pfft !.. ai trop mis, ma… mam’selle Victoire ! J’en… ai trop mis.

Camember apprend l’orthographe.

Camember, de planton, pense que c’est très amusant de ne penser à rien, mais, qu’en somme, cet exercice manque de variété et d’imprévu.

« Salut, mam’selle Victoire ! que subséquemment vous v’là revenute du marché ?

— Oui, mossieu Gamempre ! pien le ponchour. »

« Quoi que vous avez acheté, mam’selle Victoire ?

— Tefinez, mossieu Gamempre, c’est quéqu’chose te pon ça gommence par un C !

« Par un C ? voyons… par un C… Ah ! cornichon ? — Non, mossieu Gamempre. — Alors, choucroute ? — Non ! vous tefinez pas, mossieu Gamempre ! »

« Ah ! j’y suis… çaussisse !

— Mais non, mossieu Gamempre ! allons, técitément, tonnez-vous fotre lanque au chat ? »

« Dame, oui, mam’selle Victoire !

— Eh ! pien ! mossieu Gamempre, puisque fous ne tefinez pas : c’est tes cuernouilles et un chigot ! »

Camember se venge.

Mlle VICTOIRE : — Fous êtes, mossieu Gamempre, un aimable cheune homme, de m’éblucher mes bommes te derre… un cheune homme tut à fait calant. (Silence…) Gomment tonc gu’on fous abèle té fotre pedit nom, mossieu Gamempre ?

CAMEMBER. — Ah ! ah ! mam’selle Victoire, que voilà une question obtempérative ! Vous m’avez fait deviner l’autre jour ce qu’il y avait dans votre panier. Eh bien ! maintenant, à votre tour ! Faut d’abord vous dire que mon nom propre, il n’est pas commun !

CAMEMBER. — Et puis comme je ne veux pas que vous serchiez dans le parmi de tous les noms de l’arc-en-ciel, mon nom y commence par un F, mam’selle Victoire. Ça va vous faciliter la trouvaison du nom dont auquel je m’parfume à votre vis-à-vis !

VICTOIRE. — Par un F, gué fous tites, mossieu Gamempre, par un F ? Est-ce que ça ne serait pas Fictor ?

CAMEMBER. — Non mam’selle Victoire, vous n’y êtes pas ! Ça n’est pas Victor !

VICTOIRE. — Cette fois ch’y suis, mossieu Camempre ! Z’est Fincent !

CAMEMBER. — Mais, mam’selle Victoire, puisque je vous réitère que ça commence par un F…

VICTOIRE. — Alors, moi aussi, che tonne ma lanque au chat, mossieu Gamempre.

CAMEMBER. — Eh bien ! mam’selle Victoire, j’suis intitulé Éphraïm, pour vous servir !

Encore une fantaisie orthographique de Camember.

« Eh bien ! sapeur, est-ce qu’il est enfin rentré, ce concierge, depuis le temps qu’il est sorti ? — J’en ignore itérativement, mon colonel ! — Eh bien ! pour la dixième fois, vas-y voir. J’ai besoin de mon courrier, que diable ! »

Et Camember, qui ne connaît que la consigne, opère un demi-tour à droite selon les règles, et sort pour exécuter les ordres de son grand chef ; seulement il fait un détour par la cuisine afin de verser ses doléances dans le sein de mam’selle Victoire.

« Pour sûr, mam’selle Victoire, qu’il ne va pas encore y être, et alors le colo dira : Camember ! t’es t-un cruchon !… C’est toujours comme ça que ça finit, mes conversations avec le colo. — Vous s’illusionez, mossieur Gamempre ! il tit soufent : t’es-t-une puse ! »

« Mon colonel, dit Camember de retour, le pékin il se parfume encore d’absence non motivée. — Ah ! pour le coup, c’est trop fort ! dit le colonel furieux… J’y vais moi-même, et s’il n’y est pas, je lui démolis sa cassine, à ce pipelet de malheur ! »

« Mon colonel peut s’ingurgiter par soi-même que le sapeur ne l’a point-z-enduit d’erreur, puisque c’est-z-écrit fort malement que le pip’let n’est point-z-ici, comme mon colonel peut se l’obtempérer lui-même par sa vue visuelle et subséquente. »

« Mam’selle Victoire, nous nous sont élusionés tous les deux, comme vous dites. Y n’m’a pas dit : t’es-t-un cruchon, ni : t’es-t-une buse. Y m’a dit : Camember, t’es-t-une huître ! J’suis c’pendant pas cause si c’pékin de concierge il s’ballade à jet continu ! »

Camember victime d’une métaphore.

« Mon colonel ! y a là-z-une dame, qu’elle veut vous parler. — Qu’est-ce qu’elle demande ? — Elle n’a point z-eu l’honneur de me le dire. — Peuh ! quelque jeune soldat à recommander… Dis-lui… Dis-lui… qu’elle aille à la balançoire ! »

« Madame, le colonel a dit comme ça qu’il ne pouvait pas vous recevoir pour l’estant. Seurement que si vous seriez aimable, vous vous pavoiseriez de l’attendre, comme qui dirait en vous agrémentant de jeux innocents dans le parmi du jardin.

« Si madame qu’elle voudrait s’incruster sur cette mécanique balançatoire, qu’elle attendrait plus commodément que si qu’elle resterait sur ses pieds de derrière ! — Mais pourquoi faire, mon ami ? — Ça ! j’en ignore ! mais c’est la consigne ! »

Et Camember, esclave de ladite consigne, l’exécute en conscience : « Ho ! hisse !… Ho ! hisse !… Une ! deusse !… T’nez-vous bien, la petite dame ! — Au secours ! au meurtre ! à l’assassin ! » crie la visiteuse en proie à une terreur folle.

« Mais, malheureux ! s’écrie le colonel accouru au bruit, d’abruti que tu étais, tu es donc devenu complètement idiot !… Faire faire un pareil exercice à la générale ! — Mais c’est mon colonel lui-même qui m’a dit… ! — Tais-toi ! tu me feras quinze jours ! »

« Voyez-vous, mam’selle Victoire, on raconte que l’obéissance est la base du commandement. Eh bien ! c’est pas vrai ! vu que quand le sapeur obéit, il a d’la boîte. Aussi, dors-en-avant je n’obéis plus qu’aux ordres qu’on ne me donnera pas ! »

Un mot du major.

M. le Maire de Gleux-lès-Lure (Saône-Supérieure), patrie de Camember, reçoit dernièrement la dépêche télégraphique suivante : « Camember décédé hôpital militaire Besançon, prévenir famille. » Signé : Major Jean-Baptiste-Mauve.

Aussitôt M. le Maire, ayant fait un brin de toilette, se rend à pas lents chez M. Camember père, tout en ruminant son discours. « Il faut, se dit-il, trouver un moyen intelligent de les prévenir pour qu’ils apprennent la nouvelle sans s’en apercevoir. »

Ayant trouvé son moyen, M. le Maire arrive et, s’adressant aux parents du sapeur : « C’est-y pas vous, leur dit-il, qu’étiez les parents de feu le sapeur Camember ? » M. le Maire s’arrête stupéfait à la vue de l’effet produit par ces simples paroles.

M. et Mme°Camember, s’étant rendus à Besançon pour assister aux obsèques de leur fils, le rencontrent à la porte de la caserne. « Tiens ! Papa ! Tiens ! Maman ! — Mais t’es donc pas mort, not’fieu ? Le major a envoyé une dépêche comme quoi t’étais décédé ! »

« Faites excuse, m’sieu le Major, mais si ce serait un effet de votre obligeance de me dire si je suis mort ou pas mort, vu la chose de la dépêche dont à laquelle vous vous êtes pavoisé.

— Attends, Camember, je vais consulter mes registres. »

« Ah ! je sais ce que c’est ! C’est une erreur du télégraphe, c’est pas toi qui es mort, c’est ton pays, Camille Ambert. Ils auront écrit en abrégé Cam. Ambert… Et maintenant, mon ami, tu peux aller rassurer ta famille.

Maman Camember.

C’était en Algérie, pendant la révolte des Flittas. Camember, de grand’garde, entend dans les décombres d’une maison incendiée un bruit singulier, insolite, et même « subreptice », pour employer la propre expression du sapeur.

Toujours, selon sa propre narration, Camember « s’introductionne avec sa baïonnette et prudence dans la cassine, et demeure putréfié au visuel d’une petite criature naturelle qui braillait comme une tourte et gigotait des quatre pattes comme une couleuvre ».

Camember ayant recueilli la « pétite criature », se sent aussitôt pour elle des entrailles de père. Il baptise le jeune homme Victorin, en souvenir de mam’selle Victoire, et l’endort au son de mélodieux accords :

« Petits voiseaux qui-z-êtes dans le feuillââââge, etc. »

Instruit par l’exemple des femmes kabyles, Camember découvre un moyen élégant et pratique pour ne jamais quitter, même pendant les étapes les plus longues, son mômichon « pain d’épice », pour lequel il persiste à se sentir des entrailles de père.

Et même Camember éprouve les tortures d’une intense jalousie à l’aspect de Cancrelat, qui tente, par des moyens « daloyaux », de captiver la confiance du jeune homme. « Bas les pattes ! s’écrie Camember indigné, c’est moi que je suis son paternel, j’entresuperpose ! »

« Pas ? mon garçon, que c’est moi que je suis ton papa ? » Et Victorin, qui commence à bégayer quelques mots, répond aussitôt : « Maman ! » Depuis ce temps, le bon sapeur ne fut plus désigné au régiment que sous le nom suave de « Maman Camember ».

Un enfant phénomène.

Au bout de douze heures d’adoption, Victorin n’ayant rien à se mettre sous les gencives et ayant réclamé avec la dernière énergie un régime plus substantiel, Camember se décide à faire une collecte.

Ayant récolté 5 fr. 75, Camember demeure convaincu que pour ce prix, il ne pourra pas se payer une vache. Il se rabat sagement sur une bique qu’un Bédouin à court d’argent lui laisse pour 5 fr. 50.

Or Victorin, ayant un jour poussé sa première dent, Camember en eut une grande joie, d’autant plus que Camember étant devenu nourrice, les autres sapeurs projettent de le faire profiter des avantages attachés à sa nouvelle situation. Aussi…

… à chaque nouvelle dent du moutard offrent-ils au père nourricier un champoreau d’honneur chez madame Filankatre, cantinière au 12e régiment d’infanterie de ligne.

Si bien que, quand l’enfant eut toutes ses dents (si on les compte d’après le nombre des tournées chez madame Filankatre, Victorin devait en posséder 248 (ce qui est beaucoup pour un homme seul), le corps des sapeurs était ruiné de fond en comble.

Quant à maman Camember, père nourrice, son nez bourgeonnait avec une intensité telle qu’au printemps il aurait certainement fleuri si, voyant que le métier ne lui procurait plus de bénéfices, le sapeur n’avait, heureusement, sevré son nourrisson.

Le major perd son latin.

Le major ayant un jour rencontré le sapeur pendant qu’il bourgeonnait : « Mais, Camember, lui dit-il, où diable as-tu pêché ce rutilant appareil olfactif ? — C’est-y mon nez qu’vous voulez dire, m’sieu l’major ? Pour lors : c’est rapport à mon nourrisson. »

Voilà un cas bien singulier, pense le major ; et, rentré dans sa tente, il se met en devoir de rechercher ce qu’ont écrit les bons auteurs sur les cas analogues à celui du sapeur, et se demande quel peut bien être le traitement approprié.

Il essaye d’abord d’un traitement sympathique sous forme de cataplasmes émollients.

Résultat indécis.

Puis d’un traitement allopathique par l’application d’une demi-douzaine. de sangsues. – Résultat nul.

D’un traitement homéopathique, dont le résultat, facile à prévoir pour tout esprit non prévenu, est que le sapeur devient enragé.

Enfin d’un traitement hydropathique à la suite duquel le docteur, ayant perdu son latin, demande un congé pour courir à sa recherche.

De retour, au bout d’un mois, le major rencontre Camember dont le nez a repris ses agréments naturels et est redevenu aussi joli que le vôtre ou le mien, pour cause de cessation de champoreaux. Le major s’informe. « — J’vas vous dire, répond le sapeur : c’est rapport à mon nourrisson qu’il est sevré. »

Le major est stupéfait et en même temps ravi, car il voit dans ces métamorphoses bizarres du nez du sapeur l’occasion d’une communication à l’Académie de médecine. Il entrevoit la gloire et prend quelques notes préalables : « Nouvelle maladie des nourrices : hypertrophie nasale ; Traitement : sevrer le nourrisson. »

De graves événements se préparent.

« Mam’selle Victoire, la guerre est déclarée. Nous allons nous regarder dans le blanc des yeux avec les Prussiens ; je ne sais pas si j’en reviendrai… Voulez-vous servir de mère à Victorin ? — Oh… oui, mossieu Gamempre ! »

« Et maintenant, mam’selle Victoire… je ne sais pas comment vous dire ça… foi d’Camember, j’aimerais mieux me trouver tout seul au milieu d’une escouade de sapeurs prussiens… Mam’selle Victoire !… — Mossieu Gamempre ! »

« Mam’selle Victoire… je voudrais savoir si vous écoutez mes paroles d’un œil bienveillant ?

— Oh oui ! mossieu Gamempre.

— Alorssse… je consume mes faisceaux, comme y dit l’Major… »

« Mam’selle Victoire, si je reviens, est-ce que vous consentiriez à devenir madame Camember ?

— Oh, oui ! mossieu Gamempre. »

« Alorssse, mam’selle Victoire, permettez-moi de déposer sous l’œil filial de Victorin et sur votre front pur, le baiser des fiançailles. »

« Et en avant le 12e de ligne ! dit Camember. As pas peur, les petits agneaux : y z’a à vot’tête un caporal sapeur qu’est le fiancé de la Victoire ! »

ÉPILOGUE

Deux héros.

Postés à un créneau pratiqué dans un mur de jardin à Flavigny, Camember et Cancrelat s’amusent comme des bienheureux. En voilà deux dont on ne peut pas dire qu’ils ont jeté leur poudre aux moineaux et travaillé pour le roi de Prusse !

À midi, le colonel vient observer l’ennemi… « Mon colonel, dit Camember, si je serais à votre place, j’irais ailleurs ; il fait trop chaud ici et vous pourriez attraper queuque chose qui ferait moins plaisir à la colonelle que la croix d’honneur. »

« Là, Cancrelat, avais-je t’y raison ou avais-je t’y pas raison ? Le v’là propre à présent not’pauvr’colon… Allons, dépose-le là, bien doucement, et couvre-le d’une couverture ; faut cacher sa mort, parce que la mort du colon ça démoralise les hommes. »

« Et maintenant, vous autres, attention !… Ah ! vous démolissez not’colonel… eh ! ben, nous allons rire !… Tiens, Cancrelat, regarde donc un peu ce grand barbu qui se prélasse sur son cheval gris… Paf ! — Rigodon ! crie aussitôt Cancrelat. C’est leur colon à eusses ! »

« Sapeur ! dit Cancrelat, on sonne la retraite ! — Fusilier Cancrelat, seriez-vous assez lâche pour abandonner aux Prussiens le corps de votre colonel ?… Apprenez, fusilier Cancrelat, que les coups de fusil m’empêchent d’entendre sonner la retraite ! »

Cela se passait à quatre heures du soir. À cinq heures moins le quart, Cancrelat a le bras cassé ; à cinq heures, il voit Camember lancer de formidables coups de baïonnettes et à cinq heures cinq minutes il ne voit plus rien, et pour cause : Cancrelat s’est évanoui.

Camember sauve le colonel.

La fraîcheur de la nuit réveille Camember blessé, qui s’aperçoit avec joie qu’il n’a qu’un coup de crosse sur le crâne et un coup de baïonnette qui lui a égratigné les côtes.

Pendant qu’il cherche à reprendre le cours interrompu de ses idées, il entend un gémissement. S’étant approché, il constate avec bonheur que ce gémissement a été poussé par le colonel.

Il conclut de là avec une rare logique que le grand chef n’est pas mort puisqu’il se plaint, et se déclare à lui-même que son devoir est de le transporter à l’ambulance.

Et malgré la fatigue, malgré le sang qui coule de ses récentes blessures, Camember marche, marche, marche toujours ; il avance en dépit des obstacles qui se dressent sur sa route, et dont il se débarrasse ou qu’il évite avec quelque ingéniosité.

Il remarque même que trop d’ingéniosité peut être nuisible et que le moyen qui lui a servi pour traverser les lignes prussiennes, doit subir des modifications lorsqu’il s’agit de pénétrer dans les lignes françaises.

C’est à demi mort de fatigue, soutenu seulement par une énergie et une volonté de fer, que l’héroïque sapeur arrive en vue de l’ambulance. — « À moi, s’écrie-t-il dans la nuit, c’est le colonel ! » et il roule sans connaissance sur le sol !

La noce de Camember.

Camember s’est battu partout et n’a été tué nulle part. À la paix, il vole là où il sait devoir trouver sa douce fiancée, qui hésite à reconnaître dans ce loqueteux son beau et fidèle sapeur. Quant à Victorin, il semble sourd à la voix du sang.

La colonelle, prévenue, accourt aussitôt, et serrant entre ses mains blanches la patte velue du bon sapeur, le remercie avec des larmes d’avoir, au péril de sa vie, sauvé le colonel. « Oh ! y a pas de quoi ! ma colonelle », répond Camember avec infiniment de modestie.

Deux mois après, Camember complètement refait et remis à neuf, heureux comme un roi, beau comme un soleil, conduisait au pied des autels sa douce et timide fiancée rougissante et émue. L’inévitable et sympathique Cancrelat était garçon d’honneur.

Au dessert, et comme il convient, chacun chanta la sienne. Camember donna le signal en entonnant sa fameuse romance :

Petits voiseaux qui-z’êtes dans le feuillâââge…

Le colonel, venu pour porter un toast à son sauveur, demande, lui aussi, à chanter la sienne. Or « la sienne », elle était contenue dans une petite boîte et ornée d’un ruban jaune liseré de vert.

Après quoi, chacun s’en fut se coucher, en commentant avec émotion les événements de cette journée mémorable dans laquelle Victorin avait été mis en possession d’une seconde maman Camember.

All is well that ends well.

Cancrelat a épousé dans son pays Mlle Angélique Beaufils, qui avait du bien, mais qui en profite pour mener tambour battant le brave garçon, lequel, d’ailleurs, ne s’en porte pas plus mal.

Il a été nommé capitaine des pompiers de Lantenot. C’est lui, paraît-il, qui a eu le premier l’idée géniale qui consiste à essayer les pompes la veille de chaque incendie.

Le major Mauve s’est retiré à Saint-Rémy-sur-Deule, patrie de l’illustre famille Fenouillard. Il y fait à son cher cousin, le célèbre docteur Guy Mauve, une loyale mais désastreuse concurrence.

Le colonel, devenu général, et maintenant en retraite, prépare un grand ouvrage sur la cause de nos désastres. Il couronne ainsi une belle carrière par une œuvre utile et saine. Puissent nos enfants mettre à profit ses avertissements et ses conseils !

La colonelle l’aide dans cette noble tâche.

Quant à Camember, il est garde particulier dans la propriété du colonel et père d’une nombreuse famille. Il a déjà 8 garçons qu’il élève avec l’aide du sergent Victorin, dans cette idée que « la discipline est la force des armées ». Il ne commencera, dit-il, à être à peu près satisfait que quand il aura un nombre de garçons représentant l’effectif d’une escouade sur pied de guerre.

Il a toujours pour Mme Victoire une affection et une admiration sans bornes qu’elle lui rend bien d’ailleurs. Puissent-ils goûter longtemps ensemble le bonheur qu’ils ont si bien mérité ! All is well that ends well : tout est bien qui finit bien ! - FIN

 

Date de dernière mise à jour : 05/11/2022