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BIBLIOBUS Littérature française

Préface


 

C'est une curieuse étude que celle du langage vicieux dans toutes les langues, et particulièrement en français. Qui voudrait remonter à la source des diverses fautes de langage, et reconnaître par quelles altérations subites ou successives les mots et les phrases ont quelquefois passé pour arriver au point où on les trouve chez ceux qui parlent mal, serait souvent bien étonné des découvertes qu'il ferait dans ce pays peu étudié et peu connu.

Tel n'est pas l'objet que nous nous proposons. Nous indiquerons sans doute, quand l'occasion s'en présentera, quelques-unes de ces origines dont l'histoire est si intéressante; mais, en général, c'est un ouvrage pratique, et non un ouvrage d'érudition que nous faisons ici. Il y a dans le langage usuel et commun une multitude de mots corrompus ou remplacés mal à propos par d'autres, une quantité de phrases mal construites ou même insensées. Quelle est la correction qu'il y faut faire pour que l'expression devienne irréprochable? C'est là le problème que nous avons voulu résoudre. Il a donc suffi, la plupart du temps, de mettre en regard la faute et son corrigé; et c'est, en effet, ce que l'on trouvera constamment dans ce livre, et ce qui fait que, malgré son peu d'étendue, il contient beaucoup plus de faits qu'aucun de ceux qui ont été publiés jusqu'ici, puisque nous réduisons tous les articles au petit nombre de lignes indispensables à chacun.

Nous ne prétendons pas dire, cependant, que cet ouvrage soit complet; loin de là : on peut assurer qu'il est impossible de faire un recueil de ce genre qui mérite ce titre, car les fautes faites ou à faire sur les mots et les phrases sont véritablement infinies en nombre.

Aujourd'hui principalement que la conversation embrasse tous les sujets et qu'il n'y a pas d'homme qui ne soit exposé à employer des mots qu'il n'a jamais vus écrits, il y a plus de cinquante à parier sur cent qu'autant de fois ces mots se produiront, autant de fois ils seront estropiés d'une manière plus ou moins inattendue, presque toujours fort maussade.

C'est une expérience que chacun de nous a pu faire sur soi-même. A qui n'est-il pas arrivé de trouver un jour écrit tel mot qu'il ne connaissait que pour l'avoir entendu, et de redresser par lui-même une idée fausse conçue à l'occasion d'un nom imaginaire? Supposons que, ne connaissant pas le laque, vernis de la Chine, nous entendions parler d'un beau brillant de laque : nous comprendrons nécessairement un brillant de lac; nous nous ferons l'idée d'un éclat semblable à celui des reflets de l'eau d'un bassin; et nous ne corrigerons notre erreur que quand, retrouvant le mot laque écrit comme il doit l'être, nous en apprendrons la signification exacte.

Cette erreur ou d'autres analogues se représentent, on peut en être certain, pour tous les mots inconnus dont l'étymologie, l'écriture ou la signification ne sont pas tout d'abord évidentes; et cette observation explique l'immense quantité de fautes de toute sorte que commettent partout ceux dont l'éducation a été négligée.

Quelques-unes de ces fautes se répandent et deviennent communes soit dans la France entière, soit dans quelques provinces ou dans quelques professions.

Ce sont surtout celles-là que nous avons tâché d'atteindre. Elles tendent de plus en plus à corrompre et à dénaturer notre idiome; elles se glissent partout, se répètent, augmentent de crédit et de puissance; et jusqu’ici, malheureusement, on n'a opposé à leur action dissolvante aucune digue solide ou inébranlable.

Il n'y a chez nous, on peut le dire, ni principes généraux de prononciation, ni lois rationnelles pour l'orthographe; si bien que nous ne savons souvent comment prononcer un mot que nous voyons écrit pour la première fois.

L'Académie française est, en fait de langage, la seule autorité reconnue. Il serait bien à désirer que ce corps savant posât lui-même quelques règles de prononciation et d'orthographe, et que, sans sortir de nos habitudes générales, il y conformât sa manière d'écrire les mots français. Malheureusement, l'Académie a jusqu'ici reculé devant cete responsabilité; elle a déclaré plusieurs fois qu'elle constatait l'usage et ne prétendait pas le régler. C'est une modération dont il faudrait assurément la louer, si l'usage n'introduisait pas incessamment chez nous des fautes grossières et honteuses. Mais il n'y a pas d'ignorance grossière, il n'y a pas de sottise absurde que l'usage ne puisse adopter; et l'Académie, donnant, après un certain temps, droit de cité à ces locutions barbares, contribue, par sa complaisance ou son abnégation, à corrompre la langue qu'elle est chargée de maintenir dans sa pureté.

On lit dans la dernière édition de son Dictionnaire beaucoup de ces mots ou de ces phrases qui ne sont fondés ni sur l'analogie, ni sur l'étymologie, ni sur les vieilles formes de notre langue, et dont le seul aspect eût fait frissonner nos pères. Nous en avons transcrit quelques exemples; ils prouveront, du moins, que, si l'on n'y prend garde, le Dictionnaire de l'Académie pourra, dans un temps donné, être le refuge de beaucoup de mots introduits par l'étourderie ou la présomption, et adoptés par les masses, c'est-à-dire par l'ignorance.

Dans cette conjoncture, quelques auteurs, malheureusement isolés, et avec une autorité bien limité et trop restreinte, se sont dévoués à recueillir les termes vicieux les plus répandus, afin de prémunir leurs lecteurs contre l'habitude qu'ils en pourraient prendre. Ces ouvrages, dont quelques-uns remontent au milieu du siècle dernier, dont d'autres appartiennent à celui-ci, sont souvent fort estimables; ils constatent ce que nous venons de dire, l'introduction successive de termes que l'on rejetait autrefois avec raison, et pour lesquels l'usage a fait abaisser les barrières qui les écartaient. Il résulte de là que ces ouvrages, déjà anciens, ne sont plus suffisants; qu'il faut, d'une part, les compléter; de l'autre, modifier quelques jugements vrais du temps des auteurs, et devenus faux depuis que les termes qu'ils déclaraient fautifs ont été admis.

Sans doute, un tel ouvrage ne vaudra jamais de bons principes sur la matière ni des règles philosophiques et solidement arrêtées; du moins contribuera-t-il, et c'est ce qu'on peut espérer de mieux, à arrêter la corruption des mots ou des phrases, et à maintenir quelque temps de plus la pureté de notre langue.

Il me reste à dire en quoi cet ouvrage diffère de ceux qui ont paru avant lui sur le même sujet, et le parti qu'on en peut tirer dans l'enseignement. La différence éclate d'abord dans le nombre des articles. Nous ne croyons pas exagérer en disant que ce livre renferme à lui seul plus de fautes indiquées et corrigés que les trois ou quatre ouvrages publiés avant lui n'en contiennent ensemble.

Les Considérations générales qui précèdent le dictionnaire de ces mauvaises locutions, et qui classent toutes les fautes en cinq ordres nettement caractérisés, sont encore une partie toute neuve; partout ailleurs, les mauvais mots et les phrases vicieuses sont rangés à la suite les uns des autres, sans qu'on apprenne aux lecteurs que ces fautes ne sont pas de la même nature, et qu'il y a un grand intérêt à les distinguer. Nous avons, pour nous, commencé par l'exposé de ces différences, qui ne laisseront ensuite aucune hésitation, aucune difficulté à nos lecteurs.

Nous avions même pensé à suivre dans la liste de ces fautes l'ordre même des différences que nous signalons entre elles; à mettre d'abord les barbarismes proprement dits, puis les locutions vicieuses, puis les paronymes confondus, puis les solécismes, et enfin les pléonasmes vicieux. Cela nous eût fait cinq dictionnaires. Nous avons craint que, par cette disposition, la recherche des mots ne devînt pénible pour le lecteur, et nous nous sommes contenté d'une seule liste alphabétique, où nous indiquons par des initiales, à propos de chaque article, le genre de fautes dont il s'agit.

La disposition typographique n'est pas moins remarquable. Les mots fautifs étant tous en lettres grasses, quand il y a avec eux quelques mots sur lesquels la faute ne tombe pas, et qui ne sont là que pour compléter la phrase, nous les laissons en petites capitales ordinaires.

Il est d'ailleurs entendu que, pour suivre l'ordre alphabétique, nous avons été souvent obligé de rejeter après le mot important ceux qui, dans la locution complète, doivent se trouver avant lui. Ces mots à reporter avant le premier sont mis entre parenthèses.

Enfin, pour ne pas perdre l’avantage de la division systématique que nous avions d'abord voulu suivre, nous reproduisons à la fin du volume, fans une table par ordre de fautes, toutes celles que nous avons précédemment consignées et expliquées dans la liste alphabétique.

Tel est le plan nouveau, à ce qu'il nous semble, et surtout commode, que nous avons suivi, comme devant présenter de nombreux avantages à tous les lecteurs indistinctement.

Mais nous avons eu particulièrement en vue l'utilité ds maîtres qui voudraient exercer leurs élèves soit à se reconnaître entre des paronymes donnés, soit à corriger les diverses fautes qu'on aurait laissées dans les phrases faites exprès. Rien n'est assurément plus intéressant et plus utile pour des élèves arrivés à une certaine force, que des devoirs de ce genre. Rien n'est aussi plus facile à composer, grâce surtout à la table des fautes séparées selon leurs espèces.

S'agit-il, par exemple, de faire distinguer les paronymes. Il suffit d'en dicter quelques-uns, pris soit dans la table que nous indiquons, soit dans la liste insérée dans la Grammaire (§§ 74, 75, 76), ou partout ailleurs; et les élèves auront à faire sur ces mots un petit article de la nature de ceux qu'on trouve dans notre livre, où ils donneront la définition de chacun.

S'agit-il de fautes à corriger?

Il n'y a qu'à composer des phrases où l'on met à la place d'un mot convenable un de ceux que nous signalons comme fautifs. Pour des solécismes, il suffit de changer le genre d'un nom, le nombre d'un adjectif, la personne d'un verbe. Pour une locution vicieuse, comme pour les barbarismes, il suffit de la faire entrer dans une phrase quelconque. Pour la confusion des paronymes, on n'a qu'à mettre l'un à la place de l'autre. La distribution de nos mots en classes particulières selon le genre de fautes auxquelles ils donnent lieu sera pour cela d'autant plus commode qu'il suffira, pour avoir la correction demandée, de chercher le mot donné dans la liste générale; et ainsi les maîtres ont dans ces deux listes la matière de quinze ou dix-huit cents devoirs nouveaux, avec les corrigés. Nous croyons que c'est pour eux, aussi bien que pour leurs élèves, un avantage considérable, qu'ils ne tarderont pas à apprécier comme nous. 

 

 Considérations générales 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021