BIBLIOBUS Littérature française

Considérations générales.

 

Les fautes qui contribuent à rendre le langage vicieux sont, pour ainsi dire, innombrables; et il est à peu près impossible d'assigner d'avance toutes les façons dont les ignorants pourront violer les règles ou le bon usage.

Cependant, si l'on ne peut énumérer toutes ces fautes, il est facile au moins de les ramener à un certain nombre de classes établies d'après les diverses parties de la grammaire, ou la nature des préceptes auxquels on contrevient.

Ainsi les fautes peuvent tomber sur la prononciation des syllabes, s'il y a des lettres (voix ou articulations) qui ne sont pas énoncées comme elles doivent l'être; sur l'accentuation, si l'on prononce forte une syllabe faible, ou réciproquement; sur la quantité, si l'on allonge une syllabe brève; sur la liaison des mots, si l'on fait entendre devant la voyelle initiale du second une consonne qui ne doit pas y être; sur l'énonciation des phrases, si on les accentue de travers; si l'on s'arrête où il ne faut pas s'arrêter, si l'on donne à une interrogation la même chute qu'à une affirmation; sur l'orthographe, si dans l'écriture on emploie des lettres que le bon usage n'admet pas, si l'on met sur ces lettre ou auprès d'elles des accents ou des signes qui n'y doivent pas être, ou si l'on oublie ceux qui sont nécessaires; sur la ponctuation, si l'on met d'autres signes que ceux que demande le sens précis du discours; sur les mots eux-mêmes, si l'on en emploie qui absolument ne soient pas français; sur l'étymologie, si l'on s'écarte de l'usage en n'observant pas les règles de dérivation ou de formation convenables; sur la construction des phrases, si l'on déplace mal à propos les mots qui y entrent; sur la syntaxe, si l'on n'observe pas les règles d'accord et de régimes établies par la coutume; sur les homonymes ou paronymes, si l'on confond ou qu'on prenne l'une pour l'autre des mots de son très-voisin; enfin sur l'élégance ou la propriété des termes, si l'on prend mal à propos des mots à la place desquels le bon usage voudrait un de leurs synonymes.

On reconnaît par cette énumération que l'ordre indiqué ici est précisément celui d'un cours de grammaire philosophique, où l'on s'occuperait d'abord des sons de la voix, puis des lettres, et de l'écriture en général; puis des espèces de mots, puis des familles de ces mots; enfin de leur syntaxe et de l'élégance ou des agréments du style.

Mais, par cela même que cet ordre est si exactement didactique, il n'est peut-être pas le plus avantageux dans la pratique. En effet, il y a plusieurs de ces fautes qui rentrent l'une dans l'autre, ou qui ne changent de nom que selon le point de vue. Que j'écrive et que je prononce un live au lieu d'un livre, c'est une faute de prononciation d'abord; c'est aussi une faute d'orthographe, puisque le mot est mal écrit; c'est encore un barbarisme, puisque le mot n'est pas français; c'est de plus une faute contre l'étymologie, puisque l'r y est une lettre essentielle. Or, tout le monde avouera qu'un étude si minutieuse sur un mot qui, en définitive, est à rejeter, exigerait un temps, et une attention qu'on fera beaucoup mieux de consacrer à des connaissances plus directement utiles.

On a donc cherché, et avec raison, une division plus pratique, et qui permît de réunir sous le même aspect les fautes de même nature, ou qui tombent sur des mots de même ordre, ou qui se retrouvent dans les mêmes occasions, sans qu'on fût obligé de ramener les mêmes quatre ou cinq fois, eu égard aux parties de la grammaire auxquelles la faute pouvait se rapporter.

Ce sont alors les fautes elles-mêmes qu'on a distinguées et classées d'après les caractères qui leur sont propres, et que nous expliquerons tout à l'heure avec détail; et l'on a ainsi formé des groupes plus ou moins nombreux sous les titres que voici : Barbarismes proprement dits, ou mots barbares; — Locutions vicieuses, ou barbarismes de phrases; — Confusion de paronymes, ou mots pris pour d'autres; — Solécismes, ou fautes contre la construction des phrases et la syntaxe; Pléonasmes vicieux, ou mauvaise répétition des mots, emploi des mots inutiles, etc.

On reconnaîtra par l'usage que si cette division n'est pas absolument complète; si même elle n'est la plus satisfaisante que l'on pût imaginer quant à la théorie grammaticale, elle est assurément la plus commode : elle atteint les fautes les plus communes, et, en les rangeant sous des caractères distincts et fort aisés à retenir, elle donne en même temps le meilleur moyen de les éviter.

 

  1. Babarismes proprement dits

 

Les barbarismes sont des mots qui ne sont pas français. On sait que les Grecs appelaient barbares tous les peuples qui ne parlaient pas leur langue : le barbarisme était donc originairement un mot, une locution étrangère à la langue grecque; l'on a depuis généralisé le sens de ce terme, et nous l'appliquons à toute expression ou toute locution qui n'est pas française.

Les barbarismes peuvent tomber sur le mot lui-même, si l'on prononce ou si l'on écrit un mot qui absolument n'est pas français, comme serait, par exemple, un cien pour un chien, un abre pour un arbre, un tablot pour un tableau; franchipane pour frangipane; gigier au lieu de gésier; airé au lieu d'aéré; ajamber au lieu d'enjamber; errhes pour arrhes; pantomine pour pantomime; rebiffade pour rebuffade; ce sont autant de barbarismes; on voit que chacun d'eux tombe sur le mot lui-même : on le appelle donc des barbarismes de mots, ou barbarismes proprement dits, quand on veut les distinguer de toute autre faute.

Quelques-uns de ces barbarismes se forment par une mauvaise dérivation es mots; ils ne sont pas moins condamnables que les précédents. Celui qui, ayant appris les temps primitifs de rendre, rendant, rendu, je rends, je rendis, conjuguerait de même prendre, prendant, prendu, je prends, je prendis, se tromperait dans les participes et dans le prétérit simple de l'indicatif. Il conjuguerait d'une manière barbare.

Celui qui, voyant que régir forme un régisseur, brunir un brunisseur, etc., croirait que courir forme un courisseur et acquérir un acquérisseur, ferait des barbarismes dans la dérivation des mots.

Les barbarismes peuvent exister dans la prononciation ou dans l'orthographe : écrire un haître pour un hêtre; plère pour plaire; j'ai u pour j'ai eu; c'est faire des barbarismes dont l'oreille ne nous avertit point, et qu'on range plus souvent parmi les fautes d'orthographe. Il faut les éviter avec le même soin que les barbarismes de prononciation.

On trouvera des barbarismes de ces différentes sortes dans la liste qui suit. Il sera intéressant d'y remarquer la connexion singulière qui existe entre les barbarismes de prononciation et les fautes d'orthographe: on verra que très-souvent ces fautes honteuses et qui influent avec une si déplorable énergie sur la corruption de la langue, dépendant de ce que des mots mal entendus ont été depuis mal écrits, comme de ce que des mots mal écrits ont été par suite mal prononcés.

 

 2. Locutions vicieuses.

Les locutions vicieuses ou les barbarismes de phrases consistent dans l'emploi ou la réunion des mots qui ne peuvent absolument marcher ensemble. Ces barbarismes viennent souvent d'une confusion de paronymes, de mots mal entendus ou répétés de travers, de termes employés conte le bon usage, et qui forment des locutions tout à fait fautives dans notre langue.

Combien de personnes disent de quelqu'un qui rejette leur demande à une époque éloignée ou incertaine : "Il m'a renvoyé au calendrier grec." C'est un barbarisme de phrase; il faut dire aux calendes grecques. En effet, les calendes, qui étaient le premier jour du mois chez les Romains, n'existaient pas ches les Grecs; renvoyer aux calendes grecques, c'est donc renvoyer à ce qui n'est pas, comme nous disons chez nous : renvoyer à la semaine des quatre jeudis, au trente-six du mois, etc. Le calendrier grec ne signifie rien du tout.

Remarquez bien qu'ici ce ne sont pas les mots qui sont barbares; ce seraient des barbarismes proprement dits. Ce ne sont pas, non plus, la construction ni la syntaxe : car nous rentrerions dans les solécismes. C'est la réunion, l'accouplement des mots, qui, en effet, ne peuvent pas marcher ensemble; le barbarisme tombe donc exactement sur la phrase, sur la locution; et c'est ce que signifie précisément le nom qu'on leur donne qui doit les faire bien distinguer des barbarismes de mots.

On remarque facilement que ces barbarismes appartiennent à une théorie plus élevée et sont plus difficiles à corriger que les précédens. Ceux-ci, en effet, consistent dans l'emploi de mots qui absolument ne sont pas français; par conséquent, le Dictionnaire de l'Académie peut être pris comme le régulateur suprême à cet égard; et quand il a prononcé, il n'y a plus de doute sur la qualité du mot employé.

Ici c'est autre chose : les mots sont presque tous français; mais la réunion qu'on en forme est-elle bonne ou mauvaise? Le goût, l'usage sont ici plus puissants que les règles de la grammaire; aussi plusieurs grammairiens

Ont-ils déclaré fautives des expressions qui sont, au contraire, très bonnes; et, réciproquement, ils ont donné comme bonnes des expressions qui sont souvent fautives.

Il serait assurément utile et curieux d'énumérer exactement les espèces auxquelles on peut rapporter les barbarismes de phrases : on verrait que ces fautes passent par tous les degrés possibles, depuis les fautes les plus légères jusqu'aux plus graves; et que les premières consistent souvent dans une figure jugée peu convenable en un moment donné, tandis que les autres contrarient les habitudes les plus générales de notre langue.

Comme nous avons pour objet ici les fautes véritables et réelles, nous parlerons surtout des barbarismes de phrases un peu important. Nous nous contenterons de citer quelques-uns des autres dans la liste qui va suivre. Montrons d'abord qu'il y en a de plusieurs sortes, et qu'on ne doit pas confondre :

1° C'est un barbarisme considérable quand on emploie quelque mot, quelque réunion ou combinaison de mots dans un sens qu'ils n'ont pas.

Nous lisons dans une traduction de Platon : "Je puis te donner de suite le remède." C'est tout de suite qu'il faudrait; de suite signifie consécutivement : Réciter cent vers de suite. Tout de suite veut dire aussitôt.

Fiévée dit dans sa Dot de Suzette : "Elle me demande excuse de s'habiller devant moi." On demande pardon et on fait ses excuses. Demander excuses est une locution vicieuse.

2° Il y a des mots qui ne peuvent pas marcher ensemble, sans qu'il y ait pour cela d'autre raison, sinon que ce n'est pas l'usage. Par exemple, on ne dit pas plus bon : ainsi, plus bon est un barbarisme. Il en est de même de en conséquent, de par conséquence, et de beaucoup d'autres mots.

Le pronom celui, par exemple, demande à être toujours suivi de la préposition de ou d'un conjonctif, qui, que, dont. Quand M. Berryer père dit dans ses Souvenirs : "Balancier plus conservateur que celui actuel du favoritisme ", il fait un barbarisme de phrase.

M. de Lamartine dit encore, dans son Voyage en Orient : "En multipliant cette scène et cette vue par cinq ou six cents maisons semblables…" On ne multiplie que par un nombre : multiplier quelque chose par des maisons n'est pas français.

3° C'est encore une grosse faute, et presque toujours un barbarisme formel que d'employer d'une manière absolue des mots qui ne sont que corrélatifs, ou de changer, de renverser la relation qu'ils expriment.

M. Quinet écrit dans son roman d'Ahasvérus : "Si vous saviez où mène votre longue route, plutôt que de commencer vous resteriez sur le seuil." Le seuil de quoi. Cela n'est pas dit : on est forcé d'entendre le seuil de la route; mais seuil ne se dit que d'une porte.

M. de Lamartine dit dans son poëme de la Chute d'un ange :

Heureux qui peut l'entendre en ces heures où dieu

Le rend contemporain et présent en tout lieu.

Contemporain de qui? Ou de quoi? On est le contemporain de quelqu'un; on n'est pas contemporain en général et absolument.

On trouvera dans la liste suivante des exemples de ceux de ces barbarismes qui se produisent le plus souvent, soit par l'inattention de ceux qui parlent, soit par la mauvaise habitude qu'il en ont prise avec ceux qui parlent mal. Il y en a sans doute une multitude d'autres; nous ne pouvons que recommander de les éviter avec le plus grand soin.

 

  3. Confusion des paronymes.

On entend par homonymes les mots qui se prononcent de la même manière, quoique signifiant des choses différentes, comme saint et ceint, sainte et la ville de Saintes.

On appelle paronymesles mots dont la prononciation, sans être absolument la même, est assez voisine pour que l'on soit exposé à les confondre, comme belle et bêle, dont la différence consiste dans le son long ou bref de la voyelle e.

Les homonymes et les paronymes sont dans toutes les langues, et particulièrement en français, une occasion de fautes aussi grossières que multipliées, pour ceux qui n'y font pas attention. Ils rendent justement ridicules ceux qui les confondent, et contribuent plus que toute autre chose à la corruption des langues par la confusion qu'ils amènent des mots essentiellement différents.

La confusion des homonymes exacts n'est pas ordinairement sensible dans le la ngage; elle entraîne seulement des fautes d'orthographe qu'on peut appeler honteuses. Celui qui écrirait qu'un roi a saint la couronne, au lieu de ceint, ou qu'un homme est sensé avoir rempli un devoir, au lieu de censé, serait justement regardé comme ignorant les premiers principes de sa langue, et donnerait de lui la plus mauvaise idée.

Mais les fautes les plus graves faites à l'occasion des mots semblables sont, sans comparaison, celles que fait commettre l'ignorance du son et du sens de ces mots. Il est incroyable à quel excès des personnes, même instruites, peuvent quelquefois se laisser aller dans ce genre. Nous en donnerons des exemples curieux, et l'on verra qu'il n'y a pas de sottise absurde où l'on ne puisse être conduit quand on ne fait pas une rigoureuse attention à ce que l'on va prononcer.

Il n'est pas hors de propos, à ce sujet, de rappeler que tous les livres où sont recueillis et expliqués les homonymes ou paronymes ne sont pas également sûrs. Il arrive souvent que ceux qui veulent, à cet égard, instruire les autres, auraient besoin de s'instruire d'abord eux-mêmes. Il suffira, pour prouver cette vérité, de transcrire ici ce paragraphe d'un ouvrage qui a eu beaucoup de succès : "Emersion, immersion. — Emersion, action d'une planète qui sort des nuages; immersion, action d'une planète dont la lumière s'éteint dans les nuages." — Je ne relève pas cette impropriété de terme qui fait appeler action le passage d'une planète derrière des nuages; mais si l'on veut ouvrir le Dictionnaire de l'Académie aux mots émersion et immersion, on verra que les définitions données ici sont fantastiques, que les nuages ne sont pour rien du tout, ni dans l'émersion, ni dans l'immersion. Ce dernier mot se rapporte d'abord à immerger; il se dit au propre d'un corps qu'on enfonce tout entier dans un liquide, et qui y disparaît. Le mot émersion, s'il s'employait dans le sens propre, signifierait le mouvement contraire, celui d'un corps qui sort d'un liquide. Par analogie on a employé ces deux mots en astronomie, pour représenter la disparition d'une planète derrière une autre, et sa réapparition quand elle n'est plus cachée derrière un corps opaque. Ainsi, l'immersion des satellites de Jupiter a lieu quand ils disparaissent derrière leur planète; et leur émersion, lorsque, sortant de derrière cette planète, ils redeviennent visibles à nos yeux. Quant aux nuages, il est trop évident que ce sont eux qui viennent s'interposer entre nous et la planète et la dérober à notre vue, pour qu'on puisse attribuer ce phénomène au mouvement de l'astre : aussi n'a-t-on jamais dit l'immersion d'une planète dans une nuage, pas plus qu'on ne dit l'immersion de la lune ou l'émersion du soleil, lorsque les nuages nous les cachent ou les laissent reparaître : en un mot, émersion et immersion sont des termes d'astronomie, et l'astronomie n'a pas à s'occuper des nuages.

Cette faute considérable, et je pourrais en citer d'autres qui ne le sont pas moins, montre combien on risque de s'égarer en suivant un guide infidèle ou insuffisant.

Nous n'avons à faire ici la critique de personne; mais nous engageons tous ceux qui veulent acquérir une instruction solide à apporter le plus grand soin dans le choix des ouvrages qui doivent leur servir de guides.

 

  4. Solécisme.

On appelle solécismes les fautes contre l'accord ou le régime des mots. Si deux mots doivent s'accorder et qu'on ne les accorde pas, c'est un solécisme d'accord, ou une discordance : telle serait l'expression un joli bergère, puisque bergère étant du féminin, les adjectifs un et joli doivent être du même genre.

Il y a solécisme de régime quand on donne à un mot un complément qu'il ne peut recevoir. Ainsi digne demande la préposition de devant son complément : digne d'un prix. Ce serait un solécisme de régime d'employer la préposition pour, et de dire digne pour un prix.

Ces deux espèces de solécismes se subdivisent ensuite en plusieurs autres : par exemple, le solécisme d'accord peut tomber sur le genre quand on fait accorder un masculin avec un féminin, ou réciproquement. Celui qui dit de la belle ouvrage, un petit impasse, fait un solécisme.

Il y a le solécisme dans le nombre quand on met le singulier pour le pluriel, soit qu'on rapporte ainsi l'un à l'autre deux mots de nombre différent, soit que l'un des deux exigeant nécessairement l'un de ces nombres pour le déterminer, on mette l'autre mal à propos. Les paysans qui disent j'avons, j'étions, tombent dans ce vice de langage, puisqu'ils accouplent un sujet singulier et un verbe pluriel.

Il y a solécisme dans la personne quand le verbe ne s'accorde pas avec le pronom son sujet. Celui qui écrit tu aime sans s, ou il faisais, ou ils faisions, donne des exemples de cette faute.

C'est encore un solécisme d'accord quand on exprime un rapport entre des mots qui, grammaticalement, ne peuvent se rapporter l'un à l'autre. Ainsi : "Pensant mal de tout le monde, je n'en dis de personne", n'est pas une phrase correcte; en est un mot relatif invariable qui signifie de cela. Il ne peut se rapporter qu'à un substantif ou à une proposition complète, et ici il se rapporte à mal, qui est pris adverbialement dans la première phrase. Il fallait mettre : "Pensant du mal de tout le monde, je n'en dis de personne."

Des temps de verbes qui se contrarient, forment encore un solécisme d'accord assez commun chez les écrivains négligés, et qui dépend plus du défaut de logique que des règles de la syntaxe.

Les solécismes de régime ne sont pas moins variés que les solécismes d'accord; ils consistent surtout en ce qu'on a employé à tort une forme de nos mots variables, qu'on a retranché une préposition nécessaire, ajouté une préposition inutile, mis une préposition pour une autre, fait des fautes semblables sur des conjonctions, et admis un mode d'un verbe quand la syntaxe en demandait un autre. Exemple : "Donnez-lui tout ce qu'il a besoin;" avoir besoin ne peut régir que. La phrase est donc fautive.

Le livre à mon frère, pour le livre de mon frère; habile à la musique, pour habile dans la musique; curieux pour voir, au lieu de curieux de voir, nous donnent des exemples de prépositions mises pour d'autres, et, par conséquent, de solécismes de régime.

C'est encore une faute de régime de donner à un mot un complément qu'il ne peut avoir. "J'aime davantage le vin que la bière en offre un exemple. Davantage, depuis bien longtemps, ne sert plus pour premier terme d'une comparaison quand le second est exprimé. Il fallait dire j'aime plus.

Le juste emploi des modes et des temps de nos verbes est une des difficultés de notre langue. Les écrivains, même habiles, tombent souvent, à ce sujet, dans des fautes grossières, c'est-à-dire qu'ils font sans y penser de lourds solécismes; il en sera donné des exemples curieux.

Outre ces fautes, qui sont des solécismes formels, il y en a d'autres encore qui, bien qu'elles ne dépendent pas de la violation d'une règle absolue, ne sont pas moins considérables eu égard à l'ensemble de la phrase : ce sont les mauvaises inversions, les constructions embarrassées, équivoques, obscures, dans lesquelles le mot n'est pas vicieux lui-même; la phrase l'est assurément au plus haut degré. Telle est, par exemple, la locution : Une bonne santé je vous souhaite, au lieu de je vous souhaite un bonne santé; cette salle peut cent personnes, au lieu de peut contenir cent personnes. Il y a dans le premier exemple une inversion, dans le second une ellipse, ou retranchement que rien ne justifie; ce sont des fautes de construction très-grossières.

Nous n'avons pas de nom générique pour cette espèce de faute, et nous la désignerons par le terme de phrase vicieuse, phrase mal construite, ou par le nom même du vice qu'on y remarque, tel que mauvaise inversion, mauvaise ellipse, ambiguïté, obscurité, équivoque.

Pour ne pas multiplier inutilement les divisions, nous mettrons ensemble ces fautes et les solécismes, puisqu'ils ont tous pour caractère commun de gâter la phrase, en tant que phrase; tandis que les fautes contenues dans les sections précédentes tombaient, ou sur les mots eux-mêmes, ou sur les associations de mots formant une expression particulière à la langue française.

 

  5. Pléonasmes vicieux.

Le pléonasme consiste à ajouter dans la phrase quelque mot qui n'est pas nécessaire au sens, qui fait même double emploi avec un autre, comme quand on dit : Qu'est-ce que cela me fait à moi? Il est visible que à moi n'a pas d'autre sens que me placé devant fait; c'est un pléonasme.

Le pléonasme fait quelquefois un bon effet, comme dans la phrase citée ici, où il augmente la force de l'expression. Alors c'est une figure de construction qu'il peut être intéressant d'étudier, et dont les poëtes et les orateurs nous donnent de très-beaux exemples.

Mais, la plupart du temps, il n'ajoute aucune énergie à la phrase; il est alors tout à fait inutile, et c'est un vice d'élocution qu'il faut éviter avec le plus grand soin.

Nous avons réuni ici quelques exemples de ceux qui se rencontrent le plus souvent dans la conversation ou dans le langage écrit. On verra que presque tous sont au moins fastidieux, et méritent qu'on les évite avec beaucoup de soin; toutefois, il y en a quelques-uns qui sont plus tolérables que les autres, et qui sont en effet admis dans le la ngage négligé.

Quant à la forme de ces pléonasmes, il est assez difficile d'établir des classes bien nettes. Quelques-uns consistent en ce que l'on réunit plusieurs mots qui, rentrant l'un dans l'autre, ne signifient pas plus qu'un seul; comme quand on dit : une tempête orageuse, assez suffisant, donc par conséquent, etc. Pour d'autres le sens est moins évidemment le même; et pourtant on sent que le même sens est exprimé deux fois, comme dans : ils se sont entre-regardés l'un l'autre, ou nous nous sommes entretenus réciproquement; il est visible que la réciprocité exprimée par l'adverbe l'était déjà par le verbe s'entretenir, et que c'est un double emploi tout à fait blâmable.

Ailleurs, ce sont des expressions de rapports, c'est-à-dire des prépositions ou des conjonctions qui sont redoublées mal à propos, comme dans c'est à vous à qui je parle, c'est de lui dont je me plains. Ces pléonasmes sont de vrais solécismes.

Il y en a aussi qui consistent à déterminer une négation plus qu'il n convient, comme je n'ai pas rien fait, vous n'avez point rencontré personne, etc., tandis qu'ailleurs, comme dans on n'a jamais vu personne, aucun auteur n'a rien écrit de semblable, les deux mots qui déterminent la négation ne sont point surabondants.

Enfin, d'autres pléonasmes plus délicats et plus imperceptibles que les précédents, mais qui ne sont pas moins fâcheux, consistent dans le mauvais choix ou l'emploi mal motivé des adjectifs déterminatifs : comme j'ai mal à ma tête. Ici l'adjectif possessif ma exprime une relation de possession qu'on juge, avec raison, superflue, puisque celui qui souffre de la tête ne peut avoir mal qu'à la sienne. Le bon langage exige donc qu'on n'emploie pas ici l'adjectif possessif.

Cette faute, remarquée depuis longtemps par les grammairiens, n'est pas la seule de ce genre. Celui qui dit : j'ai une fièvre au lieu de j'ai la fièvre, j'ai le rhumatisme au lieu de j'ai un rhumatisme, tombe, quoiqu'on ne l'ait pas remarqué jusqu'à ce jour, dans ce même défaut du pléonasme vicieux. Pourquoi cela? Parce que, comme je l'expliquerai, ces adjectifs apportent à notre esprit une idée de trop, laquelle se trouve ensuite en contradiction avec le mot qu'ils accompagnent.

Je n'ai pas besoin de dire que cette partie de l'étude de la grammaire est déjà fort abstraite, et qu'elle ne peut convenir qu'aux maîtres ou aux élèves avancés, et qui savent bien tout ce qui précède. C'est la distinction que nous avons eue à faire jusqu'à présent dans toute la théorie et dans les applications de la grammaire, où nous avons trouvé une partie élémentaire, en quelque sorte matérielle, et à la portée de toutes les intelligences; et une autre beaucoup plus abstraite, que les esprits plus avancés pouvaient seuls étudier avec fruit. Notre travail sur les fautes du langage eût été nécessairement incomplet, si nous n'y avons pas aussi retrouvé ces différences.  

 Liste alphabétique des fautes les plus ordinaires dans la prononciation, l'écriture ou la construction des phrases.

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021